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14/12/2017 | FRANCE | N°15LY03700

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre - formation à 3, 14 décembre 2017, 15LY03700


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme M...L...épouseG..., Mme B...O..., M. P...O..., M. H...G...et M. I...G..., ont demandé au tribunal administratif de Grenoble, d'une part, de condamner solidairement le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Drôme, le centre hospitalier de Montélimar et le centre hospitalier de Valence à verser la somme de 58 847,21 euros à Mme M...G..., la somme de 16 000 euros à M. I...G..., la somme de 31 000 euros à respectivement AliceO..., Guillaume O...et A...G..., en réparation des préjudic

es subis résultant du décès de M. K...O...en juillet 2009, lesdites somme...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme M...L...épouseG..., Mme B...O..., M. P...O..., M. H...G...et M. I...G..., ont demandé au tribunal administratif de Grenoble, d'une part, de condamner solidairement le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Drôme, le centre hospitalier de Montélimar et le centre hospitalier de Valence à verser la somme de 58 847,21 euros à Mme M...G..., la somme de 16 000 euros à M. I...G..., la somme de 31 000 euros à respectivement AliceO..., Guillaume O...et A...G..., en réparation des préjudices subis résultant du décès de M. K...O...en juillet 2009, lesdites sommes devant être assorties des intérêts au taux légal à compter du 25 février 2013 et de la capitalisation desdits intérêts, et d'autre part, de mettre respectivement à la charge du SDIS de la Drôme, du centre hospitalier de Montélimar et du centre hospitalier de Valence la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1302523 du 29 septembre 2015, le tribunal administratif de Grenoble a, d'une part, condamné le centre hospitalier de Montélimar à verser à Mme M...G...la somme de 14 354 euros, à M. I...G...la somme de 3 000 euros, à Mme B...O...la somme de 4 500 euros, à M. P...O...la somme de 4 500 euros, à Mme M...G...et à M. I...G..., en leur qualité de représentants légaux de l'enfant A...G..., la somme de 1 500 euros, lesdites sommes étant assorties des intérêts au taux légal à compter du 25 février 2013, et les intérêts échus étant capitalisés le 25 février 2014 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, d'autre part, mis à la charge du centre hospitalier de Montélimar une somme globale de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et à la charge de Mme M...L...épouseG..., MmeB... O..., M. P...O..., M. H...G...et M. I...G...la somme globale de 1 000 euros au titre des frais exposés par le SDIS de la Drôme et non compris dans les dépens.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire enregistrés les 25 novembre 2015 et 11 septembre 2017, Mme M... L...épouseG..., Mme B...O..., M. P...O..., M. H...G...et M. I... G..., représentés par MeE..., demandent à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 1302523 du 29 septembre 2015 du tribunal administratif de Grenoble en tant qu'il a rejeté leurs conclusions indemnitaires dirigées contre le SDIS de la Drôme et le centre hospitalier de Valence, en tant qu'il a limité les indemnités mises à la charge du centre hospitalier de Montélimar aux montants susmentionnés et en tant qu'il a mis à leur charge la somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) de condamner solidairement le SDIS de la Drôme, le centre hospitalier de Valence et le centre hospitalier de Montélimar à verser la somme de 58 847,21 euros à Mme M...G..., la somme de 16 000 euros à M.I... G..., la somme de 31 000 euros respectivement à Mme B... O..., M. P... O... et M. A... G..., en réparation des préjudices subis résultant du décès de M. K...O...en juillet 2009, lesdites sommes devant être assorties des intérêts au taux légal à compter du 25 février 2013 et de la capitalisation desdits intérêts à compter du 23 février 2014 ;

3°) de mettre respectivement à la charge du SDIS de la Drôme, du centre hospitalier de Montélimar et du centre hospitalier de Valence la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Ils soutiennent que :

- le médecin relevant du SDIS de la Drôme qui a examiné M. K...O...sur son lieu de travail a commis une faute en ne conseillant pas au médecin régulateur du service d'aide médicale urgente de transférer le patient directement vers le centre hospitalier de Valence, seul établissement dans la région susceptible de prendre correctement en charge un accident vasculaire cérébral, dès lors que cette pathologie figurait parmi celles qu'il avait envisagées eu égard aux symptômes que M. K...O...présentait ;

