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10/11/2016 | FRANCE | N°14LY02787

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 4ème chambre - formation à 3, 10 novembre 2016, 14LY02787


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Léon Grosse a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner solidairement la société bureau d'études techniques (BET) Pierre Martin, M. C... B...et les sociétés d'assurance l'Auxiliaire et la Mutuelle des architectes français (MAF) à lui verser la somme de 1 031 900,63 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis, assortie des intérêts au taux légal à compter du 7 octobre 2003, capitalisés, ainsi que de mettre à leur charge solidaire les frais de l'experti

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Par le jugement n° 1100997 du 1er juillet 2014, le tribunal administratif de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Léon Grosse a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner solidairement la société bureau d'études techniques (BET) Pierre Martin, M. C... B...et les sociétés d'assurance l'Auxiliaire et la Mutuelle des architectes français (MAF) à lui verser la somme de 1 031 900,63 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis, assortie des intérêts au taux légal à compter du 7 octobre 2003, capitalisés, ainsi que de mettre à leur charge solidaire les frais de l'expertise.

Par le jugement n° 1100997 du 1er juillet 2014, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande et mis à sa charge les frais et honoraires d'expertise.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 4 septembre 2014 et deux mémoires enregistrés les 26 juin et 10 août 2015, la société Léon Grosse, représentée par MeD..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 1er juillet 2014 ;

2°) de condamner solidairement la société bureau d'études techniques (BET) Pierre Martin, M. C... B...et les compagnies l'Auxiliaire et la Mutuelle des architectes français (MAF) à lui verser la somme de 1 031 900,63 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 7 octobre 2003 et capitalisation de ces intérêts ;

3°) de condamner solidairement la société bureau d'études techniques (BET) Pierre Martin, M. C... B...et les compagnies l'Auxiliaire et la Mutuelle des architectes français (MAF) à lui verser la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi qu'à lui rembourser le coût de l'expertise judiciaire.

La société soutient que :

- la responsabilité du maître d'oeuvre doit être recherchée sur un fondement quasi-délictuel puisqu'elle n'a de liens contractuels ni avec le BET Martin ni avec M.B... ; contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, le maître d'oeuvre a commis des fautes lors de la conception des ouvrages en ne faisant pas procéder à une étude modale spectrale, en n'informant pas les soumissionnaires au stade de l'appel d'offres ; il a également commis des fautes lors de l'exécution du marché, en validant tardivement l'analyse modale spectrale qu'elle avait exécutée et en prenant du retard dans la définition des charges définitives ;

- elle a droit à être indemnisée du fait des préjudices subis du fait des mesures complémentaires de renforcement de la structure et du décalage du démarrage des travaux de gros oeuvre ; à ce dernier titre, la cour devra tenir compte du préjudice de perte d'exploitation qu'elle a subi du fait de ce retard.

Par deux mémoires en défense enregistrés les 7 janvier et 21 juillet 2015, la compagnie l'Auxiliaire et le BET Pierre Martin, représentés par MeE..., demandent à la cour :

1°) de rejeter la requête de la société Léon Grosse à l'encontre de la compagnie l'Auxiliaire comme présentée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître ;

2°) de rejeter les conclusions formées par la société Léon Grosse à l'encontre du BET Pierre Martin et de son assureur l'Auxiliaire ;

3°) ou, à titre subsidiaire, de limiter le montant du préjudice indemnisable à 159 176 euros HT à répartir entre les co-responsables du retard identifiés par l'expert ;

4°) de mettre à la charge de la société Léon Grosse la somme de 2 500 euros à leur verser à chacun sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La compagnie l'Auxiliaire et le BET Pierre Martin font valoir que :

- comme l'a jugé le tribunal administratif, il n'appartient qu'aux juridictions judiciaires de connaître du litige relatif au paiement de sommes dues par un assureur au titre de ses obligations de droit privé et en raison du fait dommageable commis par son assuré ;

- l'action en responsabilité quasi-délictuelle dirigée à l'encontre du BET Pierre Martin est irrecevable dès lors que la société requérante avait renoncé à toute réclamation consécutive au report de l'ordre de service du 15 février 2001 ;

- le BET Pierre Martin n'a commis aucune faute ni aucun manquement au titre du pré-dimensionnement de la structure ; les études modales spectrales ou " modélisations " étaient à la charge du titulaire du lot gros oeuvre, les atermoiements de la requérante, de son sous-traitant SIGMA et de la ville sont la seule cause du retard au démarrage des travaux, les études de charges supplémentaires qui ont pu prolonger la phase EXE résultent des erreurs de calcul de la requérante ;

- le préjudice de la société Léon Grosse n'est pas démontré et le lien de causalité avec les fautes imputables au BET Pierre Martin et à M. B...ne l'est pas davantage

Par un mémoire en défense enregistré le 16 janvier 2015, M. C...B..., la SELAFA MJA et la Mutuelle des architectes français, représentés par MeA..., demandent à la cour :

1°) de confirmer intégralement le jugement du 1er juillet 2014 et de rejeter la requête de la société Léon Grosse ;

2°) si la cour devait à nouveau statuer, de déclarer irrecevables les demandes de la société Léon Grosse tant à l'encontre de M. B...et de la SA B...qu'à l'encontre de la MAF ;

3°) sur le fond, de rejeter la requête ou, à tout le moins, de limiter le montant de la réparation à la somme de 473 263 euros HT ;

4°) de condamner le BET Martin à relever et garantir M. C...B..., voire le cas échéant la SAB..., et la MAF, de l'ensemble des condamnations qui pourraient être prononcées à leur égard ;

5°) en tout état de cause, de mettre à la charge de la société Léon Grosse, ou qui mieux le devra, la somme de 5 000 euros à verser à la MAF sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens de l'instance.

