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28/06/2018 | FRANCE | N°16LY02745

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre - formation à 3, 28 juin 2018, 16LY02745


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Le conseil départemental de l'ordre des médecins de la Nièvre a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler la décision du 26 juin 2014 par laquelle le Conseil national de l'ordre des médecins a autorisé la SELARL de médecin Ginevra du docteur Roberto Arienzo à exercer en site distinct à Tannay et à Garchizy pour y effectuer des consultations.

Par un jugement n° 1403027 du 3 juin 2016, le tribunal administratif de Dijon a annulé la décision du conseil national de l'ordre des médecins.r>
Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 29 juillet 2016 et un mémo...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Le conseil départemental de l'ordre des médecins de la Nièvre a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler la décision du 26 juin 2014 par laquelle le Conseil national de l'ordre des médecins a autorisé la SELARL de médecin Ginevra du docteur Roberto Arienzo à exercer en site distinct à Tannay et à Garchizy pour y effectuer des consultations.

Par un jugement n° 1403027 du 3 juin 2016, le tribunal administratif de Dijon a annulé la décision du conseil national de l'ordre des médecins.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 29 juillet 2016 et un mémoire complémentaire enregistré le 7 décembre 2017, la SELARL de médecin Ginevra, représentée par MeC..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Dijon du 29 juillet 2016 ;

2°) de rejeter la demande présentée devant le tribunal administratif de Dijon par le conseil départemental de l'ordre des médecins de la Nièvre ;

3°) de mettre à la charge du conseil départemental de l'ordre des médecins de la Nièvre la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal a entaché son jugement d'un défaut de motivation dès lors qu'il ne vise que le code de justice administrative et le code de la santé publique et que la mention de l'article R. 4113-23 du code de la santé publique est erronée ; le tribunal n'a pas fait mention des éléments de fait portant sur l'organisation des soins dans les différents cabinets ;

- le tribunal a irrégulièrement inversé la charge de la preuve en se fondant sur l'absence de précision quant à l'organisation des soins respectivement prévus dans les différents cabinets, au traitement des complications constatées lors du suivi chirurgical et au traitement des urgences ; il appartenait au conseil départemental de démontrer que l'autorisation accordée par le conseil national méconnaissait les exigences tenant à la réponse aux urgences, à la qualité et à la continuité des soins ;

- le tribunal a commis une erreur de fait en estimant qu'elle n'avait fourni aucune précision sur l'organisation des soins respectivement prévus dans ces cabinets et aucune indication sur le traitement des urgences à Sens en cas d'exercice dans les cabinets secondaires ;

- le tribunal n'a pas exercé pleinement son office en limitant son contrôle aux seules distances séparant les différents sites et n'a pas pris en considération l'intérêt des malades et l'ensemble des éléments qui s'y rattachent ;

- le tribunal a commis une erreur d'appréciation dès lors que la demande d'autorisation d'exercer les consultations à Tannay et Garchizy était également motivée par le constat que, dans le département de la Nièvre, certaines techniques bariatriques n'étaient pas utilisées ; la demande s'inscrivait dans une démarche d'amélioration de la qualité des soins rendus aux patients nivernais ;

- le tribunal a méconnu la liberté d'établissement et la libre prestation de services ;

- rien ne fait obstacle à ce que le courrier du 26 juin 2013 comportant des éléments d'appréciation de l'organisation des soins puisse être pris en compte ;

- les docteurs Voinea, Pacini, Bouvier-Desnos attestent assurer la continuité des soins au sein de la clinique Paul-Picquet à Sens pour les patients pris en charge par une chirurgie bariatrique en l'absence du docteur Arienzo ;

- les deux chirurgiens présents à Nevers n'exercent pas la chirurgie bariatrique ;

Par un mémoire enregistré le 13 octobre 2016, le conseil départemental de l'ordre des médecins de la Nièvre conclut, à titre principal, au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, à l'annulation de la décision du 26 juin 2014 par laquelle le Conseil national de l'ordre des médecins a autorisé la SELARL de médecin Ginevra à exercer en site distinct et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la SELARL de médecin Ginevra en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les communes de Tannay et Garchizy sont respectivement distantes de la résidence professionnelle du docteur Arienzo et/ou de la SELARL implantée à Sens d'environ 120 km pour la première et de 180 km pour la seconde ; à l'inverse, Tannay se situe à 65 km de Nevers où exercent en chirurgie digestive les docteurs Longeville et Laurent-Guery et Garchizy à seulement 10 km de cet établissement ;