- le centre hospitalier de Valence, en charge du service d'aide médicale urgente de la Drôme, a commis une première faute en n'envoyant pas directement M. K...O...au centre hospitalier de Valence, une deuxième faute en ne s'assurant pas que M. K... O...fasse effectivement l'objet d'une prise en charge rapide lors de son arrivée au service des urgences du centre hospitalier de Montélimar ; il a commis une troisième faute en tardant à organiser le transport du patient vers ses services, une fois diagnostiqué l'accident vasculaire cérébral par le centre hospitalier de Montélimar ;

- le taux de perte de chance de survie de M. K...O...doit être évalué à 60 % et non à 25 %, les données médicales faisant apparaître qu'un patient survit à la réalisation d'une fibrinolyse dans cette proportion ;

- il appartient au centre hospitalier de Montélimar de réparer l'entier préjudice résultant des souffrances endurées par M. K...O... ; en effet, la faute commise résultant du retard de prise en charge est directement à l'origine de ces souffrances et ne lui a pas fait seulement perdre une chance d'y échapper ;

- il y a lieu de réévaluer le préjudice moral qu'ils ont subi du fait du décès de M. K... O... ; en outre, c'est à tort que le tribunal a estimé qu'ils n'avaient pas subi de préjudice d'accompagnement du fait de la rapidité du décès de Raphaël O...; il y a lieu par équité et en raison de l'avis de la commission régionale de conciliation et d'indemnisation de ne pas mettre à leur charge la somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Par un mémoire en défense enregistré le 24 février 2016, le SDIS de la Drôme, représenté par MeJ..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de Mme L...et autres la somme de 2 500 euros ;

Il soutient qu'aucune faute n'a été commise par le médecin sapeur-pompier qui a pris en charge en premier M. K...O... ; qu'il résulte des expertises ordonnées par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, affections iatrogènes et infections nosocomiales qu'en ne diagnostiquant pas la survenance d'un accident vasculaire cérébral, le médecin, eu égard aux symptômes présentés par le patient, n'a pas commis de faute ; qu'il a, selon les experts correctement apprécié la gravité de la situation et informé en conséquence le médecin régulateur de l'aide médicale urgente ; que la responsabilité de transférer un patient vers un établissement hospitalier appartenant au médecin régulateur, le médecin du SDIS ne peut voir sa responsabilité engagée en raison du transfert de M. K...O...au centre hospitalier de Montélimar et non celui de Valence ;

Par un mémoire en défense enregistré le 24 août 2016, le centre hospitalier de Valence, représenté par Me D...F..., conclut au rejet de la requête et à ce que l'arrêt soit déclaré commun à la mutuelle des étudiants ;

Il soutient qu'il n'a commis aucune faute ; qu'en l'absence de diagnostic certain établi et au vu des informations communiquées par le médecin sapeur-pompier relevant du SDIS de la Drôme, le médecin régulateur du service d'aide médicale urgente a pu régulièrement décider de transférer M. K...O...vers le centre hospitalier le plus proche pour effectuer des examens complémentaires d'investigation afin de poser un diagnostic ; qu'il n'a pas davantage commis de faute lors du transfert de M. K...O...du centre hospitalier de Montélimar vers ses services ; que dès lors que le médecin du centre hospitalier de Montélimar qui avait la charge du patient a souhaité dans un premier temps un transport par véhicule non médicalisé et que ce type de transport ne relève pas de l'aide médicale urgente, il ne peut être reproché au centre hospitalier de Valence de ne pas avoir organisé le transport sur ces bases ; que la prise en charge médicale de M. K...O...a été conforme aux règles de l'art ;

Par des mémoires en défense enregistrés les 28 août et 26 septembre 2017, le centre hospitalier de Montélimar, représenté par MeN..., conclut par appel incident :

1°) à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Grenoble n° 1302523 du 29 septembre 2015, à titre subsidiaire, à sa réformation s'agissant du taux de perte de chance retenu ;

