Vu la requête, enregistrée le 16 septembre 2013, présentée pour le département de la Loire, représenté par le président du conseil général en exercice :
Le département de la Loire demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1106768 du 16 juillet 2013, par lequel le Tribunal administratif de Lyon :
- l'a condamné à payer à M. et Mme B...une somme de 1 610 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du 28 octobre 2011 et de leur capitalisation annuelle à compter du 28 octobre 2012 ;
- a mis à sa charge les dépens, comprenant les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 2 231, 38 euros, et la contribution à l'aide juridique de 35 euros ;
- l'a condamné à payer à M. et Mme B...une somme de 800 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. et Mme B...devant le tribunal administratif ;
3°) de mettre à la charge de M. et Mme B...les entiers dépens, comprenant notamment la contribution pour l'aide juridique de 35 euros acquittée par le département de la Loire ;
4°) de mettre à la charge de M. et Mme B...une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;
Il soutient que:
- M. et Mme B...n'ont pas apporté la preuve d'un lien de causalité direct et certain entre les travaux publics en cause et leur préjudice ;
- la partie du préjudice imputée au département de la Loire, évaluée à 30 % par le tribunal administratif, est en tout état de cause " manifestement disproportionnée " ;
- les désordres trouvent leur origine dans la négligence fautive des époux B...;
- M. et Mme B...n'ont pas apporté la preuve du caractère à la fois anormal et spécial du préjudice né de l'aggravation des fissurations en façade ;
- les travaux préconisés par l'expert, ayant servi de base à l'évaluation du préjudice, excèdent la seule réparation des éventuelles conséquences dommageables des travaux publics ;
- M. et Mme B...n'ont apporté la preuve, ni de la réalité d'un préjudice lié aux troubles de jouissance causés par les tirs de mines qui ont eu lieu en janvier et février 2008, ni du caractère anormal de ce préjudice ;
- les dépens ne sauraient être mis à sa charge puisque sa responsabilité n'est pas engagée, et subsidiairement en cas de partage de responsabilité, ils ne sauraient être mis à sa charge une indemnité au-delà de sa quote-part de responsabilité ;
- les préjudices dont se plaignent M. et Mme B...sont principalement dus à leur négligence fautive ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en réponse, enregistré le 7 novembre 2013, présenté pour M. et Mme B..., demeurant..., qui concluent :
- au rejet de la requête du département de la Loire ;
- par la voie de l'appel incident, à l'annulation du jugement du Tribunal administratif de Lyon du 16 juillet 2013 en tant qu'il a limité à la somme de 1 670 euros l'indemnité que le département de la Loire doit leur verser au titre des préjudices qu'ils ont subis et à la condamnation de cette collectivité à leur verser une somme de 6 700 euros en réparation de ces préjudices ;
- à ce que les dépens de première instance soient laissés à la charge du département de la Loire ;
- à la mise à la charge du département de la Loire d'une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Ils soutiennent que :
- seul le caractère anormal du préjudice est une condition de son indemnisation ;
- les dommages subis revêtent un caractère anormal ;
- le lien de causalité direct et certain entre les dommages et les travaux exécutés par le département est établi ;
- c'est à tort que le Tribunal a imputé 30 % des dommages matériels constatés par l'expert au département de la Loire dès lors que les travaux préconisés par l'expert évalués à la somme de 4 700 euros couvrent uniquement la réparation des seules fissures aggravées par les tirs de mines, que les désordres affectaient trois façades sur quatre et que la réfection des quatre façades était estimée à un montant total de 6 600 euros ;
- leur préjudice né du trouble de jouissance de leur bien doit être porté de 200 à 2 000 euros ;
Vu le mémoire, enregistré le 30 avril 2014, présenté pour le département de la Loire, qui conclut aux mêmes fins que précédemment par les mêmes moyens, et au rejet des conclusions incidentes présentées par M. et MmeB... ;
Il soutient en outre que :
- la négligence de M. et Mme B...à propos des désordres apparus sur leur maison est d'autant plus fautive que M. B...exerce la profession de peintre en bâtiment ;
- la somme demandée sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peut concerner que l'instance au cours de laquelle elle est demandée ;
