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09/06/2016 | FRANCE | N°15LY00377

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre - formation à 3, 09 juin 2016, 15LY00377


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...F...a demandé le 20 septembre 2013 au tribunal administratif de Dijon :

1°) à titre principal, de dire et juger engagée la responsabilité du centre hospitalier de Paray-le-Monial sur le fondement de l'article L. 1142-1 II du code de la santé publique, ordonner avant dire droit une contre-expertise et condamner le centre hospitalier de Paray-le-Monial à l'indemniser pour un montant total de 138 360,31 euros ;

2°) à titre subsidiaire, de dire et juger la responsabilité du centre hospita

lier de Paray-le-Monial engagée sur le fondement de l'article L. 1142-1 I du code de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...F...a demandé le 20 septembre 2013 au tribunal administratif de Dijon :

1°) à titre principal, de dire et juger engagée la responsabilité du centre hospitalier de Paray-le-Monial sur le fondement de l'article L. 1142-1 II du code de la santé publique, ordonner avant dire droit une contre-expertise et condamner le centre hospitalier de Paray-le-Monial à l'indemniser pour un montant total de 138 360,31 euros ;

2°) à titre subsidiaire, de dire et juger la responsabilité du centre hospitalier de Paray-le-Monial engagée sur le fondement de l'article L. 1142-1 I du code de la santé publique ; ordonner avant dire droit une contre expertise et condamner le centre hospitalier de Paray-le-Monial à l'indemniser pour un montant total de 138 360,31 euros ;

3°) de condamner le centre hospitalier de Paray-le-Monial à lui verser la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1302423 du 20 novembre 2014, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par requête n° 15LY00377, enregistrée le 2 février 2015, M. F...demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Dijon ;

2°) à titre principal, avant dire droit d'ordonner une expertise afin de reconstituer les faits de l'espèce, de déterminer son état médical avant les actes critiqués, de procéder à son examen médical, de déterminer les préjudices subis ;

3°) à titre subsidiaire de condamner le centre hospitalier des Charmes de Paray-le-Monial, du fait du retard de diagnostic, à lui verser les sommes suivantes : 11 885 euros au titre des préjudices extrapatrimoniaux temporaires, 39 475,31 euros au titre des préjudices patrimoniaux temporaires, 57 000 euros au titre des préjudices extrapatrimoniaux permanents et 30 000 euros au titre des préjudices patrimoniaux permanents et à assortir ces sommes des intérêts au taux légal à compter de la décision de la cour ;

4°) à titre infiniment subsidiaire, condamner l'ONIAM sur le fondement de l'existence d'un accident médical non fautif à lui verser les sommes suivantes : 11 885 euros au titre des préjudices extrapatrimoniaux temporaires, 39 475,31 euros au titre des préjudices patrimoniaux temporaires, 57 000 euros au titre des préjudices extrapatrimoniaux permanents et 30 000 euros au titre des préjudices patrimoniaux permanents et à assortir ces sommes des intérêts au taux légal à compter de la décision de la cour ;

5°) de mettre à la charge du centre hospitalier des Charmes de Paray-le-Monial, ou de l'ONIAM ou des deux la somme de 3 500 euros, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de les condamner à prendre en charge les frais d'expertise.

Il soutient que :

