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12/05/2016 | FRANCE | N°13LY00220

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre - formation à 3, 12 mai 2016, 13LY00220


Vu la procédure suivante :

Par un arrêt du 18 juillet 2013 la cour administrative d'appel de Lyon, après avoir joint les requêtes n°s 13LY00220, 13LY00221 et 13LY00223 de la SAUR, du Syndicat intercommunal des eaux de la Dhuy (SIED) et de la commune de Domène, a décidé :

- d'annuler le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 22 novembre 2012, en tant qu'il statuait sur les conclusions indemnitaires de la société Cogeco Washington dirigées solidairement contre la SAUR et le SIED ;

- qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions de la SAUR et d

u SIED tendant au sursis à exécution du jugement du tribunal administratif d...

Vu la procédure suivante :

Par un arrêt du 18 juillet 2013 la cour administrative d'appel de Lyon, après avoir joint les requêtes n°s 13LY00220, 13LY00221 et 13LY00223 de la SAUR, du Syndicat intercommunal des eaux de la Dhuy (SIED) et de la commune de Domène, a décidé :

- d'annuler le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 22 novembre 2012, en tant qu'il statuait sur les conclusions indemnitaires de la société Cogeco Washington dirigées solidairement contre la SAUR et le SIED ;

- qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions de la SAUR et du SIED tendant au sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Grenoble du 22 novembre 2012 en tant qu'il les a solidairement condamnés à réparer le préjudice subi par la société Cogeco Washington ;

- de rejeter les conclusions de la commune de Domène dirigées contre l'arrêté du préfet de l'Isère du 20 septembre 2011 autorisant la société Cogeco Washington à disposer de l'énergie du Domeynon ;

- qu'il serait, avant de statuer sur les conclusions indemnitaires de la société Cogeco Washington contre la SAUR, le SIED et la commune de Domène, procédé à une expertise.

Par ordonnance du 22 août 2013 le président de la cour a désigné M. B...A...en qualité d'expert.

Le rapport d'expertise a été déposé le 9 septembre 2015.

Par un mémoire enregistré le 3 décembre 2015 présenté par le Syndicat Intercommunal des Eaux de la Dhuy (SIED) et par la Société d'Aménagement Urbain et Rural (SAUR) au titre des instances n°s 13LY00220-13LY00221-13LY00223, il est conclu :

- aux mêmes fins que leurs précédentes écritures ;

- à la mise à la charge de la société Cogeco Washington des frais et honoraires de l'expertise taxés à la somme de 14 909,48 euros TTC ;

- à la mise à la charge de ladite société d'une somme de 5 000 euros à verser à chacun d'eux en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- concernant la centrale des eaux de Revel, il n'y a pas, comme l'a relevé l'expert, de perte de production sur cette centrale suite au captage du SIED et de la ville de Domène dès lors que les travaux réalisés en 1937 ont permis de ressortir un débit supplémentaire et ont ainsi compensé les prélèvements effectués ;

- concernant la centrale de Pia, comme l'a indiqué l'expert, aucun préjudice ne peut être constaté dès lors que les éléments produits ne comportent aucune mesure de débit et de niveau, que les calculs fournis par la société sont purement théoriques et ne permettent pas de déterminer d'éventuelles indemnités, qu'il a été constaté que les réductions de production sur la centrale de la PIA ne sont pas dues aux prélèvements du SIED et que la société n'établit pas l'existence d'un préjudice faisant gravement obstacle à ce qu'elle puisse réellement disposer de la puissance normalement disponible qu'elle a été autorisée à exploiter.

Par un mémoire enregistré le 4 décembre 2015, présenté pour la commune de Domène dans l'instance n° 13LY00223, il est conclu :

- aux mêmes fins que ses précédentes écritures et au rejet des conclusions de la société Cogeco Washington tendant à sa condamnation ;

- à la mise à la charge de cette société d'une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Elle soutient que :

- la société ne fournit pas pour les deux centrales de mesures fiables de nature à justifier d'un préjudice ;

- la société ne peut se prévaloir d'aucune perte de production par rapport aux autorisations d'usage sur l'eau qui lui ont été consenties compte tenu de l'accroissement de débit émergeant des sources de la Dhuy résultant des travaux de captage de 1937 pour la centrale de Revel comme indiqué par l'expert, comme pour la centrale de Pia qui a aussi bénéficié de ce volume d'eaux supplémentaires.