Vu l'ordonnance du 15 juillet 2014, fixant au 13 août 2014 la date de clôture de l'instruction ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 6 novembre 2014 :
- le rapport de M. Segado, premier conseiller ;
- les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public ;
- et les observations de Me Calvet-Baridon, avocat du département de la Loire, et de Me Grange, avocat de M. et MmeB... ;
1. Considérant qu'entre 2006 et 2008, le département de la Loire a fait réaliser des travaux sur la route départementale n° 498, afin d'édifier un pont suspendu, un passage de franchissement supérieur et un passage en tranchée entre ces deux ouvrages ; que dans le cadre de ces travaux, des tirs de mines ont été réalisés entre le 10 janvier et le 15 février 2008 afin de permettre le passage en tranchée de la RD 498 entre le passage supérieur et le pont compte tenu du profil du toit rocheux ; que M. et MmeB..., propriétaires d'une maison à proximité de la route départementale n° 498, ont signalé au département de la Loire, le 3 mars 2008, que des fissures étaient apparues sur leur maison après ces tirs de mines ; qu'après que leur compagnie d'assurance a diligenté une expertise privée, ils ont demandé au juge des référés du Tribunal administratif de Lyon d'ordonner une expertise ; que par une ordonnance du 22 décembre 2009, le juge des référés a fait droit à cette demande ; que l'expert a rendu son rapport le 18 mai 2010 ; que M. et Mme B...ont ensuite demandé au Tribunal administratif de Lyon de condamner le département de la Loire à les indemniser des préjudices résultant des désordres affectant leur maison d'habitation, ainsi que des troubles de jouissance de leur propriété qu'ils ont subis ; que le département de la Loire fait appel du jugement par lequel le Tribunal administratif de Lyon a partiellement fait droit à cette demande ; que par la voie de l'appel incident, M. et Mme B...sollicitent un rehaussement de l'indemnité qui leur a été allouée ;
Sur les conclusions indemnitaires :
2. Considérant que la responsabilité du maître d'un ouvrage public peut être engagée, même sans faute, à l'égard des demandeurs tiers par rapport à cet ouvrage ; que les personnes publiques mises en cause doivent alors, pour dégager leur responsabilité, établir la preuve que le dommage est imputable à la faute de la victime ou à un cas de force majeure, sans que puisse être utilement invoqué le fait d'un tiers ; que la victime doit toutefois apporter la preuve de la réalité des préjudices qu'elle allègue avoir subis et de l'existence d'un lien de causalité entre l'ouvrage public et lesdits préjudices, qui doivent, en outre, présenter un caractère anormal et spécial ;
3. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que l'expert désigné par le juge des référés du Tribunal a constaté que les fissures présentes sur la maison des intimés au moment de l'expertise préexistaient avant les tirs de mines et que les vibrations des tirs de mines n'ont été à l'origine que de l'agrandissement de trois de ces fissures ; que ces préjudices ne peuvent être regardés comme présentant un caractère anormal - c'est-à-dire grave et spécial ; que, dans ces conditions, le département de la Loire est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal a estimé que sa responsabilité doit être engagée, même en l'absence de faute, à raison de l'agrandissement de ces fissures et l'a condamné à verser à ce titre la somme de 1 610 euros à M. et MmeB... ; que, par ailleurs, M. et MmeB... ne sont pas fondés à soutenir, par la voie de l'appel incident, que c'est à tort que, par ce jugement, le Tribunal ne leur a pas accordé une indemnité d'un montant supérieur à celui accordé ;
4. Considérant, en deuxième lieu, qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'alors que les caractéristiques des charges unitaires utilisées dans le chantier, en poids, fréquence et vitesse de propagation des vibrations correspondaient à des valeurs usuellement pratiquées en matière de travaux routiers pour limiter les gênes occasionnées par ces tirs, que les tirs de mines réalisés ont, en raison de leur nombre, de leur intensité, de la proximité de la maison des époux B...et de la présence de MmeB..., qui était sans profession, au domicile des intimés, causé une gêne, du fait du bruit et des vibrations occasionnés par ces tirs, excédant les sujétions que, dans l'intérêt général, les propriétaires voisins d'un chantier de travaux publics peuvent être normalement amenés à supporter sans avoir droit à réparation ; que, dans ces conditions, le département de la Loire est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal a estimé que sa responsabilité doit être engagée, même en l'absence de faute, à raison de ces gênes et l'a condamné à verser à ce titre la somme de 200 euros à M. et MmeB... ; que, par ailleurs, M. et MmeB... ne sont pas fondés à soutenir, par la voie de l'appel incident, que c'est à tort que, par ce jugement, le Tribunal ne leur a pas accordé une indemnité en raison de ces troubles de jouissance d'un montant supérieur à celui accordé ;
