Vu, enregistrée au greffe de la Cour sous le n° 12LY02961 le 3 décembre 2012, la décision n° 346973 du 26 novembre 2012 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux :
- a annulé l'arrêt de la Cour n° 09LY00951 du 23 décembre 2010 statuant sur la requête du centre hospitalier universitaire de Grenoble tendant à l'annulation du jugement n° 0501168 du Tribunal administratif de Grenoble du 3 mars 2009 qui l'a condamné à verser à M. C... A... une indemnité de 104 000 euros en réparation des préjudices subis à la suite de son hospitalisation ;
- a renvoyé à la Cour le jugement de l'affaire ;
Vu la requête sommaire et le mémoire ampliatif, enregistrés les 4 mai et 12 octobre 2009, présentés pour le centre hospitalier universitaire de Grenoble qui demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0501168 du 3 mars 2009 par lequel le Tribunal administratif de Grenoble l'a condamné à verser à M. A...une indemnité de 104 000 euros ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A...devant le tribunal administratif ;
Il soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé ;
- il existe de nombreux indices montrant le caractère endogène des germes à l'origine de l'infection dont a été victime M. A...;
- la pluralité de germes évoque une infection de nature endogène ;
- si l'infection était exogène, les germes auraient dû être multi-résistants aux antibiotiques, alors qu'ils y ont été sensibles ;
- une lésion de l'oesophage, résultant d'un frottement répété du matériel d'ostéosynthèse sur le pharynx, est à l'origine de cette contamination ;
- le cas échéant, une nouvelle expertise devrait être organisée ;
- de nombreux préjudices retenus sont sans lien direct de causalité avec l'infection ;
- le préjudice professionnel est d'un montant excessif ;
- les sommes allouées pour perte future de revenus et troubles dans les conditions d'existence sont sans fondement ;
- l'incapacité permanente partielle de M.A..., de 14 %, n'est pas imputable à l'infection ;
- il n'est pas établi que son préjudice personnel serait en lien avec l'infection ;
- les chefs de préjudice ont été évalués de manière excessive ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire, enregistré le 5 mai 2010, présenté pour M. C...A..., domicilié..., qui conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros, ainsi que les dépens, soient mis à la charge du centre hospitalier universitaire de Grenoble au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Il soutient que :
- il n'y a pas d'erreur sur la définition de l'infection nosocomiale ;
- la présence du staphylocoque dans l'oesophage du patient n'est pas démontrée ;
- cette infection, qui a été contractée lors de la pose du matériel d'ostéosynthèse, est d'origine exogène ;
- les préjudices dont il a souffert sont directement en lien avec l'affection et ont été évalués à leur juste mesure ;
Vu le mémoire, enregistré le 25 octobre 2010, présenté pour le centre hospitalier universitaire de Grenoble, qui conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens ;
Il soutient en outre que la notion d'infection nosocomiale retenue par l'expert n'est pas celle que retient le juge administratif, qui distingue les germes endogènes des germes exogènes ;
Vu les mémoires, enregistrés les 26 décembre 2012 et 11 février 2013, présentés pour M. A..., qui conclut aux mêmes fins que précédemment par les mêmes moyens ; il demande en outre la condamnation du centre hospitalier universitaire de Grenoble à lui verser une provision de 50 000 euros au titre de l'aggravation de son préjudice ;
Il soutient en outre que la décision du Conseil d'Etat du 26 novembre 2012 confirme sa jurisprudence instituant une présomption de faute de l'établissement hospitalier en cas d'infection nosocomiale, sauf s'il est démontré de manière certaine que l'infection a été provoquée par des germes endogènes, c'est-à-dire présents dans l'organisme du patient avant son hospitalisation ; qu'en l'espèce il résulte des constations de l'expert désigné par le tribunal administratif que l'infection a été contractée à la faveur de l'acte médical invasif qu'il a subi lors de la pose du matériel d'ostéosynthèse ; que le centre hospitalier n'apporte aucun élément contredisant le rapport d'expertise, selon lequel les préjudices ne seraient pas en lien direct avec l'infection ; que depuis l'expertise, son état de santé s'est détérioré, ce qui justifie de lui accorder une provision de 50 000 euros eu égard à l'aggravation des troubles de toute nature qu'il subit dans ses conditions d'existence ;