Par un mémoire enregistré le 4 décembre 2015, présenté pour la société Cogeco Washington au titre de l'instance n° 13LY00220, il est conclu :

- à la condamnation solidaire du SIED et de la SAUR à l'indemniser du préjudice subi du fait des prélèvements d'eau effectués sur la source de la Dhuy en amont de la centrale de Revel pour la période du 28 mars 2002 au 31 décembre 2009, à une somme de 379 066,33 euros fixée par l'expert, outre intérêts à compter du 18 avril 2008 pour la période 2002/2003 et du 29 septembre 2010 pour le surplus, et capitalisation des intérêts ;

- à la condamnation solidaire du SIED et de la SAUR à l'indemniser du préjudice subi du fait des prélèvements d'eau effectués sur la source de la Dhuy en amont de la centrale de Pia pour la période du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2009, à une somme de 189 164,96 euros, outre intérêts à compter du 18 avril 2008 pour la période relative aux années 2004, 2005 et 2006 et du 14 juin 2010 pour le surplus, et capitalisation des intérêts ;

- à titre subsidiaire, à ce qu'il soit ordonné une contre-expertise qui aura notamment pour mission de se prononcer sur les conséquences éventuelles sur le régime de Domeynon suite à la réalisation des travaux de captage en 1937 pour le compte du SIED ;

- à la mise à la charge solidaire du SIED et de la SAUR d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des entiers dépens lesquels comprennent les frais d'expertise.

Elle soutient que :

- la cour a statué définitivement dans son arrêt avant dire-droit du 18 juillet 2013, qui est revêtu de l'autorité de la chose jugée, concernant l'existence d'un lien de causalité entre les prélèvements effectués et les pertes de production d'énergie électrique ; il n'appartenait pas à l'expert de s'interroger et de revenir sur les conditions dans lesquelles le captage des sources de la Dhuy a été effectué en 1937 ; la décision du conseil des préfectures de 1946 a écarté l'accroissement des débits du Domeynon du fait des travaux de captage de 1937 ; les conclusions de l'expert en tant qu'elles retiennent la création d'un débit supplémentaire mis à la surface par les travaux de captage en 1937 devront être ainsi écartées dès lors qu'aucune pièce versée aux débats n'a permis de rapporter la preuve de l'augmentation du débit à la suite de la réalisation des travaux en 1937 et que ce moyen a été définitivement écarté par le passé et se heurte à l'autorité de la chose jugée ;

- dans le cadre des opérations d'expertise, aucune donnée précise sur le débit au droit des prises d'eau des centrales avant travaux confirmerait que son débit a effectivement été augmenté à la suite des travaux de tranchées drainantes effectués en 1937 ; à tout le moins il devra être ordonné une contre-expertise au regard des doutes et incertitudes nombreuses au demeurant relevées par l'expert lui-même en l'absence de toute constatation d'une quelconque augmentation du débit en 1937, augmentation par là même inquantifiable ; concernant la centrale de Pia, comme l'indique l'expert, aucune compensation ne peut être retenue dès lors que la présence d'un affleurement rocheux au droit de la prise d'eau de la PIA laisse supposer qu'il n'y a pas de contournement possible de la prise d'eau ;

- la gravité du dommage est établie eu égard aux tableaux relatifs à la perte de production électrique jour par jour du 20 mars 2002 au 31 décembre 2009, centrale par centrale repris par l'expert, au montant ressortant année par année centrale par centrale et au pourcentage de perte que représentent les prélèvements cumulés du SIED et de la commune par rapport à la production potentielle notamment en période d'étiage ;

- le préjudice, compte tenu des conclusions de l'expert, doit être actualisé ; les données communiquées et qui ont été reprises par l'expert sont fiables et incontestables ; si l'expert relève qu'aucune mesure du débit du Domeynon et des débits turbinés du volume d'eau n'ont été versées pour la centrale de Pia elle a produit les relevés de puissance EDF ; l'expert a pu procéder à l'analyse des tableaux qu'elle a réalisés et les a corrigés au regard des données communiquées ; la perte de production d'électricité de la centrale de Revel et de celle de Pia imputables ainsi au SIED, au regard des éléments de calcul de l'expert sans retrancher les 20l/s réalisés arbitrairement par l'expert, s'élèvent respectivement à 379 066,33 euros et à 189 164,96 euros.

