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13/11/2014 | FRANCE | N°13LY03383

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 4ème chambre - formation à 3, 13 novembre 2014, 13LY03383


Vu I, enregistrée sous le n° 13LY03383, la requête, enregistrée le 13 décembre 2013, présentée pour M. et Mme B...E...et Mlle C...E..., demeurant ... ;

Ils demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1001900 du Tribunal administratif de Grenoble en date du 15 octobre 2013, en tant qu'il limite à 30 000 euros la somme qu'il a condamné la commune d'Huez à leur verser ;

2°) de condamner la commune d'Huez à leur verser une somme de 55 000 euros en réparation du préjudice subi du fait du décès de leur fille et soeur MarieE..., à la suite de l'acciden

t de ski dont elle a été victime le 22 février 2009 ;

3°) de mettre à la charge de l...

Vu I, enregistrée sous le n° 13LY03383, la requête, enregistrée le 13 décembre 2013, présentée pour M. et Mme B...E...et Mlle C...E..., demeurant ... ;

Ils demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1001900 du Tribunal administratif de Grenoble en date du 15 octobre 2013, en tant qu'il limite à 30 000 euros la somme qu'il a condamné la commune d'Huez à leur verser ;

2°) de condamner la commune d'Huez à leur verser une somme de 55 000 euros en réparation du préjudice subi du fait du décès de leur fille et soeur MarieE..., à la suite de l'accident de ski dont elle a été victime le 22 février 2009 ;

3°) de mettre à la charge de la commune d'Huez une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Ils soutiennent que :

- c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu la responsabilité de la commune, dès lors que la trajectoire empruntée par Marie E...était habituellement utilisée par les skieurs, que le talweg du Rif Brillant présentait une dangerosité exceptionnelle et qu'il ne faisait l'objet d'aucune signalisation ;

- c'est à tort que le Tribunal a retenu l'existence d'une faute de la victime, dès lors qu'aucune erreur caractérisée n'est établie, qu'il n'est pas établi qu'elle avait conscience que le parcours qu'elle empruntait était situé en dehors du domaine balisé, ce parcours ayant été emprunté par d'autres skieurs, que les conditions météorologiques, qui ne constituent pas un évènement imprévisible dans une station de ski, n'avaient fait l'objet d'aucune information appelant à la prudence de la part de la commune, que seule l'absence de balisage et de signalisation du Rif Brillant, difficilement décelable même par beau temps, est à l'origine de l'accident ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 24 février 2014, présenté pour la commune d'Huez, représentée par son maire en exercice qui demande à la Cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) de rejeter la demande de M. et Mme E...et de leur fille ;

3°) à titre subsidiaire, de limiter l'indemnisation à la somme de 6 000 euros pour chacun des parents et 2 750 euros pour la soeur ;

4°) de mettre à la charge des requérants une somme de 2 000 euros en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- le balisage de l'aire de pique-nique et du parcours pour y accéder ne s'imposait pas ;

- le talweg où a chuté Mlle E...constitue un obstacle habituel et non un danger exceptionnel ; il n'avait pas à être signalé, du fait de sa faible profondeur et de la pente douce le précédant ;

- la victime a commis une double imprudence, se sachant hors piste, malgré les mauvaises conditions météorologiques, et n'ayant pas adopté un comportement prudent lui permettant de freiner avant le talweg ;

- à supposer que l'administration retienne une faute de la commune et procède à un partage de responsabilité, l'indemnisation au titre du préjudice moral devrait être limitée, compte tenu de la jurisprudence ;

Vu le mémoire, enregistré le 31 mars 2014, présenté pour M. et Mme E...et leur fille, qui concluent aux mêmes fins que leur requête, par les mêmes moyens ;

Ils font valoir qu'il n'est pas reproché à la commune une absence de balisage de l'accès à l'aire de pique-nique mais de l'aire elle même, ainsi que de l'itinéraire de retour vers la piste des Campanules ; qu'à défaut d'un tel balisage, une signalisation adaptée ou des protections auraient dû être placés au niveau du danger lui-même ;

