Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme E...D..., représentée par la SCP Dufour-Hartemann-Brun-Palazzolo, a demandé le 5 juillet 2014 au tribunal administratif de Clermont-Ferrand :
1°) de condamner le centre hospitalier de Saint-Flour à l'indemniser des préjudices consécutifs à sa contamination au virus de l'hépatite C à la suite des soins reçus dans cet établissement au mois de juillet 1990 ;
2°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Saint-Flour une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1401248 du 18 octobre 2016, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande et a mis à sa charge les frais d'expertise d'un montant de 1 276,50 euros et une somme de 1 000 euros à verser au centre hospitalier de Saint-Flour au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 19 décembre 2016, Mme E...D..., représentée par la SCP Dufour-Hartemann-Brun-Palazzolo, demande à la cour
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 18 octobre 2016 ;
2°) de condamner le centre hospitalier de Saint-Flour à l'indemniser des préjudices consécutifs à sa contamination au virus de l'hépatite C à la suite des soins reçus dans cet établissement au mois de juillet 1990 soit :
- au titre des frais divers : une somme de 1 102,88 euros,
- au titre de son déficit fonctionnel temporaire une somme de 20 075 euros,
- au titre des souffrances endurées une somme de 6 000 euros,
- au titre de son déficit fonctionnel permanent une somme de 8 500 euros ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Saint-Flour une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les dépens de l'instance.
Elle soutient que :
- après avoir été victime d'un accident de la voie publique le 2 juillet 1990, elle a été prise en charge au centre hospitalier de Saint-Flour et a subi une intervention chirurgicale ; par la suite, elle a présenté une asthénie chronique jusqu'en 2007, date à laquelle une hépatite C chronique a été diagnostiquée ;
- le Pr Janot, expert judiciaire commis par le tribunal administratif a estimé que l'origine nosocomiale de cette contamination par le virus de l'hépatite C était l'hypothèse la plus probable ; le Pr Janot a exclu les autres modes de contaminations et a listé les interventions médicales dont elle a été l'objet ; le génotype 5 a du virus de l'hépatite C n'était pas connu en 1990, date de l'intervention chirurgicale au centre hospitalier de Saint-Flour et ce génotype est localisé de manière importante dans le bassin géographique de Clermont-Ferrand ; les contrôles relatifs au virus de l'hépatite C étaient renforcés en 2006, date de l'intervention palpébrale ; les soins dentaires étant récents, ceux-ci ne peuvent pas être à l'origine de son infection ; avant cette hospitalisation du 2 juillet 1990, elle ne souffrait pas d'asthénie chronique ni de douleurs aux membres inférieurs, symptômes qui ont été rattachés ultérieurement à sa contamination par le virus de l'hépatite C ;
- une seconde expertise a été diligentée par le tribunal administratif pour évaluer ses préjudices et la date de consolidation de son état de santé ;
- elle demande à être indemnisée des frais de déplacement pour se rendre aux expertises du 16 janvier 2009 et du 5 septembre 2013 soit 527,30 et 274,68 euros ; elle a eu également des frais de déplacements pour se rendre à deux reprises chez son avocat soit une somme de 300,90 euros ;
- le DrB..., le second expert, a fixé à 10 % son taux de déficit temporaire partiel du 27 août 2007 au 4 septembre 2013 mais il convient de retenir le 4 septembre 1991 comme date réelle de départ de ce déficit temporaire partiel soit une somme de 20 075 euros ;
- ses souffrances ont été évaluées par le Dr B...à 3 sur une échelle de 7 et le Pr Janot évoque un pretium doloris important ; ce chef de préjudice devra être indemnisé à hauteur de 6 000 euros ;
- elle reste atteinte d'un déficit fonctionnel permanent de 10% dont elle demande à âtre indemnisée à hauteur de 8 500 euros ;
Par un mémoire en défense enregistré le 19 avril 2018, le centre hospitalier de Saint-Flour, représenté par MeC..., conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- avant la loi du 4 mars 2002, la responsabilité de l'établissement de soins en cas d'infection nosocomiale était soumise au régime de présomption de faute issu de la décision du Conseil d'Etat Cohen ; la jurisprudence admet que l'introduction accidentelle d'un germe microbien dans l'organisme avant 2002 révèle une faute dans l'organisation ou le fonctionnement du service hospitalier ; toutefois, il appartient au requérant d'établir le lien de causalité entre l'hospitalisation et la contamination infectieuse et notamment que la contamination a eu lieu à l'occasion de l'hospitalisation ; Mme D...n'apporte pas cette preuve ; la contamination a une origine indéterminée ; il existe d'autres sources possibles de contamination ; Mme D...ne démontre pas une probabilité plus importante d'avoir contracté cette contamination au cours de son hospitalisation au centre hospitalier de Saint-Flour ;
- la somme demandée par Mme D...au titre de son déficit fonctionnel temporaire est excessive car l'expert évoque seulement une période allant du 27 août 2007 au 4 septembre 2013 et un taux de 10 % et car cette somme n'est pas conforme à la jurisprudence ;
- la somme demandée par Mme D...au titre de ses souffrances est excessive compte tenu de la jurisprudence ;
- la somme demandée par Mme D...au titre de son déficit fonctionnel permanent est excessive compte tenu de son âge et de la jurisprudence ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Cottier,
- les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public,
- et les observations de Me Czorny, avocat de MmeD....