Par un mémoire enregistré le 4 décembre 2015, présenté pour la société Cogeco Washington au titre de l'instance n° 13LY00223, il est conclu :

- à la condamnation de la commune de Domène à l'indemniser du préjudice subi du fait des prélèvements d'eau effectués sur la source de la Dhuy en amont de la centrale de Revel pour la période du 28 mars 2002 au 31 décembre 2003, à une somme de 19 093,19 euros fixée par l'expert, outre intérêts à compter du 18 avril 2008 et capitalisation des intérêts ;

- à la condamnation de la commune de Domène à l'indemniser du préjudice subi du fait des prélèvements d'eau effectués sur la source de la Dhuy en amont de la centrale de Pia pour la période du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2006, à une somme de 21 849,15 euros, outre intérêts à compter du 18 avril 2008 et capitalisation des intérêts ;

- à titre subsidiaire, à ce qu'il soit ordonné une contre-expertise qui aura notamment pour mission de se prononcer sur les conséquences éventuelles sur le régime de Domeynon suite à la réalisation des travaux de captage en 1937 pour le compte du SIED ;

- à la mise à la charge de la commune de Domène d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des entiers dépens lesquels comprennent les frais d'expertise.

Elle soutient que :

- la cour a statué définitivement dans son arrêt avant dire-droit du 18 juillet 2013, qui est revêtu de l'autorité de la chose jugée, concernant l'existence d'un lien de causalité entre les prélèvements effectués et les pertes de production d'énergie électrique ; il n'appartenait pas à l'expert de s'interroger et de revenir sur les conditions dans lesquelles le captage des sources de la Dhuy a été effectué en 1937 ; la décision du conseil des préfectures de 1946 a écarté l'accroissement des débits du Domeynon du fait des travaux de captage de 1937 ; les conclusions de l'expert en tant qu'elles retiennent la création d'un débit supplémentaire mis à la surface par les travaux de captage en 1937 devront être ainsi écartées dès lors qu'aucune pièce versée aux débats n'a permis de rapporter la preuve de l'augmentation du débit à la suite de la réalisation des travaux en 1937 et que ce moyen a été définitivement écarté par le passé et se heurte à l'autorité de la chose jugée ;

- dans le cadre des opérations d'expertise, aucune donnée précise sur le débit au droit des prises d'eau des centrales avant travaux confirmerait que son débit a effectivement été augmenté à la suite des travaux de tranchées drainantes effectués en 1937 ; à tout le moins il devra être ordonné une contre-expertise au regard des doutes et incertitudes nombreuses au demeurant relevées par l'expert lui-même en l'absence de toute constatation d'une quelconque augmentation du débit en 1937, augmentation par là même inquantifiable ; concernant la centrale de Pia, comme l'indique l'expert, aucune compensation ne peut être retenue dès lors que la présence d'un affleurement rocheux au droit de la prise d'eau de la PIA laisse supposer qu'il n'y a pas de contournement possible de la prise d'eau ;

- la gravité du dommage est établie eu égard aux tableaux relatifs à la perte de production électrique jour par jour du 20 mars 2002 au 31 décembre 2009, centrale par centrale repris par l'expert, au montant ressortant année par année centrale par centrale et au pourcentage de perte que représentent les prélèvements cumulés du SIED et de la commune par rapport à la production potentielle notamment en période d'étiage ;

- le préjudice, compte tenu des conclusions de l'expert, doit être actualisé ; les données communiquées et qui ont été reprises par l'expert sont fiables et incontestables ; si l'expert relève qu'aucune mesure du débit du Domeynon et des débits turbinés du volume d'eau n'ont été versées pour la centrale de Pia elle a produit les relevés de puissance EDF ; l'expert a pu procéder à l'analyse des tableaux qu'elle a réalisés et les a corrigés au regard des données communiquées ; la perte de production d'électricité de la centrale de Revel et de celle de Pia imputables ainsi à la commune, au regard des éléments de calcul de l'expert sans retrancher les 20l/s réalisés arbitrairement par l'expert, s'élèvent respectivement à 19 093,19 euros et à 21 849,15 euros.

Par un mémoire enregistré le 28 janvier 2016, présenté pour la commune de Domène dans l'instance n° 13LY00223, il est conclu aux mêmes fins que ses précédentes écritures.