- il existe deux rapports d'expertise contradictoires, l'un ordonné par référé expertise du tribunal administratif de Dijon et l'autre amiable de la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CRCI) ; les discordances majeures entre ces rapports et notamment sur le retard de diagnostic et les soins conformes aux règles de l'art nécessitent que la cour ordonne une nouvelle expertise ; un autre expert, le Dr D...a également estimé qu'il y a eu une erreur de diagnostic initial et a entrainé une perte de chance incontestable ; sa douleur était d'une intensité très élevée hors du commun avec une simple entorse du genou accompagnée d'une fracture non déplacée ; le traitement mis en oeuvre, immobilisation par attelles suite à la ponction du 30 mai 2010, a induit ou a contribué au syndrome des loges ; il a été contraint d'ouvrir cette attelle tant il souffrait ; alors qu'il avait indiqué que son mollet avait fortement gonflé le 1er juin 2011 et que le syndrome des loges a été suspecté dès le 2 juin 2011, l'opération n'a eu lieu que le 4 juin 2011 ; la nouvelle expertise permettra d'apprécier le délai d'apparition du syndrome des loges et la surveillance de la douleur menée au centre hospitalier de Paray-le-Monial ; il y a des contradictions sur la date de consolidation et sur le taux de déficit fonctionnel permanent à retenir, celui-ci a été estimé à 15 ou 25 %, ce qui modifie les règles d'indemnisation et la recevabilité de sa demande dans le cadre d'une prise en charge par la solidarité nationale en cas d'accident non fautif ;

- à titre subsidiaire, le centre hospitalier de Paray-le-Monal doit voir engager sa responsabilité pour faute du fait d'un diagnostic tardif et d'une intervention retardée ; en l'espèce le syndrome des loges doit être envisagé pour tout type de fracture, toute la littérature médicale fait état de l'existence de ce type de syndrome dans toutes les fractures ; la douleur était rebelle aux traitements habituels et il a fallu lui administrer de la morphine, qui n'a pas suffi, son attelle qu'il a ouverte n'a été retirée que le 2 juin et le Dr A...et le personnel n'ont pu apprécier l'évolution de l'état de sa jambe ; les moyens adéquats de surveillance de sa douleur et du gonflement de sa jambe n'ont pas été mis en place malgré ses alertes et celle de son épouse ;

- son déficit fonctionnel temporaire total devra être indemnisé à hauteur de 884 euros, son déficit fonctionnel temporaire partiel doit être évalué à 1 001 euros, son préjudice esthétique temporaire de 4/7 à 5 000 euros, les souffrances endurées de 3,5/7 à 5 000 euros ;

- son préjudice patrimonial peut être évalué à 337,38 euros pour les frais restés à sa charge, à 33 737,93 euros pour sa perte de gains professionnels, pour l'assistance tierce personne à 5 400 euros ;

- son déficit fonctionnel permanent arrêté à 25 % doit être indemnisé à hauteur de 37 500 euros ; son préjudice esthétique permanent de 3,5/7 doit être évalué à 4 500 euros, son préjudice d'agrément compte tenu de ses activités sportives doit être évalué à 15 000 euros ;

- l'incidence professionnelle devra être évaluée à 30 000 euros car il est reconnu travailleur handicapé, bénéficie d'une carte d'invalidité pour stationnement debout pénible et est très gêné dans l'exercice de son activité d'infirmier libéral en milieu rural et notamment du " nursing " ;

- à titre infiniment subsidiaire, l'ONIAM devra l'indemniser dans le cadre de la solidarité nationale au titre d'un accident non fautif ;

Par un mémoire, enregistré le 20 février 2015, présenté pour l'ONIAM, il conclut au rejet de la requête, à sa mise hors de cause et à condamner la partie succombante aux dépens ;

Il soutient que :

- la mesure d'expertise sollicitée n'est pas utile dès lors deux mesures d'expertise ont déjà eu lieu et ont conclu à un syndrome des loges en relation directe avec son accident et n'étant pas en relation avec un accident médical, une infection iatrogène ou une infection nosocomiale ;

- il doit être mis hors de cause en l'absence de démonstration par le requérante du bien fondé de sa demande et de l'absence de réunion des conditions d'indemnisation pour une prise en charge au titre de la solidarité nationale dès lors qu'il n'y a pas de lien avec un acte médical ;

