Vu la procédure suivante :
La SAS Chevrier Transports Services a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner l'Etat à lui verser des intérêts moratoires ou une indemnité en réparation du préjudice financier qu'elle a subi en raison de la restitution tardive de la taxe sur la valeur ajoutée portant sur les dépenses de péages autoroutiers qu'elle a exposées pour la période du 1er janvier 1996 au 31 décembre 2000.
Par un jugement n° 1103898, en date du 24 avril 2013, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Vu la procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 5 juillet 2013, la SAS Chevrier Transports Services, représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 24 avril 2013 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser des intérêts moratoires ou une indemnité d'un montant de 37 820 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros, à lui verser sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu'elle a subi un préjudice financier du fait de la faute de l'Etat, qui par ses courriers de février 2001 et janvier 2003 a sciemment incité les concessionnaires autoroutiers à ne pas délivrer de factures rectificatives, ce qui a engendré une restitution tardive de la taxe sur la valeur ajoutée afférente aux dépenses de péages qu'elle a effectuées sur la période 1996-2000.
Par un mémoire complémentaire, enregistré le 25 juillet 2013, la SAS Chevrier Transports Services, ramène sa demande d'indemnité à la somme de 35 657 euros, au lieu de 37 820 euros précédemment.
Elle soutient :
- que la faute de l'Etat est avérée par les deux lettres de février 2001 et janvier 2003 incitant les concessionnaires à ne pas délivrer de factures rectificatives ; que cette faute a eu pour effet direct d'entraver l'effectivité de son droit à restitution, dans la mesure où cette restitution était subordonnée à la présentation de factures rectificatives ; qu'en conséquence, elle n'a pu obtenir une restitution de la taxe sur la valeur ajoutée afférente à ses dépenses de péages qu'à compter d'avril 2006 ; que son préjudice est évalué à hauteur du " manque à gagner " de placement sur la période de février 2001 à avril 2006 ;
- que sa demande indemnitaire est distincte d'une demande relative aux intérêts moratoires ; qu'une demande d'intérêts moratoires couvre le préjudice financier lié à l'impossibilité de l'exercice du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée au moment de l'engagement des dépenses de péage, soit au titre de la période 1996-2000 ; que sa demande indemnitaire couvre la réparation du préjudice financier lié à l'impossibilité de l'exercice du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, au cours de la période de février 2001, date de l'agissement fautif de l'Etat, à avril 2006, date à laquelle des factures rectificatives lui ont été délivrées ; que le montant de l'indemnité demandée correspond au montant de la taxe sur la valeur ajoutée non restituée, minoré de 33,33% pour tenir compte de la réduction du montant de l'impôt sur les sociétés dont elle a bénéficié, et multiplié par le taux EONIA de placement sur le marché monétaire de cette période ;
- que l'absence d'indemnisation de son préjudice financier méconnaît l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les principes du droit à un recours effectif et d'interdiction des discriminations définis respectivement aux articles 13 et 14 de cette convention.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 septembre 2013, le ministre de l'économie et des finances conclut au rejet de la requête de la SAS Chevrier Transports Services.
Il soutient :
- que la requérante ne fait pas état d'un préjudice distinct de celui qui est susceptible d'être réparé par l'octroi d'intérêts moratoires ;
- que l'indemnité demandée est d'ailleurs calculée sur la base de ces intérêts moratoires ;
- que le préjudice dont elle demande réparation correspond à celui dont elle sollicitait la réparation sur le fondement de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales ;
- que l'existence d'un recours parallèle fiscal s'oppose à la recevabilité de cette demande ;
- que la requérante, qui a décidé de procéder à l'imputation de la taxe sur la valeur ajoutée en litige sur ses déclarations de chiffre d'affaires en 2006, a d'elle-même renoncé à obtenir satisfaction par la voie contentieuse ;
- que l'administration n'a commis aucune faute ;
- que rien n'empêchait la société de déposer une réclamation contentieuse avant le 31 décembre 2002, date d'expiration du délai de droit commun prévu par les dispositions de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales ; qu'ayant choisi d'imputer la taxe sur la valeur ajoutée en 2006, la société n'est pas fondée à reprocher à l'Etat français la tardiveté de la restitution de la taxe réputée avoir grevé les péages d'autoroutes acquittés entre 1996 et 2000 et partant à solliciter la mise en cause de la responsabilité de l'Etat ;
- que si elle fait valoir qu'elle a opéré une imputation de la taxe sur la valeur ajoutée en 2006 du fait du défaut de réponse des concessionnaires à ses demandes tendant à l'obtention de factures rectificatives, il ressort de l'article 224-1 de l'annexe II au code général des impôts qu'elle pouvait réparer les omissions dans l'exercice de son droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée réputée incluse dans le prix des péages en mentionnant ladite taxe, sur les déclarations ultérieures déposées avant le 31 décembre de la deuxième année suivant l'omission ;