M. C...B..., la SELAFA MJA et la MAF font valoir que :

- les demandes de la société Léon Grosse sont irrecevables à l'encontre de M. C...B...auquel s'est substituée la SA B...dans l'exécution de la mission de maîtrise d'oeuvre et la société Léon Grosse ne justifie pas avoir déclaré sa créance auprès du mandataire liquidateur de la SA B...dans le délai imparti par la loi ; elles sont également irrecevables à l'encontre de la MAF puisqu'il n'appartient qu'aux juridictions judiciaires de connaître du litige relatif au paiement de sommes dues par un assureur au titre de ses obligations de droit privé et en raison du fait dommageable commis par son assuré ;

- M. B...et la SA B...n'ont commis aucune faute ; le retard du chantier est dû à la modification structurelle opérée par la société Léon Grosse après la signature de son marché, modification qui a entraîné des charges nouvelles sur l'ouvrage et nécessité une nouvelle analyse de ces charges ; en outre, aucune faute ne peut leur être imputée, compte tenu de la mission de maîtrise d'oeuvre qui leur était confiée tant au stade de l'avant-projet sommaire qu'à celui du projet ;

- à supposer que la cour entre en voie de condamnation, elle ne pourrait faire droit aux demandes de la société Léon Grosse qui ne sont pas justifiées mais devrait limiter le montant des réparations à la somme de 473 263 euros HT retenue par l'expert judiciaire et ses sapiteurs ;

- au regard de la mission dont était titulaire le BET Martin, ce dernier sera condamné à relever et garantir la SA B...et son assureur la MAF de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à leur égard.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le décret n° 93-1268 du 29 novembre 1993 et l'arrêté du 21 décembre 1993 précisant les modalités techniques d'exécution des éléments de mission de maîtrise d'oeuvre confiés par des maîtres d'ouvrage publics à des prestataires de droit privé ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Gondouin,

- les conclusions de M. Dursapt, rapporteur public,

- et les observations de MeF..., représentant le BET Pierre Martin.

1. Considérant que dans le cadre de l'opération de rénovation et d'extension de la maison de la culture Le Cargo, la ville de Grenoble a attribué le marché de maîtrise d'oeuvre à un groupement d'entreprises constitué notamment de M. C...B..., architecte mandataire du groupement, et de la société BET Pierre Martin chargée des études de structure en béton armé et des charpentes métalliques ; que le lot n° 1E relatif à la construction des bâtiments E, F et G de l'extension de la maison de la culture a été confié à la société Léon Grosse ; que l'ordre de service n° 1 prescrivant le commencement des travaux a été notifié le 15 février 2001 ; que les travaux n'ont effectivement commencé que plusieurs mois après cette date ; que la société Léon Grosse a demandé, par voie de référé, une expertise sur les difficultés liées à l'application des normes parasismiques et sur les préjudices qu'elle estime avoir subis du fait du retard dans le commencement des travaux ; que la société Léon Grosse a ensuite saisi le tribunal administratif de Grenoble d'une demande de condamnation solidaire de M. C...B..., du BET Pierre Martin, de la société L'Auxiliaire, assureur du BET Pierre Martin, et de la Mutuelle des architectes français (MAF), assureur de M. B...à réparer ses préjudices ainsi qu'à supporter la charge des frais d'expertise ; que, par un jugement du 1er juillet 2014 dont elle relève appel, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses demandes ;

Sur les conclusions dirigées contre la compagnie l'Auxiliaire et la Mutuelle des architectes français :

2. Considérant qu'il n'appartient qu'aux juridictions judiciaires de connaître des actions tendant au paiement des sommes dues par un assureur au titre de ses obligations de droit privé et à raison du fait dommageable commis par son assuré, alors même que l'appréciation de la responsabilité de cet assuré dans la réalisation du fait dommageable relève du juge administratif ; qu'en conséquence, la juridiction administrative, comme l'ont relevé les premiers juges, est incompétente pour connaître des conclusions, présentées de nouveau devant la cour, de la société Léon Grosse dirigées contre l'Auxiliaire et la MAF en leur qualité d'assureur des sociétés BET Martin et B...auxquelles est imputée la responsabilité de désordres résultant de l'exécution défectueuse d'un marché public de travaux ;

Sur les conclusions dirigées contre M. C...B... :

