Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner le département de l'Isère à lui verser une somme de 15 000 euros en réparation du préjudice moral dont elle soutient avoir été victime dans l'exercice de ses fonctions.
Par un jugement n° 1201756 du 21 avril 2015, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 19 juin 2015, Mme B... A..., représentée par Me Germain-Phion, avocate, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 1201756 du tribunal administratif de Grenoble du 21 avril 2015 ;
2°) de condamner le département de l'Isère à lui verser une somme de 15 000 euros en réparation du préjudice moral causé par les agissements fautifs de harcèlement moral dont elle soutient avoir été victime dans l'exercice de ses fonctions ;
3°) de mettre à la charge dudit département la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle est victime de harcèlement moral de part du département de l'Isère depuis l'année 2006 ;
- les courriers des assistants familiaux ne lui ont pas été transmis ;
- la médiation a été menée par un psychologue partial et non compétent ;
- le département n'a pris aucune mesure à son égard ;
- elle a fait l'objet d'un avertissement ;
- elle n'a pas été notée depuis 2006 ;
- elle n'a pas été promue hors classe alors qu'elle remplit les conditions depuis 2007 ;
- elle a été obligée de rester chez elle à l'issue de congé de maladie ;
- le département n'a pas cherché à la reclasser et lui a proposé des postes ne correspondant pas à ce qu'elle pouvait accepter ;
- ces comportements ont porté atteinte à sa dignité comme à sa santé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 août 2015, le département de l'Isère, représenté par le cabinet d'avocats Droit public consultants, conclut au rejet de la requête et à la condamnation de Mme A... à lui verser une somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir qu'aucun des moyens invoqués par Mme A... n'est fondé.
L'instruction a été close le 21 juillet 2017 à 16 heures 30 par une ordonnance du 4 juillet 2017 prise sur le fondement de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ;
- le décret n° 92-853 du 28 août 1992 portant statut particulier du cadre d'emplois des psychologues territoriaux ;
- le décret n° 2017-63 du 23 janvier 2017 relatif à l'appréciation de la valeur professionnelle de certains fonctionnaires territoriaux ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Samuel Deliancourt, premier conseiller,
- les conclusions de M. Marc Clément, rapporteur public,
- et les observations de Me Carnelutti, avocat (cabinet d'avocats Droit public consultants), pour le département de l'Isère ;
1. Considérant que, par sa requête susvisée, Mme A... relève appel du jugement du 21 avril 2015 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la condamnation du département de l'Isère à lui verser une somme de 15 000 euros en réparation du harcèlement moral dont elle soutient avoir été victime dans l'exercice de ses fonctions de psychologue territorial titulaire ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, issu de la loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. (...) " ;
3. Considérant, d'une part, qu'il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement ; qu'il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; que la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile ;
4. Considérant, d'autre part, que, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral ; qu'en revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui ; que le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé ;
5. Considérant que pour être qualifiés de harcèlement moral, de tels faits répétés doivent excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique ;
6. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction qu'à l'occasion des entretiens contradictoires qu'elle a eus avec le chef du service de l'aide sociale à l'enfance (ASE) les 22 et 23 avril 2008, Mme A... a pu prendre connaissance des courriers par lesquels des éducateurs, des travailleurs sociaux et des familles d'accueil se sont plaints auprès du département, à partir du mois de juillet 2007, du comportement et de l'attitude qu'elle avait adoptés à leur égard, et a été ainsi mise à même de répondre aux griefs formulés à son encontre, ce qu'elle a d'ailleurs fait par courrier du 8 juillet 2008 adressé à la directrice des ressources humaines du département ; qu'elle a, par ailleurs, été informée de la dénonciation émanant d'une assistante familiale lors d'un entretien qui s'est déroulé le 14 mai 2008 avec les familles d'accueil et de deux courriers datés des 11 et 12 mai 2009, émanant de cinq éducateurs ; que Mme A... ne peut, dans ces conditions, reprocher au département de l'Isère d'avoir cherché à l'isoler en la laissant dans l'ignorance des faits qui lui étaient reprochés ;
7. Considérant qu'à la suite des plaintes mentionnées ci-dessus, un entretien a eu lieu le 17 juillet 2008 entre Mme A..., la directrice des ressources humaines et les directeurs de deux territoires concernés, qui a été suivi d'une tentative de méditation entre les mois de novembre 2008 et janvier 2009, à l'issue de laquelle la psychologue de la médecine du travail mandatée à cet effet, après avoir entendu l'ensemble des personnes impliquées qui ont fait part de leur souffrance, de leur lassitude et de leur impossibilité de travailler avec Mme A..., a conclu à la nécessité de séparer cette dernière des équipes ; que Mme A..., qui a eu connaissance de ces conclusions et été mise à même de faire valoir ses arguments, et qui ne peut soutenir que la psychologue chargée de la médiation serait incompétente ou aurait fait preuve de partialité pour cette seule raison que les conclusions auxquelles elle est parvenue ne sont pas conformes à ses propres vues, n'est, dans ces conditions, fondée à soutenir ni que le département se serait abstenu de prendre les mesures rendues nécessaires par la situation à laquelle elle était confrontée, ni qu'il aurait adopté un comportement à son égard destiné à la "destituer" en la marginalisant au sein des équipes de l'aide sociale à l'enfance ;