- que la circonstance que la réglementation nationale en vigueur faisait obstacle à la déduction dans les conditions prévues à l'article L. 190 du livre des procédures fiscales ne saurait permettre à l'intéressée d'exercer son droit à déduction au delà du délai prévu par l'article 224-1 du code général des impôts ; que le courrier de l'administration du 15 janvier 2003 par lequel il est conseillé aux concessionnaires de ne pas délivrer de factures rectificatives faisant apparaître la taxe sur la valeur ajoutée, est postérieur à l'expiration du délai précité ;
- que le jugement attaqué ne viole pas le droit à un recours effectif défini à l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que la société requérante ne peut se prévaloir d'aucune discrimination à son égard, au sens des stipulations combinées de l'article 1er du premier protocole et de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dans la mesure où elle a librement opté pour l'imputation de la taxe sur la valeur ajoutée sur ses déclarations et s'est donc placée dans une situation différente de celle des sociétés qui ont choisi d'introduire une réclamation contentieuse.
Un nouveau mémoire en défense, enregistré le 20 novembre 2013, a été présenté par le ministre de l'économie et des finances ; il conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens et ajoute qu'il a pris note de ce que la société ne conteste pas le jugement du Tribunal administratif de Grenoble en ce qu'il a rejeté la demande d'octroi d'intérêts moratoires.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 1er du protocole n° 1 additionnel à cette convention ;
- le code général des impôts ;
- le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bourion,
- les conclusions de Mme Chevalier-Aubert, rapporteur public.
1. Considérant que la SAS Chevrier Transports Services, société de transport routier usagère des autoroutes exploitées par différentes sociétés concessionnaires, a acquitté au cours de la période du 1er janvier 1996 au 31 décembre 2000 des péages ayant été soumis à la taxe sur la valeur ajoutée ; qu'elle a sollicité le 7 décembre 2005 le remboursement de cette taxe sur la valeur ajoutée ; qu'elle a opéré elle-même la déduction de la taxe en l'imputant sur ses déclarations CA3 de chiffres d'affaires d'avril, septembre et octobre 2006 ; que la SAS Chevrier Transports Services fait appel du jugement en date du 24 avril 2013 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité en réparation du préjudice financier qu'elle a subi en raison de la déduction tardive de cette taxe sur la valeur ajoutée afférente aux dépenses de péages autoroutiers exposées par elle pendant la période du 1er janvier 1996 au 31 décembre 2000 ;
Sur les conclusions tendant au versement d'une indemnité :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction applicable en l'espèce : " Les réclamations relatives aux impôts, contributions, droits, taxes, redevances, soultes et pénalités de toute nature, établis ou recouvrés par les agents de l'administration, relèvent de la juridiction contentieuse lorsqu'elles tendent à obtenir soit la réparation d'erreurs commises dans l'assiette ou le calcul des impositions, soit le bénéfice d'un droit résultant d'une disposition législative ou réglementaire. / Sont instruites et jugées selon les règles du présent chapitre toutes les actions tendant à la décharge ou à la réduction d'une imposition ou à l'exercice du droit à déduction, fondées sur la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieure. / Lorsque cette non-conformité a été révélée par une décision juridictionnelle, l'action en restitution des sommes versées ou en paiement des droits à déduction non exercés ou l'action en réparation du préjudice subi ne peut porter que sur la période postérieure au 1er janvier de la quatrième année précédant celle où la décision révélant la non-conformité est intervenue " ; qu'aux termes de l'article R. 196-1 du même livre : " Pour être recevables, les réclamations relatives aux impôts autres que les impôts directs locaux et les taxes annexes à ces impôts doivent être présentées à l'administration au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant celle, selon le cas : (...) c) de la réalisation de l'évènement qui motive la réclamation (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 208 de ce livre : " Quand l'Etat est condamné à un dégrèvement d'impôt par un tribunal ou quand un dégrèvement est prononcé par l'administration à la suite d'une réclamation tendant à la réparation d'une erreur commise dans l'assiette ou le calcul des impositions, les sommes déjà perçues sont remboursées au contribuable et donnent lieu au paiement d'intérêts moratoires dont le taux est celui de l'intérêt légal. Les intérêts courent au jour du paiement. Ils ne sont pas capitalisés(...) " ; qu'il résulte de ces dispositions que les remboursements de taxe sur la valeur ajoutée obtenus par une société après le rejet par l'administration d'une réclamation ont le caractère de dégrèvement contentieux de la même nature que celui prononcé par un tribunal au sens de l'article L. 208 de ce livre. Ces remboursements doivent, dès lors, donner lieu au paiement d'intérêts moratoires qui courent, s'agissant de la procédure de remboursement de crédits de taxe sur la valeur ajoutée pour laquelle il n'y a pas de paiement antérieur de la part du redevable, à compter de la date de la réclamation qui fait apparaître le crédit remboursable.
3. Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'au lieu de demander avant le 31 décembre 2002, sur le fondement de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales, le remboursement des crédits de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les dépenses de péage autoroutier acquittées entre 1996 et 2000, qui aurait pu donner lieu au paiement par l'Etat d'intérêts moratoires en vertu de l'article L. 208 du même livre, la SAS Chevrier Transports Services a imputé sur ses déclarations de chiffres d'affaires des mois d'avril, septembre et octobre 2006 la somme correspondant à cette taxe sur la valeur ajoutée, d'un montant total de 346 979 euros ; que la SAS Chevrier Transports Services estimant que l'Etat a commis une faute en adressant aux concessionnaires d'ouvrages autoroutiers deux courriers en date des 27 février 2001 et 15 janvier 2003 qui les auraient " incité à ne pas délivrer de factures rectificatives ", demande, dans le dernier état de ses écritures, le versement d'une indemnité de 35 657 euros, correspondant au préjudice financier subi du fait de l'indisponibilité, au cours de la période courant de février 2001 à avril 2006, de la somme correspondant au montant de la taxe sur la valeur ajoutée ainsi non récupérée ; qu'elle détermine le montant de cette indemnité en appliquant le taux EONIA de placement sur le marché monétaire relatif à la période de 2001 à 2006 au montant de la taxe sur la valeur ajoutée relative aux dépenses de péage acquittées au cours de la période du 1er janvier 1996 au 31 décembre 2000, minoré de 33,33% pour tenir compte de l'avantage qu'elle a par ailleurs obtenu en matière d'impôt sur les sociétés du fait de la prise en compte en charge de leur montant TTC pour le calcul de ses résultats ;
4. Considérant, toutefois, que le préjudice financier dont la SAS Chevrier transports entend ainsi se prévaloir, lié à l'indisponibilité du montant de la taxe sur la valeur ajoutée litigieuse au cours de la période de février 2001 à avril 2006, n'est pas distinct de celui qui était susceptible d'être réparé en application de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales si cette société avait présenté une demande de remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée litigieuse dans les délais prévus par l'article R. 196-1 du même livre et ce alors même que les intérêts qu'elle demande ne portent pas sur la période courant du 1er janvier 1996 au 31 décembre 2000 mais sur celle courant de février 2001 à avril 2006 ; que les courriers des 27 février 2001 et 15 janvier 2003 de l'administration n'ont pas fait obstacle à ce que la société SAS Chevrier Tranports présentât la réclamation prévue à l'article L. 190 du livre des procédures fiscales dans le délai prévu à l'article R. 196-1 du même livre ; que, par ailleurs, si la société requérante fait valoir, sans autre précision, que l'absence d'indemnisation du préjudice financier qu'elle invoque méconnaîtrait l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les articles 13 et 14 de cette convention relatifs au droit à un recours effectif et à l'interdiction des discriminations, ses moyens ne peuvent, en conséquence, tout état de cause, être accueillis ; que les conclusions indemnitaires de la SAS Chevrier Transports doivent, par suite, être rejetées comme irrecevables ;
5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SAS Chevrier Transports Services n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
6. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la SAS Chevrier Transports Services demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SAS Chevrier Transports Services est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Chevrier Transports Services et au ministre de des finances et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 21 mai 2015, à laquelle siégeaient :
Mme Mear, président,
Mme Bourion, premier conseiller,
M. Meillier, premier conseiller.
Lu, en audience publique le 11 juin 2015.
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N° 13LY01885