- la circonstance que le jugement ne vise que le code de la santé publique et le code de justice administrative est sans incidence sur sa régularité ; il en est de même de l'erreur matérielle relative à la numérotation de l'article R. 4113-23 du code de la santé publique ;

- si le docteur Arienzo, et non la SELARL, a expliqué que sur le site de Tannay et Garchizy, il ne donnerait que des consultations et qu'il n'aura aucune urgence à assurer, il n'établit pas que cette prescription était remplie au titre de son lieu principal d'exercice situé à Sens à près de 140 et 200 km des deux communes précitées ;

- le docteur Arienzo et la SELARL ne démontrent pas que le projet respecte l'ensemble des conditions requises par les articles R. 4113-23 et T. 4127-85 du code de la santé publique ; il n'est pas établi que toutes les garanties ont été apportées quant à la continuité des soins et la sécurité des patients ;

- le tribunal n'a pas inversé la charge de la preuve en se basant sur l'absence de précision fournie par la société, a exercé son plein office et n'a pas commis d'erreur de qualification juridique des faits ; le tribunal n'a pas méconnu la liberté d'établissement et celle de prestation de services ;

- la décision du 26 juin 2014 est irrégulière en tant qu'elle n'a pas déclaré irrecevable la demande d'exercice en sites multiples présentée par la SELARL médecin Ginevra dès lors que cette société n'était, à la date du 9 décembre 2013, ni inscrite au tableau de l'ordre ni enregistrée et ne disposait d'aucune existence juridique ;

- la procédure suivie devant le conseil national a méconnu le principe du contradictoire dès lors qu'il n'a pas pu faire valoir utilement ses arguments en défense ;

- le conseil national a statué au-delà de l'objet de la demande d'autorisation d'exercice en sites distincts présentée par le docteur Arienzo ;

- le conseil national a, à tort, estimé que le recours dont il était saisi avait été présenté par la SELARL et appliqué les dispositions de l'article R. 4127-85 du code de la santé publique propres aux professionnels de santé installés à titre individuel ;

- le conseil national a commis une erreur de fait en estimant que toutes les garanties étaient apportées en ce qui concerne la réponse aux urgences, la qualité, la sécurité et la continuité des soins ;

- le conseil national a commis une erreur d'appréciation quant à la détermination du secteur géographique considéré, quant au caractère suffisant de l'offre de soins dans le domaine de la chirurgie bariatrique ;

Par un mémoire, enregistré le 19 septembre 2016, le Conseil national de l'ordre des médecins s'en remet à la sagesse de la cour.

Par ordonnance du 2 mai 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 17 mai 2018.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public,

- et les observations de Me Rothdiener, avocat de la SELARL de médecin Ginevra.

Une note en délibéré présentée par la SELARL de médecin Ginevra a été enregistrée le 25 mai 2018.

1. Considérant que le docteur Arienzo, qui exerce la chirurgie bariatrique à la clinique Paul Picquet située à Sens, a constitué une société d'exercice libéral, la SELARL de médecin Ginevra ; que la SELARL de médecin Ginevra a demandé au conseil départemental de l'ordre des médecins de la Nièvre l'autorisation d'exercer sa spécialité deux demi-journées par mois sur deux sites distincts, la clinique Le Réconfort à Tannay et le cabinet médical du docteur Chauvot à Garchizy ; que le conseil départemental ayant rejeté cette demande par décision du 10 janvier 2014, la SELARL a saisi le Conseil national de l'ordre des médecins qui, par une décision du 26 juin 2014, a annulé la décision du conseil départemental et autorisé la SELARL à exercer à Tannay et Garchizy pour y effectuer des consultations ; que le conseil départemental de l'ordre des médecins de la Nièvre a attaqué cette décision ; que la SELARL de médecin Ginevra relève appel du jugement du 3 juin 2016 par lequel le tribunal administratif de Dijon a annulé la décision du 26 juin 2014 du Conseil national de l'ordre des médecins ;

