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20/09/2018 | FRANCE | N°15LY02107

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 4ème chambre - formation à 3, 20 septembre 2018, 15LY02107


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société Electricité de France SA (EDF) a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner la société SCREG Sud-Est à lui verser la somme de 9 000 000 d'euros HT, actualisée depuis le mois de mai 2005, en réparation des désordres affectant le masque en béton bitumeux appliqué sur le parement amont du barrage de La Sassière à Tignes.

Par un jugement n° 1203355 du 20 avril 2015, le tribunal a rejeté sa requête, a mis à sa charge définitive les frais et honoraires de l'expertise tax

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société Electricité de France SA (EDF) a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner la société SCREG Sud-Est à lui verser la somme de 9 000 000 d'euros HT, actualisée depuis le mois de mai 2005, en réparation des désordres affectant le masque en béton bitumeux appliqué sur le parement amont du barrage de La Sassière à Tignes.

Par un jugement n° 1203355 du 20 avril 2015, le tribunal a rejeté sa requête, a mis à sa charge définitive les frais et honoraires de l'expertise taxés et liquidés à la somme de 64 418,91 euros et a rejeté les conclusions reconventionnelles de la société Colas Rhône-Alpes Auvergne, venue aux droits de la société SGREG Sud-Est.

Procédure devant la cour

Par une requête, trois mémoires en réplique et un mémoire récapitulatif produit après l'invitation prévue par l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative, enregistrés les 22 juin 2015, 6 septembre 2016, 17 octobre 2016, 28 novembre 2016 et 9 avril 2018, la société EDF, représentée par MeB..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner la société Colas Rhône-Alpes Auvergne à lui verser la somme de 9 000 000 euros HT actualisée depuis le mois de mai 2005 au titre des travaux de remise en état ;

3°) de mettre à sa charge définitive la somme de 64 418,91 euros au titre des frais et honoraires de l'expertise judiciaire ;

4°) de mettre à sa charge la somme de 25 000 euros au titre des frais d'instance.

Elle soutient que :

- elle est recevable à rechercher la responsabilité décennale de la société SGREG Sud-Est ;

- les désordres n'ont pas pour origine le choix du masque bitumeux mais le défaut de qualité du collage de ce masque sur son support en béton hydraulique au moyen d'un produit proposé, breveté et fabriqué par la société SGREG Sud Est qui ne l'a pas appliqué uniformément avant l'application de la couche de béton ; par ailleurs et sur sa seule initiative, elle a adjoint au béton bitumeux des fibres de cellulose imprégnées de bitume ; la résistance de ce béton est défaillante du fait d'un vieillissement précoce ;

- la société SGREG Sud-Est est intervenue dans la conception du masque bitumeux puisqu'elle a décidé seule de la solution d'accrochage et a donc agi en qualité de maître d'oeuvre ; selon son marché, elle devait en outre vérifier que ses matériaux étaient adaptés pour la réalisation du masque en réalisant elle-même des essais de convenance ;

- sa responsabilité décennale est donc recherchée à double titre : d'une part en sa qualité de constructeur, sur le fondement de l'article 1792 du code civil, d'autre part en sa qualité de fabricant du produit d'accroche, sur le fondement de l'article 1792-4 du même code ;

- l'expert judiciaire ne s'est pas prononcé sur l'imputabilité des désordres et a ignoré les obligations contractuelles de la société SGREG Sud-Est qui a réalisé les essais de convenance qui ont présenté des résultats médiocres ; elle a manqué à son devoir de conseil car elle aurait dû l'alerter avant la phase d'exécution alors qu'elle s'est bornée à les lui transmettre ;

- en réalisant des travaux de reprise en 1998 en conservant à sa charge 50 % des frais, elle a reconnu sa responsabilité et l'absence de faute du maître d'ouvrage de nature à l'exonérer et s'est engagée à réaliser des travaux de reprise efficaces ;

- du fait de son intervention en phase précontractuelle, elle connaissait parfaitement les contraintes de l'ouvrage ;

- les travaux de reprise des désordres qu'elle a réalisés en qualité de maître d'oeuvre ont aggravé les désordres affectant l'ouvrage dont elle a accepté les vices l'affectant ;

- la société Colas Rhône-Alpes Auvergne ne verse au débat aucun élément remettant en cause l'estimation du montant des travaux de remises en état par l'expert judiciaire M.A... ;

- elle ne précise pas le préjudice au titre duquel elle demande sa condamnation à lui verser une somme pour saisine abusive de la cour.