Par un mémoire, enregistré le 2 avril 2015, présenté pour la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Côte d'Or agissant pour le compte de la CPAM de la Saône et Loire ; elle indique ne pas s'opposer à la demande d'expertise sollicitée par M.F..., elle s'associe à l'argumentation de M. F...relative au retard de diagnostic fautif du centre hospitalier de Paray-le-Monial et au défaut de surveillance de sa douleur et du gonflement de son membre inférieur droit et conclut dans le cadre du recours subrogatoire à la condamnation du centre hospitalier de Paray-le-Monial au remboursement des prestations versées qui s'élèvent à 38 875,11 euros ainsi qu'au paiement de l'indemnité forfaitaire prévue par l'ordonnance 96-51 du 24 janvier 1996 d'un montant de 1 037 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale. Elle conclut également à la condamnation du centre hospitalier de Paray-le-Monial à lui verser 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Par un mémoire, enregistré le 7 mai 2015, présenté pour le centre hospitalier de Paray-le-Monial, il conclut au rejet de la requête indemnitaire de M. F... ;

Il soutient que :

- les premiers juges pouvaient rejeter sa demande d'une nouvelle expertise dès lors que deux expertises contradictoires ont déjà été réalisées lesquelles ont conclu à un syndrome des loges non diagnostiqué en temps utile : les experts ont estimé que cette absence de diagnostic ne relevait pas d'une faute médicale dès lors que ni l'examen clinique ni les résultats de l'echo doppler ne permettaient d'orienter le diagnostic vers cette pathologie ; le DrD..., expert consulté par le requérant n'a pas remis en cause les conclusions des deux autres expertises ;

- si le Dr D...a fixé un taux de déficit permanent susceptible d'ouvrir droit à une prise en charge par la solidarité nationale, il n'a pas retenu de faute du centre hospitalier de Paray-le-Monial ;

- le requérant n'apporte aucun élément nouveau pour justifier en appel sa demande d'expertise complémentaire et celle-ci ne présente donc pas d'utilité ;

- l'erreur de diagnostic ne constitue pas par elle-même une faute de nature à engager la responsabilité de l'hôpital ; elle n'est fautive que quand elle est imputable à l'insuffisance ou au retard des examens nécessaires pour établir ou préciser le diagnostic ; lorsque l'ensemble des examens préalables a été réalisé, la responsabilité de l'hôpital peut être écartée quand le diagnostic est particulièrement difficile à poser ; le Dr H...a indiqué que le contexte de l'accident était assez peu évocateur d'un syndrome des loges car il n'était pas dans le cas classique des fractures et traumatismes à haute énergie cinétique ; le Dr H...a estimé que malgré cette non détection du syndrome des loges les soins ont été conformes aux règles de l'art ; l'expert de la CRCI , le DrG..., a également conclu à l'absence de faute médicale ;

- à titre subsidiaire, la période indiquée par le requérant par rapport à la date de consolidation est inexacte, le Dr G...a arrêté la période de déficit fonctionnel temporaire au 20 septembre 2010, date de reprise de son activité d'infirmier libéral ; l'indemnisation d'un tel déficit temporaire ne peut pas excéder 567 euros ;

- les frais de convenance personnelle doivent rester à la charge du patient hospitalisé ; la quittance de pharmacie n'est pas probante ; une seule paire de chaussures homme avait été prescrite ; l'indemnisation des frais restée à la charge du requérant ne peut pas excéder 66,59 euros ;

- le Dr G...n'a retenu aucun préjudice esthétique temporaire ;

- la demande de 5 000 euros sur les souffrances endurées doit être rejetée car la jurisprudence n'accorde que 3 000 euros pour une évaluation de 35/7 ;

- le requérant n'apporte pas la preuve de son préjudice professionnel en se bornant à produire un état de trésorerie potentielle ne tenant pas compte des charges professionnelles afférentes et en ne transmettant aucun document comptable probant ;

- le Dr G...n'a pas mentionné le besoin d'assistance à tierce personne ;

- si le Dr D...mentionne un taux de 25 % de déficit fonctionnel permanent, il n'apporte aucun élément à l'appui de cette évaluation et le Dr G...a retenu un taux de 15 % ; la jurisprudence pour un taux de 15 % attribue une indemnité entre 16 000 et 18 000 euros et non les 37 500 euros demandés par M.F... ;

