Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. F...B...a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 4 mars 2016 par lequel le préfet de l'Isère a prononcé son expulsion du territoire français et d'enjoindre au préfet de lui délivrer un certificat de résidence dans le délai de trente jours à compter de la notification du jugement à intervenir sous astreinte de 200 euros par jour de retard.
Par jugement n° 1601961 du 22 juin 2017, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 18 août 2017, M. F...B..., représenté par MeE..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 22 juin 2017 du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) d'annuler l'arrêté du 4 mars 2016 par lequel le préfet de l'Isère a prononcé son expulsion du territoire français ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Isère de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, à défaut, d'enjoindre au préfet de l'Isère de réexaminer sa demande dans un délai de trente jours à compter de la notification de l'arrêt, sous astreinte de 150 euros, et entretemps de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans les huit jours suivant la notification de l'arrêt sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son conseil, en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
Il soutient que :
- la décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'il n'a aucun lien familial avec l'Algérie qu'il a quittée à l'âge de 17 ans ; l'ensemble de sa famille vit en France et est de nationalité française ; sa vie privée et familiale se focalise sur sa relation avec ses deux fils et ses petits-enfants, sans se résumer à celle-ci ; son fils ainé l'héberge depuis sa sortie de prison ;
- la décision méconnaît les articles L. 521-1, L. 521-2 et L. 521-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; il est entré en France depuis plus de 40 ans ; il relève des dispositions de l'article L. 521-3 du code susmentionné si la cour considère qu'il comptabilise plus de 20 ans de présence en France à compter de son incarcération en mai 1993 ; si la cour considère qu'il a au moins 10 ans de présence en France, il relève des dispositions de l'article L. 521-2 du code précité ; le préfet ne démontre pas qu'il ait un comportement de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat ou qu'il ait un comportement constituant une menace pour l'ordre public postérieurement à sa condamnation ; les services d'insertion, les médecins et le juge d'application des peines ont pris en compte son évolution, le fait qu'il regrette son geste ; il ne représente plus une menace actuelle pour l'ordre public ;
- il est arrivé en France à l'âge de 17 ans ; la preuve de sa présence en France depuis cette date est apportée dès lors qu'il a toujours travaillé comme salarié ou gérant de fait dans une entreprise de restauration ;
- il a fait l'objet d'une seule condamnation ; or, seule la répétition d'un acte délictueux ou une évolution défavorable de son comportement pourrait être prise en compte pour caractériser une menace à l'ordre public ; en l'espèce, eu égard à son comportement pendant son incarcération comme depuis ses aménagements de peine, il ne constitue pas une menace actuelle pour l'ordre public ; en octobre 2014, le juge d'application des peines a d'ailleurs pris en compte son évolution favorable et sa volonté d'insertion sociale ;
Par ordonnance du 13 février 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 28 février 2018.
M. B...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 25 juillet 2017.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme Marie Vigier-Carrière, rapporteur public,
- et les observations de MeD..., représentant M.B.atteinte d'une incapacité permanente partielle de 85% et l'autre d'une incapacité permanente partielle de 25%
1. Considérant que M.B..., ressortissant algérien né le 30 novembre 1947, est entré en France, selon ses dires, à l'âge de 17 ans ; que, par arrêt du 11 mars 2009, la cour d'assise d'appel du département de la Loire l'a condamné à une peine de 20 ans de réclusion criminelle, assortie d'une période de sûreté automatique, pour avoir commis les crimes d'arrestation, d'enlèvement, de détention et de séquestration de deux personnes, du 8 au 12 mars 2003, ces actes ayant été précédés, accompagnés ou suivis de tortures ou d'actes de barbarie causant une mutilation et une infirmité permanente, l'une des victimes demeurant..., ; que M. B...a, en outre, par le même arrêt, été reconnu coupable des délits de détention frauduleuse et usage d'un faux passeport et de subornation de témoins ; qu'il a été incarcéré le 28 mai 2003 ; que, par jugement du 15 octobre 2014, le tribunal de l'application des peines de Melun a admis M. B...au bénéfice d'une libération conditionnelle à compter du 4 novembre 2015 sous réserve qu'il satisfasse à une épreuve de semi-liberté pendant une durée de douze mois à compter du 4 novembre 2014 ; que la fin de sa peine a été fixée au 21 février 2018 ; que, sur saisine du préfet, la commission d'expulsion a émis, le 18 novembre 2015, un avis défavorable à la mesure d'expulsion envisagée à son encontre ; que, par arrêté du 4 mars 2016, le préfet de l'Isère a prononcé l'expulsion de M. B...; que ce dernier relève appel du jugement du 22 juin 2017 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté d'expulsion;
Sur la légalité de l'arrêté d'expulsion du 4 mars 2016 :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, " Sous réserve des dispositions des articles L. 521-2, L. 521-3 et L. 521-4, l'expulsion peut être prononcée si la présence en France d'un étranger constitue une menace grave pour l'ordre public " ; qu'aux termes de l'article L. 521-2 du même code, " Ne peuvent faire l'objet d'une mesure d'expulsion que si cette mesure constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique et sous réserve que les dispositions de l'article L. 521-3 n'y fassent pas obstacle : (...) 4° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans, sauf s'il a été, pendant toute cette période, titulaire d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle portant la mention " étudiant ". (....) Par dérogation aux dispositions du présent article, l'étranger visé aux 1° à 5° peut faire l'objet d'un arrêté d'expulsion en application de l'article L. 521-1 s'il a été condamné définitivement à une peine d'emprisonnement ferme au moins égale à cinq ans. " ;
