Vu la requête, enregistrée le 16 décembre 2009 au greffe de la Cour, présentée pour la société Cedilac, dont le siège est 42 cours Suchet à Lyon (69002), représentée par ses représentants légaux ;
La société Cedilac demande à la Cour :
1°) d'annuler l'ordonnance n° 0302933, en date du 7 octobre 2009, par laquelle le président de chambre du Tribunal administratif de Lyon n'a fait droit que partiellement à ses demandes tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser une indemnité fixée à la somme de 1 524 806,62 euros, assortie des intérêts au taux légal dus depuis le 31 décembre 2002 et de la capitalisation de ces intérêts demandée le 26 décembre 2002, en réparation des préjudices qu'elle a subis en raison des modalités de suppression de la règle dite du décalage d'un mois en matière de taxe sur la valeur ajoutée, instituée par l'article 271 A du code général des impôts, et de l'insuffisance du taux d'intérêt qui lui a été alloué au titre des années 1993 à 2002, en lui opposant la prescription quadriennale pour ce qui concerne ses conclusions relatives aux années 1993 à 1997 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 1 524 806,62 euros, assortie des intérêts moratoires capitalisés ;
4°) de condamner en outre l'Etat à lui payer une indemnité de 300 000 euros pour perte de profit ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 10 000 euros, à lui verser au titre des frais irrépétibles ;
Elle soutient que :
- le dispositif de remboursement de la créance générée par la suppression de la règle dite du décalage d'un mois, tel que défini à l'article 271 A du code général des impôts, est illégal en ce qu'il ne prévoit pas un délai raisonnable de remboursement, ne couvre pas les risques de dépréciation de la créance et ne comporte pas une rémunération normale de cette créance ;
- ce dispositif méconnaît les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention, en ce qu'il génère des inégalités discriminatoires, d'une part entre contribuables titulaires d'une telle créance et, d'autre part, entre ces contribuables et les autres créanciers de l'Etat ;
- elle est fondée à invoquer l'exception d'illégalité des arrêtés fixant les intérêts alloués sur cette créance à compter de l'année 1994 ; le ministre a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en fixant à 1 % puis à 0,1 % le taux d'intérêt applicable à cette créance ;
- elle est fondée à demander, à titre principal, une indemnité calculée sur la base du taux effectif du marché pratiqué par les banques aux entreprises pour des prêts supérieurs à deux ans et à taux fixe et, à titre subsidiaire, l'application du taux de 4,5 % prévu par le législateur et sur lequel s'était engagé le gouvernement ;
- ce dispositif porte en lui-même une atteinte disproportionnée à son droit de propriété, non justifiée par l'intérêt général ;
- la prescription quadriennale ne peut lui être opposée au regard de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968, sa créance n'ayant pas présenté un caractère certain, liquide et exigible avant la publication du décret n° 2002-179 du 13 février 2002 prévoyant un remboursement anticipé des créances ;
- la prescription quadriennale ne peut pas non plus lui être opposée au regard de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968, dès lors que des paiements ont été effectués au profit des assujettis tout au long de la période de 1993 à 2002, ce qui a eu pour effet d'interrompre la prescription ; cette prescription a été en outre interrompue par un recours d'un tiers en date du 22 avril 2002 ;
- toute autre interprétation serait contraire aux articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
- la prescription quadriennale ne peut pas davantage lui être opposée au regard de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1968 dès lors qu'elle n'était pas en mesure de chiffrer son préjudice avant la publication du décret du 13 février 2002 ;
- elle a en outre subi un préjudice lié à l'impossibilité de disposer des fonds en temps et en heure et de les faire fructifier, qui peut être évalué à la somme de 300 000 euros ;
Vu l'ordonnance attaquée ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 6 août 2010, présenté par le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat ; le ministre conclut au rejet de la requête de la société Cedilac et à ce qu'une somme de 500 euros soit mise à la charge de celle-ci, à verser à l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; il soutient que l'indemnité demandée du fait d'une " perte de profit " est irrecevable à défaut de demande préalable et en ce qu'elle est demandée pour la première fois en appel ; que la prescription quadriennale peut être opposée à la société dès lors qu'elle a eu connaissance des taux appliqués à la date de publication des arrêtés des 15 avril 1994, 17 août 1995 et 15 mars 1996 fixant les taux applicables pour l'année 1993, pour l'année 1994 et enfin à partir de l'année 1995 ; que ces arrêtés ne sont pas contraires à la loi ; que les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'ont pas été méconnues ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu la sixième directive 77/388/CEE du Conseil des communautés européennes du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code civil ;