Elle soutient en outre que :

- ni l'autorité de la chose jugée de l'arrêt de la cour du 18 juillet 2013 eu égard à la motivation de cet arrêt et aux missions confiées à l'expert, ni celle de la décision du conseil de préfecture de Grenoble du 7 janvier 1946 en l'absence d'identité de parties, ne fait obstacle à ce qu'elle invoque le fait que les travaux réalisés par le SIED en 1937 ont eu pour conséquence d'accroître le débit du Domeynon ;

- l'accroissement du débit du fait de ces travaux de captage de 1937 est établi ;

- à titre subsidiaire, le préjudice allégué n'est pas anormal compte tenu de la faiblesse du volume des prélèvements de la commune concernant la centrale de Revel et, concernant la centrale de Pia, du fait de l'absence de données, d'un manque d'entretien de la prise d'eau imputable à la société et de la faiblesse du volume des prélèvements.

Par un mémoire enregistré le 29 janvier 2016 présenté pour la société Cogeco Washington au titre de l'instance n° 13LY00220, il est conclu aux mêmes fins que ses précédentes écritures.

Elle soutient en outre que :

- les enregistrements EDF fournis sont fiables et permettent de rendre compte des débordements au droit du canal de la centrale et de les exclure de l'indemnisation ;

- la puissance normalement disponible constitue une estimation et non un maximum autorisé et le préjudice peut ainsi être évalué.

Par un mémoire enregistré le 7 avril 2016, présenté pour la commune de Domène, il est conclu aux mêmes que précédemment, par les mêmes moyens.

Elle soutient en outre que les données chiffrées retenues par la société Cogeco, qui sont en outre surestimées, montrent par elles-mêmes la faiblesse de l'impact du prélèvement réalisé par la commune et ne caractérisent pas l'anormalité du préjudice allégué.

Vu :

- les autres pièces des dossiers ;

- l'ordonnance du 21 septembre 2015, par laquelle le président de la cour a taxé les frais de l'expertise réalisée par M. B...A...à la somme de 14 909,48 euros TTC ;

- l'ordonnance du 19 janvier 2016 par laquelle le président de la cour a accordé à M. B... A..., expert, une allocation provisionnelle de 7 500 euros à valoir sur le montant des honoraires et débours déjà taxés, mise à la charge de la société Cogeco Washington.

Vu :

- la loi du 16 octobre 1919 relative à l'utilisation hydraulique ;

- la loi n° 92-3 du 3 janvier 1992 ;

- l'arrêté du 11 septembre 2003 portant application du décret n° 96-102 du 2 février 1996 et fixant les prescriptions générales applicables aux prélèvements soumis à autorisation en application des articles L. 214-1 à L. 214-3 du code de l'environnement et relevant des rubriques 1.1.2.0, 1.2.1.0, 1.2.2.0 ou 1.3.1.0 de la nomenclature annexée au décret n° 93-743 du 29 mars 1993 modifié ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Segado, premier conseiller ;

- les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public ;

- et les observations de Me Hasday, avocat de la société d'aménagement urbain et rural (SAUR) et du syndicat intercommunal des eaux de la Dhuy (SIED), de Me Delachenal, avocat de la commune de Domène et de Me Harel, avocat de la société Cogeco Washington.

Une note en délibéré présentée pour la société Cogeco Washington a été enregistrée le 19 avril 2016.

