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15/05/2018 | FRANCE | N°15LY04132

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 3ème chambre - formation à 3, 15 mai 2018, 15LY04132


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... E... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler la décision du 18 mars 2014 par laquelle le directeur du centre hospitalier de Montceau-les-Mines l'a suspendu de ses fonctions à titre conservatoire dans l'intérêt du service, de condamner ce centre hospitalier à lui verser une somme de 126 712 euros en indemnisation des préjudices qu'il a subis, et de mettre à la charge du centre hospitalier de Montceau-les-Mines une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice ad

ministrative.

Par un jugement n° 1401655 du 5 novembre 2015, le trib...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... E... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler la décision du 18 mars 2014 par laquelle le directeur du centre hospitalier de Montceau-les-Mines l'a suspendu de ses fonctions à titre conservatoire dans l'intérêt du service, de condamner ce centre hospitalier à lui verser une somme de 126 712 euros en indemnisation des préjudices qu'il a subis, et de mettre à la charge du centre hospitalier de Montceau-les-Mines une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1401655 du 5 novembre 2015, le tribunal administratif de Dijon a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 30 décembre 2015, M.B... E..., représenté par Me Choulet, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Dijon du 5 novembre 2015 ;

2°) d'annuler la décision du 18 mars 2014 par laquelle le directeur du centre hospitalier de Montceau-les-Mines l'a suspendu de ses fonctions ;

3°) de condamner ce centre hospitalier à lui verser une somme de 131 164 euros en indemnisation des préjudices qu'il a subis ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Montceau-les-Mines une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision en litige n'est pas motivée ;

- il a donné satisfaction dans ses fonctions ;

- les griefs retenus par les premiers juges ne sont pas fondés, alors que ceux invoqués par le centre hospitalier ont été écartés par la chambre disciplinaire du conseil régional de l'Ordre des médecins de Bourgogne qui a rejeté la plaine dirigée contre lui ;

- le contexte lié aux difficultés de l'établissement doit être pris en compte ;

- la décision en litige est entachée d'erreur d'appréciation ;

- son préjudice moral et son préjudice matériel doivent être indemnisés respectivement à hauteur de 100 000 euros et 31 164 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 juillet 2016, le centre hospitalier de Montceau-les-Mines, agissant par son directeur en exercice, représenté par la SELARL d'avocats BLT droit public, conclut au rejet de la requête et à la condamnation de M. E... à lui payer une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Il fait valoir que :

- la décision en litige, qui n'a pas à être motivée, l'est en tout état de cause suffisamment ;

- cette décision n'est entachée d'aucune irrégularité de procédure ;

- la carrière du requérant n'est pas aussi exemplaire qu'il le prétend et, en tout état de cause, cette circonstance est sans effet sur la légalité de la décision en litige ;

- Mme D..., dont les griefs à l'encontre du requérant sont fondés, est appréciée de ses confrères ;

- le comportement difficile, non confraternel et non exempt d'agressivité de M. E..., qui n'est pas dû aux difficultés de l'établissement, est établi ;

- la décision en litige n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

- les agissements du requérant qui entraînaient le départ de personnels compromettaient la continuité du service et faisaient, en conséquence, courir des risques à la sécurité des patients ;

- l'absence de réponse aux appels lors d'astreintes, qui est établie, présente également un risque pour la sécurité des patients ;

- l'absence d'information et la contradiction de sa consoeur lors du transfert d'un patient est établie ;

- le comportement du requérant dans les relations humaines et son absence de respect de la déontologie génère des dysfonctionnements dans l'organisation du service ;

- l'appréciation du directeur en la matière s'exerce en dehors de toute considération de compétence professionnelle, de qualité de carrière et d'antécédents et d'aboutissement de procédure disciplinaire, et les témoignages favorables au requérant sont sans effet ;

- la circonstance que la chambre disciplinaire du conseil régional de l'ordre des médecins a écarté les griefs retenus par la décision de suspension, qui sont matériellement exacts, est sans effet sur la légalité de celle-ci ;

- bien que datés postérieurement à la décision en litige, les témoignages défavorables au requérant se rapportent à des faits qui lui sont antérieurs ;

- les conclusions indemnitaires sont irrecevables, faute d'avoir été précédées d'une demande préalable ;

- la décision n'étant pas entachée d'illégalité fautive, ces conclusions indemnitaires ne peuvent qu'être rejetées ;

- la réalité des préjudices allégués n'est pas établie.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jean-François Alfonsi, président,

- les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public,

- et les observations de Me C... pour M. E..., et celles de Me A... pour le centre hospitalier de Montceau-les-Mines

1. Considérant que par sa requête susvisée, M. E... relève appel du jugement du 5 novembre 2015 par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande qui tendait, d'une part, à l'annulation de la décision du 18 mars 2014 du directeur du centre hospitalier de Montceau-les-Mines prononçant la suspension de ses fonctions de praticien hospitalier à temps partiel en qualité de médecin cardiologue et, d'autre part, à la condamnation de ce centre hospitalier à lui verser une indemnité de 126 712 euros en réparation des préjudices matériels et moral ayant résulté, selon lui, de cette décision ;

