Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme C...a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 11 décembre 2015 par lequel le préfet de l'Isère a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être éloignée d'office.
Par le jugement n° 1600191 du 12 avril 2016, le tribunal administratif de Grenoble a annulé cet arrêté et enjoint au préfet de l'Isère de délivrer à Mme C... une carte de séjour temporaire dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement et, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour dans le délai de quinze jours à compter de cette notification.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 20 mai 2016, le préfet de l'Isère demande à la cour d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 12 avril 2016 et de rejeter toutes les conclusions présentées par Mme C... en première instance.
Le préfet soutient que c'est à tort que le tribunal administratif a retenu le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; Mme C... n'est entrée en France que pour la réalisation d'une expertise médicale, elle est restée sur le territoire sous couvert d'un titre de séjour délivré sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; elle peut désormais se faire soigner au Gabon où elle a encore ses parents et ses trois frères et soeurs ; elle est célibataire et sans enfant.
Par deux mémoires en défense enregistrés le 6 juillet 2016 et le 3 mars 2017, Mme C..., représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) à titre principal, de confirmer le jugement attaqué ;
2°) à titre subsidiaire, d'annuler l'arrêté préfectoral du 11 décembre 2015 portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Isère de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, conformément aux dispositions de l'article L. 512-4 du code précité et, sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de lui délivrer une carte de séjour longue durée, dans un délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de l'expiration de ce délai en application de l'article L. 911-3 du code de justice administrative ;
4°) à défaut, de lui enjoindre, sur le fondement de l'article L. 911-2 de ce dernier code, de réexaminer sa situation dans le délai de quinze jours, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
5°) en tout état de cause, de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros à verser à son conseil en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Mme C... soutient que :
- le préfet a méconnu les stipulations de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales puisqu'elle vit en France depuis plus de 8 ans, est en couple avec un Français depuis 4 ans, et toute sa vie privée est désormais en France ;
- l'arrêté est entaché d'incompétence ;
- le refus de titre de séjour et l'obligation de quitter le territoire français sont insuffisamment motivés ;
- le préfet devait saisir la commission du titre de séjour avant de refuser de lui délivrer un titre ;
- le principe du contradictoire a été méconnu puisqu'elle n'a eu accès à son dossier que tardivement ;
- le préfet a méconnu les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par une décision du 7 juillet 2016, le bureau d'aide juridictionnelle a accordé le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale à Mme C....
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Gondouin a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant que Mme A...C..., née en mars 1991 et de nationalité gabonaise, a déclaré être entrée en France en février 2008 ; qu'elle a bénéficié, du 29 décembre 2008 au 3 février 2015, d'un titre de séjour délivré puis renouvelé sur le fondement du 11° de L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que, par un arrêté du 11 décembre 2015, le préfet de l'Isère a refusé de renouveler ce titre de séjour en assortissant ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et d'une décision désignant le pays à destination duquel Mme C... pourrait être éloignée d'office ; que le préfet de l'Isère relève appel du jugement du 12 avril 2016 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a annulé ces décisions ;
Sur le motif d'annulation retenu par le jugement attaqué :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ;
3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mme C... souffre d'une paraplégie consécutive à une intervention chirurgicale pratiquée au Gabon ; qu'elle est entrée en France en 2008 afin d'être soumise à une expertise médicale qui avait été ordonnée par le juge des référés du tribunal de première instance de Libreville le 9 janvier 2008 ; qu'elle s'est ensuite maintenue sur le territoire français sous couvert de titres de séjour délivrés sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que le préfet de l'Isère a estimé, à la suite d'un avis du médecin de l'agence régionale de santé, qu'il n'y avait pas lieu de renouveler son titre de séjour sur le même fondement ; qu'il a en outre relevé qu'elle avait déclaré ne pas avoir d'attaches familiales en France, que ses parents et ses trois frères et soeurs vivent au Gabon et qu'elle a donc nécessairement encore des attaches très fortes dans son pays ; que Mme C... évoque quant à elle la relation particulière qu'elle entretient avec un ressortissant français depuis quelques années ainsi que les nombreux liens amicaux qu'elle a pu nouer tant dans la région parisienne que dans la région grenobloise, ses succès scolaires et la bonne intégration dont elle fait preuve depuis près de huit ans en France ; que, toutefois, ces éléments ne permettent pas de considérer que le préfet de l'Isère, en refusant de lui délivrer un titre de séjour au vu des conditions d'ensemble de son séjour , a méconnu les stipulations de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale ;
4. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le préfet est fondé à soutenir que c'est à tort que le jugement attaqué a retenu, à l'encontre du refus de titre opposé à Mme C..., le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention précitée ;
5. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme C... devant le tribunal administratif de Grenoble et devant la cour ;
Sur les autres moyens :
