Vu le recours, enregistré le 5 juin 2012, présenté par la ministre des affaires sociales et de la santé, qui demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1003760 du 6 avril 2012 par lequel le Tribunal administratif de Grenoble a condamné l'Etat à verser au département de l'Isère une indemnité de 8 654 880 euros assortie des intérêts au taux légal en réparation de son préjudice correspondant aux sommes qu'il a dû exposer pour assurer l'hébergement d'urgence à la place de l'Etat ;
2°) de rejeter la demande présentée par le département de l'Isère devant le tribunal administratif ;
Elle soutient :
- que le jugement attaqué est entaché d'irrégularité dès lors que le Tribunal n'a pas communiqué la requête au préfet de l'Isère, comme l'impose l'article R. 431-10 du code de justice administrative ;
- que, contrairement à ce qu'a estimé le tribunal administratif, l'existence d'une carence de l'Etat en matière d'hébergement d'urgence dans le département de l'Isère n'est pas établie ; que les moyens mis en oeuvre étaient suffisamment importants et qu'il n'est pas démontré que toutes les personnes prises en charge par le département de l'Isère relevaient de l'hébergement d'urgence ; qu'en cette matière l'Etat n'est pas soumis à une obligation de résultat mais de moyens ;
- que c'est à tort que le tribunal administratif a imputé à l'Etat le préjudice invoqué par le département de l'Isère alors que celui-ci était tenu de prendre en charge les femmes enceintes et les mères avec leur enfant au titre des compétences en matière d'aide sociale à l'enfance qu'il tient des articles L. 221-1 et L. 221-2 du code de l'action sociale et des familles ; que le département a lui-même décidé d'engager une politique d'hébergement excédant ses compétences obligatoires, qu'il lui appartient d'assumer financièrement ; que, dans ces conditions, il n'existe pas de lien de causalité entre les sommes exposées par le département et les carences qu'il impute à l'Etat en matière d'hébergement d'urgence ;
- que le préjudice du département de l'Isère n'est pas établi dès lors que les pièces qu'il a produites ne permettent pas de vérifier que les personnes accueillies répondaient effectivement aux conditions de l'hébergement d'urgence devant être assumé par l'Etat, et qu'il ne s'agissait pas de personnes qu'il appartenait au département de prendre en charge ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire, enregistré le 6 mai 2013, présenté par le département de l'Isère qui conclut au rejet du recours et à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Il soutient :
- que le jugement n'est pas entaché d'irrégularité puisque l'organisation de l'hébergement d'urgence ne concerne pas uniquement les administrations déconcentrées de l'Etat ;
- qu'en matière d'hébergement d'urgence, l'Etat se trouve soumis à une obligation de résultat ;
- qu'il existe un lien de causalité entre la faute de l'Etat consistant à ne pas satisfaire à ses obligations en matière d'hébergement d'urgence et le préjudice financier subi par le département de l'Isère correspondant aux sommes qu'il a dû exposer pour suppléer aux carences de l'Etat ;
- que le préjudice correspond aux sommes qu'il a consacrées à l'hébergement hôtelier qui a concerné presqu'exclusivement des personnes qui relevaient de l'hébergement d'urgence, la part des personnes accueillies qui étaient concernées par l'aide sociale à l'enfance étant mineure ;
- que dans l'hypothèse où la Cour estimerait que les éléments qui lui sont fournis ne permettent pas d'évaluer avec précision le préjudice, il lui appartiendra d'en déterminer elle-même le montant en usant au besoin de ses pouvoirs d'instruction ;
Vu le mémoire, enregistré le 7 juin 2013, présenté par la ministre des affaires sociales et de la santé qui conclut aux mêmes fins que le recours par les mêmes moyens ;
Vu le mémoire, enregistré le 27 septembre 2013, présenté pour le département de l'Isère qui conclut aux mêmes fins que précédemment par les mêmes moyens ;
Vu l'ordonnance du 19 avril 2013 fixant la date de clôture de l'instruction au 7 mai 2013 ;
Vu l'ordonnance du 24 mai 2013 reportant la date de clôture de l'instruction au 7 juin 2013 ;
Vu l'ordonnance du 29 août 2013 reportant la date de clôture de l'instruction au 27 septembre 2013 ;
Vu le mémoire, enregistré le 2 décembre 2013, présenté pour le département de l'Isère ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 20 décembre 2013, présentée pour le département de l'Isère ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l'action sociale et des familles ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 5 décembre 2013 :
- le rapport de M. Poitreau, premier conseiller ;
- les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public ;
- et les observations de Me Bartoul, avocat du département de l'Isère ;
1. Considérant que la ministre des affaires sociales et de la santé fait appel du jugement par lequel le Tribunal administratif de Grenoble a condamné l'Etat à verser au département de l'Isère une indemnité de 8 654 880 euros en réparation de son préjudice correspondant aux sommes qu'il aurait exposées pour assurer l'hébergement d'urgence à la place de l'Etat ;
2. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 121-1 du code de l'action sociale et des familles : " Le département définit et met en oeuvre la politique d'action sociale, en tenant compte des compétences confiées par la loi à l'Etat, aux autres collectivités territoriales ainsi qu'aux organismes de sécurité sociale. (....) /Les prestations légales d'aide sociale sont à la charge du département dans lequel les bénéficiaires ont leur domicile de secours, à l'exception des prestations énumérées à l'article L. 121-7. " ; que l'article L. 212-6 du même code dispose que : " Par convention passée avec le département, une commune peut exercer directement tout ou partie des compétences qui, dans le domaine de l'action sociale, sont attribuées au département en vertu des articles L. 121-1 et L. 121-2. (...) " ;
3. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 121-7 du code de l'action sociale et des familles : " Sont à la charge de l'Etat au titre de l'aide sociale : (...) 8° Les mesures d'aide sociale en matière de logement, d'hébergement et de réinsertion, mentionnées aux articles L. 345-1 à L. 345-3 (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 345-1 du même code : " Bénéficient, sur leur demande, de l'aide sociale pour être accueillies dans des centres d'hébergement et de réinsertion sociale publics ou privés les personnes et les familles qui connaissent de graves difficultés, notamment économiques, familiales, de logement, de santé ou d'insertion, en vue de les aider à accéder ou à recouvrer leur autonomie personnelle et sociale. Les étrangers s'étant vu reconnaître la qualité de réfugié ou accorder le bénéfice de la protection subsidiaire en application du livre VII du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile peuvent être accueillis dans des centres d'hébergement et de réinsertion sociale dénommés "centres provisoires d'hébergement". /Les centres d'hébergement et de réinsertion sociale, dont les conditions de fonctionnement et de financement sont prévues par voie réglementaire, assurent tout ou partie des missions définies au 8° du I de l'article L. 312-1, en vue de faire accéder les personnes qu'ils prennent en charge à l'autonomie sociale. / Ce règlement précise, d'une part, les modalités selon lesquelles les personnes accueillies participent à proportion de leurs ressources à leurs frais d'hébergement et d'entretien et, d'autre part, les conditions dans lesquelles elles perçoivent la rémunération mentionnée à l'article L. 241-12 du code de la sécurité sociale lorsqu'elles prennent part aux activités d'insertion professionnelle prévues à l'alinéa précédent. /Des places en centres d'hébergement et de réinsertion sociale sont ouvertes à l'accueil des victimes de la traite des êtres humains dans des conditions sécurisantes. " ; que l'article L. 345-2 dudit code dispose que : " Dans chaque département est mis en place, sous l'autorité du représentant de l'Etat, un dispositif de veille sociale chargé d'accueillir les personnes sans abri ou en détresse, de procéder à une première évaluation de leur situation médicale, psychique et sociale et de les orienter vers les structures ou services qu'appelle leur état. /Ce dispositif fonctionne sans interruption et peut être saisi par toute personne, organisme ou collectivité. /Les établissements mentionnés au 8° du I de l'article L. 312-1 informent en temps réel de leurs places vacantes le représentant de l'Etat qui répartit en conséquence les personnes recueillies. /A la demande du représentant de l'Etat, cette régulation peut être assurée par un des établissements mentionnés à l'alinéa précédent, sous réserve de son accord. " ; qu'aux termes de l'article L. 345-2-2 de ce code : " Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique et sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d'hébergement d'urgence. /Cet hébergement d'urgence doit lui permettre, dans des conditions d'accueil conformes à la dignité de la personne humaine, de bénéficier de prestations assurant le gîte, le couvert et l'hygiène, une première évaluation médicale, psychique et sociale, réalisée au sein de la structure d'hébergement ou, par convention, par des professionnels ou des organismes extérieurs et d'être orientée vers tout professionnel ou toute structure susceptibles de lui apporter l'aide justifiée par son état, notamment un centre d'hébergement et de réinsertion sociale, un hébergement de stabilisation, une pension de famille, un logement-foyer, un établissement pour personnes âgées dépendantes, un lit halte soins santé ou un service hospitalier. " ;
4. Considérant que le département de l'Isère fait valoir qu'en raison de la carence des services de l'Etat dans l'exercice des missions d'hébergement que leur confèrent les dispositions précitées du code de l'action sociale et des familles, il a dû, au cours des années 2006 à 2009, se substituer à ces services pour assurer ces missions ; qu'il demande le remboursement des dépenses qu'il a ainsi exposées ; qu'il appartient au département d'établir l'existence non d'une carence caractérisée des services de l'Etat, comme l'a jugé le Tribunal administratif de Grenoble, mais seulement d'un manquement fautif à leurs obligations, ainsi que la réalité de son préjudice et le lien direct de causalité qui le relie à la faute commise ;
5. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le département de l'Isère a conclu avec le centre communal d'action sociale de Grenoble, successivement pour les années 2005 à 2007 et 2008 à 2010, deux conventions portant sur l'hébergement des familles avec enfants ; qu'il soutient qu'un certain nombre des personnes dont il a financé l'hébergement dans des hôtels relevaient de l'hébergement d'urgence et n'avaient pas pu être admises, faute de places suffisantes pour les accueillir, dans les structures mises en place à cet effet par l'État dans ce département ; que toutefois, ni les documents budgétaires et comptables, ni la liste des personnes hébergées, que le département produit, ne contiennent les précisions suffisantes pour établir que ces personnes relevaient de l'hébergement d'urgence défini par les dispositions précitées du code de l'action sociale et des familles, dont la charge incombe à l'Etat ; que, dès lors, le département de l'Isère, qui ne démontre pas avoir assumé une telle charge, ne justifie pas du préjudice dont il demande réparation ; que par suite, une mesure d'instruction visant à déterminer l'étendue de ce préjudice, est dépourvue d'utilité ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la ministre des affaires sociales et de la santé est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Grenoble a condamné l'État à verser au département de l'Isère la somme de 8 654 880 euros ;
7. Considérant que les conclusions du département de l'Isère, partie perdante dans la présente instance, tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, doivent, dès lors, être rejetées ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Grenoble du 6 avril 2012 est annulé.
Article 2 : Les conclusions du département de l'Isère sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre des affaires sociales et de la santé et au département de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 5 décembre 2013 à laquelle siégeaient :
M. Clot, président de chambre,
MM. C...etA..., présidents-assesseurs,
MM. B...et Poitreau, premiers conseillers.
Lu en audience publique, le 26 décembre 2013.
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N° 12LY01493 2