2°) au rejet de la demande de Mme L...et autres et, à titre subsidiaire, à la réduction des indemnités accordées en limitant le taux de perte de chance retenu à 5 % ;

Il soutient qu'il n'a pas commis de faute ; que la prise en charge de M. K...O...lors de son arrivée dans ses services ne peut être regardée comme tardive ; qu'en effet, dès lors que M. K...O...a fait l'objet d'un examen par l'infirmière d'accueil qui a constaté un Glasgow à 15, il ne nécessitait pas une prise en charge en urgence ; que le délai d'une heure avant qu'il ne soit vu par un médecin ne peut dans les circonstances de l'espèce être considéré comme révélant une faute dans l'organisation du service alors en outre que l'hôpital a accueilli le 6 juillet 2009 119 personnes ; qu'à supposer qu'une faute ait été commise, la perte de chance de 25 % retenue par les premiers juges est trop importante et doit dans les circonstances de l'espèce être ramenée à 5 %.

Par un mémoire enregistré le 31 août 2017, la mutuelle des étudiants, représentée par MeC..., demande à la cour :

1°) de condamner le centre hospitalier de Montélimar ou tout autre tiers responsable à lui rembourser les débours d'un montant global de 15 322,70 euros qu'elle a exposés en faveur de son assuré M. K...O...en juillet 2009 ;

2°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Montélimar ou de tout autre tiers responsable la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'il appartient au centre hospitalier de Montélimar ou à tout autre personne de droit public déclarée responsable par la cour de rembourser les débours qu'elle a exposés en faveur de son assuré en lien avec la faute commise.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que le jugement était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions de la mutuelle des étudiants tendant à demander pour la première fois en appel le remboursement des prestations en faveur de son assuré qu'elle a servies antérieurement au jugement du tribunal administratif de Grenoble, dès lors qu'elle a omis de demander le remboursement de ces prestations devant le tribunal administratif alors que, conformément aux exigences de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, elle avait été régulièrement mise en cause en première instance et ainsi mise en mesure de faire valoir ses droits devant le tribunal administratif (voir notamment CE 15 novembre 2006 Assistance publique-Hôpitaux de Marseille n° 279273).

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les requérants ont été régulièrement avertis du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique du 23 novembre 2017 :

- le rapport de M. Carrier ;

- les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public ;

- et les observations de Me Maury avocat de Mme L...et autres, Me Bado, avocat du centre hospitalier de Montélimar et de Me Ronez, avocat du service départemental d'incendie et de secours de la Drôme.

1. Considérant que M. K...O..., étudiant né en 1990, a été victime, le 6 juillet 2009 en début d'après-midi, d'un malaise sur son lieu de travail ; qu'à la demande du médecin régulateur du service d'aide médicale urgente relevant du centre hospitalier de Valence contacté à 14h29, les sapeurs-pompiers du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Drôme se sont rendus sur les lieux à14h39 ; que le bilan réalisé par le médecin sapeur-pompier n'a pas permis de poser un diagnostic clair et précis ; que, toutefois, eu égard aux symptômes présentés, le médecin régulateur a décidé, en concertation avec son confrère sapeur-pompier, de transférer le patient au centre hospitalier de Montélimar, établissement le plus proche, afin d'y réaliser en urgence des examens complémentaires ; qu'arrivé à 15h38, il a été vu pour la première fois par un médecin à 16h41 qui a diagnostiqué une suspicion d'accident vasculaire cérébral ischémique ; qu'à la suite du scanner cérébral réalisé à 17h23, il a été décidé vers 18h00 de transférer M. K...O...au centre hospitalier de Valence pour réalisation d'une IRM en urgence ; qu'arrivé à 21 heures, le patient a bénéficié d'une IRM qui a permis de préciser le diagnostic, à savoir une thrombose de l'artère sylvienne droite ; que le délai de fibrinolyse étant alors dépassé, le patient a fait l'objet d'une décoagulation sous héparine ; que l'état de santé de M. O... s'est aggravé en raison d'une transformation hémorragique de l'accident vasculaire cérébral ; qu'il est décédé le 10 juillet 2009 des suites de cet accident cérébral ; que les membres de la famille de M. K...O..., estimant que son décès était lié à des fautes commises par les trois personnes publiques l'ayant pris en charge, ont recherché la responsabilité solidaire du SDIS de la Drôme et des centres hospitaliers de Montélimar et Valence ; que, par jugement du 29 septembre 2015, le tribunal administratif de Grenoble a, après avoir jugé que seul le centre hospitalier de Montélimar avait commis une faute dans la prise en charge de M. K...O...et que cette faute lui avait fait perdre une chance de survie à hauteur de 30 %, a condamné ledit hôpital à verser à Mme M...L...épouse G...la somme de 14 354 euros, à M. I...G...la somme de 3 000 euros, à Mme B...O...la somme de 4 500 euros, à M. P... O...la somme de 4 500 euros, à Mme M...G...et à M. I...G..., en leur qualité de représentants légaux du jeune A...G..., la somme de 1 500 euros ; que, par leur requête, Mme L...et autres demandent la réformation de ce jugement en tant qu'il n'a pas retenu la responsabilité du SDIS de la Drôme et du centre hospitalier de Valence et en tant qu'il a limité aux montants susmentionnés les indemnités mises à la charge du centre hospitalier de Montélimar ;