- en matière de préjudice esthétique, il a pu être admis une indemnité de 3 000 euros et non de 4 500 euros comme demandée par M.F..., et par suite, sa demande doit être rejetée ;

- même si le Dr G...admet un préjudice d'agrément lié à des activités sportives, le requérant n'apporte pas la preuve du préjudice subi ;

- sur le préjudice professionnel, le requérant n'apporte pas la preuve du préjudice subi car même s'il est atteint d'une invalidité, ceci ne remet pas en cause son activité professionnelle d'infirmier libéral ; il n'a été reconnu travailleur handicapé que depuis le 1er août 2011 ; il ne possède qu'une carte de priorité pour station debout pénible et non une carte d'invalidité ;

Par un mémoire, enregistré le 8 juin 2015, présenté pour M.F..., il maintient ses conclusions et ses moyens ;

Il ajoute que :

- la douleur était telle, que le traitement contre celle-ci a dû être modifié le 31 mai 2011 par l'anesthésiste de garde ;

- jurisprudentiellement, il a été admis un retard fautif de diagnostic du syndrome des loges lors d'une fracture à la jambe lors d'un match de rugby ou lorsque la victime avait des douleurs intenses qui résistaient à la morphine, était dans l'impossibilité de relever le pied et les orteils et voyait augmenter le volume du membre atteint ; de tels symptômes imposent une surveillance biologique et une surveillance des CPK susceptible d'aider les praticiens dans leur diagnostic ; il n'a pas bénéficié de cette surveillance biologique et des CPK ;

Par ordonnances des 20 avril 2015, 20 mai 2015 et 10 juin 2015, la clôture de l'instruction a été fixée au 10 juillet 2015 ;

Par mémoire, enregistré le 27 avril 2016, la caisse autonome de retraite et de prévoyance des infirmiers, masseurs kinésithérapeutes, pédicures-podologues, orthophonistes et orthoptistes (CARPIMKO) indique ne pas s'opposer à la demande d'expertise de M.F..., s'associer à l'argumentation de M. F...tendant à voir retenir la responsabilité du centre hospitalier de Paray-le-Monial du fait d'un retard de diagnostic fautif et de défaillances dans la surveillance étroite de sa douleur, et conclut à la condamnation dudit hôpital à lui rembourser 1 424,85 euros (montant d'indemnités journalières versées à M. F...à compter de son 91ème jour d'incapacité professionnelle) et à lui verser 1 037 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;

Par lettres, en date du 27 avril 2016, par laquelle les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la Cour était susceptible de soulever d'office l'irrégularité du jugement, à défaut de mise en cause de la Carpimko dont relève M.F..., qui avait fait connaître sa qualité d'infirmier libéral et qui lui a versé des indemnités journalières ;

Par mémoire, enregistré le 3 mai 2016, pour la CARPIMKO elle maintient ses conclusions ;

Par mémoire, enregistré le 4 mai 2016, pour M.F..., il indique que la CARPIMKO vient d'intervenir à la procédure et que le moyen d'ordre public n'a plus lieu d'être et que l'irrégularité du jugement est couverte ;

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Cottier, premier conseiller,

- et les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public.