Vu l'ordonnance en date du 5 mai 2014 fixant la clôture de l'instruction au 27 mai 2014 ;

Vu le mémoire, enregistré le 27 mai 2014, présenté pour les requérants, qui concluent aux mêmes fins que précédemment, par les mêmes moyens ;

Ils soutiennent en outre que le seul fait, pour la victime d'un accident de ski, d'emprunter un itinéraire différent de celui emprunté par les personnes qui l'accompagnent ne constitue pas une faute ;

Vu l'ordonnance en date du 28 mai 2014 reportant la clôture de l'instruction au 12 juin 2014 ;

Vu II, enregistrée sous le n° 13LY03384, la requête, enregistrée le 13 décembre 2013, présentée pour la commune d'Huez, représentée par son maire en exercice ;

La commune d'Huez demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1001900 en date du 15 octobre 2013 par lequel le Tribunal administratif de Grenoble l'a condamnée à verser une indemnité de 10 000 euros chacun à M. et Mme E...et à leur fille Sophie E...;

2°) de rejeter la demande de M. et Mme E...et de leur fille;

3°) à titre subsidiaire, de limiter l'indemnisation à la somme de 6 000 euros pour chacun des parents et 2 750 euros pour la soeur ;

4°) de mettre à la charge des défendeurs une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- si elle ne conteste pas que le lieu de passage était fréquenté, le talweg où a chuté Mlle E... constitue un obstacle habituel et non un danger exceptionnel, compte tenu de la faible déclivité de la pente, de sa faible profondeur et de l'épaisseur du manteau neigeux ; il n'avait pas à être signalé, du fait de sa faible profondeur et de la pente douce le précédant ; le Tribunal se contredit en indiquant que le talweg est situé sur un parcours en pente douce alors qu'il est considéré comme difficilement décelable ; c'est à tort que les premiers juges ont caractérisé une faute de la commune à ne pas avoir signalé cet obstacle ;

- la victime a commis une double imprudence, se sachant hors piste, malgré les mauvaises conditions météorologiques, et ayant effectué une mauvaise réception, sans porter de casque ;

- à supposer que l'administration retienne une faute de la commune et procède à un partage de responsabilité, l'indemnisation au titre du préjudice moral devrait être limitée, compte tenu de la jurisprudence ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 5 février 2014, présenté pour M. et Mme B... E...et Mlle C...E...qui demandent à la Cour ;

1°) de rejeter la requête ;

2°) de réformer le jugement attaqué, en tant qu'il limite à 30 000 euros la somme qu'il a condamné la commune d'Huez à leur verser ;

3°) de condamner la commune d'Huez à leur verser une somme de 55 000 euros en réparation du préjudice subi du fait du décès de leur fille et soeur Marie E...;

4°) de mettre à la charge de la commune d'Huez une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Ils soutiennent que :

- c'est à juste titre, et sans contradiction, que les premiers juges ont retenu que la différence d'altitude entre les deux rives du fossé rendait l'obstacle indécelable pour l'usager ; la présence de neige a été prise en compte par le Tribunal pour apprécier le caractère indécelable du danger, et non sa gravité, qui n'est pas atténuée par la neige, compte tenu de la présence de rochers ; la responsabilité de la commune, dès lors que la trajectoire empruntée était habituellement utilisée par les skieurs, que le talweg du Rif Brillant présentait une dangerosité exceptionnelle et qu'il ne faisait l'objet d'aucune signalisation ;

