Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme A...a demandé au tribunal administratif de Dijon, d'une part, de condamner le centre hospitalier de Paray-le-Monial à lui verser la somme de 339 962,16 euros en réparation des préjudices subis en lien avec la prise en charge dont elle a fait l'objet dans cet établissement lors de son accouchement le 16 juillet 2010 et, d'autre part, de mettre à la charge du centre hospitalier la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Par un jugement n° 1402928 du 9 avril 2015, le tribunal a reconnu la responsabilité du centre hospitalier de Paray-le-Monial et ordonné une expertise médicale afin de pouvoir déterminer l'ampleur de la chance perdue par Mme A...et calculer le préjudice.
Par un jugement n° 1402928 du 10 mars 2016, le tribunal a condamné le centre hospitalier de Paray-le-Monial :
- à verser à Mme A...la somme globale de 47 440 euros en réparation des souffrances endurées, du déficit fonctionnel temporaire et permanent, du préjudice d'agrément, du préjudice sexuel et du préjudice d'établissement, la somme de 12 350 euros au titre des frais d'assistance par une tierce personne pour la période d'avril 2013 à décembre 2015 et une rente annuelle de 6 219 euros, ladite rente devant être revalorisée par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale, pour les frais d'assistance par une tierce personne à compter du 1er janvier 2016 ;
- à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Côte-d'Or la somme de 9 359,41 euros, assortie des intérêts, au titre des débours exposés en faveur de son assurée, l'indemnité forfaitaire prévue par l'article 376-1 du code de la sécurité sociale ;
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 1er juin 2016 sous le n° 16LY01850 et par des mémoires complémentaires enregistrés les 18 juillet 2016, 3 octobre 2016, 1er mars et 19 octobre 2017, le centre hospitalier de Paray-le-Monial, représenté par MeB..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1402928 du 10 mars 2016 du tribunal administratif de Dijon ;
2°) de rejeter la demande de Mme A...et la demande de la caisse primaire d'assurance maladie de Côte-d'or.
Il soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé ;
- c'est à tort que le tribunal administratif de Dijon a estimé que l'équipe médicale du centre hospitalier avait manqué de vigilance en n'envisageant pas plus tôt le recours à une césarienne ; la circonstance que la sage-femme était intérimaire ne permet pas de présumer une faute ;
- c'est à tort que le tribunal administratif a retenu un défaut de communication au sein de l'équipe obstétricale de l'établissement hospitalier ;
- c'est à tort que le tribunal a estimé que le centre hospitalier avait commis une faute en ne réalisant pas de césarienne dès lors qu'à l'heure à laquelle une césarienne pouvait être envisagée, celle-ci n'était plus possible ;
- c'est à tort que le tribunal a estimé que le centre hospitalier avait commis une faute en laissant le travail durer plus de deux heures ;
- c'est à tort que le tribunal a estimé que le centre hospitalier avait commis une faute en ayant recours successivement aux spatules puis à la ventouse ;
- c'est à tort que le tribunal a retenu le lien de causalité entre les lésions périnéales dont Mme A...demeure atteinte et les conditions dans lesquelles l'accouchement a été réalisé ;
- à titre subsidiaire, c'est à tort que le tribunal a estimé que les fautes qu'il a retenues étaient à l'origine des dommages subis par Mme A...à hauteur de 80 % alors que le risque de rupture sphinctérienne à la suite d'un accouchement réalisé selon les règles de l'art est de l'ordre de 25 à 40 % ;
- le tribunal a procédé à une évaluation excessive des préjudices invoqués par Mme A... ;
- si Mme A...demande la réparation des préjudices résultant de l'aggravation de son état de santé, il n'est pas établi que l'intervention qu'elle a subie le 24 octobre 2016 serait en lien avec l'accouchement en litige ; en outre, la requérante n'est fondée à demander que la part du préjudice correspondant à la perte de chance subie ; la demande au titre de l'indemnisation du déficit fonctionnel partiel est excessive ; il n'est pas établi que les frais d'hospitalisation dont elle demande le remboursement seraient restés à sa charge ; la requérante n'établit pas l'existence d'une aggravation des souffrances endurées et du déficit fonctionnel permanent ;
Par des mémoires en défense enregistrés les 22 septembre 2016, 9 février régularisé le 13 février et 16 octobre 2017, MmeA..., représentée par la SCP Saggio-Charret :
- conclut au rejet de la requête du centre hospitalier de Paray-le-Monial ;
- demande, par la voie de l'appel incident, que l'indemnité que le centre hospitalier de Paray-le-Monial a été condamné à lui verser soit portée à la somme de 339 962,16 euros et que soit mise à la charge du centre hospitalier la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à bon droit que le tribunal a estimé que le centre hospitalier de Paray-le-Monial avait commis une faute ; le manque de réactivité de l'équipe médicale face à l'absence d'évolution du travail pendant plusieurs heures à la suite de la dilatation complète du col de l'utérus est constitutif d'une faute ;
- eu égard au rapport de l'expertise ordonnée par jugement avant dire droit, c'est à bon droit que le tribunal a évalué à 80 % le taux de perte de chance ;
- il appartient également au tribunal de réparer l'aggravation de son état de santé intervenu postérieurement au jugement attaqué ;
- les indemnités allouées par le tribunal doivent être augmentées eu égard aux préjudices réellement subis ;
- dès lors qu'elle a subi une aggravation de son état de santé depuis le jugement du tribunal administratif de Dijon, elle est en droit d'obtenir l'indemnisation des préjudices en lien avec cette aggravation ; à cet égard, il appartient au centre hospitalier de réparer le déficit fonctionnel temporaire partiel, le déficit fonctionnel permanent, les douleurs endurées, les frais d'hospitalisation et les frais pharmaceutiques restés à sa charge de même que les pertes de revenu ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 9 novembre 2017 :
- le rapport de M. Carrier, président-assesseur ;
- et les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public.
