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22/12/2015 | FRANCE | N°15LY03078

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre - formation à 3, 22 décembre 2015, 15LY03078


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme A...ont demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner la société Electricité Réseau Distribution de France (ERDF) à déplacer à ses frais le poteau électrique implanté sur la parcelle n° 3645 du ban de la commune de Samoëns au lieudit " Sous la ville ", sous astreinte de 200 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 1200406 du 9 juillet 2015, le tribunal a enjoint à la société ERDF d'enlever ledit poteau dans un délai de six mois à compter de la notification du juge

ment, sans assortir cette injonction d'une astreinte.

Procédure devant la cour :

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme A...ont demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner la société Electricité Réseau Distribution de France (ERDF) à déplacer à ses frais le poteau électrique implanté sur la parcelle n° 3645 du ban de la commune de Samoëns au lieudit " Sous la ville ", sous astreinte de 200 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 1200406 du 9 juillet 2015, le tribunal a enjoint à la société ERDF d'enlever ledit poteau dans un délai de six mois à compter de la notification du jugement, sans assortir cette injonction d'une astreinte.

Procédure devant la cour :

I) Par une requête enregistrée le 10 septembre 2015 sous le n° 15LY03078, présentée pour la société ERDF, prise en son Département régional juris conseil Lyon, 62, rue de Bonnel, 69448 Lyon Cedex, 03, il est demandé à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1200406 du 9 juillet 2015 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a enjoint à la société ERDF de déplacer, dans un délai de six mois à compter de la notification du jugement, le poteau de distribution électrique situé sur la propriété de M. et MmeA... ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. et MmeA... ;

3°) de mettre la somme de 4 000 euros à la charge de M. et Mme A...en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- les époux A...doivent être regardés comme ayant accepté la présence du poteau électrique lors de l'acquisition de leur propriété ; que cette implantation n'a pas été contestée pendant 22 ans ;

- l'ouvrage supporte également les branchements électriques des deux propriétés riveraines, situées sur les parcelles ZA 56 et ZA 62 ;

- le poteau litigieux constituant le branchement électrique alimentant la propriété des épouxA... est régulièrement implanté ; la société ERDF dispose du droit d'occuper les propriétés privées en application de l'article 12 de la loi du 15 juin 1906, en tant que concessionnaire du réseau public de distribution d'électricité sur le territoire de la commune de Samoens ; l'implantation de l'ouvrage n'est pas soumise au régime des servitudes et aucune convention n'est nécessaire pour l'installation du branchement sur la propriété du client desservi, dès lors que le branchement électrique constitue l'accessoire du contrat de fourniture d'énergie électrique ;

- la juridiction administrative est compétente pour connaitre d'une demande de déplacement d'un ouvrage public de distribution électrique sur une propriété privée ;

- une régularisation de l'occupation de la propriété des requérants par le support de la ligne basse tension est possible par voie d'arrêté préfectoral, nonobstant le refus des époux A...d'une régularisation par voie conventionnelle ;

- la présence de l'ouvrage ne présente aucune gêne excessive pour les intéressés, se limitant à des inconvénients d'ordre esthétique, l'intérêt général justifiant en revanche son maintien, dès lors que le déplacement du poteau impliquerait le déplacement des branchements de trois tènements et le déplacement de câbles de télécommunication ; le coût de déplacement de 18 517,00 euros correspondant aux travaux relatifs au déplacement du seul réseau de distribution d'électricité porte une atteinte excessive à l'intérêt général;

- la distribution d'énergie électrique est une activité d'intérêt général ;

II) Par une requête enregistrée le même jour sous le n° 15LY03080, présentée pour la société ERDF, il est demandé à la cour d'ordonner, en application de l'article R. 811-17 du code de justice administrative, le sursis à exécution du jugement n° 1200406 du 9 juillet 2015.