- c'est à tort que le Tribunal a retenu l'existence d'une faute de la victime, ce qui est contradictoire avec le fait de retenir une faute du maire dans l'exercice de ses pouvoirs de police ; outre l'absence de signalisation du danger au niveau du talweg, aucune signalisation n'était présente au niveau de l'aire de pique-nique, cette aire n'étant par ailleurs pas délimitée ni l'itinéraire de retour signalé, cette absence de signalisation n'ayant pas permis à la victime de faire preuve de prudence ; les difficultés météorologiques ont aggravé les difficultés à se repérer et n'ont pas permis à la victime de choisir son itinéraire en toute connaissance de cause ; la seconde imprudence alléguée par la commune ne peut davantage être retenue, dès lors qu'une chute est par nature imprévisible et incontrôlable, que la victime ne pratiquait pas volontairement le ski hors piste et était prudente, qu'il n'est pas certain que le port d'un casque aurait pu éviter ou limiter les conséquences dommageables de la chute ;

- le montant du préjudice doit être apprécié dans chaque cas d'espèce ; ils s'en remettent à l'appréciation de la Cour ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 24 février 2014, présenté pour la commune d'Huez, qui conclut aux mêmes fins que sa requête, par les mêmes moyens ;

Elle soutient en outre que si la victime avait eu un comportement prudent, en adoptant une vitesse appropriée, elle aurait été en mesure d'effectuer un freinage ;

Vu le mémoire, enregistré le 31 mars 2014, présenté pour M. et Mme E...et leur fille, qui concluent aux mêmes fins que précédemment, par les mêmes moyens ;

Ils soutiennent en outre que la vitesse de la victime ne pouvait être regardée comme excessive ;

Vu l'ordonnance en date du 5 mai 2014 fixant la clôture de l'instruction au 27 mai 2014 ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 23 octobre 2014 :

- le rapport de Mme Samson-Dye, premier conseiller,

- les conclusions de M. Dursapt, rapporteur public,

- les observations de MeA..., représentant les consortsE..., et de Me D... substituant MeF..., représentant la commune d'Huez ;

1. Considérant que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Grenoble a condamné la commune d'Huez à verser au père, à la mère et à la soeur de MarieE..., décédée le 22 février 2009 à la suite d'un accident de ski, la somme de 10 000 euros chacun, après avoir relevé que la commune avait commis une faute dans l'exercice de son pouvoir de police en s'abstenant de signaler le talweg au fond duquel la victime a chuté, mais que cette dernière avait également commis une faute, responsable pour moitié des conséquences dommageables de l'accident ; que, par deux requêtes distinctes, M. et Mme E...et leur fille et la commune d'Huez relèvent appel de ce jugement ; que, ces requêtes ayant fait l'objet d'une instruction commune et présentant à juger des questions communes, il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt ;

Sur la faute de la commune :

2. Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, la police municipale a pour objet, notamment, de prévenir par des précautions convenables les accidents et qu'il appartient au maire de signaler spécialement les dangers excédant ceux contre lesquels les intéressés doivent personnellement, par leur prudence, se prémunir ;

3. Considérant qu'il n'est pas contesté, et qu'il résulte d'ailleurs de l'instruction, que si le lieu où est survenu l'accident dont a été victime Marie E...n'est pas une piste du domaine skiable, il est situé sur un itinéraire habituellement emprunté des skieurs, non loin d'une aire de pique-nique aménagée ;

4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la victime est décédée d'une chute sur un rocher situé au fond du talweg du Rif Brillant ; que le talus présentait, au lieu de l'accident, une profondeur de trois mètres et une largeur de deux mètres ; qu'il était, en raison de la différence d'altitude entre ses deux rives et de l'épaisseur du manteau neigeux, difficilement décelable depuis la table de pique-nique d'où provenait la victime ; qu'alors même que ce talweg était précédé d'une pente douce, le danger présenté par cet obstacle excédait, compte tenu de sa nature et de sa faible visibilité, les dangers contre lesquels les intéressés doivent personnellement, par leur prudence, se prémunir ; que, par suite, la commune d'Huez n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'elle avait commis une faute, eu égard au danger exceptionnel créé par ce talweg, en s'abstenant de prendre les dispositions convenables pour assurer la sécurité des skieurs, notamment par une signalisation appropriée ;

Sur la faute de la victime :