1. Considérant que la société d'aménagement urbain et rural (SAUR), agissant pour le compte du syndicat intercommunal des eaux de la Dhuy (SIED), et la commune de Domène, exploitent dans le département de l'Isère des ouvrages de captage d'eau situés à la source de la Dhuy, qui alimentent le torrent du Domeynon sur lequel la société Cogeco Washington exploite elle-même, en aval, deux usines hydroélectriques dites centrale des eaux de Revel et centrale de Pia ; qu'après avoir joint les demandes indemnitaires de la société Cogeco Washington et la demande présentée par la commune de Domène tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 20 septembre 2011 autorisant la société Cogeco Washington à disposer de l'énergie du Domeynon, le tribunal administratif de Grenoble a condamné solidairement la SAUR et le SIED à verser à la société Cogeco Washington des indemnités de 459 315,52 euros et 217 135,24 euros, et la commune de Domène à verser à cette même société des indemnités de 25 382 euros et 26 448,89 euros, en réparation des pertes de production d'électricité de la centrale des eaux de Revel et de la centrale de Pia, et a rejeté le surplus des conclusions, dont celles présentées par la commune de Domène ; que, par arrêt du 18 juillet 2013, la cour, après avoir joint les requêtes d'appel de la SAUR, du SIED et de la commune de Domène, a annulé le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 22 novembre 2012 en tant qu'il statuait sur les conclusions indemnitaires de la société Cogeco Washington dirigées solidairement contre la SAUR et le SIED, et a rejeté les conclusions de la commune de Domène dirigées contre l'arrêté sus évoqué du préfet de l'Isère du 20 septembre 2011 ; qu'elle a en outre jugé qu'il n'y avait pas lieu à statuer sur les conclusions de la SAUR et du SIED tendant au sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Grenoble du 22 novembre 2012 en tant qu'il avait solidairement condamné ces personnes morales à réparer le préjudice subi par la société Cogeco Washington ; qu'elle a enfin jugé qu'avant de statuer sur les conclusions indemnitaires de la société Cogeco Washington dirigées contre la SAUR, le SIED et la commune de Domène, il serait procédé à une expertise aux fins de déterminer les conséquences résultant pour la société Cogeco Washington des prélèvements effectués sur les eaux alimentant ses centrales ; que par ordonnance du 22 août 2013 le président de la cour a désigné M. B...A...en qualité d'expert ; que l'expert a rendu son rapport le 9 septembre 2015 ;

Sur le déroulement des opérations d'expertise :

2. Considérant, en premier lieu, que le point de savoir si, lors des travaux de captage réalisés en 1937, le débit des eaux de la source de la Dhuy a été augmenté, et de combien, a constitué, comme l'a d'ailleurs exposé l'expert dans son rapport, une constatation utile pour apprécier la gravité du dommage résultant des prélèvements effectués pour le SIED et la commune de Domène sur ces eaux de la Dhuy et sur celles du Domeynon ; qu'en procédant de la sorte, et contrairement à ce que soutient la société Cogeco Washington, l'expert n'a pas excédé la mission qui lui a été confiée par la cour dans son arrêt avant dire-droit du 18 juillet 2013 ;

3. Considérant, en second lieu, que, contrairement à ce que soutient la société Cogeco Washington, la décision rendue le 7 janvier 1946 par le conseil de préfecture interdépartemental de Grenoble, qui porte sur une demande indemnitaire relative à un préjudice subi au titre de périodes différentes de celles fondant les présents litiges, qui a été rendue entre des parties différentes et qui a, en outre, été annulée par la décision du 6 juin 1956 du Conseil d'Etat, est ainsi dépourvue d'autorité de chose jugée pour les présentes instances ; qu'elle ne pouvait dès lors, et en tout état de cause, lier l'expert dans ses constatations et analyses, notamment celles tenant à l'existence d'une éventuelle augmentation du débit de la Dhuy qui aurait résulté des travaux de captage réalisés en 1937 ;

Sur les pertes d'eau affectant la centrale des eaux de Revel :

4. Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expertise diligentée pour la cour que des travaux de captage réalisés à compter de l'année 1937 ont permis au SIED et à la commune de Domène de réaliser des prélèvements d'eau au niveau de la source de Dhuy qui alimente le ruisseau de la Dhuy, lui-même alimentant le Domeynon ; que, compte tenu des autorisations de prélèvements dont bénéficiaient le SIED et la commune au cours des années en litige, les débits maximums captés se sont élevé à 124 l/s en hiver, répartis en 25 l/s pour la commune et 99 l/s pour le SIED, et à 163 l/s en été, dont 25 l/s pour la commune et 138 l/s pour le SIED ; que comme l'indique cette même expertise et comme l'a relevé la cour dans son arrêt avant dire-droit, il ne peut être sérieusement contesté que ces prélèvements ont un impact sur la production d'électricité par la centrale hydroélectrique des eaux de Revel, l'expert ayant d'ailleurs explicitement mentionné une perte de puissance utile pour cette centrale ;