1. Considérant que le 29 mai 2010 vers 21h30, alors qu'il jouait au football, M. C...F..., âgé de 44 ans, a ressenti une douleur au genou droit ; que la douleur s'étant intensifiée, et en présence d'un trouble de la sensibilité du pied droit, M. F...a rejoint le service des urgences du centre hospitalier de Paray-le-Monial, vers 2h00 du matin, le 30 mai 2010 ; qu'il a été examiné par le médecin de service, lequel n'a pas retenu le diagnostic de fracture ; qu'un autre médecin urgentiste l'a réexaminé peu de temps après et a retenu un diagnostic de fracture du plateau tibial externe ; qu'à 4h30, le docteurA..., chef du service de chirurgie orthopédique a confirmé le diagnostic de fracture du plateau tibial externe, a mentionné une contusion/paralysie du nerf poplité supérieur externe et a demandé que soit pratiqué un scanner du genou droit dans les 48h00 pour confirmer l'absence de déplacement articulaire fracturaire et le choix d'un traitement orthopédique ; que la douleur au genou et au mollet droits, associée à une paralysie des extenseurs du pied droit, a alors été notée à 10, correspondant au maximum de l'échelle de douleurs EVA ; qu'en raison de ces douleurs, une ponction du genou droit avec évacuation de 37 centimètres cubes de sang a été réalisée, ainsi que la mise en place d'une immobilisation du genou par attelle, avec application de glace ; qu'ont été aussi administrés des antalgiques majeurs sous forme morphiniques, associé au Tranxène ; qu'aucun mollet hypertendu n'a été diagnostiqué lors du contrôle réalisé par le DrA... ; que le 30 mai 2010, vers 7h00 du matin, M. F...a été transféré du service des urgences vers le service d'hospitalisation en chirurgie ; qu'il a été revu durant la matinée par le Dr A...lequel a constaté l'absence de récupération neurologique des extenseurs du pied ; qu'un scanner du genou a été réalisé le 31 mai 2010 en début d'après-midi confirmant une fracture de type non déplacée ; que le Dr A...a indiqué alors à M. F...qu'il optait pour un traitement orthopédique et décidait de le maintenir dans le service de chirurgie en raison de ses douleurs persistantes ; que compte tenu de ses douleurs, M.F..., dans la soirée du 31 mai 2010 a fait appeler l'anesthésiste de garde, lequel a modifié son traitement antalgique ; que le Dr A...a rendu visite à M. F...les 1er et 2 juin 2010 ; que le DrI..., le 2 juin 2010, compte tenu des importantes douleurs persistantes, a évoqué la possibilité de réaliser une opération chirurgicale d'ostéosynthèse de la fracture et d'exploration du nerf sciatique poplité externe ; qu'une image par écho doppler du genou et du mollet a été réalisée le 3 juin 2010, ne laissant pas apparaître d'hématome localisé, à l'exploration du mollet ; que le 4 juin 2010, une opération pratiquée par le Dr I...a mis en évidence à la partie moyenne de la loge antéro-externe de jambe un aspect peu vascularisé et nécrotique d'un muscle ; que le 10 juin 2010, le Dr A...a indiqué à M. F...qu'il avait commis une erreur de diagnostic et que sa situation relevait d'un syndrome des loges, nécessitant la résection de toutes les lésions nécrotiques musculaires ; que plusieurs autres interventions ont ensuite été menées entre le 11 juin 2010 et le 9 juillet 2010 ; que M. F...est ainsi resté hospitalisé du 30 mai 2010 au 29 juin 2010, puis du 7 au 9 juillet 2010 ; qu'il a repris son travail d'infirmier libéral le 20 septembre 2010 avec certains aménagements de son activité professionnelle, notamment en terme de manipulation des patients ; que par ordonnance du 10 novembre 2010, le juge des référés du tribunal administratif de Dijon a fait droit à la demande d'expertise présentée par M. F...; que l'expert, le Dr H..., a rendu deux rapports les 24 mars et 28 juin 2011 ; que, M. F...a saisi, le 3 mai 2011, la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CRCI) de Bourgogne, laquelle a désigné le DrG... en qualité d'expert ; que dans son avis du 6 février 2012, la CRCI Bourgogne a indiqué qu'en regard de la gravité limitée des dommages subis par M.F..., l'expert de la CRCI ayant estimé à 15 % son déficit fonctionnel permanent et les autres critères de gravité n'étant pas remplis, la demande de l'intéressé ne pouvait pas recevoir de suite favorable ; que M. F...relève appel du jugement du 20 novembre 2014 par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à l'organisation d'une contre expertise avant dire droit et à la condamnation du centre hospitalier de Paray-le-Monial à lui verser la somme de 138 360,31 euros, à titre subsidiaire à la condamnation de l'ONIAM à lui verser la même somme sur le fondement d'un accident médical non fautif ; que la CPAM de la Côte-d'Or conteste également ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions indemnitaires ; que la caisse autonome de retraite et de prévoyance des infirmiers, masseurs kinésithérapeutes, pédicures-podologues, orthophonistes et orthoptistes (CARPIMKO) conclut à la condamnation du centre hospitalier de Paray-le-Monial à lui rembourser la somme de 1 424,85 euros au titre des indemnités journalières versées à M. F..., et à lui payer la somme de 1 037 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant qu'en vertu de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, l'assuré social ou son ayant droit qui demande en justice la réparation d'un préjudice qu'il impute à un tiers doit indiquer sa qualité d'assuré social ; que cette obligation, sanctionnée par la possibilité reconnue aux caisses de sécurité sociale et au tiers responsable de demander pendant deux ans l'annulation du jugement prononcé sans que le tribunal ait été informé de la qualité d'assuré social du demandeur, a pour objet de permettre la mise en cause, à laquelle le juge administratif doit procéder d'office, des caisses de sécurité sociale dans les litiges opposant la victime et le tiers responsable de l'accident ;