6. Considérant, en premier lieu, que l'arrêté contesté a été signé par Mme Anne Coste de Champeron, secrétaire générale adjointe de la préfecture de l'Isère, qui disposait en cas d'absence ou d'empêchement de M. Lapouze, secrétaire général de la préfecture de l'Isère, d'une délégation de signature du préfet de l'Isère par arrêté du 27 août 2015 régulièrement publié le 31 août 2015 au recueil des actes administratifs n° 50 de la préfecture de l'Isère ; que Mme C... ne démontre pas que, le 11 décembre 2015, date à laquelle les décisions contestées ont été signées, M. Lapouze n'ait pas été absent ou empêché ; que, par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'acte contesté doit être écarté ;
7. Considérant, en deuxième lieu, que le refus de titre de séjour comporte le rappel de l'ensemble des circonstances de fait et de droit sur lequel il se fonde ; qu'en particulier, le préfet a motivé son refus tant sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que sur le fondement de l'article 8 de la convention précitée ; que la décision refusant de délivrer un titre de séjour à Mme C... répond ainsi aux exigences de la loi du 11 juillet 1979 visée ci-dessus alors applicable ; que la décision l'obligeant à quitter le territoire qui, en l'espèce, accompagne le refus de délivrer ou renouveler un titre de séjour n'avait pas à faire l'objet d'une motivation distincte de celle de la décision relative au séjour conformément aux dispositions de l'article L. 511-1 du code précité ;
8. Considérant, en troisième lieu, que lorsqu'il sollicite la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour, l'étranger, en raison même de l'accomplissement de cette démarche qui tend à son maintien régulier sur le territoire français, ne saurait ignorer qu'en cas de refus, il pourra faire l'objet d'une mesure d'éloignement ; qu'à l'occasion du dépôt de sa demande, il est conduit à préciser à l'administration les motifs pour lesquels il demande que lui soit délivré un titre de séjour et à produire tous éléments susceptibles de venir au soutien de cette demande ; qu'il lui appartient, lors du dépôt de cette demande, lequel doit en principe faire l'objet d'une présentation personnelle du demandeur en préfecture, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'il juge utiles ; qu'il lui est loisible, au cours de l'instruction de sa demande, de faire valoir auprès de l'administration toute observation complémentaire utile, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux ; que Mme C... s'est présentée elle-même à la préfecture de l'Isère le 5 janvier 2015 pour solliciter la délivrance d'un titre de séjour ; qu'elle pouvait, dès ce moment et jusqu'à la décision préfectorale contestée, faire valoir tous les éléments qui lui paraissaient pertinents ; que le moyen tiré de la méconnaissance du principe du contradictoire ne peut, dès lors et en tout état de cause, qu'être écarté ;
9. Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction alors applicable : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 11° À l'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l'autorité administrative après avis du directeur général de l'agence régionale de santé, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative, après avis du médecin de l'agence régionale de santé de la région de résidence de l'intéressé, désigné par le directeur général de l'agence, ou, à Paris, du médecin, chef du service médical de la préfecture de police (...) " ;
10. Considérant que, dans son avis du 3 février 2015, le médecin de l'agence régionale de santé a estimé que l'état de santé de l'intéressée nécessite une prise en charge médicale, dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, qu'un traitement approprié existe dans son pays d'origine et que son état de santé lui permet de voyager sans risque vers celui-ci ; que Mme C... qui subit de graves séquelles d'une intervention chirurgicale pratiquée alors qu'elle était âgée de 7 ans présente également d'autres affections consécutives à cet évènement ; que les attestations et certificats médicaux produits soulignent l'importance qu'elle soit suivie par des urologues, chirurgiens orthopédistes et médecins rééducateurs ; qu'il ressort également des pièces du dossier qu'elle a besoin d'un corset spécial ainsi que de sondes Lofric non commercialisées au Gabon ; que, toutefois, il ne ressort pas non plus des pièces du dossier qu'elle ne pourrait obtenir dans son pays des dispositifs équivalents distribués par d'autres laboratoires ; que, dès lors, le préfet de l'Isère n'a pas fait une application erronée des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 précité ;
11. Considérant, en dernier lieu, qu'aux termes de l'article L. 312-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans chaque département, est instituée une commission du titre de séjour (...) " ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 312-2 du même code : " La commission est saisie par l'autorité administrative lorsque celle-ci envisage de refuser de délivrer ou de renouveler une carte de séjour temporaire à un étranger mentionné à l'article L. 313-11 ou de délivrer une carte de résident à un étranger mentionné aux articles L. 314-11 et L. 314-12, ainsi que dans le cas prévu à l'article L. 431-3 " ; qu'il résulte de ces dispositions que le préfet est tenu de saisir la commission du cas des seuls étrangers qui remplissent effectivement les conditions pour l'obtention d'un titre de séjour et non de tous les étrangers qui s'en prévalent ; que Mme C... ne remplissant pas les conditions pour la délivrance d'un titre de séjour en application des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 ainsi qu'il a été dit ci-dessus, le préfet de l'Isère n'était pas tenu de consulter la commission du titre de séjour avant de rejeter sa demande ;
12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le préfet de l'Isère est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé son arrêté du 11 décembre 2015 ; que, dès lors, la demande de Mme C... présentée devant le tribunal administratif de Grenoble ainsi que ses conclusions présentées devant la cour à fin d'injonction ou sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 160191 du 12 avril 2016 du tribunal administratif de Grenoble est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme C...devant le tribunal administratif de Grenoble ainsi que ses conclusions présentées en appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme A...C....
Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 16 mars 2017 où siégeaient :
M. d'Hervé, président,
Mme Michel, président-assesseur,
Mme Gondouin, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 6 avril 2017.
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N° 16LY01711