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10/12/2015 | FRANCE | N°15LY00845

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre - formation à 3, 10 décembre 2015, 15LY00845


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...B...et Mme C...B...ont demandé au tribunal administratif de Grenoble :

- à titre principal, d'enjoindre à la commune de Saint-Gervais-les-Bains de déplacer le centre de collecte sélective de déchets implanté devant leur propriété, dans un délai d'un mois à compter du jugement, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et de condamner ladite commune à leur verser une indemnité de 25 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de la présence de l'ouvrage litigieux ;
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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...B...et Mme C...B...ont demandé au tribunal administratif de Grenoble :

- à titre principal, d'enjoindre à la commune de Saint-Gervais-les-Bains de déplacer le centre de collecte sélective de déchets implanté devant leur propriété, dans un délai d'un mois à compter du jugement, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et de condamner ladite commune à leur verser une indemnité de 25 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de la présence de l'ouvrage litigieux ;

- à titre subsidiaire, à défaut de déplacer de l'installation, de condamner la commune à leur verser une indemnité de 90 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de la présence de l'ouvrage litigieux à proximité de leur maison.

Par un jugement n° 1204016 du 8 janvier 2015, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 9 mars 2015, présentée pour M. et MmeB..., domiciliés le Clos de Foncemanen, les Rollands, à Saint Verand (38 160), il est demandé à la cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 1204016 du 8 janvier 2015 du tribunal administratif de Grenoble ;

2°) à titre principal, d'enjoindre à la commune de Saint-Gervais-les-Bains de déplacer le centre de collecte sur la parcelle située au carrefour de la route de Saint Nicolas et de la route du Tague, ou tout autre emplacement qui lui paraîtrait plus approprié, dans un délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et de condamner la commune de Saint-Gervais-les-Bains à leur verser une indemnité de 25 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de la présence de l'ouvrage ;

3°) à titre subsidiaire, à défaut de déplacer l'ouvrage, de condamner la commune de Saint-Gervais-les-Bains à leur verser une indemnité de 90 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de la présence de l'ouvrage en litige ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Gervais-les-Bains la somme de 2 000 euros, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le jugement attaqué est entaché d'une irrégularité résultant d'un défaut de motivation dès lors que le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande sans exposer les éléments sur lesquels il s'est fondé pour estimer que leur préjudice ne présente pas de caractère spécial et anormal ;

- ils sont fondés, en leur qualité de tiers par rapport aux containers de tri sélectif, qui constituent un ouvrage public, à se prévaloir d'un régime de responsabilité sans faute de la commune de Saint-Gervais les Bains, en raison des préjudices subis du fait de la présence et du fonctionnement de ces containers qui sont à l'origine de nuisances olfactives, sonores et d'une perte d'intimité pour la maison et qui occasionnent une perte de la valeur vénale de la maison, l'ensemble des troubles générés par cet ouvrage excédant les inconvénients que doivent normalement supporter les riverains du service public des ordures ménagères ; ils subissent un préjudice anormal et spécial ;

- ils sont fondés à demander le déplacement du centre de tri sélectif, la réparation en nature étant en l'espèce la plus adéquate et la plus équitable ;

- ils sont également fondés à demander, dans l'hypothèse où le déplacement ne serait pas possible, une indemnisation d'un montant de 15 000 euros en réparation du préjudice lié à la perte financière de leur activité de location de meublé de tourisme, une indemnisation d'un montant de 10 000 euros au titre des préjudices d'agrément, une indemnisation d'un montant de 65 000 euros correspondant à la valeur vénale de leur bien, et, dans l'hypothèse où le déplacement de l'ouvrage ne serait pas possible, ils sont fondés à demander une indemnisation d'un montant de 25 000 euros au titre de leurs préjudices subis.