3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier de première instance, et en particulier de la demande présentée par M.F..., que celui-ci a indiqué exercer la profession d'infirmier libéral et avoir reçu de la CARPIMKO des allocations journalières d'inaptitude pour un montant de 1 323,69 euros à compter de son 91ème jour d'incapacité ; que, dès lors, en ne communiquant pas la demande à la CARPIMKO auquel l'intéressé est affilié obligatoirement pour certains risques dont la cessation totale de l'activité professionnelle à compter du 91ème jour en cas d'accident ou de maladie, le tribunal a entaché son jugement d'irrégularité ; que ce jugement doit, par suite, être annulé ; que la procédure ayant été communiquée à la CARPIMKO, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions indemnitaires présentées par M. F...devant le tribunal administratif de Dijon, dirigées contre le centre hospitalier de Paray-le-Monial, ainsi que sur les conclusions de la CPAM de la Côte-d'Or et de la CARPIMKO ;

Sur la responsabilité du centre hospitalier de Paray-le-Monial :

4. Considérant que M. F...fait valoir que le centre hospitalier de Paray-le-Monial a commis une faute en diagnostiquant avec retard le syndrome des loges dont il était atteint lors de sa prise en charge, alors qu'il présentait les symptômes caractéristiques d'un tel syndrome ; qu'il indique également que ledit centre a commis une faute en ne procédant pas aux actes de surveillance nécessaires, qui aurait permis de poser plus rapidement le diagnostic pertinent ; que ces fautes ont entrainé un retard du traitement de ce syndrome, conduisant à des nécroses musculaires imposant qu'il soit opéré à plusieurs reprises, et lui laissant des séquelles définitives ;