Sur les conclusions dirigées contre la décision du 18 mars 2014 :

2. Considérant que le directeur d'un centre hospitalier qui, en vertu des dispositions de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique, exerce son autorité sur l'ensemble du personnel de l'établissement qu'il dirige, peut légalement, dans des circonstances exceptionnelles où sont mises en péril la continuité du service et la sécurité des patients, décider de suspendre les activités cliniques et thérapeutiques d'un praticien hospitalier au sein du centre, sous le contrôle du juge et à condition d'en référer immédiatement aux autorités compétentes pour prononcer la nomination du praticien concerné ;

3. Considérant que pour prendre la décision en litige, le directeur du centre hospitalier de Montceau-les-Mines a retenu, d'une part, que M. E... n'avait pas donné suite à quatre appels téléphoniques pour une urgence cardiologique qui lui avaient été adressés dans la nuit du 19 au 20 février 2014 alors qu'il était d'astreinte, que les griefs articulés à son encontre par le docteur D... " semblent fondés " et revêtent, par " certains aspects ", des caractéristiques d'une particulière gravité mettant en danger l'organisation du service et l'efficacité de la prise en charge des patients, qu'il est intervenu, sans concertation avec le docteur D..., pour contredire les modalités de la prise en charge d'un patient qu'elle avait décidées, et que la dégradation de ses rapports avec le docteur D... ne permettait plus un fonctionnement cohérent et sécurisé entre les différentes unités du service de cardiologie ;

4. Considérant, s'agissant du reproche qui lui est fait de n'avoir pas répondu aux appels alors qu'il était d'astreinte, que M. E... soutient qu'il était présent au service de cardiologie I, occupé à mettre à jour un protocole d'échographie de stress et n'a pas entendu la sonnerie de son téléphone portable qui se trouvait dans son armoire ; que le centre hospitalier de Montceau-les-Mines, qui ne conteste pas sérieusement cette information, n'expose pas davantage les raisons pour lesquelles, ensuite de l'échec des appels sur son téléphone portable, aucune autre tentative pour joindre M. E... n'a été tentée, ni sur la ligne de téléphone fixe du service où il se trouvait, ni à son domicile ; qu'il ne peut, dans ces conditions, être sérieusement reproché à M. E... d'avoir refusé de répondre à des appels en vue de la prise en charge d'une urgence cardiologique alors que le service n'établit pas que les diligences nécessaires pour l'en avertir ont été accomplies ;

5. Considérant, s'agissant de la remise en cause de l'exploration coronarographique prescrite à un patient par le docteur D..., qu'il ressort des pièces du dossier que ce patient était suivi de longue date par le docteur El Habach qui l'a opéré en urgence le 17 février 2014 et lui a fait subir un examen d'échocardiographie de stress sous dobutamine le 20 février 2014 au matin, dont les résultats, permettant de conclure à l'absence d'anomalie coronaire et, par conséquent, à l'absence d'indication de coronarographie, ont été consignés sur la fiche " transmissions ciblées " ; que le docteur El Habach, informé le 20 février 2014 à 14 heures par l'épouse de ce patient que ce dernier devait être transféré au centre hospitalier de Mâcon en vue d'y subir une coronarographie sur les instructions du docteur D... qui ne l'en avait pas averti, est intervenu auprès du médecin chargé de procéder à cet examen, lequel, au vu des informations qui lui ont été ainsi communiquées et en l'absence d'urgence, a décidé, en accord avec le patient et après en avoir avisé le docteur D..., de différer cet examen ; qu'un tel incident ne peut, eu égard aux circonstances dans lesquelles il s'est produit, être regardé comme ayant été susceptible de mettre en cause la sécurité du patient ni, en tout état de cause, comme constituant un manquement au devoir de confraternité du docteur El Habach à l'égard de sa consoeur ;

6. Considérant qu'il n'est pas contesté que des dissensions au sein du service de cardiologie ont opposé le docteur El Habach au docteur D... au cours de l'année 2014 ; que le requérant soutient toutefois sans être sérieusement contredit sur ce point que cette dernière a été recrutée le 6 janvier 2014 au service de cardiologie dont il était chef de service sans qu'il ait été consulté, ni même informé, alors qu'il avait, à la suite d'un remplacement qu'elle avait effectué au mois d'octobre 2013, émis un avis défavorable au renouvellement de tels remplacements en raison des problèmes relationnels qu'elle avait rencontrés avec plusieurs membres de l'équipe médicale ; que ni les attestations rédigées en faveur de Mme D... par certains de ses confrères les 26, 27 et 28 mai 2014, qui ne se prononcent pas sur les circonstances et les responsabilités à l'origine des incidents qu'elle a dénoncés, ni les témoignages produits par le centre hospitalier, dont les auteurs qui, pour certains d'entre eux avaient quitté l'établissement en 2014, se bornent à déclarer avoir assisté à une altercation ou avoir recueilli les déclarations de Mme D..., ne permettent de considérer que le docteur El Habach aurait adopté, notamment à l'égard de sa consoeur, un comportement susceptible d'avoir des conséquences sur le fonctionnement du service ou la sécurité des patients ;