Par un mémoire, enregistré le 24 avril 2015, présenté pour la commune de Saint-Gervais les Bains, elle conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge des requérants au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- à titre principal, la requête est entachée d'une irrecevabilité en ce qu'elle est mal dirigée, dès lors que la commune n'est plus compétente en matière de collecte des ordures ménagères, la compétence ayant été transférée à la communauté de communes Pays du Mont-Blanc, qui s'est substituée à elle, à compter de la date de son adhésion à cet établissement public, le 1er janvier 2013 ;

- à titre subsidiaire, les préjudices prétendument subis par les époux B...ne sont pas établis et les conditions d'engagement de la responsabilité de la commune au titre de la présence ou du fonctionnement d'un ouvrage public, tenant aux critères de spécialité et d'anormalité des dommages, ne sont pas réunis ;

- à titre infiniment subsidiaire, le point de tri ne pourra être déplacé en l'absence de site plus adéquat sur la commune ; les requérants ne peuvent utilement se prévaloir de la perte de valeur vénale de leur résidence, l'implantation de l'ouvrage de collecte d'ordures ménagères existant déjà à la date d'acquisition de leur habitation, les préjudices liés aux nuisances ne sont pas établis eu égard à leur occupation temporaire des lieux qui n'est elle-même pas prouvée, aucun élément ne permet d'établir la perte de ressources tirées de leur location.

Par un mémoire, enregistré le 3 novembre 2015, présenté pour la communauté de communes Pays du Mont-Blanc, elle conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- les travaux ayant été engagés sous maîtrise d'ouvrage communale en 2005, elle ne saurait être responsable en lieu et place de la commune des éventuels désagréments causés aux requérants avant le 1er janvier 2013 ; elle n'était pas compétente quant au choix de l'emplacement du point de tri sélectif décidé par la commune ;

- s'agissant des préjudices argués par les requérants, nonobstant le fait qu'ils n'apportent aucun élément probant de nature à apprécier ces derniers, un point d'apport volontaire ou un site aménagé pour les besoins du service de tri des ordures ménagères constitue un ouvrage public et les nuisances de tous ordres, qu'il s'agisse de nuisances sonores, olfactives et visuelles qu'il génère, ne saurait causer dans le cas d'espèce un préjudice anormal et spécial de nature à engager sa responsabilité.

Par un mémoire enregistré le 10 novembre 2015, présenté pour la commune de Saint-Gervais les Bains, elle maintient ses conclusions pour les mêmes motifs.

Par des mémoires, enregistrés les 5, 9 et 13 novembre 2015, présentés pour M. et Mme B..., ils maintiennent les conclusions de leur requête par les mêmes moyens.

Ils soutiennent, en outre, que :

- leur requête a bien été dirigée contre une autorité compétente, dès lors que la commune ne justifie pas réellement qu'elle ait entendu transférer l'ouvrage de tri sélectif en cause à la communauté de communes Pays du Mont Blanc, et il ne leur appartenait pas de saisir directement en cause d'appel ladite communauté de communes qui n'était pas partie à la procédure de première instance, et qui n'est pas non plus intervenue volontairement ; les écritures de la communauté de communes confirment l'absence de substitution de compétence au sujet de l'ouvrage en cause ;

- ils établissent la preuve de l'existence même des nuisances au moyen de l'ensemble des pièces produites en cause d'appel, notamment un constat d'huissier, un rapport d'expertise immobilière, des photographies et des témoignages de clients ;

- s'ils ne sont pas les seuls riverains concernés, ils subissent un impact plus important de la présence du point de tri sélectif.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique du 19 novembre 2015 :

- le rapport de M. Seillet, président-assesseur ;

- les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public ;

- et les observations de Me Bosquet, avocat de la commune de Saint-Gervais les Bains.