Sur la régularité du jugement :

2. Considérant que le jugement attaqué, qui n'avait pas à répondre à tous les arguments soulevés devant le tribunal administratif, expose de façon suffisamment précise les motifs de fait et de droit sur lesquels se sont fondés les premiers juges pour prononcer l'annulation de l'autorisation contestée du 26 juin 2014 ; que, par suite, le jugement n'est pas entaché d'irrégularité ;

3. Considérant que le jugement a pu à bon droit ne viser que le code de la santé publique et le code de justice administrative ; que s'il mentionne l'article R. 4111-23 du code de la santé publique au lieu de l'article R. 4113-23 tout en citant bien le texte de ce dernier article, cette simple erreur de plume, aisément rectifiable et qui n'affecte en rien la compréhension du jugement, est sans incidence sur sa régularité ;

Sur la légalité de l'autorisation du 26 juin 2014 :

4. Considérant qu'aux termes de l'article R. 4113-23 du code de la santé publique : " I.-Le lieu habituel d'exercice d'une société d'exercice libéral de médecins est celui de la résidence professionnelle au titre de laquelle elle est inscrite au tableau de l'ordre. /Toutefois, dans l'intérêt de la population, la société peut être autorisée à exercer son activité sur un ou plusieurs sites distincts de sa résidence professionnelle : 1° Lorsqu'il existe dans le secteur géographique considéré une carence ou une insuffisance de l'offre de soins préjudiciable aux besoins des patients ou à la permanence des soins ; ou 2° Lorsque les investigations et les soins à entreprendre nécessitent un environnement adapté, l'utilisation d'équipements particuliers, la mise en oeuvre de techniques spécifiques ou la coordination de différents intervenants. /La société prend toutes dispositions pour que soient assurées sur l'ensemble des sites d'exercice la réponse aux urgences, la qualité, la sécurité et la continuité des soins. / II.-La demande d'ouverture d'un site distinct est adressée au conseil départemental dans le ressort duquel se situe l'activité envisagée. Elle est accompagnée de toutes informations utiles sur les conditions d'exercice. Si ces informations sont insuffisantes, le conseil départemental demande des précisions complémentaires. / Lorsque le site concerné est implanté dans un autre département, le conseil départemental au tableau duquel la société est inscrite est informé de la demande et des suites qui lui sont données. /Le conseil départemental saisi se prononce, par une décision motivée, dans un délai de trois mois à compter de la réception du dossier de demande complet. L'autorisation est réputée acquise au terme de ce délai. /III.-L'autorisation est personnelle et incessible. Il peut y être mis fin si les conditions fixées au I ne sont plus réunies. " ;

5. Considérant que, par la décision contestée, le Conseil national de l'ordre des médecins a autorisé la SELARL de médecin Ginevra à exercer son activité de chirurgie bariatrique sur deux sites distincts en retenant qu'il existe dans le département de la Nièvre une insuffisance de l'offre de soins alors que les besoins de la population ont été confirmés et que la SELARL a apporté toutes les garanties permettant de s'assurer qu'elle répond aux conditions du 5ème alinéa de l'article R. 4113-23 en matière de réponse aux urgences, de qualité, de sécurité et de continuité des soins ;

6. Considérant que le tribunal administratif de Dijon n'a pas inversé la charge de la preuve en estimant qu'il ne ressortait pas des pièces du dossier que la SELARL avait apporté des précisions suffisantes devant le Conseil national de l'ordre des médecins quant à l'organisation des soins prévue entre le lieu habituel d'exercice de la société et les deux sites distincts situés à Tannay et Garchizy ; que, par suite, le moyen doit être écarté ;

7. Considérant que l'article R. 4113-23 du code de la santé publique subordonne la délivrance de l'autorisation d'exercer sur des sites distincts au respect des conditions cumulatives qu'il pose ; que, par suite, à supposer même établie l'insuffisance de l'offre de soins en chirurgie bariatrique dans le département de la Nièvre, cette circonstance ne suffirait pas à justifier légalement la décision litigieuse ;

8. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que saisi le 9 décembre 2013 par la SELARL de médecin Ginevra d'une demande tendant à obtenir l'autorisation d'exercer la chirurgie bariatrique sur deux sites distincts deux jeudis matin par mois, le conseil départemental de l'ordre des médecins de la Nièvre a sollicité un complément d'informations ; que, par courriel du 17 décembre 2013, le docteur Arienzo a uniquement fait état de l'insuffisance de l'offre de soins dans sa spécialité chirurgicale au sein de ce département ; que, s'agissant de la condition relative à la réponse aux urgences, à la qualité, la sécurité et la continuité des soins, le docteur Arienzo fait valoir que le suivi pré et post opératoire des patients du département de la Nièvre, opérés uniquement à la clinique de Sens, serait facilité par l'ouverture de deux sites distincts dans ce département et que ses confrères de la clinique Paul Picquet de Sens ont, par courrier du 6 juillet 2017, soit postérieurement à la décision du conseil national, indiqué assurer la continuité des soins des patients pris en charge à la clinique située à Sens en son absence ;

9. Considérant que les villes de Tannay et de Garchizy sont situées respectivement à 120 et 180 kilomètres de la ville de Sens, lieu habituel d'exercice de la SELARL ; qu'en admettant même que la continuité des soins soit assurée à la clinique de Sens par les confrères du docteur Arienzo en son absence, la société n'a pas apporté de précisions suffisantes quant à l'organisation des soins respectivement prévue dans les deux autres cabinets situés dans le département de la Nièvre et requise pour répondre aux urgences, à la qualité, la sécurité et la continuité des soins, et ce quand bien même son exercice dans ces cabinets serait limité à une demi-journée par mois ; que, par suite, c'est à bon droit que le tribunal administratif a retenu que le Conseil national de l'ordre des médecins a entaché sa décision d'une erreur d'appréciation en estimant que la SELARL de médecin Ginevra serait en mesure de répondre aux urgences sur trois lieux d'exercice distincts séparés par des distances importantes et qu'elle en avait apporté toutes les garanties ;

10. Considérant que les restrictions apportées au droit d'établissement et à la libre prestation de services par les dispositions de l'article R. 4113-23 du code de la santé publique sont justifiées par un motif impérieux d'intérêt général tenant au maintien d'un service de soins de qualité, équilibré et accessible à tous et sont proportionnées à l'objectif ainsi poursuivi ; qu'ainsi, en estimant que la décision du Conseil national de l'ordre des médecins était entachée d'une erreur d'appréciation quant à la condition de réponse aux urgences posée par cet article, le tribunal administratif n'a pu méconnaître la liberté d'installation des médecins ni la libre prestation de services ;

11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SELARL de médecin Ginevra n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a annulé la décision du Conseil national de l'ordre des médecins du 26 juin 2014 ;

Sur les frais liés à l'instance :

12. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du conseil départemental de l'ordre des médecins de la Nièvre, qui n'a pas dans la présente instance la qualité de partie perdante, le versement de quelque somme que ce soit au titre des frais exposés par la SELARL de médecin Ginevra et non compris dans les dépens ;

13. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SELARL de médecin Ginevra la somme de 1 500 euros sur le fondement des mêmes dispositions ;

DECIDE :

Article 1er : La requête de la SELARL de médecin Ginevra est rejetée.

Article 2 : La SELARL de médecin Ginevra versera la somme de 1 500 euros au conseil départemental de l'ordre des médecins de la Nièvre.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SELARL de médecin Ginevra, au Conseil national de l'ordre des médecins et au conseil départemental de l'ordre des médecins de la Nièvre.

Délibéré après l'audience du 24 mai 2018 à laquelle siégeaient :

M. Pommier, président de chambre,

Mme B...et MmeA..., premiers conseillers.

Lu en audience publique, le 28 juin 2018.

2

N° 16LY02745


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16LY02745
Date de la décision : 28/06/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

61-035 Santé publique. Professions médicales et auxiliaires médicaux.


Composition du Tribunal
Président : M. POMMIER
Rapporteur ?: Mme Rozenn CARAËS
Rapporteur public ?: Mme VIGIER-CARRIERE
Avocat(s) : DSC AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 17/07/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2018-06-28;16ly02745 ?
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