Elle soutient que :

- l'exécution du jugement est susceptible d'entraîner des conséquences difficilement réparables en exposant la société ERDF à une perte définitive, dès lors que le coût de déplacement du support litigieux à hauteur de 18 517 euros constitue une somme difficile à rembourser pour des particuliers ;

- elle fait état de moyens sérieux, dès lors que le poteau constituant le support du branchement particulier alimentant le tènement des époux A...qui est l'accessoire du contrat de fourniture d'électricité, est régulièrement implanté; que même à supposer le poteau irrégulièrement imposé, la régularisation demeure possible par voie d'arrêté préfectoral ; que les intérêts privés résultant d'une simple gêne d'ordre esthétique ne sont pas de nature à justifier, eu égard à l'utilité publique de l'ouvrage et au coût, le déplacement de l'ouvrage ;

En application de l'article R. 611-8 du code de justice administrative ces affaires ont été dispensées d'instruction.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d'énergie ;

Vu le code de l'énergie ;

Vu le code civil ;

Vu le décret du 29 juillet 1927 portant règlement d'administration publique pour l'application de la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d'énergie ;

Vu le décret n° 67-886 du 6 octobre 1967 portant règlement d'administration publique pour l'application de la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d'énergie et de la loi du 16 octobre 1919 relative à l'utilisation de l'énergie hydraulique ;

Vu le code de justice administrative ;

La requérante a été régulièrement avertie du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique du 3 décembre 2015 :

- le rapport de M. Faessel, président;

- les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public ;

- et les observations de Me Carret, avocat de la Société Electricité réseau distribution de France ;

1. Considérant que M. et Mme A...sont propriétaires depuis le 19 mai 1989, d'un tènement bâti, d'une superficie de 1316 m2, sur le ban de la commune de Samoëns au lieudit " sous la ville " ; qu'un poteau en béton faisant partie du réseau public de distribution d'électricité, supportant actuellement trois branchements électriques et trois branchements téléphoniques, est implanté depuis 1988 sur la parcelle anciennement cadastrée section ZA numéro 61, devant leur chalet ; que M. et Mme A...ont demandé à plusieurs reprises à la société ERDF de déplacer ce poteau électrique ; que la société ERDF demande l'annulation du jugement n° 1200406 du 9 juillet 2015 par lequel le tribunal administratif de Grenoble lui a enjoint de déplacer le poteau de distribution électrique dont s'agit dans un délai de six mois à compter de la notification du jugement ; qu'elle demande également à la cour d'ordonner, en application de l'article R. 811-17 du code de justice administrative, le sursis à exécution dudit jugement ;

2. Considérant que les requêtes susvisées de la société ERDF sont relatives au même jugement ; qu'il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un seul arrêt;

Sur la régularité de l'occupation de la propriété des époux A...:

