Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B...a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand, 1°) d'annuler la décision du 25 juillet 2013 par laquelle l'inspecteur du travail l'a déclaré inapte au poste d'autoroutier, à la conduite d'engins et aux travaux d'espaces verts, au travail posté et aux astreintes, mais apte à un autre poste de travail sous conditions, 2°) de condamner l'Etat à l'indemniser des préjudices en résultant par le versement d'une indemnité de 50 000 euros, 3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1301343 du 25 février 2015, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 27 avril 2015, M.B..., représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 25 février 2015 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand ;
2°) d'annuler la décision de l'inspecteur du travail en date du 25 juillet 2013 confirmant l'avis d'inaptitude le concernant, avec toutes les conséquences de droit et notamment le réexamen de sa situation ;
3°) de condamner l'Etat à l'indemniser de ses préjudices à hauteur de 50 000 euros ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision de l'inspecteur du travail du 25 juillet 2013 est insuffisamment motivée ;
- ladite décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- suite à la décision du 25 juillet 2013, il a été licencié à tort, ce qui justifie la réparation par l'Etat des préjudices résultant de ce licenciement infondé.
Par un mémoire enregistré le 18 novembre 2016, le ministre du travail, de l'emploi de la formation professionnelle et du dialogue social conclut au rejet de la requête.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Faessel, président ;
- et les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public.
1. Considérant que M. B...a été embauché le 28 septembre 1987, par contrat à durée indéterminée, par la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR) en qualité d'ouvrier routier qualifié affecté au district de Riom ; qu'il a été placé à deux reprises en congé de maladie en 2011 et 2013 ; qu'à l'issue du second congé, le médecin du travail, après deux visites de reprise, les 3 et 19 avril 2013, l'a déclaré inapte au poste d'ouvrier autoroutier, mais apte à un autre poste, avec restrictions ; que M. B...a, le 17 juin 2013, formé un recours contre cette décision auprès de l'inspecteur du travail de la 14ème section de l'unité territoriale du Puy-de-Dôme ; que, par une décision en date du 25 juillet 2013, l'inspecteur du travail, après avis du médecin inspecteur du travail et enquête sur place, a confirmé l'avis du médecin du travail déclarant M. B..." inapte au poste d'autoroutier mais apte à un autre poste de travail excluant des efforts physiques importants, inapte à la conduite d'engins ainsi qu'aux travaux d'espaces verts, inapte au travail posté ainsi qu'aux astreintes, apte à un travail de bureau avec nécessité d'une formation adaptée en cas d'utilisation de l'informatique " ; que, la procédure de reclassement n'ayant pu aboutir, M. B...a été licencié par décision du 6 août 2013 ; que par une ordonnance du 11 décembre 2013, le juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand a ordonné que soit diligentée une expertise, confiée au DrA..., aux fins de déterminer l'état de santé de M. B...et son aptitude générale au travail ; que l'expert a rendu son rapport à la date du 10 juin 2014 ; que, par un jugement du 25 février 2015 dont appel, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté les conclusions présentées pour M. B...aux fins d'annulation de la décision de l'inspecteur du travail et d'indemnisation des préjudices résultant de cette décision et de son licenciement ;
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision de l'inspecteur du travail :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1226-2 du code du travail : " Lorsque, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à une maladie ou un accident non professionnel, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités. / Cette proposition prend en compte les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise (...). " ; qu'aux termes de l'article L. 4624-1 du même code : " Le médecin du travail est habilité à proposer des mesures individuelles telles que mutations ou transformations de postes, justifiées par des considérations relatives notamment à l'âge, à la résistance physique ou à l'état de santé physique et mentale des travailleurs. L'employeur est tenu de prendre en considération ces propositions et, en cas de refus, de faire connaître les motifs qui s'opposent à ce qu'il y soit donné suite. En cas de difficulté ou de désaccord, l'employeur ou le salarié peut exercer un recours devant l'inspecteur du travail. Ce dernier prend sa décision après avis du médecin inspecteur du travail. " ;
