Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. F...H...a demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner l'Etat à l'indemniser des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de l'illégalité des décisions du préfet de la Côte d'Or des 26 avril 2004 et 10 janvier 2005 rejetant ses demandes d'autorisation d'exploiter des terres agricoles.
Par deux jugements n° 1100665 des 24 avril et 27 novembre 2012, le tribunal administratif de Dijon a condamné l'Etat à lui verser la somme de 162 574 euros.
Par un arrêt n° 13LY00238 du 19 décembre 2013, la cour administrative d'appel de Lyon a, sur appel du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, réformé ces jugements et ramené à 29 751 euros le montant mis à la charge de l'Etat.
Par une décision n° 375541 du 27 octobre 2015, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt du 19 décembre 2013, en tant qu'il se prononce sur le préjudice relatif à l'impossibilité d'exploiter les terres appartenant à M. C...et Mme E...D..., à M. B...D..., à Mme J..., à M. K..., à M. I...et à MmeM... et a renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Lyon dans la mesure de la cassation prononcée.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 30 janvier 2013 et le 14 mars 2016, le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement avant-dire droit n° 1100665 du 24 avril 2012 et le jugement n° 1100665 du 27 novembre 2012 ;
2°) de rejeter la demande de M.H....
Il soutient que :
- le jugement avant-dire droit est entaché d'irrégularité du fait de son insuffisante motivation ;
- le jugement avant-dire droit est entaché d'irrégularité du fait de l'exercice irrégulier par le juge de son office dès lors qu'en enjoignant à M. H...de produire tous documents de nature à établir le montant de ses revenus perçus au titre des années 2003, 2004, 2005, 2006 et 2007, le tribunal est allé au-delà de ses pouvoirs d'injonction ;
- s'agissant du lien de causalité entre le dommage causé et le préjudice subi, celui-ci n'est pas établi pour la majorité des parcelles dès lors que n'est pas apportée la preuve de l'intention des propriétaires de donner à bail leurs parcelles à M. H... ;
- dès lors que le jugement avant-dire droit du 24 avril 2012 doit être annulé, le jugement du 27 novembre 2012 doit l'être par voie de conséquence ;
- si la cour venait à reconnaître la responsabilité de l'Etat, le montant du préjudice devra être reconsidéré dès lors que M. H...n'apporte pas la preuve de l'intention des propriétaires de lui louer les parcelles objets du refus d'autorisation d'exploiter ; les éléments de calcul tels que présentés par M. H...dans le tableau sont imprécis et ne permettent pas de connaître le détail des charges retenues ; les droits à paiement unique (DPU) ne peuvent être pris en compte dans l'évaluation du préjudice dans la mesure où certaines parcelles sur lesquelles les DPU sont octroyés faisaient l'objet d'une autorisation d'exploiter au bénéfice de M. H...dès le 10 janvier 2005 ;
- M. H...n'a pas été empêché de faire l'acquisition des DPU précédemment détenus par les différents exploitants cédants ; les DPU étant des biens meubles incorporels et non attachés aux terres, M. H...pouvait librement en disposer en les activant sur d'autres terres qui en auraient été dépourvues ou en les cédant à d'autres agriculteurs ; le fait de ne pas les avoir détenus, ni activés, lui est totalement imputable ;
- au regard de ce qu'a jugé le Conseil d'Etat s'agissant des parcelles appartenant à M. A..., Mme N...MmeO..., ces terres doivent, en tout état de cause, être retranchées du calcul initialement retenu pour l'évaluation du préjudice ; une perte d'exploitation de 24 hectares, 30 ares et 80 centiares correspond à la somme de 107 299,90 euros, dont il convient de déduire le montant des DPU sur 9 ans soit 93 845 euros ; le manque à gagner de M. H...sur une période de 9 ans ne saurait être supérieur à la somme de 33 454 euros ; rien ne permet de considérer que les promesses de bail ont été consenties pour une période supérieure à 9 ans ou que les baux auraient été renouvelés.