Sur les conclusions à fin d'appel en déclaration de jugement commun :

2. Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " (...) L'intéressé ou ses ayants droit doivent indiquer, en tout état de la procédure, la qualité d'assuré social de la victime de l'accident ainsi que les caisses de sécurité sociale auxquelles celle-ci est ou était affiliée pour les divers risques. Ils doivent appeler ces caisses en déclaration de jugement commun ou réciproquement. A défaut du respect de l'une de ces obligations, la nullité du jugement sur le fond pourra être demandée pendant deux ans, à compter de la date à partir de laquelle ledit jugement est devenu définitif, soit à la requête du ministère public, soit à la demande des caisses de sécurité sociale intéressées ou du tiers responsable, lorsque ces derniers y auront intérêt (...) " ; qu'il résulte des termes mêmes de ces dispositions que la caisse doit être appelée en déclaration de jugement commun dans l'instance ouverte par la victime contre le tiers responsable, le juge étant, le cas échéant, tenu de mettre en cause d'office la caisse si elle n'a pas été appelée en déclaration de jugement commun ; que les conclusions du centre hospitalier de Valence tendant à ce que la mutuelle des étudiants, caisse auprès de laquelle était affilié M. K...O...en juillet 2009, soit appelée en déclaration de jugement commun doivent dès lors être accueillies ; que, celle-ci a au demeurant été régulièrement mise en cause dans la présente instance ;

Sur la recevabilité des conclusions de la mutuelle des étudiants :

3. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, appelée en application de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale en déclaration de jugement commun dans l'instance engagée devant le tribunal administratif de Grenoble, la mutuelle des étudiants n'a pas produit avant la clôture de l'instruction ; qu'ayant ainsi été mise à même de faire valoir ses droits devant le tribunal administratif mais ayant omis de demander en temps utile le remboursement des frais exposés antérieurement au jugement de ce tribunal rendu le 29 septembre 2015, la mutuelle des étudiants n'est plus recevable à le demander en appel ; que ces conclusions présentées sur ce point devant la cour doivent, dès lors, être rejetées ;

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne la responsabilité :

4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales : " Les services d'incendie et de secours sont chargés de la prévention, de la protection et de la lutte contre les incendies. / Ils concourent, avec les autres services et professionnels concernés, à la protection et à la lutte contre les autres accidents, sinistres et catastrophes, à l'évaluation et à la prévention des risques technologiques ou naturels ainsi qu'aux secours d'urgence. / Dans le cadre de leurs compétences, ils exercent les missions suivantes : (...) 4° Les secours d'urgence aux personnes victimes d'accidents, de sinistres ou de catastrophes ainsi que leur évacuation " ; que l'article L. 1424-1 du même code prévoit que le service départemental d'incendie et de secours comprend un service de santé et de secours médical, qui, en vertu de l'article R. 1424-24 du même code, participe notamment aux missions de secours d'urgence définies par l'article L. 1424-2 ;