3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le poste d'ouvrier autoroutier qualifié que M. B...occupait au sein de la société APRR impliquait des contraintes physiques lourdes résultant des tâches à accomplir, qui comportaient notamment le port de charges lourdes, un travail en pente avec port de charges à bout de bras, ainsi que des amplitudes horaires affectées d'importantes variations pouvant aller jusqu'à douze heures d'intervention continue, et incluant des périodes d'astreintes ; que par les avis des 3 et 19 avril 2013, le médecin du travail a reconnu M. B...inapte au poste qu'il occupait, mais apte à un autre poste, sous réserve toutefois d'exclure tout effort physique soutenu et violent ; que, pour contester le caractère définitif du constat d'inaptitude à son emploi auquel correspond la décision du 25 juillet 2013 de l'inspecteur du travail, M. B...produit deux certificats médicaux du mois de février 2013 qui décrivent un état de santé rassurant ; que toutefois ces certificats ne se prononcent pas sur les capacités physiques de M. B...à exercer ses fonctions professionnelles, lesquelles, ainsi qu'il a été dit, impliquent l'accomplissement d'efforts importants, brusques ou continus ; que, contrairement à ce que soutient le requérant, les avis des 3 et 19 avril 2013 du médecin du travail, faisant suite à son second congé de maladie, pouvaient, sans erreur, différer de celui du 7 novembre 2011 de la même autorité, qui avait déclaré l'intéressé apte sous réserves à la reprise de son travail après un premier congé pour motif de santé, dès lors que les causes ayant fondé ces congés de maladie n'étaient pas de même nature ; que le rapport d'expertise du 10 juin 2014 qui conclut à la " reprise du poste sous réserve de l'évaluation du retentissement du poste sur le stress cardiovasculaire dans les conditions de travail, de la réponse par fréquence cardiaque et tensionnelle au stress ", ne prend pas position en faveur d'une reprise sans réserve de son activité par M.B..., et subordonne au contraire le retour au travail au résultat positif de nouveaux examens médicaux ; qu'ainsi, compte tenu des réserves formulées par ces avis médicaux, M. B...n'est pas fondé à soutenir que la décision qu'il conteste de l'inspecteur du travail est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
4. Considérant, en revanche, qu'il résulte des dispositions de l'article L. 1226-2 du code du travail que le médecin du travail doit indiquer, dans les conclusions écrites qu'il rédige à l'issue de visites médicales de reprise, les considérations de fait de nature à éclairer l'employeur sur son obligation de proposer au salarié un emploi approprié à ses capacités et notamment les éléments objectifs portant sur ces capacités qui le conduisent à recommander certaines tâches en vue d'un éventuel reclassement dans l'entreprise ou, au contraire, à exprimer des contre-indications ; qu'une telle obligation, qui ne contraint pas le médecin à faire état des considérations médicales qui justifient sa position, peut être mise en oeuvre dans le respect du secret médical ; qu'elle s'impose également à l'inspecteur du travail lorsque celui-ci, en cas de difficulté ou de désaccord, est amené à décider de l'aptitude professionnelle du salarié ; que les décisions ainsi rendues par l'autorité administrative sont soumises, en matière de motivation, aux seules prescriptions de l'article L. 1226-2 du code du travail, à l'exclusion de l'application des dispositions de la loi du 11 juillet 1979 susvisée ; qu'il résulte de ce qui a été dit ci dessus que la décision contestée devait comporter les considérations de fait propres à éclairer l'employeur et le salarié sur les tâches que ce dernier serait susceptible d'exercer dans l'entreprise ; qu'il ressort des pièces du dossier que la décision du 25 juillet 2013 de l'inspecteur du travail déclarant M. B...inapte à occuper l'emploi qui était le sien jusqu'alors au sein de la société APRR fait état de ce que l'intéressé est " inapte au poste d'autoroutier mais apte à un autre poste de travail excluant des efforts physiques importants, inapte à la conduite d'engins ainsi qu'aux travaux d'espaces verts, inapte au travail posté ainsi qu'aux astreintes, apte à un travail de bureau avec nécessité d'une formation adaptée en cas d'utilisation de l'informatique " ; que cette décision ne mentionne pas les éléments de fait qui la fondent, alors pourtant qu'aucune circonstance, et notamment pas le respect du secret médical couvrant les informations qui auraient pu venir