1. Considérant que MmeA..., née en 1982, a été admise le 14 juillet 2010 à la maternité du centre hospitalier de Paray-le-Monial pour un accouchement par voie basse ; qu'à l'ouverture du col de l'utérus de trois centimètres, elle a été placée, le 16 juillet 2010 à 6 h00, en salle de naissance sous la surveillance d'une sage-femme intérimaire ; qu'à 14 h, la sage-femme après avoir constaté la dilatation complète du col de l'utérus de la parturiente, une présentation à la limite de l'engagement du foetus et l'existence d'une bosse séro-sanguine, a positionné Mme A...latéralement afin de faciliter l'engagement ; que la présentation a été engagée dans la partie haute du bassin à 16h30 et dans la partie basse du bassin à 17h00 ; qu'à 17h30, en raison d'une absence de progression significative du foetus malgré les efforts expulsifs entrepris par MmeA..., la sage-femme a fait appel au gynécologue obstétricien de garde qui a tenté à 18h00 une extraction foetale par spatule ; que devant l'échec de cette manoeuvre, il a alors eu recours à une ventouse et procédé à une épisiotomie latérale droite ; que l'enfant est né à 18h00 ; que dans les suites de l'accouchement, Mme A...a présenté une incontinence urinaire à l'effort, une incontinence anale aux gaz et aux liquides et d'importantes douleurs au niveau de l'épisiotomie ; qu'une écho-endoscopie effectuée le 14 septembre 2011 a permis de diagnostiquer une rupture sphinctérienne ; que, le 14 novembre 2011, Mme A...a fait l'objet d'une intervention du sphincter externe ; qu'après avoir saisi sans succès la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales de Bourgogne qui s'est déclarée incompétente, Mme A...a présenté une demande indemnitaire au centre hospitalier de Paray-le-Monial qui l'a rejetée ; que, par jugement du 9 avril 2015, le tribunal administratif de Dijon a reconnu la responsabilité du centre hospitalier de Paray-Le-Monial et ordonné une expertise médicale, ne disposant pas des éléments pour pouvoir évaluer le préjudice subi et évaluer notamment l'ampleur de la chance perdue par Mme A...du fait des fautes commises ; que, par jugement du 10 mars 2016, le tribunal administratif de Dijon a, à la suite du dépôt du rapport d'expertise, condamné le centre hospitalier de Paray-le-Monial à verser à Mme A...la somme globale de 47 440 euros en réparation des souffrances endurées, du déficit fonctionnel temporaire et permanent partiel, du préjudice d'agrément, du préjudice sexuel et du préjudice d'établissement, la somme de 12 350 euros au titre des frais d'assistance par une tierce personne pour la période d'avril 2013 à décembre 2015 et une rente annuelle de 6 219 euros, ladite rente devant être revalorisée par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale, pour les frais d'assistance par une tierce personne à compter du 1er janvier 2016 ; que, par la présente requête, le centre hospitalier de Paray-le-Monial interjette appel du jugement du 10 mars 2016 ;
Sur la régularité du jugement :
2. Considérant que si le centre hospitalier soutient de manière générale dans sa requête sommaire que le jugement attaqué est insuffisamment motivé, il n'assortit pas son moyen des précisions permettant d'en apprécier la portée et le bien-fondé ; que, par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation du jugement ne peut en l'état qu'être écarté ;
Sur le bien-fondé du jugement :
3. Considérant que dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou du traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu ; que la réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ;
4. Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que si tout accouchement par voie basse même réalisé selon les règles de l'art peut aboutir à des lésions sphinctériennes provoquant une incontinence anale, tout retard dans la phase d'expulsion de l'enfant est susceptible de contribuer à l'apparition ou à l'aggravation desdites lésions ; qu'en l'espèce, s'il n'est pas certain que le dommage dont a été victime la requérante ne serait pas advenu en l'absence du retard fautif, il n'est pas davantage établi avec certitude que les lésions dont souffre Mme A...se seraient produites dans leur totalité et leur intensité si l'obstétricien était intervenu sans retard ; que certes, il n'est pas certain, eu égard au positionnement de l'enfant à 16h30 et au délai