Par trois mémoires en défense et un mémoire récapitulatif produit après l'invitation prévue par l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative, enregistrés les 3 septembre 2015, 27 septembre 2016, 7 novembre 2016 et 15 mars 2018, la société Colas Rhône-Alpes Auvergne, représentée par MeC..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 25 000 euros soit mise à la charge de la société EDF au titre des frais du litige ; elle demande en outre à la cour de condamner la société EDF à lui verser une indemnité de 100 000 euros pour recours abusif.

Elle fait valoir que :

- l'expert judiciaire et son sapiteur concluent que la cause des désordres provient de l'apposition même du masque bitumeux, qui est l'objet même du marché ; la conception du projet par le maître d'ouvrage et ses choix techniques sont la cause exclusive de l'apparition de ces désordres ; la faute exclusive du maître d'ouvrage exclut sa responsabilité décennale ;

- elle n'a participé activement ni au choix de la solution en masque bitumineux, ni à l'élaboration de l'appel d'offre ; aucune faute ne peut lui être reprochée à ce stade ;

- elle a réalisé les travaux conformément au marché ;

- le produit de collage Neoflex a été testé par EDF qui l'a sélectionné lors de la conception de son projet et avant l'élaboration de l'appel d'offres ; il ne s'agit donc pas d'une variante qu'elle aurait proposée ;

- les essais de convenance, réalisés conformément aux stipulations du CCTP sur le site du chantier dans un laboratoire d'essai, sous le contrôle du CEMETE, pour s'assurer de la conformité de l'enrobé bitumeux fabriqué sur place par une centrale avec les spécifications du marché, sont postérieurs à sa conclusion ;

- l'action en responsabilité sur le fondement de l'article 1792-4 du code civil est irrecevable car prescrite ;

- dès lors qu'elle n'engage pas sa responsabilité décennale en tant que locateur, sa responsabilité solidaire de fabricant ne peut être engagée ; quoi qu'il en soit, elle ne peut être solidairement responsable avec elle-même et la cause exclusive du dommage étant la faute de la société EDF, une cause exonératoire de responsabilité devrait lui être appliquée ;

- la couche d'accroche Neoflex est un produit générique breveté qui n'a pas été conçu pour le chantier en cause ;

- au vu des conditions dans lesquelles l'exécution de la convention du 20 mai 1998 a eu lieu, son intervention n'a pas constitué une reconnaissance de responsabilité ; a contrario la responsabilité de la société EDF doit être retenue ;

- le préjudice de la société EDF n'est pas chiffré avec certitude ;

- l'appel interjeté par la société EDF, notamment en ce qu'elle fait référence dans ses écritures à des pourparlers transactionnels soumis au secret professionnel, lui porte préjudice.

Un mémoire enregistré le 18 mai 2018 présenté pour la société Colas Rhône-Alpes Auvergne n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Michel,

- les conclusions de M.D...,

- et les observations de MeB..., représentant la société EDF, et de MeC..., représentant la société Colas Rhône-Alpes.

Considérant ce qui suit :

1. Par un marché conclu le 31 mai 1994, la société Electricité de France SA (EDF) a confié à la société SGREG Sud-Est des travaux de réfection du parement amont du barrage de La Sassière à Tignes (Savoie), dégradé par l'acidité des eaux glacières retenues, consistant en la pose d'un masque en béton bitumeux. Les travaux ont été réceptionnés sans réserve le 13 octobre 1994. Le 2 juin 1995, plusieurs fissures dans le revêtement ainsi que la présence de cloques pleines d'eau ont été constatées puis de nouveau au cours de l'été 1996 malgré les reprises ponctuelles auxquelles a procédé la société SGREG Sud-Est. Par une convention conclue le 20 mai 1998, les sociétés EDF et SGREG Sud-Est ont décidé la mise en place de cornières afin de limiter le glissement du revêtement bitumeux. Les désordres persistants, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a, à la demande de la société EDF, ordonné une expertise. L'expert a déposé son rapport le 1er juin 2005. Par un jugement du 20 avril 2015, le tribunal a rejeté la demande de la société EDF tendant à la condamnation de la société SGREG Sud-Est, sur le fondement de la garantie décennale du constructeur, à lui verser la somme de 9 000 000 d'euros HT, actualisée depuis le mois de mai 2005, en réparation des désordres, ainsi que les conclusions reconventionnelles de la société Colas Rhône-Alpes Auvergne, venue aux droits de la société SGREG Sud-Est, tendant à la condamnation de la société EDF à lui verser des dommages et intérêts pour procédure abusive. La société EDF relève appel de ce jugement et la société Colas Rhône-Alpes Auvergne présente des conclusions reconventionnelles tendant à la condamnation de la société EDF à lui verser la somme de 100 000 euros en réparation du préjudice causé par la saisine abusive de la cour.

