Vu la requête, enregistrée le 12 février 2013, présentée pour Mme B...A..., domiciliée ... et M. D...C..., domicilié..., agissant tant en leur nom propre qu'en leur qualité de représentants légaux de leur fille mineure E...C...;
Mme A... et M. C... demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1002316 du 14 décembre 2012 par lequel le Tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande tendant à ce que le centre hospitalier universitaire de Grenoble soit condamné à leur verser une indemnité, chiffrée en dernier lieu à la somme de 600 000 euros, en réparation du préjudice subi du fait d'une faute commise durant la grossesse de Mme A...;
2°) de condamner le centre hospitalier universitaire de Grenoble à leur verser une indemnité de 600 000 euros ;
Ils soutiennent que :
- la limitation du préjudice subi par les parents du fait de la naissance d'un enfant handicapé, résultant des dispositions de l'article 1er de la loi du 4 mars 2002, ne peut leur être opposée dès lors que ces dispositions méconnaissent les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le centre hospitalier universitaire de Grenoble a commis une faute résultant de l'absence d'une information éclairée, à la suite de la rupture des membranes à 23 semaines de grossesse, sur l'existence d'un risque d'accouchement très prématuré et sur les conséquences neurologiques pour l'enfant à naître, et cette faute les a privés d'une chance d'éviter le préjudice subi, à hauteur de 100 % ;
- ils sont fondés à réclamer l'indemnisation, dans leur intégralité, de leurs préjudices matériel, professionnel et moral ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu la décision du 20 mars 2013, par laquelle le bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Lyon (section administrative d'appel) a accordé le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale à Mme A... ;
Vu le mémoire, enregistré le 22 avril 2014, présenté pour le centre hospitalier universitaire de Grenoble qui conclut au rejet de la requête ;
Il soutient que :
- sa responsabilité ne saurait être engagée sur le fondement d'un défaut d'information, dès lors que les requérants ont été informés, préalablement à l'accouchement, de l'ensemble des risques liés à la poursuite de la grossesse concernant l'état de santé de l'enfant et en particulier des risques liés à un accouchement prématuré causé par une rupture de la poche des eaux, aucune faute caractérisée n'ayant été commise ;
- même si la Cour devait juger que les intéressés n'ont pas été informés des risques liés à la prématurité de leur enfant, ils n'ont perdu aucune chance de subir une interruption thérapeutique de grossesse, dès lors qu'ils auraient accepté la poursuite de la grossesse même informés des risques ;
- les requérants ne sauraient solliciter que l'indemnisation de leur préjudice moral, mais ne justifient pas d'un préjudice matériel et professionnel ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que le premier protocole additionnel à cette convention ;
Vu le code de l'action sociale et des familles ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 ;
Vu la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 30 avril 2014 :
- le rapport de M. Seillet, président-assesseur ;
- et les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public ;
1. Considérant que Mme A..., alors âgée de 28 ans, a débuté, au cours de l'année 2000, une troisième grossesse, dont le terme était prévu fin septembre 2000, après avoir donné naissance à ses deux premiers enfants au terme de grossesses normales ; qu'à la suite de la constatation, le 15 mai 2000, d'une rupture prématurée des membranes, et d'un oligamnios sévère, Mme A... a été prise en charge par le service de gynécologie-obstétrique du centre hospitalier universitaire de Grenoble, où elle a été hospitalisée, en observation, du 30 mai au 9 juin 2000 ; que durant cette période d'hospitalisation, l'unité pluridisciplinaire de diagnostic prénatal, consultée le 31 mai 2000, a estimé, après avoir constaté que le foetus conservait une bonne mobilité et qu'il existait encore des petites plages de liquide amniotique, malgré des pertes régulières de ce liquide, qu'il existait un risque de prématurité extrême incompatible avec la survie, mais qu'il fallait privilégier la prise en charge périnatale ; que Mme A... a donné naissance, dans ce même établissement hospitalier, le 12 juin 2000, à 26 semaines et 6 jours d'aménorrhée, à une fille, prénommée E...qui, du fait de sa grande prématurité, souffre d'un handicap moteur et cérébral sévère, en raison d'une leucomalacie périventriculaire étendue dans la substance blanche pariétale bilatérale, dont le diagnostic a été formellement posé lors d'une IRM cérébrale pratiquée le 21 juillet 2000 ; que Mme A... et M. C..., agissant tant en leur nom propre qu'en qualité de représentants légaux de l'enfantE..., ont recherché la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Grenoble à raison d'un défaut d'information sur les risques de handicap liés à une naissance prématurée ; qu'ils font appel du jugement du 14 décembre 2012 par lequel le Tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande tendant à ce que le centre hospitalier universitaire de Grenoble soit condamné à les indemniser des préjudices subis tant par eux-mêmes que par leur enfant ;
2. Considérant, en premier lieu, que lorsqu'un acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l'art, comporte des risques connus de décès ou d'invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé ; qu'un manquement des médecins à leur obligation d'information n'engage la responsabilité de l'hôpital que dans la mesure où il a privé le patient d'une chance de se soustraire au risque lié à l'intervention en refusant qu'elle soit pratiquée ;