5. Considérant toutefois qu'il résulte de l'instruction et particulièrement de la délibération du conseil syndical du SIED du 23 mars 1938 relatant la visite des lieux qui s'est déroulée sur le chantier des travaux alors en cours, de captage de la source de la Dhuy, en présence de l'architecte et du chef de chantier, qu'il a été constaté que les deux premières tranchées ouvertes par les travaux n'avaient pas fait apparaître d'eau, mais qu'un débit important s'écoulait des deux autres tranchées ensuite réalisées, l'importance de ces flux ayant même justifié la suspension des travaux, pour ne les reprendre qu'en période de basses eaux, au mois de février ; qu'il a été aussi relevé qu'au mois de février 1938, le débit était toujours important, mesuré à 160 l/s, grâce à la création de déversoirs, débit maintenu tout le mois de février alors qu'antérieurement aux travaux de captage, seul un débit n'excédant pas 40 l/s avait été constaté en aval de la source de la Dhuy, au point de réunion de toutes les eaux de celle-ci ; qu'ainsi, et comme le souligne l'expert, les travaux de captage ont permis une augmentation, de l'ordre de 120 l/s, du débit alimentant le Domeynon, par l'effet de la résurgence des eaux souterraines qu'ils ont entraîné ; qu'il résulte en outre notamment de la délibération du 9 février 1940 qu'a été constatée, en février de cette année, après l'achèvement des travaux, une augmentation de débit de la source de 160 l/s à 240 l/s, conduisant ainsi à une augmentation du débit du Domeynon en amont de la centrale de Revel de près de 180 à 200 l/s ;

6. Considérant qu'il résulte en outre des constatations opérées par l'expert au vu des différentes études hydrogéologiques des sources de la Dhuy et notamment de la " Synthèse des connaissances hydrogéologiques des sources de la Dhuy " établie en mars 2008 par un hydrogéologue du bureau d'études Setis pour le compte du SIED, dont les éléments ne sont pas contredits par les autres pièces produites au cours de l'expertise et de l'instruction, que la configuration géologique existant entre la prise d'eau de la centrale des Eaux de Revel et les captages situés en amont, ne permettait pas, avant la réalisation des travaux de 1937, de faire émerger les eaux souterraines de la rive droite du Domeynon, lesquelles circulaient alors dans un ancien lit traversant des éboulis et moraines, et n'alimentaient pas le Domeynon, en amont au moins de la prise d'eau de cette centrale ; que, par ailleurs, par un courrier du 7 avril 1938, la " société des papèteries de la Gorge de Domène " qui exploitait alors cette centrale hydroélectrique, n'a pas remis en cause les constatations alors opérées et a d'ailleurs fait part de son intérêt pour la récupération de toute l'eau de fuite disponible ;

7. Considérant par suite que, compte tenu de l'apport supplémentaire en eau résultant des travaux de captage réalisés à partir de 1937, et des limites de prélèvements d'eau autorisés pour le SIED et la commune de Domène, de l'ordre de 124 l/s et 163 l/s, dont l'expert estime en outre qu'ils n'ont pas, au cours des périodes litigieuses, excédé effectivement les moyennes de 111 l/s à 121 l/s, il ne peut être regardé comme établi que la société Cogeco a subi un préjudice grave du fait des captages d'eau par le SIED et la commune de Domène ;

Sur les pertes d'eau affectant la centrale de Pia :

8. Considérant qu'il est constant que la centrale de Pia est implantée à 1,4 km en aval de celle de Revel ; que, selon l'expert, compte tenu de la configuration des lieux et de la nature des sols entre Revel et Pia, les eaux souterraines qui ont ressurgi à la suite des travaux de captage réalisés à compter de 1937, et qui sont venus depuis alimenter le Domeynon en amont de la centrale de Revel, alimentaient déjà le Domeynon auparavant, mais en contrebas de la prise d'eau de Revel, et avant celle de Pia ; qu'ainsi, et contrairement à ce qui s'est produit pour la centrale de Revel, la résurgence provoquée par les travaux n'a pas augmenté le débit disponible à hauteur de Pia, ni par conséquent, compensé les prélèvements effectués pour le SIED et la commune de Domène ; qu'il doit alors être admis que les prélèvements d'eau opérés par la commune et le SIED ont réduit le flux disponible à hauteur de la centrale de Pia ;