8. Considérant, en deuxième lieu, que dès lors qu'elle n'excède pas les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique, une simple diminution des attributions justifiée par l'intérêt du service, en raison d'une manière de servir inadéquate ou de difficultés relationnelles, n'est pas constitutive de harcèlement moral ; qu'en raison des difficultés relationnelles mises en évidence par les divers courriers rappelés aux points précédents, le président du conseil général pouvait légalement décider de limiter l'autonomie de Mme A... en déterminant par une note de service de 2008 les modalités et objectifs de ses rencontres avec les enfants accueillis et/ou les assistants familiaux, tout en recommandant de l'associer autant que possible à chaque rencontre afin que les usagers puissent la connaître ;
9. Considérant, en troisième lieu, qu'à la suite des divers courriers de plaintes émanant des travailleurs sociaux et de familles d'accueil s'agissant de son attitude inadaptée à leur égard, à l'origine de graves dysfonctionnements au sein du service de l'ASE, Mme A... a fait l'objet d'un avertissement le 26 septembre 2008, dont elle n'a d'ailleurs pas contesté la légalité ; qu'en se fondant sur des faits suffisamment établis par les témoignages nombreux et précis mentionnés au point n° 7, le président du conseil général, qui n'a pas inexactement qualifié de tels faits et n'a pas prononcé une sanction d'une gravité excessive, ne peut être regardé comme ayant manifesté la volonté de harceler Mme A... ;
10. Considérant, en quatrième lieu, qu'un fonctionnaire ne peut faire l'objet d'une notation que si des dispositions réglementaires applicables à son corps, cadre d'emplois ou emploi prévoient expressément un système de notation ; qu'ainsi, et dès lors que ni le décret susvisé du 28 août 1992 portant statut particulier du cadre d'emplois des psychologues territoriaux, ni aucune autre disposition à caractère statutaire en vigueur entre 2006 et 2017 ne prévoyait de procédure de notation pour les psychologues territoriaux, Mme A... ne peut utilement soutenir que la circonstance qu'elle n'a fait l'objet d'aucune notation depuis 2006 révèlerait la volonté de son employeur de la marginaliser au sein du service ;
11. Considérant, en cinquième lieu, que Mme A..., si elle remplit depuis 2007 les conditions statutaires pour accéder à la hors classe de son grade, ne bénéficie pas, de ce seul fait, d'un droit à être promue ; que la circonstance qu'elle n'a pas bénéficié d'une telle promotion ne peut suffire à démontrer l'existence du harcèlement dont elle se dit victime ;
12. Considérant, en sixième et dernier lieu, qu'à l'issue du congé de maladie ordinaire de huit mois qu'elle a pris à compter du 9 juin 2009, le département de l'Isère a adressé un courrier à Mme A... le 12 mars 2010 pour lui demander, en l'absence d'emploi permanent disponible et afin d'éviter les tensions, de ne pas reprendre ses fonctions ; qu'une telle demande, destinée à régler les difficultés relationnelles dans le service ne peut être regardée comme ayant porté préjudice à Mme A... qui a, par la suite et en conséquence, bénéficié d'un accompagnement personnalisé consistant en la mise à disposition d'un coach professionnel au cours de douze séances et à qui au moins trois postes correspondant à son cadre d'emploi comme à ses compétences ont été proposés au sein de la direction de la santé et de l'autonomie, dont aucun n'était, contrairement à ce qui est soutenu, réservé à un stagiaire ; que Mme A..., qui a été accompagnée, pour deux de ces postes, par un conseiller d'orientation lors des entretiens et qui, après avoir accepté l'un d'eux pour une expérimentation, a décidé, sans avertissement, de ne pas s'y présenter le 19 septembre 2011 au motif qu'elle n'avait pas de bureau individuel ni de véhicule, alors que le département avait proposé d'en mettre un à sa disposition, n'est pas fondée à soutenir que les agissements qu'elle reproche au département porteraient atteinte à sa dignité ou seraient de nature à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral ;
13. Considérant que les faits allégués aux points 6 à 12 qui, pris isolément, ne permettent pas de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral, ne sont pas davantage de nature, considérés dans leur ensemble, à faire présumer l'existence d'un tel harcèlement ;
14. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
15. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du département de l'Isère la somme demandée par Mme A... au titre des frais engagés non compris dans les dépens ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de condamner Mme A... à verser au département de l'Isère une somme de 1 500 euros au titre de ces mêmes dispositions ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Mme A... est condamnée à verser au département de l'Isère une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au département de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 5 décembre2017 à laquelle siégeaient :
M. Jean-François Alfonsi, président de chambre,
M. Hervé Drouet, président assesseur,
M. Samuel Deliancourt, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 19 décembre 2017.
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N° 15LY02124