Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société Gagnepain a demandé le 14 août 2014 au tribunal administratif de Clermont-Ferrand :
1°) de reconnaître la responsabilité sans faute de l'Etat du fait de l'arrêté n° 2019/2013 du préfet de l'Allier en date du 11 juillet 2013 portant suspension d'activité de zones de soins de l'établissement thermal de Néris-les-Bains et, en conséquence, de l'indemniser du préjudice économique en résultant qu'elle évalue à la somme de 20 749,61 euros ;
2°) d'ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Par un jugement n° 1401485 du 22 avril 2015, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 9 juin 2015, présentée pour la SARL Gagnepain en la personne de son représentant légal, représentée par la SCP Portejoie et associés, elle demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1401485 du 22 avril 2015 par lequel le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande indemnitaire ;
2°) de condamner, sur le fondement de la responsabilité sans faute de la puissance publique, l'Etat à lui verser une somme de 20 749,61 euros correspondant au préjudice financier subi résultant de la fermeture de l'établissement thermal de Néris-les-Bains ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat les dépens et la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que:
- en octobre 2012 suite à la détection par l'agence régionale de santé de germes pathogènes dans les eaux utilisées pour prodiguer des soins thermaux, le préfet de l'Allier a décidé de fermer temporairement l'établissement thermal de Néris-les-Bains afin d'assurer la sécurité des curiste ; malgré la mise en oeuvre d'importantes procédures de maintenance, de nouvelles défaillances ont été constatées sur la qualité des eaux ; le 11 juillet 2013 sur proposition de l'agence régionale de santé, le préfet de l'Allier a pris un arrêté n°2019/2013 de fermeture de postes de soins de l'établissement thermal à raison d'un risque de contamination par certaines bactéries pathogènes (pseudonomas aeruginosa et legionella pneumophila) détectés sur le réseau d'eau ; cette fermeture a entrainé des préjudice économiques certains pour de nombreux commerces et entreprises dont elle ; le préfet de l'Allier a rejeté la demande indemnitaire formulée sur le fondement de la responsabilité sans faute de l'Etat pour préjudice anormal et spécial à raison d'un tel arrêté du préfet ; le tribunal administratif a rejeté sa demande ;
- c'est à tort que le préfet soutient qu'il n'a pas pris un arrêté de fermeture des thermes dès lors que les postes de soins de catégorie 1, 2 et 3 regroupent la totalité des postes de soins ;
- les mesures légalement prises dans l'intérêt général ou en vertu d'un principe de précaution, comme en l'espèce, ouvrent droit, dans le cadre de la rupture d'égalité devant les charges publiques, réparation indemnitaire sur le terrain de la responsabilité sans faute aux administrés ayant subi du fait de leur application un préjudice anormal et spécial ;
- elle exerce une activité de charcutier-traiteur à Néris-les-Bains ; son préjudice financier lié à la fermeture des thermes doit être évalué à 20 749,61 euros pour l'année 2013 ;
- la quasi-totalité de l'activité de la ville est centrée autour des thermes, la fermeture des thermes a affecté l'ensemble des secteurs économiques de la ville, le report des charges sociales et fiscales sur l'année 2014 n'a assuré qu'une survie temporaire et artificielle de la plupart des commerces et de telles mesures exceptionnelles ont été compensées par l'augmentation des impôts locaux en 2014 liée directement à la fermeture des thermes ;
- ne pouvant régler à échéance ses dettes, une procédure collective aboutissant à un plan de redressement par continuation a été menée ; elle apporte la preuve du lien de causalité certain entre la fermeture des thermes et la baisse de son chiffre d'affaires ; l'absence de curistes pendant plusieurs mois a entrainé une baisse de clients et de son chiffre d'affaires ; elle a en l'espèce subi un préjudice anormal et spécial du fait de l'application de cet arrêté préfectoral ;
Par un mémoire enregistré le 19 janvier 2017, présenté par le ministre des affaires sociales et de la santé, il conclut au rejet de cette requête ;
Il soutient que :
- les prélèvements effectués le 5 juillet 2013 dans le cadre du contrôle sanitaire sur les réseaux de l'établissement thermal ont révélé la présence de bactéries pathogènes pseudomonas aeruginosa et de légionnelles à des niveaux supérieurs aux seuils règlementaires ; l'arrêté ministériel du 19 juin 2000 modifiant l'arrêté du 14 octobre 1937 relatif au contrôle des sources d'eaux minérales fixe à zéro (seuil de détection) la norme règlementaire pour les paramètres microbiologiques indicateurs de risques pour la santé humaine, dont les Pseudomonas et les légionnelles, lesquels sont recherchés à l'émergence et au niveau des postes de soins ; ces germes pathogènes (Pseudomonas et légionnelles) peuvent avoir des conséquences graves sur la santé des personnes, en l'occurrence des surinfections et pneumopathies graves voire mortelles ;