5. Considérant, en troisième et dernier lieu, que les intimés n'établissent pas que les inconvénients des autres travaux d'exécution de ce chantier notamment les véhicules et engins du chantier aient excédé les sujétions que, dans l'intérêt général, les propriétaires voisins d'un chantier de travaux publics peuvent être normalement amenés à supporter sans avoir droit à réparation ; que, par suite, M. et MmeB... ne sont pas fondés à soutenir, par la voie de l'appel incident, que c'est à tort que, par ce jugement, le Tribunal a rejeté ces conclusions de leur demande ;
Sur les dépens :
6. Considérant, en premier lieu, que dans les circonstances de l'espèce, les frais de l'expertise ordonnée par le juge des référés du Tribunal administratif de Lyon liquidés et taxés à la somme 2 231,38 euros doivent être mis à la charge du département de la Loire pour moitié et des époux B...pour l'autre moitié et, par suite, c'est à tort que, par l'article 2 du jugement attaqué, le Tribunal a mis intégralement à la charge du département de la Loire lesdits frais ;
7. Considérant, en deuxième lieu, que la contribution pour l'aide juridique prévue à l'article 1635 bis Q du code général des impôts exposée par les époux B...devant le Tribunal administratif de Lyon qui a été mise à la charge du département de la Loire, doit être laissée à la charge des épouxB... ;
8. Considérant, en dernier lieu, qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de laisser à la charge du département la contribution pour l'aide juridique de 35 euros acquittée en appel ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant, en premier lieu, que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que le département de la Loire, qui n'est pas la partie perdante devant le tribunal administratif, verse une somme aux époux B...au titre des frais exposés en première instance et non compris dans les dépens ; que, par suite, le département de la Loire est fondé à demander l'annulation de l'article 3 du jugement attaqué qui a mis à sa charge le versement aux époux B...d'une somme de 800 euros au titre de ces dispositions ;
10. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du département de la Loire, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme quelconque au titre des frais exposés par les époux B...et non compris dans les dépens ; que, par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées en appel par le département de la Loire sur le fondement de ces dispositions ;
DECIDE :
Article 1er : Les articles 1 à 3 du jugement du Tribunal administratif de Lyon du 16 juillet 2013 sont annulés.
Article 2 : La demande présentée par M. et Mme B...devant le Tribunal administratif de Lyon tendant à la condamnation du département de la Loire à les indemniser des préjudices résultant des désordres affectant leur maison d'habitation ainsi que des troubles de jouissance de leur propriété qu'ils ont subis est rejetée.
Article 3 : Les frais de l'expertise ordonnée par le juge des référés du Tribunal administratif de Lyon liquidés et taxés à la somme 2 231,38 euros sont mis à la charge du département de la Loire pour moitié et des époux B...pour l'autre moitié.
Article 4 : La contribution à l'aide juridique de 35 euros (trente-cinq euros) exposée par M. et Mme B...devant le Tribunal administratif de Lyon est laissée à leur charge.
Article 5 : Les conclusions présentées par M. et Mme B...devant le Tribunal administratif de Lyon sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le surplus des conclusions du département de la Loire et de M. et Mme B...est rejeté.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié au département de la Loire et à M. et Mme A... B.... Copie en sera adressée pour information au préfet de la Loire.
Délibéré après l'audience du 6 novembre 2014 à laquelle siégeaient :
M. Seillet, président,
M. Segado et MmeC..., premiers conseillers.
Lu en audience publique, le 27 novembre 2014.
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N° 13LY02513 6