5. Considérant qu'il résulte de l'instruction que dans le cadre de l'expertise médicale ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Dijon, le Dr H...a conclu à ce que le diagnostic de syndrome des loges n'a été porté que tardivement, " à l'heure où les séquelles devenaient irréversibles " et a estimé que " la consolidation ne pouvait pas être prononcée avant novembre 2011, un délai de 18 mois étant nécessaire pour une telle consolidation, que M. F...doit être revu en expertise en novembre 2011 et que les préjudices devront être déterminés à partir de la date de consolidation de son état. " ; que l'expert de la CRCI, le Dr G...a également constaté que le diagnostic de syndrome des loges n'avait été posé qu'après le 4 juin 2010 à la suite de l'intervention chirurgicale du même jour ; que si les deux experts expliquent que le contexte de cette fracture du plateau tibial externe peu déplacée a pu induire en erreur les médecins à l'occasion de la prise en charge et des premiers diagnostics en urgence, il résulte de l'instruction que les divers symptômes constatés auraient dû conduire les médecins à s'interroger sur l'état effectif du patient ; que toutefois, en dehors des antalgiques prescrits, qui ont contribué à réduire la douleur, aucun acte d'investigation ou de surveillance plus précis n'a été mené entre le 30 mai et le 2 juin 2011 ; que les experts relatent que M.F..., constatant une compression des tissus de sa jambe, a dû lui-même ouvrir son attelle posée le 30 mai 2011 et que celle-ci n'a été effectivement retirée que le 2 juin 2011 par les agents du service de chirurgie orthopédique, avant examen du DrI..., alors pourtant que l'épouse de M. F...avait alerté le médecin du gonflement du membre inférieur notamment du mollet de son mari, et des fortes douleurs ressenties ; que M.F..., lui même professionnel de santé, avait également appelé l'attention du personnel soignant sur ces points ; que les éléments décrits par M. F...lors des expertises sur l'absence de notes d'évaluation de la douleur dans le dossier infirmier et sur l'absence de mention dans ce dossier de la surveillance de sa jambe et de sa sensibilité en dépit d'une prescription en ce sens du service des urgences, ne sont pas utilement remis en cause par la simple mention figurant dans le rapport du DrH..., quant à une surveillance de la douleur trois fois par jour, dès lors que ladite mention n'est assortie d'aucune précision sur la forme prise par cette surveillance et sa réalisation effective entre le 30 mai et le 4 juin 2011; qu'il résulte de l'instruction et notamment des données médicales citées par le requérant (DrE..., encyclopédie médicale Medix, DrB..., P.Christel et E. Roulot) que le syndrome des loges est connu comme pouvant apparaître dans toutes les fractures des membres inférieurs, y compris dans celles à faible déplacement, et que l'examen clinique doit être minutieux et répété dès lors que le patient présente une douleur inhabituelle discordante avec le contexte ; que si le Dr H...souligne, en réponse aux dires de M.F..., que celui-ci ne souffrait pas d'une fracture de la jambe, situation dans laquelle 60 à 80 % de l'ensemble des syndromes de loges ont été identifiées, il ne conteste pas cependant les données citées par le requérant sur l'apparition d'un syndrome des loges en suite de la fracture telle que celle dont il a été victime, de la complication courante que constitue un tel syndrome et du fait que son cas ne correspondait pas à un tableau clinique rare dans la littérature médicale, qui aurait pu empêcher la détection d'un tel syndrome ; que dans les circonstances décrites, il résulte de l'instruction que le tableau clinique présenté par le requérant aurait dû conduire à une surveillance approfondie de celui-ci ainsi qu'à la réalisation d'actes de contrôle biologique et de pression, que le centre hospitalier ne conteste pas ne pas avoir effectué, afin de vérifier le caractère complet du diagnostic initial sur la seule fracture du plateau tibial et la paralysie du nerf sciatique poplité externe, et amener à une suspicion beaucoup plus rapide d'un syndrome des loges ; qu'il résulte également de l'instruction qu'en dépit des alertes du patient et des signes spécifiques au syndrome des loges, le diagnostic initial posé le 30 mai 2010 à 4h00 du matin par le Dr A...n'a pas été remis en cause avant plusieurs jours, alors qu'un tel syndrome et son traitement constituent une urgence absolue ; que par suite, au regard du tableau clinique présenté par M.F..., le manque de surveillance et de vigilance adaptées, qui n'a pas permis de vérifier, de compléter, voire d'infirmer le diagnostic initialement posé le 30 mai 2010 à 4h00 du matin, doit être regardé comme constitutif d'un manquement fautif ayant retardé le diagnostic et le traitement de M.F..., et comme ayant été à l'origine des nécroses de certains tissus musculaires de la jambe droite ;

Sur la réparation :

6. Considérant que les dysfonctionnements fautifs relevés ont conduit à l'apparition des séquelles fonctionnelles atteignant le membre inférieur droit de M.F... ; que toutefois, les pièces au dossier apparaissent contradictoires quant à la date de consolidation à retenir, au taux de déficit permanent conservé par M.F..., et n'apportent pas de précisions suffisantes sur les autres préjudices qu'il allègue ; qu'il y a lieu par suite avant dire droit, d'ordonner une expertise complémentaire aux fins précisées ci-après, pour évaluer les préjudices de M. F..., de la CPAM de la Côte-d'Or et de la CARPIMKO ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1302423 du 20 novembre 2014 du tribunal administratif de Dijon est annulé.