- le préfet de l'Allier, sur proposition du directeur général de l'ARS Auvergne, a pris un arrêté de fermeture provisoire des postes de soins de catégorie 1 (douche au jet, hydro-massage), de catégorie 2 (buvette) et de catégorie 3 (bains individuels et douches locales), ceci en application de l'article R. 1322-44-8 du code de la santé publique du fait des risques encourus pour la santé des curistes par le présence de telles bactéries dans les réseaux d'eaux thermales et les postes de soins alimentés par cette eau et du nombre important de personnes exposées ; ledit arrêté n'a pas fait l'objet de recours contentieux ;
- la réouverture de l'activité de soins était conditionnée par la réalisation de deux contrôles conformes sur les installations de l'établissement par un laboratoire agréé par le ministère chargé de la santé ; c'est seulement lors des campagnes d'analyse des 25 octobre et 4 novembre 2013 que les résultats ont montré un retour à la conformité et une absence de bactéries sur tous les prélèvements et sur tous les points des réseaux ; le préfet de l'Allier a pris le 21 novembre 2013 un nouvel arrêté mettant fin à cette fermeture provisoire ;
- les thermes n'ont pas été fermés, la fermeture concernant uniquement les postes de soins délivrant à titre onéreux une prestation non conforme à la règlementation en vigueur et dangereuse pour la santé humaine à raison de la présence confirmée de gènes pathogènes ; les activités dits de catégorie 4 (bains collectifs) n'ont pas été concernées par cette suspension ;
- la durée d'interruption des soins sur les postes défaillants ne peut pas être imputée au préfet de l'Allier, l'arrêté ne fixant pas de dates mais une obligation de résultats ; le délai de désinfection de 4 mois incombe aux décisions de l'établissement thermal et à la décision préfectorale ;
- l'arrêté préfectoral du 11 juillet 2013 ne met pas en oeuvre le principe de précaution et relève des mesures de polices administratives sanitaires prises suite au constat de la présence de germes à un taux anormalement élevé faisant courir un risque pour la santé des personnes ; il ne s'agit pas de mesures préventives consécutives à de simples précautions de toxicité mais de mesures prophylactiques suite à la présence dans l'eau thermale d'agents pathogènes dangereux pour l'homme ; ne pas prendre cet arrêté était susceptible d'entrainer la responsabilité pour faute de l'Etat si des personnes étaient tombées malades après avoir fréquenté l'établissement thermal ;
- au cas présent, la mise en oeuvre d'une mesure de police administrative sanitaire obligatoire ne relève pas de la responsabilité sans faute car le préfet était dans l'obligation de prendre des mesures de police pour éviter un préjudice aux curistes en applications des dispositions des articles R. 1322-44-6 et suivants du code de la santé publique ; la jurisprudence écarte la possibilité d'une responsabilité sans faute au cas d'objectifs de protection de la santé publique et de la sécurité des consommateurs ; la responsabilité de l'Etat ne peut être recherchée que sur le fondement de la responsabilité pour faute ;
- quel que soit le fondement de responsabilité, il n'existe pas de lien de causalité direct avec l'arrêté et il n'existe pas de préjudice anormal et spécial ; le préjudice financier invoqué de perte de chiffre d'affaires est un préjudice indirect par rapport à l'arrêté préfectoral, c'est contre l'établissement thermal que les requérants doivent agir ; il n'est pas établi par les pièces au dossier de lien de causalité exclusif avec la diminution du chiffre d'affaires, d'autres paramètres (situation économique de l'Allier, concurrence d'autres établissements thermaux, conditions météorologiques) doivent être pris en considération ; il y avait possibilité de vendre de la charcuterie aux habitants de Néris-les-Bains et à des touristes non curistes ; seul le délai de mise en conformité et non l'arrêté pourrait éventuellement être à l'origine du préjudice invoqué ; la société n'apporte pas la preuve d'un préjudice suffisamment grave pour être qualifié d'anormal ; la baisse de son chiffre d'affaires n'excède pas les aléas que comporte l'exploitation d'un commerce proche d'un établissement thermal ; il n'y a pas de dommage spécial car toutes les personnes exerçant une activité économique sur la commune de Néris-les-Bains ont eu vocation à pâtir de l'absence d'activité thermale.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Cottier, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public,
- et les observations de Me Portejoie, avocat de la SARL Gagnepain.