3. Considérant qu'aux termes de l'article 12 de la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d'énergie, aujourd'hui codifié à l'article L. 323-4 du code de l'énergie : " La déclaration d'utilité publique confère, en outre, au concessionnaire le droit (...) 3° D'établir à demeure des canalisations souterraines, ou des supports pour conducteurs aériens, sur des terrains privés non bâtis, qui ne sont pas fermés de murs ou autres clôtures équivalentes (...) " ; qu'aux termes de l'article 52 du décret du 29 juillet 1927 susvisé : " L'enquête pour l'établissement des servitudes d'appui, de passage ou d'ébranchage prévue à l'article 12 de la loi du 15 juin 1906 a lieu sur un plan parcellaire indiquant toutes les propriétés atteintes par les servitudes, avec les renseignements nécessaires pour faire connaître la nature et l'étendue des sujétions en résultant. / Le plan des propriétés frappées de servitudes, mentionnant les noms des propriétaires, tels qu'ils sont inscrits sur les matrices des rôles, reste déposé, pendant huit jours à la mairie de la commune où sont situées les propriétés. Avertissement de l'ouverture de l'enquête est donné collectivement aux intéressés par voie d'affichage à la mairie. Notification directe des travaux projetés est, en outre, donnée par le maire aux intéressés. Le maire certifie les notifications et affiches ; il mentionne sur un procès-verbal qu'il ouvre à cet effet, les réclamations et déclarations qui lui ont été faites verbalement et y annexe celles qui lui sont adressées par écrit. / A l'expiration du délai de huitaine, un commissaire enquêteur nommé par le préfet reçoit les observations et appelle, s'il le juge convenable, les propriétaires intéressés. Le commissaire signe le procès-verbal d'enquête, y joint son avis motivé et remet immédiatement le dossier au maire qui le transmet sans délai à l'ingénieur en chef du contrôle du département s'il s'agit d'une concession de distribution publique et à l'ingénieur en chef centralisateur s'il s'agit d'une concession de distribution aux services publics ou de transport. / Si l'exécution des travaux projetés comporte des expropriations, il est procédé à l'enquête pour l'établissement des servitudes en même temps qu'à l'enquête prévue par le titre II de la loi du 3 mai 1841. " ; qu'aux termes de l'article 1er du décret du 6 octobre 1967 susvisé : " Une convention passée entre le concessionnaire et le propriétaire ayant pour objet la reconnaissance des servitudes d'appui, de passage, d'ébranchage ou d'abattage prévues au troisième alinéa de l'article 12 de la loi du 15 juin 1906 susvisée peut remplacer les formalités prévues au quatrième alinéa dudit article. " ; qu'il ressort de la combinaison de ces dispositions que les servitudes mentionnées par l'article 12 de la loi du 15 juin 1906 repris à l'article L. 323-4 du code de l'énergie, ne peuvent être instituées qu'après l'enquête publique prévue par l'article 52 du décret du 29 juillet 1927 ou par la convention passée entre le concessionnaire et le propriétaire prévue par l'article 1er du décret du 6 octobre 1967 ;

4. Considérant que la société ERDF, ne produit aucun élément de nature à établir qu'elle bénéficie par l'un ou l'autre de ces procédés d'une servitude légale prévue par l'article L. 323-4 du code de l'énergie sur la propriété de M. et MmeA... ; qu'elle se borne à affirmer, sans toutefois l'établir, que le support litigieux doit être considéré comme l'accessoire du contrat de fourniture d'énergie électrique conclu avec les époux A...; que cette allégation, qui n'est étayée par la production d'aucun document contractuel, n'est d'ailleurs pas vraisemblable, dès lors qu'il est constant que le poteau litigieux concourt à la desserte de deux autres usagers du réseau électrique et de trois lignes téléphoniques ;

5. Considérant qu'en vertu de l'article 650 du code civil, tout ce qui concerne les servitudes établies pour l'utilité publique ou communale est déterminé par des lois ou des règlements particuliers ; que si les servitudes privées continues et apparentes instituées pour l'utilité des particuliers s'acquièrent par titre ou par la possession de trente ans, les servitudes établies pour l'utilité publique ou communale résultant de l'article L. 323-4 du code de l'énergie excluent, pour leur acquisition, le recours aux règles régissant les servitudes instituées pour l'utilité des particuliers ; qu'il s'ensuit que la société ERDF n'est pas fondée à soutenir que les installations litigieuses constituent des servitudes visibles et acceptées par M. et Mme A...lors de l'acquisition de leur terrain en 1989, ni qu'il s'agit de servitudes acquises par la possession de trente ans ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le poteau électrique support de la ligne aérienne sur la propriété de M. et Mme A...constitue une emprise irrégulière à laquelle il doit en principe être mis fin ;

Sur l'injonction prononcée de déplacer l'ouvrage public :

7. Considérant que lorsque le juge administratif est saisi d'une demande tendant à ce que soit ordonnée la démolition d'un ouvrage irrégulièrement édifié, il lui appartient, pour déterminer s'il convient de faire droit à cette demande en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, de s'interroger, pour commencer, sur la possibilité d'une régularisation appropriée, eu égard notamment à la nature de l'irrégularité ; que, dans la négative, il lui revient alors de prendre en considération, d'une part, les inconvénients que la présence de l'ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence et notamment pour le propriétaire du terrain d'assiette de l'ouvrage et, d'autre part, les conséquences de la démolition, afin de s'assurer, en rapprochant ces éléments, que celle-ci n'entraînera pas une atteinte excessive à l'intérêt général ;