Article 2 : Le centre hospitalier de Paray-le-Monial est déclaré responsable des conséquences dommageables subis par M. F...à raison des fautes commises lors de sa prise en charge et de son hospitalisation le 30 mai 2010.

Article 3 : Il sera, avant de statuer sur le surplus des conclusions de M.F..., de la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte d'Or et de la CARPIMKO, procédé à une expertise, en présence du centre hospitalier de Paray-le-Monial, de la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte d'Or, de la CARPIMKO. L'expert aura pour mission :

1°) après s'être fait communiquer le dossier médical de M. F...et les expertises des Drs H..., G..., D...et avoir procédé à un examen de ce dernier, de décrire son état de santé avant le 30 mai 2011, date de sa prise en charge par le service des urgences du centre hospitalier de Paray-le-Monial et d'indiquer si ce dernier était atteint de déficits permanents partiels et /ou d'incapacité temporaire partielle avant sa prise en charge ;

2°) de décrire les séquelles dont le requérant reste atteint du fait des conséquences de ce syndrome des loges ;

3°) de fixer, pour les conséquences en lien direct avec le syndrome des loges, la date de consolidation de l'état de santé de M.F..., d'évaluer le taux d'incapacité temporaire totale et partielle, le taux d'incapacité permanente partielle et son éventuelle incidence professionnelle, l'importance des souffrances endurées sur une échelle de 1 à 7 et l'ensemble des préjudices qui en résultent pour M. F...dont préjudices sexuel, esthétique, d'agrément en lien direct avec le syndrome des loges et, au cas où M . F...aurait été atteint de déficits fonctionnels permanents avant sa prise en charge le 30 mai 2011 par le centre hospitalier de Paray-le-Monial, de chiffrer le taux d'incapacité permanente imputable aux conséquences de ce syndrome des loges et ceux liés à d'autres pathologies ;

4°) de faire toute constatation utile.

Article 4 : L'expert sera désigné par le président de la cour. Il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il ne pourra recourir à un sapiteur sans l'autorisation préalable du président de la cour.

Article 5 : Les frais d'expertise seront avancés par le centre hospitalier de Paray-le-Monial.

Article 6 : Préalablement à toute opération, l'expert prêtera serment dans les formes prévues à l'article R. 621-3 du code de justice administrative.

Article 7 : L'expert avertira les parties conformément aux dispositions de l'article R. 621-7 du code de justice administrative.

Article 8 : L'expert communiquera un pré-rapport aux parties, en vue d'éventuelles observations, avant l'établissement de son rapport définitif. Il déposera son rapport au greffe en deux exemplaires.

Article 9 : Des copies de son rapport seront notifiées par l'expert aux parties. Avec leur accord, cette notification pourra s'opérer sous forme électronique. L'expert justifiera auprès de la cour de la date de réception de son rapport par les parties.

Article 10 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 11 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...F..., au centre hospitalier de Paray-le-Monial, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte d'Or, à la CARPIMKO et à l'ONIAM.

Délibéré après l'audience du 19 mai 2016 à laquelle siégeaient :

M. Faessel, président de chambre,

M. Seillet, président-assesseur,

Mme Cottier, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 9 juin 2016.

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N° 15LY00377


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15LY00377
Date de la décision : 09/06/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation.


Composition du Tribunal
Président : M. FAESSEL
Rapporteur ?: Mme Cécile COTTIER
Rapporteur public ?: Mme VIGIER-CARRIERE
Avocat(s) : CABINET COUBRIS - COURTOIS et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 28/06/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2016-06-09;15ly00377 ?
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