Vu la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
Vu la loi n° 93-859 du 22 juin 1993 ;
Vu la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;
Vu le décret n° 2002-179 du 13 février 2002 relatif au remboursement par anticipation des créances sur le Trésor nées de la suppression de la règle du décalage d'un mois en matière de taxe sur la valeur ajoutée ;
Vu l'arrêté du 15 avril 1994 fixant les modalités de paiement des intérêts des créances résultant de la suppression du décalage d'un mois ;
Vu les arrêtés des 17 août 1995 et 15 mars 1996 fixant le taux d'intérêt applicable à compter des 1er janvier 1994 et 1er janvier 1995 aux créances résultant de la suppression du décalage d'un mois ;
Vu l'arrêt du 18 décembre 2007 de la Cour de justice des communautés européennes rendu dans l'affaire C-368/06 Cedilac ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 11 septembre 2014 :
- le rapport de M. Montsec, président-rapporteur ;
- et les conclusions de Mme Chevalier-Aubert, rapporteur public ;
1. Considérant que, par réclamation, en date du 26 décembre 2002, adressée au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, la société Cedilac a demandé le paiement d'une somme de 1 698 328,45 euros en réparation du préjudice financier qu'elle estime avoir subi en raison des conditions de remboursement de la créance qu'elle détenait sur le Trésor suite à la suppression de la règle dite du " décalage d'un mois " en matière de taxe sur la valeur ajoutée, plus particulièrement du fait de l'insuffisance des intérêts afférents à cette créance au titre des années 1993 à 2002 ; que l'indemnité ainsi demandée était calculée par différence entre les intérêts de retard auxquels elle estimait avoir droit sur cette créance au titre desdites années, égaux à ceux pratiqués dans le secteur concurrentiel à l'égard d'un emprunteur privé, et les intérêts qui lui avaient été versés dans le cadre du dispositif particulier de remboursement de cette créance tel que défini par l'article 2 de la loi du 22 juin 1993 portant loi de finances rectificative pour l'année 1993 et ses décrets et arrêtés d'application ; que la société Cedilac fait appel de l'ordonnance n° 0302933, en date du 7 octobre 2009, par laquelle le président de chambre du Tribunal administratif de Lyon ne lui a accordé, en son article 1er, qu'une indemnité, qu'elle estime insuffisante, au titre des années 1998 à 2002, avant de rejeter, en son article 3, le surplus de ses demandes, en lui opposant notamment la prescription quadriennale pour ce qui concerne les années 1993 à 1997 ;
Sur le préjudice et l'indemnité allouée au titre des années 1998 à 2002 :
En ce qui concerne l'existence d'une faute de l'Etat de nature à engager sa responsabilité :
2. Considérant que, par les dispositions de l'article 2 de la loi du 22 juin 1993 portant loi de finances rectificative pour 1993, le législateur a mis fin à la règle dite du " décalage d'un mois ", selon laquelle les assujettis ne pouvaient pas déduire immédiatement de la taxe sur la valeur ajoutée dont ils étaient redevables la taxe payée sur les biens ne constituant pas des immobilisations et sur les services, la déduction ne pouvant être opérée que le mois suivant ; qu'afin d'étaler sur plusieurs années l'incidence budgétaire de ce changement de règle, qui entraînait l'imputabilité sur la taxe due par les assujettis au titre du premier mois de sa prise d'effet, soit le mois de juillet 1993, de la taxe ayant grevé des biens et services acquis au cours de deux mois, soit les mois de juin et juillet 1993, les dispositions du II du même article 2 de la loi du 22 juin 1993, insérant dans le code général des impôts un article 271 A, ont prévu que, sous réserve d'exceptions et d'aménagements divers, les redevables devraient soustraire du montant de la taxe déductible ainsi déterminé celui d'une " déduction de référence (...) égale à la moyenne mensuelle des droits à déduction afférents aux biens ne constituant pas des immobilisations et aux services qui ont pris naissance au cours du mois de juillet 1993 et des onze mois qui précèdent ", que les droits à déduction de la sorte non exercés ouvriraient aux redevables " une créance (...) sur le Trésor (...) convertie en titres inscrits en compte d'un égal montant ", que des décrets en Conseil d'Etat détermineraient, notamment, les modalités de remboursement de ces titres, ce remboursement devant intervenir " à hauteur de 10 % au minimum pour l'année 1994 et pour les années suivantes de 5 % par an au minimum (...) et dans un délai maximal de vingt ans ", et, enfin, que les créances porteraient intérêt " à un taux fixé par arrêté du ministre du budget sans que ce taux puisse excéder 4,5 % " ; que le décret du 14 septembre 1993 a prévu le remboursement dès 1993 de la totalité des créances qui n'excédaient pas 150 000 francs et d'une fraction au moins égale à cette somme et au plus égale à 25 % du montant des créances qui l'excédaient, le taux d'intérêt applicable en 1993 étant fixé à 4,5 % par un arrêté du 15 avril 1994 ; que le décret du 6 avril 1994 a prévu le remboursement du solde des créances à concurrence de 10 % de leur montant initial en 1994 et de 5 % chaque année suivante, le taux d'intérêt étant fixé à 1 % pour 1994, puis à 0,1 % pour les années suivantes, par les arrêtés du 17 août 1995 et du 15 mars 1996 ; qu'enfin, le décret du 13 février 2002 a prévu le remboursement anticipé immédiat des créances non encore soldées, et celui des créances non encore portées en compte dès leur inscription ;