5. Considérant qu'aux termes de l'article L. 6311-1 du code de la santé publique : " L'aide médicale urgente a pour objet, en relation notamment avec les dispositifs communaux et départementaux d'organisation des secours, de faire assurer aux malades, blessés et parturientes, en quelque endroit qu'ils se trouvent, les soins d'urgence appropriés à leur état " ; qu'aux termes de l'article L. 6311-2 du même code : " Seuls les établissements de santé peuvent être autorisés (...) à comporter une ou plusieurs unités participant au service d'aide médicale urgente (...) / Un centre de réception et de régulation des appels est installé dans les services d'aide médicale urgente. / (...) / Dans le respect du secret médical, les centres de réception et de régulation des appels sont interconnectés avec les dispositifs des services de police et d'incendie et de secours. / Les services d'aide médicale urgente et les services concourant à l'aide médicale urgente sont tenus d'assurer le transport des patients pris en charge dans le plus proche des établissements offrant des moyens disponibles adaptés à leur état, sous réserve du respect du libre choix " ; qu'en vertu de l'article R. 6123-1 de ce code, l'activité de soins de médecine d'urgence s'exerce selon trois modalités : la régulation des appels adressés au service d'aide médicale urgente, la prise en charge des patients par la structure mobile d'urgence et de réanimation et la prise en charge des patients accueillis dans la structure des urgences ; qu'aux termes de l'article R. 6311-1 de ce code : " Les services d'aide médicale urgente ont pour mission de répondre par des moyens exclusivement médicaux aux situations d'urgence. / Lorsqu'une situation d'urgence nécessite la mise en oeuvre conjointe de moyens médicaux et de moyens de sauvetage, les services d'aide médicale urgente joignent leurs moyens à ceux qui sont mis en oeuvre par les services d'incendie et de secours " ; qu'enfin, il résulte de l'article R. 6311-2 du même code, notamment, qu'ils " déterminent et déclenchent, dans le délai le plus rapide, la réponse la mieux adaptée à la nature des appels " et " organisent, le cas échéant, le transport dans un établissement public ou privé en faisant appel à un service public ou à une entreprise privée de transports sanitaires. " ;

6. Considérant que, eu égard à la collaboration étroite que ces dispositions organisent entre le service d'aide médicale urgente, les structures mobiles d'urgence et de réanimation (S.M.U.R), les services d'incendie et de secours et les services d'accueil et de traitement des urgences, la victime d'une faute commise par l'un ou l'autre de ces intervenants dans le cadre de l'activité de soins de médecine d'urgence peut, lorsque les services impliqués dépendent de personnes morales différentes, rechercher la responsabilité de l'une seulement de ces personnes morales ou leur responsabilité solidaire, sans préjudice des appels en garantie ou des actions récursoires que peuvent former l'une contre l'autre les personnes morales ayant participé à la prise en charge du patient ;

7. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte des dispositions précitées que le choix de l'établissement hospitalier vers lequel un patient pris en charge par le service de l'aide médicale urgente doit être transféré relève, en principe, de la responsabilité du médecin régulateur de ce service dans le respect du libre choix du patient ; qu'en l'espèce, il résulte de l'instruction, notamment du rapport de la seconde expertise ordonnée par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, affections iatrogènes et infections nosocomiales qu'eu égard aux symptômes présentés par M. K...O..., le médecin sapeur-pompier qui l'a ausculté le 6 juillet 2009 sur son lieu de travail n'a pas commis de faute en ne diagnostiquant pas formellement la pathologie dont il souffrait ; qu'en outre, il résulte dudit rapport d'expertise que le médecin sapeur-pompier a correctement informé le médecin régulateur du service d'aide médicale urgente des investigations qu'il avait effectuées, des symptômes que le patient présentait et des différents diagnostics qu'il avait envisagés afin de lui permettre de prendre, en toute connaissance de cause, la décision la plus adaptée à l'état du patient ; qu'ainsi, dans les circonstances de l'espèce, le médecin sapeur-pompier ne peut être regardé comme ayant commis une faute en s'étant abstenu de conseiller au médecin régulateur de transférer le patient vers le centre hospitalier de Valence ;

8. Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de l'instruction que les symptômes que présentait M. K...O...avaient un caractère sérieux, que des examens complémentaires devaient être rapidement réalisés pour lever les incertitudes relatives au diagnostic, que le centre hospitalier de Montélimar était beaucoup plus proche du lieu de travail de M. K...O...que le centre hospitalier de Valence ; qu'ainsi, au vu de ces éléments, le médecin régulateur n'a pas commis de faute en décidant de transférer le patient vers le centre hospitalier de Montélimar qui paraissait au moment où il a pris sa décision le mieux adapté à l'état de santé du patient ;

9. Considérant, en troisième lieu, que contrairement à ce que soutiennent les requérants, il résulte de l'instruction, notamment du second rapport d'expertise susmentionné, que le médecin régulateur s'est mis en relation avec le service des urgences du centre hospitalier de Montélimar afin de s'assurer que M. K...O...fasse l'objet d'une prise en charge rapide à son arrivée au service des urgences ;

10. Considérant, en quatrième lieu, qu'il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise susmentionnée, que M. K...O...n'a pas fait l'objet d'une prise en charge conforme aux règles de l'art à son arrivée au service des urgences du centre hospitalier de Montélimar ; qu'en effet, alors pourtant que le médecin régulateur du service d'aide médicale urgente avait informé l'établissement hospitalier de la nécessité de procéder à une prise en charge rapide du patient, l'infirmière du centre hospitalier de Montélimar responsable de l'accueil des patients au service des urgences n'a pas estimé, au vu de ses propres investigations et notamment d'un Glasgow 15, que M. O...devait bénéficier d'une telle prise en charge ; que ce dernier n'a, par suite, été vu par un médecin que plus d'une heure après son arrivée ; qu'ainsi, dans les circonstances de l'espèce, eu égard en particulier aux indications expresses données par le médecin régulateur, le centre hospitalier de Montélimar a, en laissant le patient sans soin pendant plus d'une heure après son arrivée au service des urgences et en mettant plus d'une demi-heure, après la pose du diagnostic, pour réaliser un scanner, commis une faute de nature à engager sa responsabilité ;

11. Considérant, en cinquième lieu, qu'il résulte également de l'instruction qu'une fois que le centre hospitalier de Montélimar a posé le diagnostic et identifié la nécessité de transférer M. O...vers le centre hospitalier de Valence, le transfert effectif du patient d'un établissement vers l'autre a tardé ; qu'en effet, alors que l'extrême gravité de la situation nécessitait un transport du patient vers le centre hospitalier de Valence à très bref délai afin qu'il puisse bénéficier en temps utile d'une fibrinolyse, les tergiversations des services des deux établissements hospitaliers n'ont pas permis de mobiliser dans le délai approprié un mode de transport adéquat ; que le permanencier du SAMU du centre hospitalier de Valence a opposé des difficultés d'ordre purement administratif pour procéder au transport et le médecin urgentiste du centre hospitalier de Montélimar, face à cette situation, a été dans l'incapacité de surmonter rapidement ces difficultés ; que ce retard à transporter le patient vers un centre hospitalier adapté à son état de santé est constitutif d'une faute imputable au centre hospitalier de Montélimar et au centre hospitalier de Valence ;

12. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit précédemment que les fautes susmentionnées sont de nature à engager la responsabilité solidaire tant des centres hospitaliers de Valence et Montélimar que du SDIS de la Drôme, en tant qu'intervenants dans la prise en charge en urgence de M. O...;

En ce qui concerne le préjudice :

S'agissant du taux de perte de chance :

13. Considérant que dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu ; que la réparation du préjudice doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ;

