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26/06/2014 | FRANCE | N°13LY00883

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre - formation à 3, 26 juin 2014, 13LY00883


Vu le recours, enregistré le 10 avril 2013, présenté par le ministre de la défense ;

Le ministre de la défense demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Dijon n° 1201879 du 6 février 2013 en tant qu'il a condamné l'Etat à verser au Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions une indemnité, chiffrée à 4 000 euros, en remboursement de celle servie par le fonds à M. A... à raison du dommage résultant de l'incapacité permanente partielle dont il reste atteint à la suite de l'agression dont il a fait

l'objet le 28 septembre 2005 dans le cadre de ses fonctions ;

2°) de rejeter...

Vu le recours, enregistré le 10 avril 2013, présenté par le ministre de la défense ;

Le ministre de la défense demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Dijon n° 1201879 du 6 février 2013 en tant qu'il a condamné l'Etat à verser au Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions une indemnité, chiffrée à 4 000 euros, en remboursement de celle servie par le fonds à M. A... à raison du dommage résultant de l'incapacité permanente partielle dont il reste atteint à la suite de l'agression dont il a fait l'objet le 28 septembre 2005 dans le cadre de ses fonctions ;

2°) de rejeter les conclusions de la demande du Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité correspondant à celle qu'il a versée à M. A...au titre de ses troubles dans ses conditions d'existence ;

Il soutient que même si l'Etat ne conteste pas le bien-fondé de la demande en remboursement présentée par le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions, dans la mesure où les agissements en cause dans cette affaire ne sont pas dépourvus de tout lien avec le service, puisque l'auteur de l'agression sur M. A...a pu s'approprier, dans le cadre de ses fonctions de militaire, une arme d'assaut, c'est à tort, eu égard aux dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, que les premiers juges ont condamné l'Etat à verser audit Fonds de garantie une indemnité correspondant à celle versée par ce fonds à la victime au titre de son incapacité permanente partielle, alors que ladite victime bénéficie d'une pension militaire d'invalidité, qui devait être imputée sur les droits de cette victime, et dont le montant absorbe le chef de préjudice correspondant aux troubles dans ses conditions d'existence ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire, enregistré le 2 août 2013, présenté pour le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions, qui conclut :

1°) à titre principal, au rejet du recours ;

2°) à titre incident, à l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a limité à la somme de 12 800 euros l'indemnité mise à la charge de l'Etat et à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme d'un montant total de 19 566,24 euros en remboursement des indemnités qu'il a servies à M. A...à raison du dommage résultant de violences subies dans le cadre de ses fonctions ;

3°) à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient que :

- l'Etat est tenu de réparer l'intégralité des préjudices résultant de la faute personnelle non dépourvue de tout lien avec le service commise par l'agresseur de M.A..., à charge pour l'Etat, s'il s'y croit fondé, d'exercer une action récursoire contre son agent ;

- à titre subsidiaire, M. A...est fondé à bénéficier du régime de protection fonctionnelle prévu par les dispositions de l'article 24 de la loi n° 72-662 du 13 juillet 1972 reprises par les dispositions de l'article 15 de la loi n° 2005-270 du 24 mars 2005, codifiées à l'article L. 4123-10 du code de la défense, et le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions, subrogé dans ses droits, qui a indemnisé totalement les préjudices subis par la victime, est fondé à demander le remboursement des indemnités versées sur le fondement de l'article L. 706-11 du code de procédure pénale ;

- rien ne s'oppose à ce que le montant réclamé par le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions, subrogé dans les droits de la victime qu'il a indemnisée, soit identique à la condamnation prononcée par le juge pénal statuant au civil ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la défense ;

Vu le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu la loi n° 72-662 du 13 juillet 1972 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 6 juin 2014 :

- le rapport de M. Seillet, président-assesseur ;

- les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public ;

- et les observations de Me Malka, avocat du Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions ;

