Vu la requête, enregistrée le 9 avril 2013, présentée pour Mme B...A..., veuveE..., domiciliée ... ;
Mme E... demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1002099 du 12 février 2013 du Tribunal administratif de Grenoble en tant qu'il a rejeté les conclusions de sa demande tendant à ce que le centre hospitalier d'Annecy soit condamné à lui verser une indemnité de 203 732,58 euros en réparation du préjudice économique résultant du décès de son époux ;
2°) de condamner le centre hospitalier d'Annecy à lui verser, à titre principal, une indemnité de 397 993,36 euros ou, à titre subsidiaire, une indemnité de 203 732,58 euros ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier d'Annecy la somme de 3 000 euros, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que c'est à tort que les premiers juges ont considéré que la perte de revenus subie du fait du décès de son époux ne présentait qu'un caractère hypothétique, alors que les éléments produits attestaient de l'embauche de son conjoint en décembre 2003, en qualité de magasinier, à temps plein dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, et que sa capacité de travail ne présentait pas un caractère hypothétique, nonobstant l'épisode dépressif qu'il traversait ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire, enregistré le 7 avril 2014, présenté pour le centre hospitalier d'Annecy, qui conclut au rejet de la requête ;
Il soutient que :
- le préjudice dont Mme E... demande réparation ne présente pas de caractère certain, dès lors qu'au moment de son décès, son époux se trouvait encore en période d'essai et présentait un état dépressif s'accompagnant de tendances suicidaires et faisait l'objet d'un suivi psychiatrique, de sorte que rien ne permet d'affirmer qu'il aurait été en mesure d'occuper son emploi dans la durée ;
- l'absence de preuve de la non perception d'une pension de réversion fait obstacle à l'indemnisation du préjudice économique de la requérante ;
- à titre subsidiaire, le préjudice économique ne peut être liquidé sur la base de calcul indiquée par la requérante, prenant en compte le dernier salaire perçu et sous-estimant la part d'autoconsommation revenant au conjoint décédé ;
Vu le mémoire, enregistré le 12 mai 2014, présenté pour MmeE..., qui maintient ses conclusions par les mêmes moyens et conclut, en outre, à titre subsidiaire, à la condamnation du centre hospitalier d'Annecy à lui verser une indemnité de 482 573,88 euros ;
Elle soutient, en outre, qu'il y a lieu de tenir compte du barème de capitalisation de 2013 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 22 mai 2014 :
- le rapport de M. Seillet, président-assesseur ;
- les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public ;
- et les observations de Me Demailly, avocat du centre hospitalier d'Annecy ;
1. Considérant que M.E..., alors âgé de 28 ans, qui avait été pris en charge, le 31 janvier 2004, dans un service spécialisé du centre hospitalier d'Annecy, en vue d'une hospitalisation à la demande d'un tiers préconisée par un médecin psychiatre, après une tentative de suicide, survenue le 30 janvier 2004, suivie d'une fugue le même jour et d'une autre le lendemain, s'est suicidé, le 1er février 2004, après avoir quitté le service ; que par un jugement du 12 février 2013, devenu définitif sur ce point à défaut d'appel, le Tribunal administratif de Grenoble a constaté l'existence d'une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier d'Annecy, en l'absence de mesures de contrainte ou même de surveillance particulière adaptées à l'état de santé du patient ; que Mme E... fait appel de ce même jugement en tant qu'il a, toutefois, rejeté les conclusions de sa demande tendant à ce que le centre hospitalier d'Annecy soit condamné à lui verser une indemnité en réparation du préjudice économique résultant du décès de son époux ;