3. Considérant, en premier lieu, que, selon les dispositions de l'article 17, paragraphe 1, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil des Communautés européennes du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires applicable au présent litige, le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible et que, selon l'article 18, paragraphe 2, de la même directive, la déduction est opérée par imputation sur le montant de la taxe due pour une période de déclaration du montant de la taxe pour laquelle le droit à déduction a pris naissance au cours de la même période ; que l'article 28, paragraphe 3, sous d) a toutefois prévu que les Etats membres pourraient pendant une période transitoire continuer à appliquer des dispositions dérogeant au principe de la déduction immédiate prévue par l'article 18, paragraphe 2 ;
4. Considérant que, par un arrêt du 18 décembre 2007 rendu dans l'affaire C-368/06 SA Cedilac dans le cadre de la procédure de questions préjudicielles, la Cour de justice des communautés européennes a dit pour droit que les articles 17 et 18 de la sixième directive ne s'opposent pas au régime transitoire institué par la France à l'occasion de la suppression de la règle du " décalage d'un mois " autorisée par l'article 28, paragraphe 3, sous d) de la même directive, pour autant qu'il soit vérifié par le juge national que, dans son application au cas d'espèce, le régime transitoire réduit les effets de la disposition nationale dérogatoire antérieure ; qu'il suit de là que la requérante n'est pas fondée à soutenir qu'en instaurant un tel régime transitoire, qui lui est plus favorable que les règles prévalant antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi de finances rectificative pour 1993, dès lors notamment qu'il permet à la créance née de sa mise en oeuvre de produire des intérêts et limite la créance de l'assujetti qui n'est pas immédiatement remboursable au seul montant d'une déduction de référence égale à la moyenne mensuelle des droits à déduction acquis des mois d'août 1992 à juillet 1993, et alors même qu'un tel système lui serait moins favorable que l'application pure et simple du principe de déduction immédiate prévu par la directive, le dispositif législatif en cause serait contraire aux dispositions des articles 17 et 18 de la sixième directive ; que la société requérante n'est pas davantage fondée à soutenir que ce dispositif méconnaîtrait les principes prévus par les articles 17 et 18 de la sixième directive eu égard à la seule circonstance que le taux de rémunération de la créance sur l'Etat prévu par l'arrêté du 15 mars 1996 était inférieur à celui d'autres créances sur l'Etat rémunérées au taux du marché ;
5. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation " ; qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes " ;
6. Considérant que les dispositions des 1 à 5 de l'article 271 A du code général des impôts issues du II de l'article 2 de la loi du 22 juin 1993 n'ont conduit à reporter le remboursement que d'une somme représentant un mois moyen d'excédent de taxe et non de la totalité des excédents qui ont pu être constatés, somme calculée sur une période allant du 1er août 1992 au 31 juillet 1993 et, ainsi, pour les onze douzièmes, antérieure à l'entrée en vigueur de la nouvelle rédaction du 3 du I de l'article 271 du code général des impôts, issue du I de l'article 2 de la loi du 22 juin 1993, et suppriment le " décalage d'un mois " ; que, s'agissant des assujettis relevant du régime réel normal d'imposition, l'article 8 du décret du 14 septembre 1993 a prévu le remboursement immédiat de la totalité des créances n'excédant pas 150 000 francs et, à concurrence de 25 %, le remboursement immédiat des créances d'un montant supérieur, avec un minimum de 150 000 francs ; que ce texte, dès lors, d'une part, qu'il a garanti aux titulaires d'une créance excédant 150 000 francs un remboursement d'un montant au moins égal à cette somme et, d'autre part, qu'il était applicable à l'ensemble des entreprises assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée sous le régime réel normal d'imposition et leur a permis d'obtenir le remboursement intégral desdites créances, n'a créé aucune discrimination avec les titulaires de créances d'un montant inférieur et n'a pas eu pour effet de créer une différence de traitement injustifiée entre redevables de la taxe sur la valeur ajoutée selon la taille des entreprises concernées, alors même qu'il n'était pas applicable aux contribuables placés sous un autre régime d'imposition, qui ne se trouvaient pas de ce fait dans une situation identique ; qu'en outre, la circonstance que les assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée concernés par le dispositif de