incompressible requis pour réaliser une césarienne en urgence qu'une telle intervention aurait pu être réalisée même en l'absence de faute ; que, néanmoins, en l'absence de faute, la phase d'expulsion de l'enfant aurait pu être écourtée de manière significative ; que, dans ces conditions, le retard fautif a fait perdre à Mme A...une chance d'éviter tout ou partie des séquelles dont elle est restée atteinte ; que, dans les circonstances de l'espèce, eu égard notamment au rapport de l'expertise ordonnée par le tribunal administratif de Dijon sur ce point et non sérieusement remis en cause par l'établissement hospitalier requérant par des données médicales suffisamment en rapport avec la gravité de l'atteinte physique dont Mme A...a été victime, il y a lieu d'évaluer l'ampleur de cette perte de chance à 80 % et de mettre à la charge du centre hospitalier de Paray-le-Monial la réparation de cette fraction du dommage corporel ; que le centre hospitalier n'est, par suite, pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Dijon, par le jugement attaqué, a retenu un taux de perte de chance de 80% ;
5. Considérant que Mme A...fait valoir, dans le dernier état de ses écritures, que postérieurement au jugement attaqué, elle a subi une intervention chirurgicale le 24 octobre 2016 en lien avec la faute commise par le centre hospitalier de Paray-le-Monial et demande l'indemnisation des préjudices y afférents ; que, toutefois, l'état du dossier ne permet pas d'établir si ladite intervention chirurgicale est effectivement en lien avec cette faute ; qu'en outre, le tribunal ne dispose pas d'éléments suffisants lui permettant de chiffrer les préjudices en lien avec l'intervention chirurgicale susmentionnée dont la requérante se prévaut ; que ces informations sont nécessaires pour pouvoir procéder à l'évaluation définitive du préjudice de Mme A...et de la caisse primaire d'assurance maladie ; que, par suite, il y a lieu d'ordonner une expertise médicale sur ces points ;
DECIDE :
Article 1er : Il sera, avant de statuer sur la requête du centre hospitalier de Paray-le-Monial et sur les conclusions incidentes de MmeA..., procédé par un expert, désigné par le président de la cour administrative d'appel, à une expertise avec mission pour l'expert de :
1) se faire communiquer tous documents relatifs à l'état de santé de Mme A...et, notamment, tous documents relatifs au suivi médical, aux actes de soins, et aux diagnostics pratiqués sur elle en lien avec la faute commise par le centre hospitalier de Paray-le-Monial, en particulier ceux postérieurs à la dernière expertise médicale ; convoquer et entendre les parties et tous sachants ; procéder à l'examen sur pièces du dossier médical de MmeA... ;
2) préciser à la cour si les pièces du dossier médical de Mme A...permettent d'établir que l'intervention chirurgicale subie en octobre 2016 est en lien avec la faute commise par le centre hospitalier ;
3) dans l'affirmative, préciser l'influence que cette opération a pu avoir sur l'état de santé de MmeA..., préciser tous les préjudices qui en ont résulté, notamment le déficit fonctionnel temporaire, le déficit fonctionnel permanent, les souffrances endurées, les frais divers, les pertes de revenu, les dépenses de santé, etc.
4) fournir à la cour tous éléments utiles à la solution du litige.
Article 2 : Les opérations d'expertise auront lieu contradictoirement entre MmeA..., la caisse primaire d'assurance maladie de Côte-d'Or, la mutuelle nationale hospitalière et le centre hospitalier de Paray-le-Monial.
Article 3 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il prêtera serment par écrit devant le greffier en chef de la cour. L'expert déposera son rapport au greffe de la cour en deux exemplaires et en notifiera copie aux parties dans le délai fixé par le président de la cour dans sa décision le désignant.
Article 4 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statué en fin d'instance.
Article 5 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier de Paray-le-Monial, à MmeA..., à la caisse primaire d'assurance maladie de Côte-d'or et à la mutuelle nationale hospitalière.
Délibéré après l'audience du 9 novembre 2017 à laquelle siégeaient :
M. Pommier, président de chambre,
M. Carrier, président-assesseur,
Mme Caraës, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 30 novembre 2017.
N° 16LY01850 6