1. Considérant que Mme D...a été diagnostiquée positive au virus de l'hépatite C le 27 août 2007 ; qu'imputant sa contamination à une opération chirurgicale s'étant déroulée au centre hospitalier de Saint-Flour le 2 juillet 1990, elle a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de condamner ledit hôpital à l'indemniser des préjudices en résultant ; que Mme D...fait appel du jugement du 18 octobre 2016 par lequel le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande ;
En ce qui concerne la responsabilité :
2. Considérant que l'introduction accidentelle d'un germe microbien ou d'un virus dans l'organisme d'un patient lors d'une hospitalisation antérieure à l'entrée en vigueur des dispositions relatives à la réparation des infections nosocomiales issues de la loi du 4 mars 2002 révèle une faute dans l'organisation ou le fonctionnement du service hospitalier et engage la responsabilité de celui-ci ; qu'il en va toutefois autrement lorsqu'il est certain que l'infection, si elle s'est déclarée à la suite d'une intervention chirurgicale, a été causée par des germes ou un virus déjà présents dans l'organisme du patient avant l'hospitalisation, ou encore lorsque la preuve d'une cause étrangère est rapportée par l'établissement de santé ;
3. Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport du professeur Janot, expert commis par le tribunal administratif de Clermont-Ferrand, que Mme D...a subi une hémostase sous anesthésie générale le 2 juillet 1990 au centre hospitalier de Saint-Flour à la suite d'un accident de voiture ; que, postérieurement à cette intervention et à d'autres actes chirurgicaux, a été diagnostiquée le 27 août 2007 une virémie positive au virus de l'hépatite C ;
4. Considérant que Mme D...impute cette contamination à sa prise en charge par le centre hospitalier de Saint-Flour en 1990 en se fondant sur le rapport du Pr Janot, qui après avoir évalué toutes les pistes de contamination, a conclu qu'une contamination à la suite d'actes chirurgicaux était l'hypothèse la plus probable ; qu'elle signale également sans être contredite que le génotype du virus de l'hépatite C dont elle est atteinte est géographiquement localisé en Auvergne ; qu'elle souligne aussi que du fait de l'évolution de l'état des recherches, le virus de l'hépatite C ayant été découvert en 1989, et de l'amélioration des contrôles en matière d'hygiène et sécurité à compter des années 2000, les autres soins chirurgicaux réalisés entre 2001 et 2006 dont elle a fait l'objet ne peuvent pas être à l'origine de sa contamination ; qu'elle mentionne qu'elle a connu des premiers symptômes d'asthénie et de douleurs aux membres inférieurs à compter de cette hospitalisation de 1990 ; que le centre hospitalier de Saint-Flour oppose que Mme D...aurait pu être contaminée par un tel virus à l'occasion de soins dentaires en 2001 ou d'un dacryoscanner en 2004 ou encore d'une intervention chirurgicale palpébrale réalisée en 2006 au centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand ; qu'il relève également que l'expert, le Pr Janot, n'est pas totalement affirmatif sur une contamination ayant eu lieu au centre hospitalier de Saint-Flour et que le DrA..., expert auprès de la CRCI, a considéré que l'origine de cette infection ne pouvait pas être précisée ;
5. Considérant qu'en l'espèce, et au regard des pièces versées au dossier, il n'est pas certain que l'infection dont il s'agit ait été causée par des germes ou un virus déjà présents dans l'organisme de l'intéressée avant l'opération chirurgicale de suture du cuir chevelu réalisée pendant près de deux heures sous anesthésie générale le 2 juillet 1990 au centre hospitalier de Saint-Flour ; que les éléments apportés par Mme D...sur sa prise en charge chirurgicale et hospitalière par le centre hospitalier de Saint-Flour comportant un risque d'infection par ce virus de l'hépatite C et sur un faible niveau de contrôle du virus de l'hépatite C au début des années 1990 ne sont pas utilement contredits par le centre hospitalier ; qu'ainsi qu'il a été dit, Mme D... se prévaut d'une asthénie ayant débuté peu après cette intervention chirurgicale de 1990, élément qui n'est pas contredit par le centre hospitalier ; que le centre hospitalier de Saint-Flour en se bornant à émettre des hypothèses sur les lieux et dates possibles de contamination de Mme D...à compter de 2001 n'apporte aucun élément de nature à faire présumer de manière précise et concordante que cette contamination par le virus de l'hépatite C aurait, au cas d'espèce, une origine extérieure plus probable que sa prise en charge au sein dudit centre hospitalier ; que, par suite, le centre hospitalier de Saint-Flour ne rapporte pas la preuve que cette infection serait due à une cause étrangère à une telle prise en charge du 2 au 5 juillet 1990 ; que, dans ces conditions, l'intervention chirurgicale réalisée le 2 juillet 1990 au centre hospitalier de Saint-Flour doit être regardée comme directement à l'origine de la contamination dont l'intéressée a été victime, laquelle présente dès lors un caractère nosocomial ; que l'introduction accidentelle du virus de l'hépatite C dans l'organisme de la patiente révèle une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service du centre hospitalier de Saint-Flour et engage par conséquent sa responsabilité ; qu'il appartient donc au centre hospitalier de Saint-Flour de réparer les conséquences dommageables que cette faute a occasionnées ;