1. Considérant que des prélèvements effectués le 5 juillet 2013 dans le cadre du contrôle sanitaire sur les réseaux de l'établissement thermal de Néris-les-Bains ont révélé la présence de bactéries pathogènes pseudomonas aeruginosa et de légionnelles à des niveaux supérieurs aux seuils règlementaires sur certaines parties de ces réseaux ; que par un arrêté du 11 juillet 2013, le préfet de l'Allier a décidé la fermeture temporaire de certains postes de soins de l'établissement thermal de Néris-les-Bains exposés à des germes pathogènes en l'occurrence les postes de soins de catégorie 1,2 et 3, a indiqué qu'une opération de nettoyage et de désinfection de l'ensemble des réservoirs et réseaux devrait être effectuée et que la réouverture des postes de soins ne pourra être prononcée qu'après deux contrôles négatifs sur l'émergence, le stockage et plusieurs postes de soins de catégorie 1 et que les résultats d'analyse devraient traduire un retour aux exigences de qualité bactériologique requises ; qu'à la suite de deux campagnes de prélèvements démontrant la conformité de la qualité de l'eau minérale aux exigences réglementaires, il a, par arrêté du 21 novembre 2013, mis fin à la suspension temporaire d'activité des zones de soins ; que la SARL Gagnepain, qui exploite un commerce de charcutier-traiteur, a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de l'indemniser des conséquences économiques et financières résultant de cette fermeture temporaire des zones de soins de l'établissement thermal sur le fondement de la responsabilité sans faute pour rupture d'égalité devant les charges publiques, ladite société alléguant avoir subi un préjudice anormal et spécial du fait de cet arrêté du 11 juillet 2013 suspendant temporairement l'activité desdits postes de soins ; que le tribunal administratif de Clermont-Ferrand ayant rejeté sa demande par jugement du 22 avril 2015, la SARL Gagnepain interjette appel de ce jugement ;
Sur les conclusions tendant à l'engagement de la responsabilité sans faute de l'Etat :
2. Considérant que, si la responsabilité de l'Etat est susceptible d'être engagée sur le fondement du principe d'égalité des citoyens devant les charges publiques pour assurer la réparation de préjudices, cette réparation est notamment subordonnée à la condition que le préjudice invoqué présente un caractère spécial ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article R. 1322-44-8 du code de la santé publique alors en vigueur : " Sans préjudice des dispositions des articles R. 1322-44-6 et R. 1322-44-7 et que les critères de qualité aient été ou non respectés, le préfet, lorsqu'il estime, sur le rapport du directeur général de l'agence régionale de santé, que l'exploitation ou l'usage de l'eau constitue un danger pour la santé des personnes, demande à l'exploitant de prendre toute mesure nécessaire pour protéger la santé des personnes ou d'interrompre l'exploitation. L'exploitant informe le préfet de l'application effective des mesures prises. " ; qu'il résulte de l'instruction que les prélèvements effectués le 5 juillet 2013 dans le cadre du contrôle sanitaire sur les réseaux de l'établissement thermal de Néris-les-Bains ont révélé la présence de bactéries pathogènes pseudomonas aeruginosa et de légionnelles à des niveaux supérieurs aux seuils règlementaires à différents endroits du réseau d'eau de l'établissement thermal ; qu'au vu de tels résultats bactériologiques et sanitaires, et en application des dispositions précitées de l'article R. 1322-44-8 du code de la santé publique, dans un objectif de protection de la santé humaine et notamment de celle des curistes, le préfet a pris, le 11 juillet 2013, un arrêté interrompant temporairement l'exploitation au sein de l'établissement thermal des zones de soins contaminées par de telles bactéries pathogènes ; que la société requérante allègue avoir subi, dans le cadre de son activité d'exploitation d'une charcuterie-traiteur, un préjudice anormal et spécial en lien avec cet arrêté préfectoral dès lors que celui-ci, en fermant les zones contaminées de l'établissement thermal, a entrainé l'interruption de certaines activités de soins au sein dudit établissement a incité les curistes à annuler leurs réservations locatives ou à ne pas louer compte tenu de l'impossibilité de réaliser certains soins et activités dans ledit établissement thermal et a entrainé une baisse de fréquentation des commerces de la ville ; que toutefois, la société requérante n'établit pas qu'elle aurait subi un préjudice différent de celui qu'ont subi l'ensemble des commerçants, des loueurs professionnels ou non, des professions médicales et para-médicales et des autres prestataires de services de la commune de Néris-les-Bains et des environs et d'une gravité significativement plus élevée ; que dès lors, à défaut d'un préjudice présentant un caractère spécial, la société requérante n'est pas fondée à se plaindre de ce que le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté ses conclusions tendant à l'engagement de la responsabilité sans faute de l'Etat ;
Sur les conclusions relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
4. Considérant que la SARL Gagnepain étant la partie perdante, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat soit condamné à lui verser quelque somme que ce soit ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SARL Gagnepain est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Gagnepain et au ministre des affaires sociales et de la santé. Copie en sera adressée au préfet de l'Allier.
Délibéré après l'audience du 16 février 2017 à laquelle siégeaient :
M. Seillet, président,
Mmes Cottier etA..., premiers conseillers.
Lu en audience publique, le 9 mars 2017.
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N° 15LY01903