Par des mémoires, enregistrés les 24 avril 2013, 22 février 2016 et 5 avril 2016, M. H..., représenté par MeL..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros, portée à 6 000 euros dans le dernier état de ses écritures, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'intention des propriétaires de lui louer leurs parcelles est établie par la production de déclarations d'intention et de lettres d'information ;
- il a subi un préjudice dès lors que les parcelles ont été louées à d'autres exploitants ; il ne peut lui être reproché de ne pas avoir contesté les autorisations d'exploiter accordées à ces exploitants ;
- les droits à paiement unique doivent être pris en compte dans l'évaluation du préjudice dès lors que ces derniers ne peuvent être activés tant que l'exploitant n'exploite pas les parcelles ; l'éventuelle propriété des DPU n'aurait en tout état de cause pas permis de percevoir les subventions de la politique agricole commune puisqu'il ne pouvait exploiter les parcelles ;
- à tout le moins, son préjudice s'établit, sur la base d'un bail d'une durée de 9 ans, et s'agissant de 24 hectares, 31 ares et 80 centiares, à 107 315 euros ; la cour retiendra l'évaluation du tribunal à la somme de 162 574 euros, car une période de bail de 18 ans était normalement envisageable, le renouvellement du bail n'ayant pas à être accepté par le bailleur mais étant de plein droit ; il a perdu la chance de bénéficier du bail de M.A..., MmeN..., Mme O..., cette perte de chance doit être indemnisée même si l'intention des propriétaires n'est pas établie.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code rural et de la pêche maritime,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Samson-Dye,
- les conclusions de M. Dursapt, rapporteur public,
- les observations de MeL..., représentant M.H....
Une note en délibéré présentée par M. H...a été enregistrée le 13 mai 2016.
1. Considérant que le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt relève appel du jugement avant-dire droit du 24 avril 2012 et du jugement du 27 novembre 2012 par lesquels le tribunal administratif de Dijon a fait droit à la demande de M. H...en condamnant l'Etat à lui verser la somme de 162 574 euros en raison de l'illégalité des décisions de refus opposées par le préfet de la Côte-d'Or le 26 avril 2004 et le 10 janvier 2005 à ses demandes d'autorisation d'exploiter des terres agricoles ;
Sur l'étendue du litige :
2. Considérant que le précédent arrêt de la cour, en date du 19 décembre 2013, n'a été annulé qu'en tant qu'il se prononce sur le préjudice relatif à l'impossibilité d'exploiter les terres appartenant à M. C...et Mme E...D..., à M. B...D..., à MmeJ..., à M. K..., à M. I...et à MmeM... ; que l'affaire n'a été renvoyée à la cour que dans cette mesure ; que, dans ces conditions, M. H...ne peut utilement, dans le cadre du présent litige, persister à demander des sommes, même au titre de la perte de chance, s'agissant du préjudice qui serait le sien résultant de l'impossibilité d'exploiter les terres appartenant à M. A..., à Mme N...et à MmeP..., dont la cour n'est plus saisie ;
Sur la régularité du jugement avant-dire droit :
3. Considérant, en premier lieu, que le ministre soutient que les premiers juges, en se bornant, sans donner de plus amples précisions concernant la contenance exacte des parcelles concernées par le refus d'autorisation d'exploiter, à constater que " M. H...n'a toutefois jamais pu obtenir un bail pour exploiter les parcelles litigieuses, lesquelles avaient été louées entre temps à d'autres exploitants " et en faisant allusion " aux différents propriétaires ", ont insuffisamment motivé leur décision ;
4. Considérant toutefois que si le jugement attaqué ne précise pas l'identité de chacun des propriétaires, il décrit, avec une précision suffisante, les parcelles objet du litige ; qu'il est, dans ces conditions, suffisamment motivé ;
5. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article R. 611-10 du code de justice administrative " Sous l'autorité du président de la formation de jugement (... ) (le rapporteur) peut demander aux parties pour être joints à la procédure contradictoire toutes pièces ou tous documents utiles à la solution du litige. " ;