En ce qui concerne les préjudices :
6. Considérant que, suite aux mesures d'instruction menées par la cour, l'avocat de Mme D...a attesté qu'elle s'était rendue à son cabinet à deux reprises en 2013 aux fins de préparer son dossier et notamment l'expertise médicale du 5 septembre 2013 diligentée par le tribunal administratif ; que ce document n'étant pas contesté par le centre hospitalier de Saint-Flour et Mme D...apportant des éléments sur la puissance fiscale du véhicule l'ayant transporté, il y a lieu de condamner ledit centre hospitalier à verser une somme de 300 euros à Mme D...au titre du remboursement de tels frais de déplacements auprès de son conseil ;
7. Considérant que le DrB..., expert commis par le tribunal administratif pour estimer les préjudices subis par MmeD..., a indiqué que cette dernière a été affectée d'une incapacité temporaire partielle imputable à cette contamination par le virus de l'hépatite C de 10 % sur la période comprise entre le 27 août 2007, date de découverte de sa virémie positive au virus de l'hépatite C et le 4 septembre 2013, date de sa consolidation ; que Mme D...n'apporte pas d'éléments suffisamment probants pour remettre en cause cette analyse de l'expert sur les effets de cette contamination et sur le taux d'incapacité retenu par ce dernier à partir de 2007 directement en lien avec cette contamination ; que, dès lors, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice ayant duré 6 ans en condamnant le centre hospitalier de Saint-Flour à lui verser une somme de 3 000 euros ;
8. Considérant qu'en ce qui concerne les souffrances endurées estimées à 3 sur une échelle de 7 par le DrB..., il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en fixant à 4 000 euros la somme due par le centre hospitalier de Saint-Flour à MmeD... ;
9. Considérant que le Dr B...a fixé au 5 septembre 2013 la date de consolidation de Mme D...pour les séquelles de cette contamination au virus de l'hépatite C; qu'il a estimé à 10 % le déficit fonctionnel permanent en lien direct avec cette contamination ; que, dans les circonstances de l'espèce et compte tenu de l'asthénie et du syndrome post-traumatique dont Mme D...est atteinte, il y a lieu de fixer à 8 500 euros la somme due par le centre hospitalier de Saint-Flour, somme en l'espèce demandée par la requérante, qui n'apparait pas excessive au regard de l'âge de l'intéressée contrairement à ce que fait valoir en défense le centre hospitalier ;
10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme D...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande indemnitaire ; qu'eu égard à ce qui été dit aux points 6 à 9, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier de Saint-Flour une somme de 15 800 euros à verser à Mme D... ;
Sur les dépens :
11. Considérant qu'en application des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de mettre les frais d'expertise liquidés et taxés à la somme de 1 276,50 euros à la charge du centre hospitalier de Saint-Flour, partie perdante ; qu'il y a également lieu de mettre à la charge du centre hospitalier de Saint-Flour la somme de 802 euros correspondant aux frais de déplacement de Mme D...pour se rendre aux deux expertises diligentées par le tribunal administratif de Clermont-Ferrand ;
Sur les frais liés au litige :
12. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier de Saint-Flour, partie perdante, une somme de 1 500 euros à verser à Mme D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 18 octobre 2016 est annulé.
Article 2 : Le centre hospitalier de Saint-Flour est condamné à verser une somme de 15 800 euros à Mme D...en réparation de ses préjudices.
Article 3 : Les frais d'expertise liquidés et taxés à la somme de 1 276,50 euros sont mis à la charge du centre hospitalier de Saint-Flour.
Article 4 : Le centre hospitalier de Saint-Flour versera à Mme D...une somme de 802 euros au titre des dépens.
Article 5 : Le centre hospitalier de Saint-Flour versera à Mme D...une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E...D..., au centre hospitalier de Saint-Flour et à la mutuelle générale de l'éducation nationale (MGEN).
Délibéré après l'audience du 6 septembre 2018 à laquelle siégeaient :
M. Pommier, président de chambre,
M. Drouet, président-assesseur,
Mme Cottier, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 9 octobre 2018.
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N° 16LY04216