3. Considérant, toutefois, que la poursuite d'une grossesse ne saurait être considérée comme constituant en elle-même un acte médical soumis au consentement éclairé de la parturiente, qui peut seulement décider, si les conditions en sont réunies, de recourir à un acte médical afin d'y mettre fin, et alors même qu'il appartient à l'établissement de santé, lorsque la grossesse s'avère pathologique, d'informer cette dernière sur les risques particuliers que peut entraîner son état ; qu'un défaut d'information, à le supposer démontré, quant à l'existence d'un risque de handicap de l'enfant des requérants, en cas de naissance prématurée, résultant d'une rupture prématurée des membranes, risque inhérent à l'état de la patiente elle-même et non à un acte médical, et contre lequel il n'existait aucun traitement, n'aurait pas eu pour effet de priver les intéressés de la possibilité de se prémunir contre ce risque d'aggravation de l'état de santé de leur enfant, mais les aurait seulement privés de la possibilité du choix d'un refus de la poursuite de la grossesse, qui aurait nécessairement conduit alors au décès de cet enfant ; que les requérants ne peuvent, dès lors, rechercher la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Grenoble à raison d'une absence d'information sur un risque inhérent à un acte médical ;
4. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction résultant de la codification, par le 1 du II de l'article 2 de la loi du 11 février 2005 susvisée, de dispositions figurant antérieurement aux trois premiers alinéas du I de l'article 1er de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, également susvisée : " Nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance /(...) / Lorsque la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, de ce handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale " ; qu'aux termes du 2 du II de l'article 2 de la loi du 11 février 2005, reprenant les dispositions qui figuraient antérieurement au dernier alinéa du I de l'article 1er de loi du 4 mars 2002 : " Les dispositions de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles tel qu'il résulte du 1 du présent II sont applicables aux instances en cours à la date d'entrée en vigueur de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 précitée, à l'exception de celles où il a été irrévocablement statué sur le principe de l'indemnisation " ; qu'en prévoyant l'application des dispositions de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles aux instances en cours à la date de l'entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, soit le 7 mars 2002, le législateur a nécessairement entendu que ces dispositions s'appliquent également à la réparation de dommages dont le fait générateur était antérieur à la date d'entrée en vigueur de cette loi mais qui, à la date de cette entrée en vigueur, n'avait pas encore donné lieu à l'engagement d'une action indemnitaire ;
5. Considérant qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précitées ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général " ; que, faute d'avoir engagé une instance avant le 7 mars 2002, les requérants n'étaient pas titulaires à cette date d'un droit de créance indemnitaire qui aurait été lui-même constitutif d'un bien au sens de ces stipulations conventionnelles ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que l'application de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles aux instances engagées après le 7 mars 2002 à des situations nées avant cette date porterait une atteinte disproportionnée aux droits qui leur sont garantis par ces stipulations doit être écarté ;
6. Considérant qu'il résulte des dispositions précitées de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles que Mme A... et M. C...ne peuvent solliciter l'indemnisation, par le centre hospitalier universitaire de Grenoble, des préjudices subis par leur fille E...du fait de sa naissance dans un état de lourd handicap ; qu'il ne résulte pas de l'instruction, et en particulier du rapport rédigé le 8 septembre 2004 par le collège d'experts désignés à la suite de l'ordonnance du 22 octobre 2003 du juge des référés du Tribunal administratif de Grenoble, que l'enfant E...qui, lorsque s'est réunie l'unité pluridisciplinaire de diagnostic prénatal, le 31 mai 2000, conservait une bonne mobilité, aurait été, avant sa naissance, atteinte d'un handicap, qui résulte seulement du caractère prématuré de cette naissance ; que la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Grenoble ne peut donc être engagée vis-à-vis des parents de cet enfant à raison de sa naissance avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande ; que doivent être rejetées, par voie de conséquence, leurs conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... et de M. C...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...A..., à M. D...C..., au centre hospitalier universitaire de Grenoble et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère. Copie en sera adressée aux experts, MM. les professeurs Jean-Marie Thoulon et Guy Putet.
Délibéré après l'audience du 30 avril 2014 à laquelle siégeaient :
M. Clot, président de chambre,
M. Seillet, président-assesseur,
M. Segado, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 28 mai 2014.
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N° 13LY00360