3. Considérant que dès lors que M. B...a été définitivement condamné, le 11 mars 2009, par la cour d'assise d'appel du département de la Loire à une peine de d'emprisonnement ferme de 20 ans, il n'est pas fondé à soutenir qu'il relève du 4° de l'article L. 521-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, " Ne peuvent faire l'objet d'une mesure d'expulsion qu'en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes : (...) 2° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans ; (...).Les étrangers mentionnés au présent article bénéficient de ses dispositions même s'ils se trouvent dans la situation prévue au dernier alinéa de l'article L. 521-2. " ;
5. Considérant que M. B...soutient, qu'à la date de l'arrêté attaqué , il résidait régulièrement en France depuis plus de vingt ans ; que toutefois, il n'apporte pas d'éléments suffisamment probants au soutien de ses allégations ; qu'à cet égard, il ressort des pièces du dossier que le préfet de l'Isère a délivré à l'intéressé deux titres de séjour valables du 10 juillet 2001 au 9 juillet 2002 et du 10 juillet 2002 au 9 juillet 2003 portant la mention " salarié " et qui indiquaient une date d'entrée en France en 1997 ; que, par ailleurs, les périodes de détention ne peuvent être prises en compte dans le calcul de la durée de résidence en France au sens des dispositions précitées ; qu'ainsi qu'il a été dit précédemment, le requérant a été incarcéré à... ; que, par suite, dans les circonstances de l'espèce, M. B...n'établit pas que le 4 mars 2016, date de l'arrêté attaqué, il résidait régulièrement en France depuis plus de vingt ans; qu'il s'ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 521-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté ;
6. Considérant que les infractions pénales commises par un étranger ne sauraient, à elles seules, justifier légalement une mesure d'expulsion et ne dispensent pas l'autorité compétente d'examiner, d'après l'ensemble des circonstances de l'affaire, si la présence de l'intéressé sur le territoire français est de nature à constituer une menace grave pour l'ordre public ; que lorsque l'administration se fonde sur l'existence d'une telle menace pour prononcer l'expulsion d'un étranger, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, de rechercher si les faits qu'elle invoque à cet égard sont de nature à justifier légalement sa décision ;
7. Considérant, qu'en l'espèce, il résulte de ce qui a été dit au point 1 que M. B...s'est rendu coupable en 2003 de faits d'une extrême gravité pour lesquels il a été condamné à une peine d'emprisonnement de vingt ans ; que certes, il a fait preuve au cours de son incarcération et pendant les aménagements de sa peine d'un comportement exempt d'incident ; que par ailleurs, les experts consultés par le juge de l'application des peines ont estimé que le risque de récidive était limité ; que toutefois, il ressort des pièces du dossier, notamment du jugement du tribunal d'application des peines du 15 octobre 2014 que le requérant, s'il parvient à présent à s'imputer une partie des faits, continue à nier, malgré la condamnation pénale dont il a fait l'objet, être à l'origine des violences, des séquestrations et des enlèvements susmentionnés, se retranchant derrière l'action de ses complices ; que ce jugement s'appuie sur une expertise psychiatrique du 5 février 2013 qui précise que la personnalité de M. B..." reste identique avec les traits de caractère paranoïaque ", qu'il " persiste à nier sa responsabilité des faits. Son récit reflète une certaine minimisation de la gravité des faits. On note également l'absence de culpabilité " ; que ce même constat ressort également du suivi socio-éducatif de l'intéressé ; qu'ainsi, eu égard notamment à la gravité des faits reprochés et à l'ensemble des informations dont il pouvait disposer sur le comportement de l'intéressé, le préfet de l'Isère a pu à bon droit, et ce, nonobstant la réalité du travail accompli par M. B...dans les différentes structures carcérales où il a été admis, estimer que, dans les circonstances de l'espèce, la présence de celui-ci sur le territoire français constituait une menace grave pour l'ordre public ;
8. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1 - Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; / 2 - Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sécurité publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ;
9. Considérant que M. B...fait valoir qu'il réside en France depuis l'âge de 17 ans, que l'ensemble de sa famille, notamment ses fils et petits-enfants, réside en France et est de nationalité française et qu'il n'a plus d'attaches familiales en Algérie ; que si les pièces du dossier, notamment son relevé d'assurance retraite font apparaître que le requérant a vécu et travaillé en France de 1964 à 1993, elles n'établissent en revanche pas qu'il aurait résidé de manière habituelle et continue sur le territoire national depuis l'âge de 17 ans ; qu'en effet, le relevé susmentionné comporte plusieurs années sans cotisation ; qu'en outre, ainsi qu' il a été indiqué au point 5, les titres de séjour délivrés les 10 juillet 2001 et 10 juillet 2002 font mention d'une date d'entrée en France en 1997 et le requérant n'apporte pas d'éléments suffisamment probants de nature à établir qu'il n'aurait pas quitté le territoire national pendant plusieurs années ; que, par ailleurs, il ressort de ses déclarations retranscrites dans le jugement du 15 octobre 2014 du juge de l'application des peines, qu'il est retourné dans son pays d'origine en 2003 après avoir commis les crimes ayant donné lieu à la condamnation pénale susmentionnée ; que M. B..., âgé de 68 ans, est célibataire et sans charge de famille et n'établit pas être dépourvu de toute attache familiale en Algérie ; qu'ainsi, dans les circonstances de l'espèce, eu égard notamment à la gravité des crimes commis et alors que ses fils majeurs et ses petits enfants peuvent lui rendre visite en Algérie, la mesure d'expulsion n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise ; qu'il s'ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté ;
10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 4 mars 2016 ; que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 8 mars 2018, à laquelle siégeaient :
M. Carrier, président,
Mme C... et MmeA..., premiers conseillers.
Lu en audience publique le 12 avril 2018.
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N° 17LY03189