Sur la responsabilité décennale du constructeur et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres fondements de responsabilité soulevés par la société EDF :

2. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables.

3. Il résulte de l'instruction que le glissement le long du parement amont du barrage de La Sassière du masque bitumineux laissant à découvert en plusieurs endroits le béton hydraulique qu'il avait vocation à protéger a rendu l'ouvrage impropre à sa destination. Selon l'expertise ordonnée en première instance par le tribunal administratif de Grenoble et réalisée par M.A..., ces désordres trouvent leur origine dans l'inadéquation de la solution d'accrochage aux conditions d'exploitation extrêmes du barrage dont la paroi amont présente une forte pente. Par suite, la société EDF peut, pour ces motifs, soutenir que la responsabilité décennale du constructeur est engagée.

4. Les dommages décrits au point 3 sont imputables à la société SGREG Sud-Est qui n'a formulé aucune réserve malgré la médiocrité des résultats lors des essais préliminaires de convenance réalisés sur des enrobés de bitumineux et n'a pas tenu suffisamment compte des contraintes propres au site.

5. Toutefois, la société EDF, qui a fait le choix de protéger l'ouvrage par un masque en béton bitumineux, alors que la composition de ce béton ne permettait pas un bon accrochage sur un support en béton hydraulique de surcroît très incliné, est également responsable des désordres survenus. Dans ces conditions, la société EDF n'est fondée à rechercher la responsabilité de la société Colas Rhône-Alpes Auvergne qu'à raison d'une partie des conséquences dommageables des désordres survenus. La faute de la société EDF est de nature à atténuer de moitié la responsabilité du constructeur.

Sur le préjudice :

6. Si, en s'appuyant sur les conclusions du rapport d'expertise, la société EDF évalue le montant des travaux de remise en état de l'ouvrage à la somme de 9 millions d'euros HT, ce montant correspond à la fourchette haute de l'estimation par l'expert d'un ordre de grandeur. L'état du dossier, en l'absence de précision quant à la méthode mise en oeuvre, de devis ou de factures, ne permet pas à la cour de statuer sur le préjudice effectivement subi par la société EDF. Il y a lieu, dans ces conditions, de procéder à un supplément d'instruction contradictoire tendant à la production de tous éléments permettant de justifier le montant du préjudice dont elle demande réparation.

Sur les conclusions reconventionnelles de la société Colas Rhône-Alpes Auvergne :

7. Eu égard à ce qui est dit ci-dessus aux points 4 et 6, le recours de la société EDF ne peut être regardé comme abusif. Par suite, les conclusions de la société Colas Rhône-Alpes Auvergne tendant à la condamnation de la requérante à des dommages et intérêts pour recours abusif doivent être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1203355 du 20 avril 2015 du tribunal administratif de Grenoble est annulé.

Article 2 : Avant de statuer sur le préjudice de la société EDF, il sera procédé à un supplément d'instruction tendant à la production des documents mentionnés dans les motifs du présent arrêt, dans un délai d'un mois à compter de sa notification.

Article 3 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié aux sociétés Electricité de France SA et Colas Rhône-Alpes Auvergne.

Délibéré après l'audience du 30 août 2018, à laquelle siégeaient :

M. d'Hervé, président,

Mme Michel, président assesseur,

Mme Lesieux, premier conseiller.

Lu en audience publique le 20 septembre 2018.

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N° 15LY02107


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