1. Considérant qu'il est constant que M. et Mme B...sont propriétaires, sur le territoire de la commune de Saint-Gervais-les-Bains, d'un tènement bâti constitutif d'une résidence située au 69 route des Granges, à proximité duquel a été installé, au cours de l'année 2005, un centre de collecte de déchets ménagers constitué de trois bacs récepteur semi-enterrés dénommés " moloks " ; que les 10 et 26 octobre 2011, les époux B...ont adressé des lettres au maire de Saint-Gervais-les-Bains, faisant état du caractère gênant de l'ouvrage pour la circulation, de son aspect inesthétique et des nuisances olfactives et sonores qu'il engendrait ; qu'ils ont demandé son déplacement vers un emplacement qu'ils estimaient plus adapté ; que par une décision du 31 mai 2012, le maire a refusé de déplacer l'équipement ; que M. et Mme B...ont demandé réparation à la commune en se prévalant de leur qualité de tiers par rapport à l'ouvrage public, et ont à ce titre sollicité, soit le déplacement dudit ouvrage, soit le versement d'indemnités ; qu'ils font appel du jugement du 8 janvier 2015 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande ;

Sur la régularité du jugement :

2. Considérant que le jugement attaqué indique que si les époux B...se plaignent de nuisances, ils ne démontrent pas qu'elles excèdent par leur fréquence, leur durée ou leur intensité les sujétions normales de voisinage d'un tel ouvrage et que le préjudice de perte de valeur vénale de leur résidence n'est pas établi ; que les premiers juges en ont conclu que dans ces conditions leur préjudice ne pouvait être regardé comme anormal, c'est à dire grave et spécial ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le jugement serait entaché d'un défaut de motivation, en ce que les premiers juges n'auraient pas précisé les éléments les ayant conduit à considérer que n'était pas établi le caractère anormal et spécial de leur préjudice, doit être écarté ;

Sur la responsabilité de la commune de Saint-Gervais-les-Bains :

3. Considérant qu'aux termes du III de l'article L. 5211-5 du code général des collectivités territoriales, relatif à la création des établissements publics de coopération intercommunale : " Le transfert des compétences entraîne de plein droit l'application à l'ensemble des biens, équipements et services publics nécessaires à leur exercice, ainsi qu'à l'ensemble des droits et obligations qui leur sont attachés à la date du transfert, des dispositions des trois premiers alinéas de l'article L. 1321-1, des deux premiers alinéas de l'article L. 1321-2 et des articles L. 1321-3, L. 1321-4 et L. 1321-5 (...) L'établissement public de coopération intercommunale est substitué de plein droit, à la date du transfert des compétences, aux communes qui le créent dans toutes leurs délibérations et tous leurs actes" ;

4. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que le transfert par une commune de compétences à un établissement public de coopération intercommunale implique le transfert des biens, équipements et services nécessaires à l'exercice de ces compétences, ainsi que les droits et obligations qui leur sont attachés ;

5. Considérant que la communauté de communes du Pays du Mont-Blanc a été créée par un arrêté du 26 novembre 2012 prévoyant le transfert à son profit, à compter du 1er janvier 2013, de la compétence " Eliminations et valorisation des déchets des ménages et des déchets assimilés (collecte et traitement) " jusqu'alors exercée par les communes membres ; que par délibération du conseil municipal du 11 septembre 2013, la commune de Saint-Gervais-les-Bains a approuvé la mise à disposition de la communauté de communes des biens et équipements antérieurement utilisés par elle au titre de cette compétence ; qu'il en résulte que depuis le transfert de compétences et de biens, seule la responsabilité de la communauté de communes Pays du Mont-Blanc, substituée à la commune de Saint-Gervais-les-Bains, est susceptible d'être engagée à raison de dommages de travaux publics résultant de la présence et du fonctionnement des conteneurs de tri dont s'agit, alors même que le dommage allégué résultant de l'exercice de cette compétence aurait été occasionné antérieurement au transfert ; que par suite, les conclusions de la requête tendant à la réparation par la commune de Saint-Gervais-les-Bains des préjudices que les requérants imputent à la présence et au fonctionnement de l'ouvrage en cause doivent être rejetées comme mal dirigées ;

Sur la responsabilité de la communauté de communes Pays du Mont-Blanc :