en possession de l'inspecteur du travail, ne faisait obstacle à ce que cette précision soit donnée ; que si l'inspecteur du travail a fait référence à l'avis qui aurait été rendu le 5 juillet 2013 par le médecin inspecteur du travail, recueilli en application des dispositions précitées du dernier alinéa de l'article L. 4624-1 du code du travail, il ne s'en est cependant pas approprié les motifs, alors en outre que la notification de la décision contestée n'a pas été accompagnée dudit avis, l'existence de celui-ci restant d'ailleurs incertaine dès lors que, en dépit de la demande expresse qu'en avait formulé la cour par une mesure d'instruction du 3 novembre 2016, il n'a pas été communiqué à la juridiction ; qu'il s'ensuit que les exigences de motivation posées de l'article L. 1226-2 du code du travail ont été méconnues et que la décision litigieuse devait, pour ce motif, être annulée ;
Sur les conclusions à fin d'indemnisation :
5. Considérant que toute illégalité commise par l'administration constitue en principe une faute susceptible d'engager sa responsabilité, pour autant qu'il en soit résulté un préjudice direct et certain ; qu'en l'espèce la décision litigieuse de l'inspecteur du travail ne peut, ainsi qu'il a été dit, être regardée comme illégale, et par conséquent fautive, qu'à raison de la seule insuffisance de motivation dont elle est entachée ; que cette circonstance est en tout cas sans lien avec les préjudices que M. B...rattache aux conséquences de son licenciement, dès lors que lesdits préjudices sont exclusivement imputables à son inaptitude à ses ancienne fonctions, laquelle n'a pas été inexactement appréciée par l'inspecteur du travail, et à l'absence de reclassement par son employeur ; que les conclusions tenant à ces chefs de préjudices ne peuvent dès lors qu'être rejetées ;
6. Considérant que si M. B...fait état d'un préjudice moral tiré de " la manière dont son dossier fut traité par l'administration lui occasionnant un important stress ", il ne présente cependant aucun élément de nature à établir la réalité de cette atteinte ; qu'il n'est dès lors pas fondé à demander réparation d'un tel préjudice ;
7. Considérant que les propos dévalorisants qu'aurait tenus le médecin du travail, lequel n'est pas un agent public et n'intervient pas au nom de l'administration, ne peuvent en tout état de cause être imputé à cette dernière, ni par conséquent engager sa responsabilité ; que M. B...n'est dès lors pas fondé à demander que le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social soit condamné à réparer le préjudice correspondant ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le jugement susvisé du tribunal administratif de Clermont-Ferrand, doit être annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions présentées pour M. B...aux fins d'annulation de la décision du 25 juillet 2013 de l'inspecteur du travail, et qu'ensemble, ladite décision doit être annulée ; qu'en revanche, ses conclusions indemnitaires ne peuvent qu'être rejetées ;
Sur les conclusions à fins d'injonction :
9. Considérant que, eu égard à ses motifs, la présente décision, implique seulement que l'administration procède à un nouvel examen de la situation de l'intéressé ; que, dès lors, il y a lieu d'enjoindre à l'inspecteur du travail de réexaminer, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, la demande de M. B...présentée sur le fondement de l'article L. 4624-1 du code du travail ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1301343 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 25 février 2015 est annulé en tant qu'il rejette les conclusions présentées pour M.B..., tendant à l'annulation de la décision susvisée du 25 juillet 2013 de l'inspecteur du travail.
Article 2 : La décision du 25 juillet 2013 de l'inspecteur du travail est annulée.
Article 3 : Il est enjoint à l'inspecteur du travail de procéder à un nouvel examen de la demande de M.B..., dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à M. B...la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de la justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...B..., au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social et à la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône. Copie en sera adressée au directeur régional des entreprises de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Auvergne et à l'expert.
Délibéré après l'audience du 24 novembre 2016 à laquelle siégeaient :
M. Faessel, président de chambre,
M. Seillet, président-assesseur,
Mme Beytout, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 15 décembre 2016.
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N° 15LY01491