5. Considérant que la circonstance que la commune avait commis une carence dans l'exercice de son pouvoir de police n'était pas de nature à dispenser les skieurs de l'obligation d'évoluer avec prudence, avec les précautions rendues nécessaires par l'évolution en dehors des limites des pistes, et de s'adapter notamment aux conditions météorologiques ; qu'il résulte de l'instruction, et en particulier des déclarations effectuées par les personnes qui accompagnaient la victime, que ces derniers avaient choisi, en quittant l'aire de pique-nique, de regagner la piste, en raison de la faible expérience qu'ils avaient chacun de leur matériel de ski respectif, alors que la victime a choisi d'adopter un autre itinéraire ; qu'il ressort également de ces déclarations que la neige n'était pas damée sur l'itinéraire emprunté par l'intéressée ; que, dans ces conditions, il ne peut être sérieusement contesté que la victime a nécessairement dû avoir conscience qu'elle empruntait un passage hors piste, nonobstant les lacunes alléguées du balisage des pistes ; que, par ailleurs, les conditions météorologiques, caractérisées par une mauvaise visibilité due à un phénomène dit de " jour blanc ", appelaient à une prudence renforcée pour emprunter ce type d'itinéraire, alors même que ni la commune, ni son concessionnaire n'avaient émis de recommandations particulières ; que, dès lors, et sans qu'ils puissent utilement se prévaloir de ce que le rapport d'accident réalisé par les services de secours ne faisait état d'aucune faute caractérisée, M. et Mme E...ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont retenu l'existence d'une faute de la victime ;

6. Considérant que si la commune fait par ailleurs état d'une vitesse inappropriée de la part de la victime, l'existence d'une vitesse excessive ne résulte pas de l'instruction ; qu'il ne résulte pas davantage de l'instruction que les conditions dans lesquelles a chuté Marie E... révèleraient une faute de sa part dans le positionnement adopté ; qu'enfin, la circonstance qu'elle ne portait pas de casque n'est pas de nature à justifier, dans les circonstances de l'espèce, que la part de responsabilité de la commune soit jugée inférieure aux 50 % fixés, par une exacte appréciation, par les premiers juges ;

Sur l'évaluation du préjudice :

7. Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction que les premiers juges auraient accordé une indemnisation excessive, en accordant à chacun des père, mère et soeur de la victime une somme de 10 000 euros, en réparation du préjudice moral causé par le décès de la victime ; qu'ainsi, la commune, qui se borne à soutenir que l'indemnisation accordée excède les montants octroyés au regard de la jurisprudence, n'est pas fondée à contester le montant de la condamnation prononcée par le Tribunal ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Considérant, en premier lieu, que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la Cour fasse bénéficier la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais exposés à l'occasion du litige soumis au juge et non compris dans les dépens ; que les conclusions présentées à ce titre par la commune d'Huez doivent, dès lors, être rejetées ;

9. Considérant, en second lieu, qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées au même titre par M. et MmeE... ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. et Mme B...E...et de Mlle C...E...est rejetée.

Article 2 : La requête de la commune d'Huez est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme B...E..., à Mlle C...E...et à la commune d'Huez.

Délibéré après l'audience du 23 octobre 2014, où siégeaient :

- M. Wyss, président de chambre,

- M. Mesmin d'Estienne, président-assesseur,

- Mme Samson-Dye, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 13 novembre 2014.

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N° 13LY03383 - 13LY03384

N° 13LY03383 - 13LY03384


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 4ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 13LY03383
Date de la décision : 13/11/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

135-02-03-02-02-01 Collectivités territoriales. Commune. Attributions. Police. Police de la sécurité. Police des lieux dangereux.


Composition du Tribunal
Président : M. WYSS
Rapporteur ?: Mme Aline SAMSON DYE
Rapporteur public ?: M. DURSAPT
Avocat(s) : SCP LACHAT MOURONVALLE GOUROUNIAN

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2014-11-13;13ly03383 ?
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