2. Considérant qu'il résulte de l'instruction, et en particulier de la production par la requérante du contrat de travail conclu le 1er décembre 2003 entre son défunt époux et l'entreprise Hyperacier, que M. E...avait été recruté par ladite entreprise dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée, à compter de la même date, pour y occuper un emploi à temps plein en qualité de magasinier réparateur, et qu'il a occupé cet emploi, ainsi qu'il résulte des bulletins de salaire également produits, durant les mois de décembre 2003 et janvier 2004 ; que s'il résulte de l'ordonnance de renvoi devant le Tribunal correctionnel prise par le juge d'instruction du Tribunal de grande instance d'Annecy, le 16 janvier 2008, qu'une expertise réalisée à partir des pièces médicales de M. E...avait mis en évidence des " troubles psychiatriques " dès son enfance, en lien avec une violence parentale d'ordre psychologique, un trouble de la personnalité avec une angoisse existentielle importante et une auto-médication psychotrope, et avait conclu à un trouble de la personnalité " limite " voire à une " structure psychotique ", ces troubles du comportement impliquant une mise en observation de ce patient en milieu hospitalier spécialisé et que l'admission à l'hôpital, le 31 janvier 2004, de M. E...faisait suite à une première tentative de suicide, le 30 janvier 2004 au matin, à des fugues le même jour puis le lendemain, et devait conduire à une mesure d'hospitalisation à la demande d'un tiers, préconisée par un médecin psychiatre, impliquant des mesures de mise en chambre d'isolement et de précaution, il ne résulte pas de l'instruction que celui-ci n'aurait pas été en mesure, après les soins dont il devait bénéficier, de reprendre son activité salariée ; que, dès lors, l'intéressé, dont il ne résulte pas de l'instruction, contrairement à ce qu'allègue le centre hospitalier d'Annecy, qu'il se trouvait en période d'essai à la date de son décès, doit être regardé comme ayant été privé, du fait de son décès, d'une chance sérieuse de poursuivre une telle activité et de percevoir les revenus correspondants ; qu'il en est résulté, pour MmeE..., un préjudice certain qui doit être intégralement réparé à hauteur de la part des revenus futurs de la victime dont son époux aurait bénéficié ; que c'est, dès lors, à tort que, pour rejeter les conclusions de la demande de Mme E...tendant à l'indemnisation de son préjudice économique résultant de la perte des revenus perçus par son époux avant son décès, les premiers juges se sont fondés sur le motif tiré de ce que la perte de revenus alléguée par Mme E...ne présentait qu'un caractère hypothétique ;
3. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M.E..., âgé de 28 ans lorsqu'il est décédé, et son épouse, percevaient des rémunérations annuelles de l'ordre de, respectivement, 8 550 euros et 11 300 euros ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que Mme E...perçoit une pension de réversion ; que, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, notamment de l'âge et de l'espérance de vie de M. E...à la date de son décès, du montant des revenus qu'il avait une chance sérieuse de percevoir à l'avenir, eu égard à ses revenus passés et à ses problèmes de santé, et de la part de ces revenus dont aurait bénéficié son épouse, qui doit être évaluée, s'agissant d'un ménage sans enfant, à 50 %, il sera fait une juste appréciation du montant de l'indemnité due à Mme E...en condamnant le centre hospitalier d'Annecy à lui verser un capital de 120 000 euros en réparation du préjudice économique résultant du décès de son époux ;
4. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme E... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Grenoble a rejeté les conclusions de sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier d'Annecy à l'indemniser du préjudice économique résultant de la perte de revenus consécutive au décès de son époux, pour un montant de 120 000 euros ;
5. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier d'Annecy la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés à l'occasion de la présente instance par Mme E...et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : L'indemnité de 33 389,06 euros mise à la charge du centre hospitalier d'Annecy par l'article 1er du jugement n° 1002099 du 12 février 2013 du Tribunal administratif de Grenoble est portée à la somme de 153 389,06 euros.
Article 2 : Le centre hospitalier d'Annecy versera la somme de 1 500 euros à Mme E...au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme E...est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... E...et au centre hospitalier d'Annecy.
Délibéré après l'audience du 22 mai 2014 à laquelle siégeaient :
M. Clot, président de chambre,
MM. Seillet etC..., présidents-assesseurs,
MM. D...etF..., premiers conseillers.
Lu en audience publique, le 12 juin 2014.
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N° 13LY00882