7. Considérant, enfin, que les autres griefs formulés à l'encontre du docteur El Habach, au demeurant pas même évoqués dans la décision en litige, à propos d'incidents qui auraient eu lieu en 2006, 2009, 2011 et 2012, pas plus que les difficultés entraînées par l'échec du projet de regroupement de coopération sanitaire avec l'hôpital du Creusot, dont il ne saurait être tenu pour seul responsable, ne sont, en tout état de cause, pas de nature à justifier légalement la suspension de son activité au sein du service qui, comme cela a été rappelé au point 2, ne peut être décidée que dans des circonstances exceptionnelles où sont mises en péril la continuité du service et la sécurité des patients ;

8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. E... est fondé à soutenir que le directeur du centre hospitalier de Montceau-les-Mines ne pouvait légalement, comme il l'a fait par sa décision en litige du 18 mars 2014, se fonder sur les motifs rappelés aux points 4 à 7 ci-dessus pour prononcer la suspension de son activité de praticien hospitalier et, par voie de conséquence, que c'est à tort que, par son jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a rejeté les conclusions de sa demande tendant à l'annulation de cette décision ;

Sur les conclusions à fin d'indemnité :

9. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. E... a adressé une demande indemnitaire préalable le 29 septembre 2015 au centre hospitalier de Montceau-les-Mines, qui en a accusé réception le 1er octobre 2015 ; qu'ainsi, et contrairement à ce qui est soutenu en défense, le requérant était recevable à présenter, tant en première instance qu'en appel, des conclusions tendant à la condamnation de cet établissement public hospitalier à lui payer des indemnités en réparation des préjudices qu'il estimait avoir subis ;

10. Considérant que l'illégalité de la décision du 18 mars 2014 par laquelle son directeur a prononcé la suspension de ses fonctions du docteur El Habach constitue une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Montceau-les-Mines à l'égard du requérant ;

11. Considérant qu'en vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre ; que sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité ; que, pour l'évaluation du montant de l'indemnité due, doit être prise en compte la perte du traitement ainsi que celle des primes et indemnités dont l'intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l'exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions ; qu'enfin, il y a lieu de déduire, le cas échéant, le montant des rémunérations que l'agent a pu se procurer par son travail au cours de la période d'éviction ;

12. Considérant que M. E... ne peut prétendre à réparation de pertes subies du fait de l'absence de paiement des gardes et astreintes qu'il n'a pu effectuer durant la période en cause dès lors que ces compléments de rémunération, qui ne sont prévus qu'en contrepartie de services de gardes et d'astreintes effectivement assurés et non récupérés, sont seulement destinés à compenser des contraintes liées à l'exercice effectif des fonctions ; que ce chef de préjudice doit, par suite, être écarté ;

13. Considérant, en revanche, que le retentissement qu'a pu avoir la décision l'évinçant illégalement du service tant en raison du préjudice moral qui en est résulté que de l'atteinte à sa réputation justifient, dans les circonstances de l'espèce, que soit accordée à M. E... une indemnité d'un montant de 20 000 euros ;

Sur les frais du litige :

14. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. E... la somme demandée par le centre hospitalier de Montceau-les-Mines au titre des frais engagés non compris dans les dépens ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de condamner le centre hospitalier de Montceau-les-Mines à verser à M. E... une somme de 2 000 euros au titre de ces mêmes dispositions ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1401655 du 5 novembre 2015 du tribunal administratif de Dijon ainsi que la décision du directeur du centre hospitalier de Montceau-les-Mines du 18 mars 2014 prononçant la suspension de ses fonctions à titre conservatoire de M. E..., sont annulés.

Article 2 : Le centre hospitalier de Montceau-les-Mines est condamné à verser à M. E... une somme de 20 000 euros.

Article 3 : Le centre hospitalier de Montceau-les-Mines versera à M. E... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête susvisée est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... E... et au centre hospitalier de Montceau-les-Mines.

Délibéré après l'audience du 24 avril 2018 à laquelle siégeaient :

M. Jean-François Alfonsi, président de chambre,

M. Hervé Drouet, président assesseur,

M. Marc Clément, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 15 mai 2018.

4

N° 15LY04132

mg


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15LY04132
Date de la décision : 15/05/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Discipline - Suspension.

Fonctionnaires et agents publics - Dispositions propres aux personnels hospitaliers - Personnel médical - Praticiens à temps partiel.


Composition du Tribunal
Président : M. ALFONSI
Rapporteur ?: M. Jean-François ALFONSI
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : CABINET CHOULET- PERRON-BOULOUYS- AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 22/05/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2018-05-15;15ly04132 ?
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