3. Considérant que M. C...B..., architecte mandataire du groupement de maîtrise d'oeuvre, avait agi initialement en son nom personnel en signant l'acte d'engagement liant ce groupement à la ville de Grenoble ; que la société anonyme AntoineB..., immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 23 novembre 1999, avant d'en être radiée le 10 janvier 2013 à la suite de la liquidation judiciaire survenue le 1er mars 2010, est venue aux droits et obligations de M. C...B...qui n'agissait plus alors que comme président directeur général de cette société ; que, dès lors, ainsi que l'ont déjà relevé les premiers juges, les conclusions de la société requérante, en tant qu'elles sont dirigées de nouveau devant la cour contre M. C... B..., ne peuvent qu'être rejetées ;

Sur les conclusions dirigées contre le BET Pierre Martin :

4. Considérant, en premier lieu, que la société Léon Grosse, pour démontrer les fautes quasi-délictuelles commises par la maîtrise d'oeuvre et en particulier le BET Pierre Martin, s'appuie essentiellement sur les conclusions du rapport d'expertise aux termes desquelles " laisser à l'entreprise Léon Grosse la vérification de la résistance aux séismes de l'extension n'a pas été une bonne décision car l'analyse spectrale modale aurait dû être effectuée avant l'appel d'offres. En effet seule cette analyse permettait le dimensionnement correct de la structure, qui était dû par le cabinet Martin au stade PRO (projet), selon les termes du § 3.1.2 p. 56 du rapport de l'expert du 20/11/2003 " ; que ce précédent rapport du 20 novembre 2003, non communiqué, a été élaboré dans le cadre d'une autre expertise demandée par le groupement Zephirin-SOGREBAT, titulaire du lot gros oeuvre pour la rénovation des bâtiments existants du Cargo ;

5. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, d'une part comme l'ont relevé les premiers juges, le dossier de consultation des entreprises mettait à la charge du titulaire du lot " gros oeuvre " l'établissement des plans de synthèse des charges ; que, notamment, le cahier des clauses techniques particulières prévoyait que " les règles PS 92 sont à respecter, une analyse modale spectrale devra être fournie par l'entrepreneur pour tous les bâtiments neufs. Une note de calculs sera à fournir pour démontrer que les travaux auront pour effet de renforcer la structure des bâtiments vis-à-vis des efforts sismiques " ; que, d'autre part, la mission de maîtrise d'oeuvre confiée par la ville de Grenoble au groupement comportait, en vertu des documents contractuels, une mission de base et des missions complémentaires ; qu'au titre de la mission complémentaire " B ", la maîtrise d'oeuvre était chargée d'une mission EXE partielle ; que l'annexe I au cahier des clauses administratives particulières prévoyait les divers éléments de cette mission (plans de détail des ouvrages, métrés détaillés par ouvrage) et précisait que " les autres études d'exécution, y compris synthèse, seront à la charge des entreprises " ; que la société Léon Grosse, en soutenant qu'il aurait fallu que le maître d'oeuvre élabore toutes les études, en particulier l'étude modale spectrale, dans le cadre de sa mission PRO et qu'il informe davantage les soumissionnaires au stade de l'appel d'offre, ne démontre pas que le BET Pierre Martin a commis une faute au regard de l'étendue de sa mission dans l'application des normes parasismiques qui serait à l'origine des retards pour lesquels elle demande réparation ;

6. Considérant, en second lieu, que la société Léon Grosse soutient que les travaux ont pris du retard puisqu'il a fallu près de sept mois pour s'accorder sur les paramètres de calculs et obtenir la validation, par le bureau de contrôle et le BET Martin, des documents d'exécution qu'elle avait produits ; que, toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que ce retard, dû en grande partie à la société Léon Grosse qui a fait réaliser tardivement les études auxquelles elle devait procéder, est également imputable au BET Martin ; qu'il n'en résulte pas davantage, comme l'ont relevé les premiers juges, que le maître d'oeuvre a commis une faute dans la définition des charges définitives pour établir les dimensionnements de l'ouvrage au stade de la conception ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Léon Grosse n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administratif :

8. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation " ;

9. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge solidaire du BET Pierre Martin, de M. C... B...et des compagnies l'Auxiliaire et la Mutuelle des architectes français (MAF) qui ne sont pas en l'espèce la partie perdante quelle que somme que ce soit ; qu'en revanche, il y a lieu de mettre à la charge de la société Léon Grosse, en application des mêmes dispositions, la somme de 1 500 euros à verser d'une part au BET Pierre Martin d'autre part à la compagnie l'Auxiliaire et enfin à la Mutuelle des architectes français ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Léon Grosse est rejetée.

Article 2 : La société Léon Grosse versera la somme de 1 500 euros au BET Pierre Martin, à la compagnie l'Auxiliaire et à la Mutuelle des architectes français, chacun en ce qui le concerne.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Léon Grosse, au BET Pierre Martin, à M. C... B..., à la SELAFA MJA, à la compagnie l'Auxiliaire et à la Mutuelle des architectes français.

Délibéré après l'audience du 13 octobre 2016 où siégeaient :

M. d'Hervé, président,

Mme Michel, président-assesseur,

Mme Gondouin, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 10 novembre 2016.

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N° 14LY02787


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