14. Considérant que s'il est constant que les fautes commises ont interdit à M. O... de bénéficier d'une fibrinolyse, seul traitement efficace lors d'un accident vasculaire cérébral ischémique, il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise susmentionné, que ce type de traitement ne permet pas dans tous les cas d'échapper au décès ; que l'expert précise que la fibrinolyse peut être efficace dans 60 % des cas ; que, toutefois il indique également que cette technique est responsable d'accidents hémorragiques graves dans 5 à 10 % des cas et qu'une reperméabilisation spontanée peut se produire dans 10 % des cas ; qu'en outre, le type d'accident dont M. O...a été victime était d'une particulière gravité ; qu'ainsi, dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation du taux de perte de chance en l'évaluant à 50 % ;

S'agissant de l'évaluation du préjudice :

Concernant le préjudice de M. K...O... :

15. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que M. O... a subi un déficit fonctionnel partiel de 100 % du 6 au 10 juillet 2009 en lien avec les fautes ; qu'il y a lieu d'évaluer ce chef de préjudice, eu égard au taux de perte de chance retenu, à la somme de 100 euros ;

16. Considérant, en second leu, que les souffrances endurées par M. O...ont été évaluées à 6 sur 7 par l'expert ; que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, les fautes commises n'ont fait perdre qu'une chance à M. O... d'échapper à ces souffrances ; qu'ainsi, dans les circonstances de l'espèce, eu égard au taux de perte de chance retenu, il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en accordant à ce titre la somme de 11 500 euros ;

Concernant le préjudice propre de MmeL... :

17. Considérant, en premier lieu, qu'eu égard au taux de perte de chance retenu, Mme L... est en droit d'obtenir, au vu de la facture produite, la somme de 1 423,50 euros au titre des frais d'obsèques ;

18. Considérant, en deuxième lieu, qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice d'affection subi par Mme L...du fait du décès de M. O...en l'évaluant, eu égard au taux de perte de chance retenu, à la somme de 12 500 euros ;

19. Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte de l'instruction, notamment d'un certificat médical, que MmeL... a accompagné à l'hôpital son enfant dans les jours précédant son décès et assisté à la dégradation progressive de son état de santé ; que, nonobstant la brièveté de la période, elle a subi un préjudice d'accompagnement dont il sera fait une juste appréciation en l'évaluant, eu égard au taux de perte de chance retenu, à la somme de 500 euros ;

Concernant le préjudice propre des autres membres de la famille de M.O... :

20. Considérant qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice d'affection causé par la disparition de M. K...O..., en l'évaluant à 10 000 euros pour son beau-père, 15 000 euros pour ses frère et soeur et 5 000 euros pour son demi-frère âgé de deux ans au moment du décès ; qu'en outre, il sera fait une juste appréciation du préjudice d'accompagnement qu'ils ont subi en leur accordant respectivement à ce titre la somme de 100 euros ; qu'eu égard au taux de perte de chance retenu, la somme due à M. G...s'élève à 5 050 euros, celle due respectivement à Mme B...O...et à M. P...O...à 7 550 euros et au jeune A...G...à 2 550 euros ;

21. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de condamner solidairement le SDIS de la Drôme, le centre hospitalier de Montélimar et le centre hospitalier de Valence à verser à Mme L..., en sa qualité d'ayant droit de M. O...ayant saisi la cour, la somme de 11 600 euros, en son nom propre la somme de 14 423,50 euros, à Mme L... et à M. G...en leur qualité de représentants légaux du jeune A...G...la somme de 2 550 euros, à M. G... en son nom propre la somme de 5 050 euros, à Mme B... O...et à M. P...O...respectivement la somme de 7 550 euros ;

22. Considérant que les sommes allouées porteront intérêts à compter du 25 février 2013 ; que la capitalisation a été demandée le 25 février 2014 ; qu'à cette date il était dû plus d'une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande à cette date ainsi qu'à chaque échéance annuelle ultérieure ;

23. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les requérants sont fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande tendant à la condamnation solidaire du SDIS de la Drôme, du centre hospitalier de Montélimar et du centre hospitalier de Valence et a mis à leur charge la somme de 1 000 euros à verser au SDIS de la Drôme au titre des frais de procédure ; qu'ils sont également fondés à demander que les indemnités qui leur ont été allouées par le tribunal administratif soient portées aux montants fixés au point 21 ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

24. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre solidairement à la charge du SDIS de la Drôme et des centres hospitaliers de Valence et Montélimar la somme globale de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme L...et autres et non compris dans les dépens ;

25. Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge ; que les conclusions présentées à ce titre par le SDIS de la Drôme et la mutuelle des étudiants doivent dès lors être rejetées ;

DECIDE :

Article 1er : Le présent arrêt est déclaré commun à la mutuelle des étudiants.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble en date du 29 septembre 2015 est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de Mme L...et autres aux fins de condamnation solidaire du SDIS de la Drôme, du centre hospitalier de Valence et du centre hospitalier de Montélimar et en tant qu'il a mis à la charge de Mme L...et autres la somme de 1 000 euros à verser au SDIS de la Drôme en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le centre hospitalier de Montélimar, le centre hospitalier de Valence et le SDIS de la Drôme sont condamnés solidairement à verser à Mme M...L...la somme de 11 600 euros en sa qualité d'ayant droit de M. K...O...ayant saisi la cour, et la somme de 14 423,50 euros en son nom propre. Lesdites sommes porteront intérêts à compter du 25 février 2013. Les intérêts échus le 25 février 2014 seront capitalisés à cette date puis à chaque échéance annuelle ultérieure à compter de cette date pour produire eux mêmes intérêts.

Article 4 : Le centre hospitalier de Montélimar, le centre hospitalier de Valence et le SDIS de la Drôme sont condamnés solidairement à verser à Mme M...L...et M. I...G..., en qualité de représentants légaux du jeune A...G..., la somme de 2 550 euros. Ladite somme portera intérêts à compter du 25 février 2013. Les intérêts échus le 25 février 2014 seront capitalisés à cette date puis à chaque échéance annuelle ultérieure à compter de cette date pour produire eux mêmes intérêts.

Article 5 : Le centre hospitalier de Montélimar, le centre hospitalier de Valence et le SDIS de la Drôme sont condamnés solidairement à verser à M. I...G...la somme de 5 050 euros, à Mme B...O...et à M. P...O...respectivement la somme de 7 550 euros. Lesdites sommes porteront intérêts à compter du 25 février 2013. Les intérêts échus le 25 février 2014 seront capitalisés à cette date puis à chaque échéance annuelle ultérieure à compter de cette date pour produire eux mêmes intérêts.

Article 6 : Le jugement du 29 septembre 2015 du tribunal administratif de Grenoble est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 7 : Les demandes du centre hospitalier de Montélimar et de la mutuelle des étudiants présentées par la voie de l'appel incident sont rejetées.

Article 8 : Le SDIS de la Drôme, le centre hospitalier de Montélimar et le centre hospitalier de Valence verseront solidairement à Mme L...et autres une somme globale de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 9 : Les conclusions du SDIS de la Drôme et de la mutuelle des étudiants présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 10 : Le présent arrêt sera notifié à Mme M...L...épouseG..., Mme B...O..., M. P...O...et M. I...G..., au service départemental d'incendie et de secours de la Drôme, au centre hospitalier de Montélimar, au centre hospitalier de Valence et à la mutuelle des étudiants.

Délibéré après l'audience du 23 novembre 2017 à laquelle siégeaient :

M. Pommier, président de chambre,

M. Carrier, président-assesseur,

Mme Cottier, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 14 décembre 2017.

N° 15LY03700 12


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15LY03700
Date de la décision : 14/12/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Service public de santé - Établissements publics d'hospitalisation - Responsabilité pour faute simple : organisation et fonctionnement du service hospitalier - Existence d'une faute.

Responsabilité de la puissance publique - Problèmes d'imputabilité - Personnes responsables.


Composition du Tribunal
Président : M. POMMIER
Rapporteur ?: M. Claude CARRIER
Rapporteur public ?: Mme VIGIER-CARRIERE
Avocat(s) : GEORGES MAURY - ANTOINE MAURY

Origine de la décision
Date de l'import : 26/12/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2017-12-14;15ly03700 ?
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