8. Considérant en premier lieu, qu'en vertu de l'article 12 de la loi du 15 juin 1906 susvisée, repris à l'article L. 323-4 du code de l'énergie, les servitudes permettant d'établir à demeure des supports pour les conducteurs aériens, sont possibles sur des terrains privés non bâtis, qui ne sont pas fermés de murs ou autres clôtures équivalentes ; que ces dispositions ne prévoient pas la possibilité d'implanter un poteau électrique supportant une ligne aérienne sur un terrain bâti ; qu'il ressort des pièces du dossier que le terrain de M. et Mme A...était bâti lors de l'implantation du poteau, en 1998 ; qu'il en résulte que l'ouvrage ne peut faire l'objet d'une régularisation par application des dispositions de l'article 52 du décret du 29 juillet 1927 ou de l'article 1er du décret du 6 octobre 1967 ; que dès lors, aucune régularisation n'est possible, en l'absence d'accord des propriétaires ;

9. Considérant en deuxième lieu que les époux A...ne sauraient être tenus de supporter l'occupation sans droit ni titre d'une partie de terrain dont ils sont propriétaires, alors que la présence de l'ouvrage les prive de la possibilité de jouir pleinement de leur bien ; qu'il résulte de l'instruction qu'en l'espèce l'implantation du poteau litigieux devant la façade de la maison des épouxA..., dont la valeur architecturale n'est pas négligeable, porte une atteinte certaine à la jouissance qu'ils ont de leur bien ; que dans ces conditions, alors que la société ERDF a seulement fait état des inconvénients qui pourraient résulter de façon générale du déplacement du poteau de distribution électrique et d'un coût de déplacement de 18 517 euros, sans justifier d'un risque d'interruption du service public, de difficultés financières ou techniques marquées ou de tout autre motif d'intérêt général susceptible de faire obstacle à une modification de l'implantation de cet ouvrage, le déplacement de cet ouvrage ne saurait être regardé comme portant une atteinte excessive à l'intérêt général, eu égard aux inconvénients de sa présence pour les époux A...; que, par suite, la société ERDF n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble lui a enjoint de déplacer l'ouvrage ;

Sur la requête n°15LY03080 à fin de sursis à exécution :

10. Considérant que le présent arrêt statuant sur la requête de la société ERDF à fin d'annulation du jugement du 9 juillet 2015 du tribunal administratif de Grenoble, la requête n° 15LY03080 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution dudit jugement est devenue sans objet ;

Sur l'application des dispositions de l'article L 761-1 du code de justice administrative :

11. Considérant que lesdites dispositions font obstacle à ce que les épouxA..., qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance, soient condamnés à verser à la société ERDF la somme qu'elle réclame au titre des frais qu'elle a exposés, non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin de sursis à exécution présentées dans la requête n° 15LY03080.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la société ERDF est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société ERDF et à M. et MmeA....

Délibéré après l'audience du 3 décembre 2015 à laquelle siégeaient :

M. Faessel, président de chambre,

M. Seillet, président-assesseur,

M. Segado, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 22 décembre 2015.

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N° 15LY03078,... 3


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15LY03078
Date de la décision : 22/12/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

67-03-03-04 Travaux publics. Différentes catégories de dommages. Dommages causés par l'existence ou le fonctionnement d'ouvrages publics. Suppression de l'ouvrage.


Composition du Tribunal
Président : M. FAESSEL
Rapporteur ?: M. Xavier FAESSEL
Rapporteur public ?: Mme VIGIER-CARRIERE
Avocat(s) : SCP DUNNER CARRET ESCALLIER

Origine de la décision
Date de l'import : 20/01/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2015-12-22;15ly03078 ?
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