9. Considérant qu'il résulte cependant de l'instruction que l'installation de captage de la société Cogeco intéressant la centrale de Pia est affecté de défauts engendrant des pertes et débordements sur ses retenues d'eau ; qu'en dépit des termes de l'arrêt avant dire-droit de la cour, et de la demande formelle de l'expert, ladite société n'a pas fourni les éléments, en l'occurrence les mesures ou informations concernant les pertes par débordements constatés sur ses retenues d'eau et les données d'enregistrement relatives aux débits et niveaux du Domeynon au droit de la prise d'eau, qui auraient permis d'évaluer la réduction effective d'approvisionnement de cette centrale et la perte de puissance hydraulique susceptible d'en résulter ; que, par suite, l'importance des probables dommages subis par cette centrale hydroélectrique n'est pas établie ;

10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que les demandes de la société Cogeco tendant à la condamnation solidaire du SIED et de la SAUR à l'indemniser des pertes de production d'électricité qu'auraient subies les centrales des eaux de Revel et de Pia au titre respectivement des périodes du 28 mars 2002 au 31 décembre 2009 et du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2009 du fait des prélèvements d'eau opérés pour le SIED sur le Domeynon doivent être rejetées ; que, d'autre part, la commune de Domène est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble l'a condamnée à indemniser la société Cogeco des pertes de production d'électricité qu'auraient subies les centrales de Revel et de Pia au titre, respectivement, des périodes du 1er janvier 2002 au 31 décembre 2003 et du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2006, à raison des prélèvements d'eau qu'elle aurait effectués sur le Domeynon ;

Sur les frais d'expertise :

11. Considérant que dans les circonstances de l'espèce, les frais de l'expertise diligentée par la cour, liquidés et taxés à la somme de 14 909,48 euros TTC, doivent être mis à la charge de la société Cogeco Washington ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Cogeco Washington le paiement à la commune de Domène, à la SAUR et au SIED chacun, une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de celles relatives à la contribution pour l'aide juridique ; qu'enfin, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la société Cogeco Washington, qui est la partie tenue aux dépens, bénéficie d'une somme au titre des frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés à l'occasion de ces différentes instances ;

DECIDE :

Article 1er : Les articles 2, 4 et 6 du jugement du tribunal administratif de Grenoble du 22 novembre 2012, condamnant la commune de Domène à indemniser la société Cogeco des pertes de production d'électricité qu'auraient subies les centrales des eaux de Revel et de Pia au titre, respectivement, des périodes du 1er janvier 2002 au 31 décembre 2003 et du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2006, et à verser à cette société une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont annulés.

Article 2 : Les demandes présentées par la société Cogeco Washington devant le tribunal administratif de Grenoble tendant à la condamnation solidaire du SIED et de la SAUR à l'indemniser des pertes de production d'électricité qu'auraient subies les centrales des eaux de Revel et de Pia au titre, respectivement, des périodes du 28 mars 2002 au 31 décembre 2009 et du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2009, sont rejetées.

Article 3 : Les demandes présentées par la société Cogeco Washington devant le tribunal administratif de Grenoble tendant à la condamnation de la commune de Domène à l'indemniser des pertes de production d'électricité qu'auraient subies les centrales des eaux de Revel et de Pia au titre, respectivement, du 1er janvier 2002 au 31 décembre 2003 et du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2006 sont rejetées.

Article 4 : Les frais de l'expertise ordonnée devant la cour liquidés et taxés à la somme de 14 909,48 euros TTC, sont mis à la charge de la société Cogeco Washington.

Article 5 : La société Cogeco Washington versera à la commune de Domène, au SIED et à la SAUR, chacun, la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de celles relatives au remboursement de la contribution pour l'aide juridique.

Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié au SIED, à la SAUR, à la commune de Domène, à la société Cogeco Washington et au ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat. Il en sera adressé copie à M.A..., expert.

Délibéré après l'audience du 14 avril 2016 à laquelle siégeaient :

M. Faessel, président de chambre,

M. Seillet, président-assesseur,

M. Segado, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 12 mai 2016.

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N° 13LY00220...


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 13LY00220
Date de la décision : 12/05/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

67-03-03 Travaux publics. Différentes catégories de dommages. Dommages causés par l'existence ou le fonctionnement d'ouvrages publics.


Composition du Tribunal
Président : M. CLOT
Rapporteur ?: M. Vincent-Marie PICARD
Rapporteur public ?: Mme VIGIER-CARRIERE
Avocat(s) : CDMF-AVOCATS AFFAIRES PUBLIQUES

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2016-05-12;13ly00220 ?
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