remboursement progressif des créances nées de la suppression du " décalage d'un mois " avaient la qualité de créancier de l'Etat n'imposait pas de leur réserver un traitement identique aux autres créanciers de l'Etat, notamment les porteurs d'obligations assimilables du Trésor, qui ne se trouvaient pas dans la même situation ; que les différences de rémunération afférentes aux titres de ces deux catégories de créanciers présentaient ainsi une justification objective ; qu'il suit de là que, si les créances de taxe sur la valeur ajoutée nées de l'instauration d'un régime de déduction immédiate, supérieures à un certain montant, ont fait l'objet d'un remboursement différé et ont donné lieu à un niveau de rémunération inférieur à celui des taux d'intérêts du marché ou à ceux auxquels peuvent prétendre d'autres catégories de créanciers de l'Etat, la distinction ainsi introduite par le législateur et qui est pertinente au regard des buts poursuivis n'a pas abouti à des effets disproportionnés au regard de ces buts et ne pouvait pas être regardée comme une discrimination prohibée par les stipulations combinées des articles 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du premier protocole additionnel à cette convention ; que les stipulations précitées ne faisaient pas ainsi obstacle, en elles-mêmes, à la mise en oeuvre d'un dispositif transitoire destiné à répartir sur plusieurs années la charge de remboursement de la créance née de la suppression de la règle du " décalage d'un mois ", ni même à ce que la créance sur le Trésor public mentionnée par le II de l'article 2 de la loi du 22 juin 1993 fût rémunérée à un taux inférieur à celui applicable aux autres créances sur l'Etat compte tenu de l'intérêt qui s'attachait à la conciliation de l'instauration d'un régime de droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée se rapprochant des règles de droit commun prévues par la sixième directive 77/388/CEE du 17 mai 1977 avec la nécessité de limiter l'impact budgétaire d'une telle mesure ; qu'il suit de là que les dispositions de l'article 271 A du code général des impôts, en ce qu'elles se bornaient à plafonner à 4,5 % le taux de rémunération des créances sur le Trésor public résultant de la suppression du " décalage d'un mois " en matière de taxe sur la valeur ajoutée, n'étaient pas, par elles-mêmes, contraires aux stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni entachées d'une erreur manifeste d'appréciation ; qu'il en va de même des dispositions de l'arrêté du 15 avril 1994 fixant à 4,5 % le taux d'intérêt rémunérant ces mêmes créances au titre de l'année 1993, dès lors, compte tenu notamment de l'origine de ces créances, qu'elles préservaient un juste équilibre entre le respect des biens des contribuables et les motifs d'intérêt général avancés par l'administration ; qu'en revanche, compte tenu notamment du caractère incessible des créances mentionnées à l'article 271 A du code général des impôts et du délai dans lequel ces dernières ont été remboursées, le ministre chargé du budget ne pouvait, sans porter une atteinte excessive au droit des redevables de la taxe sur la valeur ajoutée au respect de leurs biens et entacher sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation, fixer par les arrêtés du 17 août 1995 et du 15 mars 1996 des taux de rémunération de ces créances s'établissant respectivement, pour les intérêts échus au cours de l'année 1994 et ceux dus à compter du 1er janvier 1995, à 1 % et à 0,1 % ; que l'Etat a commis, ce faisant, une faute de nature à engager sa responsabilité ;
En ce qui concerne l'évaluation du préjudice indemnisable :
7. Considérant que, sans que la société requérante puisse faire valoir un prétendu " engagement " du gouvernement à appliquer un taux d'au moins 4,5 %, le premier juge a fait une juste appréciation de la rémunération à laquelle la société requérante pouvait prétendre en la calculant, compte tenu de l'origine de la créance et de la nécessité de concilier une rémunération effective de cette créance au regard de l'évolution générale des taux d'intérêt et des prix avec les contraintes d'intérêt général de limitation de l'impact budgétaire de la mesure, sur la base d'un taux d'intérêt équivalent à la moitié du taux applicable aux obligations assimilables du Trésor, soit, respectivement 2,30 %, 2,35 %, 2,70 %, 2,50 % et 2,40 % pour les années 1998 à 2002 ;
En ce qui concerne un préjudice supplémentaire :
8. Considérant que la société Cedilac demande le paiement d'une indemnité supplémentaire de 300 000 euros en réparation du préjudice lié à l'impossibilité de disposer des fonds en temps et en heure et de les faire fructifier ; que cette demande, nouvelle en appel, et qui n'a pas fait l'objet d'une demande préalable à l'administration, est irrecevable ;
9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Cedilac n'est pas fondée à soutenir que l'indemnité qui lui a été allouée en première instance au titre des années 1998 à 2002 est insuffisante ;
Sur la prescription quadriennale opposée s'agissant des années 1993 à 1997 :
10. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour règlementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. " ;
11. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, (...) toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis (...) " ; que selon l'article 2 de cette loi : " La prescription est interrompue par : / Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance. (...) " ; que l'article 3 de cette loi dispose que : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, (...) ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement. " ; qu'aux termes de l'article 7 : " L'administration doit, pour pouvoir se prévaloir, à propos d'une créance litigieuse, de la prescription prévue par la présente loi, l'invoquer avant que la juridiction saisie du litige au premier degré se soit prononcée sur le fond. (...) " ; que ces dispositions ont été édictées dans un but d'intérêt général, en vue notamment de garantir la sécurité juridique des collectivités publiques en fixant un terme aux actions dirigées contre elles ;
12. Considérant, en premier lieu, que la société Cedilac a eu connaissance des taux d'intérêt appliqués au remboursement de la créance qu'elle détenait sur le Trésor public au plus tard lors de la publication des arrêtés les fixant, en date respectivement des 15 avril 1994, 17 août 1995 et 15 mars 1996, et a ainsi été mise en mesure de les contester dès leur publication ; que la société requérante ne peut ainsi faire valoir que les créances en litige ne présentaient pas un caractère certain, liquide et exigible avant l'intervention du décret du 13 février 2002 relatif au remboursement par anticipation des créances sur le Trésor nées de la suppression de la règle dite du " décalage d'un mois ", alors que le délai de prescription quadriennale a effectivement commencé à courir à compter du premier jour de chacune des années suivant celles au cours desquelles étaient nés les droits au paiement de la créance correspondant à la différence entre les intérêts versés en application de ces arrêtés et les intérêts qu'elle estimait lui être dus ; qu'elle ne peut pas davantage sérieusement faire valoir, pour les mêmes motifs, qu'elle n'était pas en mesure de chiffrer son préjudice avant l'intervention de ce même décret ;
13. Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte des dispositions de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968 que les recours formés devant une juridiction, relatifs au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, ont un effet interruptif de prescription, quel que soit l'auteur du recours ; que, toutefois, la créance indemnitaire dont peuvent se prévaloir les redevables de la taxe sur la valeur ajoutée devenus créanciers du Trésor du fait de la suppression de la règle dite du " décalage d'un mois ", qui tient à l'insuffisante rémunération de leur créance, est propre à chacun d'eux ; que, par suite, la société requérante n'est pas fondée à se prévaloir de l'effet interruptif de prescription d'un recours, au demeurant infructueux, formé le 22 avril 2002 par une autre société, qui concernait une autre créance ; que le délai n'a pas été non plus interrompu par les paiements effectués au profit des assujettis tout au long de la période en litige et en particulier par le versement annuel d'intérêts sur la créance que les sociétés concernées détenaient sur le Trésor du fait de la suppression de la règle dite du " décalage d'un mois " ; que ce délai n'a d'ailleurs pas été davantage interrompu par le décret du 13 février 2002 prévoyant le remboursement anticipé immédiat de ces créances ;
14. Considérant, en troisième lieu, que la société requérante ne peut, en tout état de cause, invoquer devant le juge administratif, en dehors de la procédure de question prioritaire de constitutionnalité, la contrariété entre la prescription quadriennale appliquée en pareille situation et les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
15. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Cedilac n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le premier juge lui a opposé la prescription quadriennale pour ce qui concerne les préjudices invoqués relatifs aux années 1993 à 1997 ;
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
16. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation " ;
17. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que la somme demandée par la société Cedilac au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens soit mise à la charge de l'Etat qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance ;
18. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de satisfaire la demande présentée sur le même fondement par le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Cedilac est rejetée.
Article 2 : Les conclusions du ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat tendant à ce qu'une somme soit mise à la charge de la société Cedilac en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Cedilac et au ministre des finances et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 11 septembre 2014 à laquelle siégeaient :
M. Montsec, président,
Mme Mear, président-assesseur,
M. Meillier, conseiller.
Lu en audience publique, le 2 octobre 2014.
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N° 09LY02875