1. Considérant que M.A..., engagé volontaire de l'armée de terre affecté au 511ème régiment du train à Auxonne, a été victime, le 28 septembre 2005, alors qu'il se trouvait, avec son régiment, en manoeuvre dans un camp militaire, d'une agression commise par un autre engagé du même régiment, qui lui a asséné un violent coup de crosse de fusil d'assaut à la tête, occasionnant des blessures ; que l'auteur de cette agression a été condamné, par un jugement correctionnel du 2 juin 2006 du Tribunal de grande instance de Dijon, à une peine d'emprisonnement avec sursis, puis, par un jugement du même Tribunal statuant sur les intérêts civils, du 10 juin 2009, intervenu après une expertise médicale, à indemniser la victime, pour un montant total de 19 566,24 euros, au titre des préjudices patrimoniaux permanents, à raison de l'incidence professionnelle, des préjudices extra-patrimoniaux temporaires, correspondant aux périodes de déficit fonctionnel temporaire total puis partiel, à hauteur de 30 puis de 8 %, ainsi qu'au titre des préjudices extra-patrimoniaux permanents, en raison d'un déficit fonctionnel permanent au taux de 5 %, d'un préjudice esthétique évalué par l'expert à 1/7, de souffrances endurées, évaluées à 3/7 et d'un préjudice d'agrément, résultant de séquelles acouphéniques ; que M. A...a saisi la commission d'indemnisation des victimes d'infractions ; que le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions, après avoir indemnisé l'intéressé pour un montant de 19 566,24 euros, en a réclamé le remboursement au ministre de la défense, employeur de la victime, puis a saisi le Tribunal administratif de Dijon d'une demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme en cause ; que, d'une part, le ministre de la défense fait appel du jugement du 6 février 2013 du Tribunal administratif de Dijon en tant qu'il a condamné l'Etat à verser au Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions une indemnité, chiffrée à 4 000 euros, en remboursement de celle servie par le fonds à M. A... à raison du dommage résultant de l'incapacité permanente partielle dont il reste atteint ; que, d'autre part, le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions demande, à titre incident, l'annulation du même jugement en tant qu'il a limité à la somme de 12 800 euros l'indemnité mise à la charge de l'Etat ;

2. Considérant, d'une part, qu'en vertu des articles 706-3 et 706-4 du code de procédure pénale, toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d'une infraction peut, lorsque certaines conditions sont réunies, obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne auprès d'une commission d'indemnisation des victimes d'infractions, juridiction civile instituée dans le ressort de chaque tribunal de grande instance qui peut rendre sa décision avant qu'il soit statué sur l'action publique ou sur les intérêts civils ; que l'indemnité accordée par la commission est versée par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions ; que le premier alinéa de l'article 706-11 du code de procédure pénale dispose que le fonds " est subrogé dans les droits de la victime pour obtenir des personnes responsables du dommage causé par l'infraction ou tenues à un titre quelconque d'en assurer la réparation totale ou partielle le remboursement de l'indemnité ou de la provision versée par lui, dans la limite du montant des réparations à la charge desdites personnes " ; qu'en application de ces dispositions, le fonds est subrogé dans les droits de la victime pour obtenir des personnes responsables du dommage causé par l'infraction, ou de toute personne tenue d'en assurer la réparation à un titre quelconque, le remboursement de l'indemnité versée par lui, dans la limite du montant des réparations à la charge de ces personnes ; que la nature et l'étendue des réparations incombant à une personne publique ne dépendent pas de l'évaluation du dommage faite par le juge judiciaire dans un litige auquel elle n'a pas été partie, mais doivent être déterminées par le juge administratif compte tenu des règles relatives à la responsabilité des personnes morales de droit public ;

3. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre : " Ouvrent droit à pension : / 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; / 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; / 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service (...) " ;

4. Considérant qu'eu égard à la finalité qui lui est assignée par les dispositions de l'article L. 1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre et aux éléments entrant dans la détermination de son montant, tels qu'ils résultent des dispositions des articles L. 8 bis à L. 40 du même code, la pension militaire d'invalidité doit être regardée comme ayant pour objet de réparer, d'une part, les pertes de revenus et l'incidence professionnelle de l'incapacité physique et, d'autre part, le déficit fonctionnel, entendu comme l'ensemble des préjudices à caractère personnel liés à la perte de la qualité de la vie, aux douleurs permanentes et aux troubles ressentis par la victime dans ses conditions d'existence personnelles, familiales et sociales, à l'exclusion des souffrances éprouvées avant la consolidation, du préjudice esthétique, du préjudice sexuel, du préjudice d'agrément lié à l'impossibilité de continuer à pratiquer une activité spécifique, sportive ou de loisirs, et du préjudice d'établissement lié à l'impossibilité de fonder une famille ; que lorsqu'elle est assortie de la majoration prévue à l'article L. 18 du code, la pension a également pour objet la prise en charge des frais afférents à l'assistance par une tierce personne ;

5. Considérant qu'en instituant la pension militaire d'invalidité, le législateur a entendu déterminer forfaitairement la réparation à laquelle les militaires peuvent prétendre, au titre des préjudices mentionnés ci-dessus, dans le cadre de l'obligation qui incombe à l'Etat de les garantir contre les risques qu'ils courent dans l'exercice de leur mission ; que, cependant, si le titulaire d'une pension a subi, du fait de l'infirmité imputable au service, d'autres préjudices que ceux que cette prestation a pour objet de réparer, il peut prétendre à une indemnité complémentaire égale au montant de ces préjudices ; qu'en outre, dans l'hypothèse où le dommage engage la responsabilité de l'Etat à un autre titre que la garantie contre les risques courus dans l'exercice des fonctions, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager sa responsabilité, l'intéressé peut prétendre à une indemnité complémentaire au titre des préjudices que la pension a pour objet de réparer, si elle n'en assure pas une réparation intégrale ; que, lorsqu'il est saisi de conclusions en ce sens, il incombe au juge administratif de déterminer le montant total des préjudices que la pension a pour objet de réparer, avant toute compensation par cette prestation, d'en déduire le capital représentatif de la pension et d'accorder à l'intéressé une indemnité égale au solde, s'il est positif ;

6. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction, et n'est au demeurant pas contesté, que les agissements de l'agresseur de M. A...se sont produits au sein même de locaux relevant du ministère de la défense, en utilisant du matériel militaire durant une période au cours de laquelle tant ledit agresseur que la victime se trouvaient en service ; que, dès lors, la faute ainsi commise, alors même que sa gravité lui conférerait le caractère d'une faute personnelle détachable du service, n'est pas dépourvue de tout lien avec celui-ci, ce qui autorise sa victime, et le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions, lorsqu'il est subrogé dans ses droits, à demander au juge administratif de condamner l'Etat, en qualité d'administration dont relevait l'agresseur, à en assumer l'entière réparation, sans préjudice d'une éventuelle action récursoire de l'Etat à l'encontre de l'auteur des faits ; que, par suite, le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions, subrogé dans les droits de M.A..., est fondé à rechercher la responsabilité de l'Etat au titre, d'une part, des préjudices subis par ce dernier, du fait de l'infirmité imputable au service, autres que ceux que la pension militaire d'invalidité qui lui a été allouée a pour objet de réparer et, d'autre part, au titre des préjudices que la pension a pour objet de réparer, si elle n'en assure pas une réparation intégrale ;

7. Considérant, en deuxième lieu, que le déficit fonctionnel permanent subi par M. A..., du fait d'une cicatrice, d'un ptosis gauche, d'acouphènes gauches permanents, des contraintes inhérentes au traitement qu'il a subi et des répercussions de son état de santé sur sa vie personnelle, peut être évalué à 4 000 euros ; que ce préjudice a été entièrement réparé par la pension militaire d'invalidité versée à M.A..., à titre provisoire, entre le 2 novembre 2005 et le 2 novembre 2008, pour un montant de 5 752,60 euros puis, à titre définitif, à compter du 2 novembre 2008, pour un montant annuel de 1 951,20 euros, capitalisé pour un montant de 53 125,32 euros ; que ce préjudice ne saurait, par suite, donner lieu à une indemnisation complémentaire ; que, dès lors, le ministre de la défense est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Dijon a condamné l'Etat à verser au Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions, qui ne saurait disposer de plus de droits que la victime, une indemnité, chiffrée à 4 000 euros, en remboursement de celle servie par le fonds à M. A... à raison du dommage résultant de l'incapacité permanente partielle dont il reste atteint ;

8. Considérant, en dernier lieu, qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'en l'espèce, l'incidence professionnelle résultant pour M. A... de l'obligation du port d'une double protection auditive lors de l'exercice de tirs aux armes, relevée par l'expert judiciaire, n'aurait pas été intégralement réparée par l'allocation, à titre forfaitaire, de la pension militaire d'invalidité, pour les montants mentionnés au point 7 ; que le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions n'est, dès lors, pas fondé à demander la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité de 3 000 euros correspondant à la somme versée à M. A...au titre de l'incidence professionnelle, telle qu'elle avait été chiffrée par le Tribunal de grande instance de Dijon et mise initialement à la charge de l'auteur de l'agression ; qu'il n'est pas fondé, par suite, à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal a limité à la somme de 12 800 euros l'indemnité mise à la charge de l'Etat ;

9. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés à l'occasion de la présente instance par le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : L'indemnité de 12 800 euros mise à la charge de l'Etat par les dispositions de l'article 1er du jugement n° 1201879 du Tribunal administratif de Dijon du 6 février 2013 est ramenée au montant de 8 800 euros.

Article 2 : Les conclusions du Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de la défense et au Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions.

Délibéré après l'audience du 6 juin 2014 à laquelle siégeaient :

M. Clot, président de chambre,

M. Seillet, président-assesseur,

M. Poitreau, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 26 juin 2014.

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N° 13LY00883


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 13LY00883
Date de la décision : 26/06/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-05-03 Responsabilité de la puissance publique. Recours ouverts aux débiteurs de l'indemnité, aux assureurs de la victime et aux caisses de sécurité sociale. Subrogation.


Composition du Tribunal
Président : M. CLOT
Rapporteur ?: M. Philippe SEILLET
Rapporteur public ?: Mme VIGIER-CARRIERE
Avocat(s) : SELAFA CABINET CASSEL

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2014-06-26;13ly00883 ?
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