6. Considérant qu'un dépôt aménagé pour les besoins du service de tri des ordures ménagères constitue un ouvrage public dont la présence est susceptible d'engager envers les tiers la responsabilité du maître de l'ouvrage, même en l'absence de faute ; qu'il appartient toutefois aux tiers d'apporter la preuve de la réalité des préjudices allégués et du lien entre la présence ou le fonctionnement de l'ouvrage et lesdits préjudices ; que ne sont pas susceptibles d'ouvrir droit à indemnité les préjudices qui n'excèdent pas les sujétions susceptibles d'être normalement imposées, dans l'intérêt général, aux riverains des ouvrages publics ;

7. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le site de tri en cause, lequel comporte trois conteneurs destinés à la collecte du verre, du papier et des déchets ordinaires, est implanté, ainsi qu'il a été dit au point 1. , à proximité de la propriété de M. et Mme B...; que l'impact visuel et esthétique de cet ouvrage demeure toutefois limité depuis la résidence de ces derniers ; que si M. et Mme B...font état de manière générale d'un volume sonore important résultant de l'utilisation de la benne destinée au tri du verre par les usagers, lesquels se déplacent en véhicules à moteur, il ne résulte pas de l'instruction, à défaut en particulier d'indications plus précises quant à l'importance de ces nuisances intermittentes et à leur fréquence, qu'elles atteindraient un niveau anormalement élevé ; qu'il n'est pas plus établi que M. et Mme B...subiraient une atteinte significative lors du chargement et du déchargement des conteneurs, qui sont à distance de plusieurs mètres de leur habitation, situés sur le bord opposé de la chaussée ; que les nuisances olfactives liées à la présence des conteneurs, lesquels sont clos par des couvercles, vidés chaque quinzaine et désinfectés deux fois par an n'apparaissent pas comme excédant les désagréments résultant, de manière générale, de ce type d'ouvrage ; qu'il n'est pas non plus établi que ces conteneurs, semi-enterrés, masquent la visibilité des conducteurs des véhicules de passage, ou que l'emplacement choisi est à l'origine de difficultés de circulation en cas de croisement de deux véhicules ; que les préjudices allégués par les épouxB..., qui ne démontrent par aucun élément probant que la valeur de leur bien immobilier a diminué et qu'ils ont subi des pertes de revenus sur la location de celui-ci depuis l'installation du dépôt de tri, ne peuvent, dans ces conditions, être regardés comme présentant un caractère anormal - c'est-à-dire grave et spécial - excédant les sujétions susceptibles d'être, sans indemnité, normalement imposées dans l'intérêt général aux riverains des ouvrages publics ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. et Mme B...ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leurs demandes ; que doivent être rejetées, par voie de conséquence, leurs conclusions aux fins d'injonction et tendant au bénéfice de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Sur les conclusions de la commune de Saint-Gervais-les-Bains tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. et Mme B...une somme au titre des frais exposés, à l'occasion de la présente instance par la commune de Saint-Gervais les Bains et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. et Mme B...est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la commune de Saint-Gervais-les-Bains tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M et MmeB..., à la commune de Saint-Gervais-les-Bains et à la communauté de communes Pays du Mont-Blanc.

Délibéré après l'audience du 19 novembre 2015 à laquelle siégeaient :

M. Faessel, président de chambre,

M. Seillet, président-assesseur,

M. Segado, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 10 décembre 2015.

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N° 15LY00845


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15LY00845
Date de la décision : 10/12/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

67-03-03 Travaux publics. Différentes catégories de dommages. Dommages causés par l'existence ou le fonctionnement d'ouvrages publics.


Composition du Tribunal
Président : M. FAESSEL
Rapporteur ?: M. Philippe SEILLET
Rapporteur public ?: Mme VIGIER-CARRIERE
Avocat(s) : POULET-MERCIER-L'ABBE MARJOLAINE

Origine de la décision
Date de l'import : 20/01/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2015-12-10;15ly00845 ?
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