6. Considérant que le ministre soutient qu'en enjoignant à M. H...de produire " tous documents de nature à établir le montant de ses revenus perçus au titre des années 2003, 2004, 2005, 2006 et 2007, et notamment ses avis d'imposition. ", le tribunal a excédé son office ;
7. Considérant cependant que le tribunal administratif de Dijon a pu, en application des dispositions précitées, prescrire à M.H..., par jugement avant-dire droit, de produire divers documents utiles à la solution du litige, sans excéder son office ; que, contrairement à ce que soutient le ministre, il a, ce faisant, fait usage de ses pouvoirs d'instruction, et non des pouvoirs d'injonction mentionnés aux articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative ; que, le ministre n'est, par suite, pas fondé à soutenir que le jugement attaqué aurait été rendu à l'issue d'une procédure irrégulière ;
Sur le bien-fondé des jugements attaqués :
8. Considérant que M. H...demande à être indemnisé du préjudice causé par le refus d'exploiter 36,84 hectares de terres agricoles ; que ce refus lui a été opposé par l'arrêté du 10 janvier 2005 du préfet de la Côte-d'Or, qui l'autorisait par ailleurs à exploiter d'autres terres ; que cet arrêté a été annulé, en tant qu'il oppose un refus d'exploiter, par un arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 4 mars 2008 devenu définitif, au motif que le rang prioritaire dans lequel se trouvait M. H...au regard des dispositions du schéma départemental d'orientation agricole avait été méconnu ; qu'il n'est pas contesté que M. H...n'a jamais pu obtenir de bail pour exploiter ces parcelles, qui ont été louées entre temps à d'autres exploitants ;
9. Considérant qu'eu égard à l'objet de sa demande indemnitaire, qui porte sur les seules surfaces de 36,84 hectares, dont l'exploitation lui a été refusée par l'arrêté du 10 janvier 2005, M. H...ne peut utilement se référer aux terrains pour lesquels cet arrêté lui avait accordé l'autorisation d'exploiter, à savoir les parcelles ZA 8 et 9, appartenant à M. B... D..., ZC 51 et 53, appartenant à M.K..., AC 54, appartenant à Mme J..., et AC 55, appartenant à M.I..., situées à Corcelles-les-Citeaux, ainsi que la parcelle ZB 10, située à Savouges et appartenant à M. K...;
10. Considérant que M. H...ne peut pas davantage se référer aux terrains pour lesquels l'autorisation d'exploiter lui a été refusée par une décision distincte du 2 mai 2005, dont il n'est au demeurant pas établi ni même allégué qu'elle serait illégale, ces terrains ne relevant pas du refus qui lui a été opposé le 10 janvier 2005 et qui fonde sa demande indemnitaire ; qu'ainsi, il n'est pas fondé, dans le cadre du présent litige, à demander à être indemnisé du préjudice tiré de l'impossibilité d'exploiter les parcelles AA 16, ZB 24, ZC 30, ZA 45, appartenant à MmeM... et toutes situées à Savouges ;
11. Considérant par ailleurs que, si l'illégalité de la décision du préfet de la Côte-d'Or du 20 janvier 2005 a constitué une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard de M.H..., ce dernier n'est en droit d'obtenir réparation que pour autant qu'il en ait résulté pour lui un préjudice direct et certain ; que le préjudice lié à la perte d'exploitation des terres présente ce caractère lorsque l'exploitant agricole apporte la preuve qu'il allait effectivement bénéficier d'un bail lui permettant de mettre en valeur les terres ;
12. Considérant que, parmi les terrains ayant fait l'objet d'un refus d'exploiter opposé le 10 janvier 2005, et exception faite des terrains pour lesquels le Conseil d'Etat n'a pas renvoyé le litige à la cour, M. H...ne justifie pas, par des documents suffisamment probants, de l'intention des propriétaires d'accepter de lui louer les parcelles ZB 19, 20, 21 et 40, ZC 2, 4, 50 et 70 et AB 66, situées à Corcelles-les-Citeaux ;
13. Considérant qu'une telle intention est, en revanche, établie, s'agissant des parcelles ZB 8 et ZB 9, situées à Savouges, et appartenant à M. B...D..., de la parcelle ZB 36, située à Savouges, appartenant à M. et Mme C...et ThérèseD..., de la parcelle ZB 64 située à Corcelles-les-Citeaux, appartenant à M.K..., et de la parcelle ZC 52, située à Corcelles-les-Citeaux, appartenant à MmeG... ; que, dans ces conditions, seules ces dernières parcelles, couvrant une surface totale de 9,7416 hectares, sont de nature à lui ouvrir un droit à indemnisation au titre de la perte de mise en culture ; que le ministre est dès lors fondé à soutenir que c'est à tort que d'autres parcelles ont été prises en compte par le tribunal ;
14. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, par des attestations en date du 18 février 2009 et du 1er avril 2009, M. K...B...et M. D...B..., exploitant les parcelles mentionnées au point précédent, ont manifesté leur intention de céder gracieusement à M. H...la totalité de leurs droits à paiement unique (DPU) ; que le ministre relève que ces DPU sont des biens meubles incorporels, non rattachés aux terres, que M. H...aurait pu activer pour des terres qui en étaient dépourvues ou qu'il aurait pu céder à d'autres agriculteurs ; que, toutefois, il n'est pas sérieusement contesté que le refus illégal d'autorisation d'exploiter les terres agricoles en cause, en empêchant la conclusion des baux avec M.H..., a fait obstacle à ce qu'il bénéficie de ce transfert gratuit de DPU à son profit, ou que le transfert de ces droits à son profit ne présentait pas d'intérêt pour lui en absence de terres lui permettant effectivement d'activer les droits qui y étaient attachés ; que, dès lors, ces DPU, portant sur les cinq parcelles précitées, doivent être pris en compte dans l'évaluation du préjudice subi par M.H... ;
15. Considérant qu'il résulte de l'instruction que les baux qui ont été conclus sur les terrains en cause étaient d'une durée de 9 ans ; que M. H...soutient que son préjudice doit être calculé en retenant une durée de 18 ans, en se prévalant des conditions légales dans lesquels le preneur a droit au renouvellement d'un bail rural ; que, cependant, il n'est pas établi qu'en l'espèce, il aurait effectivement pu bénéficier d'une telle durée ; que son préjudice doit dès lors être calculé au regard d'une période de 9 ans ;
16. Considérant, enfin, que la méthode de calcul retenue dans le document produit par le demandeur devant le tribunal prend en compte les mêmes cultures que celles réalisées par M. H..., les mêmes rendements et les mêmes prix de vente ; que les charges ont elles-mêmes été calculées à partir de statistiques établies par AGRA Gestion ; que contrairement à ce qu'allègue le ministre, la méthode de calcul telle que présentée par M. H...dans le tableau versé aux débats est suffisamment précise et doit par suite être retenue ; que dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation du préjudice né de l'empêchement pour M. H...d'exploiter les terres litigieuses, en le fixant, au titre de la période d'octobre 2005 à octobre 2014 et sur la surface considérée de 9,7416 hectares, à la somme de 43 000 euros, qui doit être assortie du montant des intérêts au taux légal à compter du 28 décembre 2010, date de réception de sa demande par le préfet de la Côte-d'Or ;
17. Considérant que, le jugement avant-dire droit du 24 avril 2012 n'étant pas annulé, le ministre n'est pas fondé à demander, par voie de conséquence, l'annulation du jugement du 27 novembre 2012 ;
18. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme supérieure à 43 000 euros ;
Sur les frais non compris dans les dépens :
19. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la cour fasse bénéficier la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais exposés à l'occasion du litige soumis au juge et non compris dans les dépens ; que, dès lors, les conclusions de M. H...doivent être rejetées ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le montant de l'indemnité prévue à l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Dijon n° 1100665 du 27 novembre 2012 est limité à 43 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 28 décembre 2010.
Article 2 : Le jugement avant-dire droit du 24 avril 2012 et le jugement du 27 novembre 2012 du tribunal administratif de Dijon sont réformés en ce qu'ils ont de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt et à M. F... H....
Délibéré après l'audience du 12 mai 2016 où siégeaient :
- M. Mesmin d'Estienne, président,
- Mme Gondouin, premier conseiller,
- Mme Samson-Dye, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 31 mai 2016.
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N° 14LY00768
N° 15LY03549 4