Vu le mémoire, enregistré le 12 février 2013, présenté pour le centre hospitalier universitaire de Grenoble, qui conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens ; il demande en outre, à titre, subsidiaire qu'une nouvelle expertise soit ordonnée ;
Il soutient en outre que la pluralité de germes implique une infection de nature endogène ; que si l'infection était exogène, les germes retrouvés auraient dû être multi-résistants aux antibiotiques, alors qu'ils y ont été sensibles ; que c'est une lésion de l'oesophage, résultant d'un frottement répété du matériel d'ostéosynthèse sur le pharynx, qui est à l'origine de la contamination ; que dans l'hypothèse où la Cour considérerait néanmoins qu'il n'existe pas de certitude quant au caractère endogène de l'infection, il lui appartiendrait d'ordonner une nouvelle expertise pour déterminer l'origine des germes, en particulier le staphylocoque doré, car le rapport d'expertise est ambigu, notamment parce qu'il se fonde sur un autre rapport d'expertise retenant une définition de l'infection nosocomiale qui est celle des juridictions de l'ordre judiciaire, correspondant à une infection contractée au cours d'un séjour dans un établissement de soin, et non pas à une infection résultant d'un germe faisant partie de l'environnement hospitalier, donc extérieur au patient ; que de nombreux préjudices retenus par le Tribunal sont sans lien direct de causalité avec l'infection ; qu'il est établi qu'avant même l'infection dont il a été victime, M.A..., souffrant d'une névralgie cervico-brachiale très douloureuse, avait déjà diminué son activité professionnelle en raison d'arrêts de travail pour maladie répétés et qu'il avait cessé sa pratique sportive ; qu'il n'est donc pas justifié de lui accorder la somme de 76 000 euros en réparation de la perte future de revenus ainsi que la somme de 20 000 euros en réparation des préjudices personnels, car il n'est pas établi que l'infection soit à l'origine d'une aggravation des souffrances et des troubles dans les conditions d'existence de l'intéressé ;
Vu l'ordonnance du 29 janvier 2013 fixant au 13 février 2013 la date de clôture de l'instruction ;
Vu l'ordonnance du 13 février 2013 reportant au 22 mars 2013 la date de clôture de l'instruction ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 3 octobre 2013 :
- le rapport de M. Poitreau, premier conseiller ;
- les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public ;
- et les observations de MeB..., substituant Me Balestas, avocat de M.A... ;
1. Considérant que M.A..., né en 1953, souffrait d'une arthrose cervicale dont les conséquences ont été aggravées par l'accident de la circulation dont il a été victime en 1999 ; que les douleurs cervicales s'étant intensifiées et présentant un caractère invalidant, il a subi le 4 avril 2000 au centre hospitalier universitaire (CHU) de Grenoble une intervention chirurgicale de dysectomie au niveau C5-C6 et C6-C7 avec ostéosynthèse ; qu'après s'être amélioré, son état s'est rapidement dégradé ; qu'en raison de troubles de la déglutition et de l'intensification des douleurs cervicales dans un contexte de fièvre brutale, il a dû être à nouveau hospitalisé le 16 août 2000 ; qu'un examen IRM a mis en évidence une infection dans la région opérée ; qu'il a fait l'objet d'une nouvelle intervention le 19 août 2000, destinée à l'ablation du matériel d'ostéosynthèse, suivie d'une antibiothérapie qui a permis de guérir son infection ; que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Grenoble a condamné le CHU de Grenoble à verser à M. A...une indemnité de 104 000 euros en réparation des préjudices causés par cette infection ; que le CHU de Grenoble fait appel de ce jugement et, que, par la voie de l'appel incident, M. A...demande la condamnation de cet établissement hospitalier à lui verser une provision de 50 000 euros en raison de l'aggravation de son état de santé ;
Sur le principe de la responsabilité :
2. Considérant que les infections dont se plaint M. A... sont apparues à la suite de l'opération qu'il a subie le 4 avril 2000 au CHU de Grenoble, soit antérieurement à l'entrée en vigueur, le 5 septembre 2001, des dispositions du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, issues de la loi du 4 mars 2002 susvisées, qui font peser sur l'établissement de santé la responsabilité des infections nosocomiales, qu'elles soient exogènes ou endogènes, à moins que la preuve d'une cause étrangère ne soit apportée ; que la situation de M. A... continue donc à relever du principe selon lequel, sauf en cas d'infection résultant de germes déjà présents dans l'organisme du patient avant son hospitalisation, l'introduction accidentelle, lors d'une intervention médicale, d'un germe microbien dans son organisme révèle une faute dans l'organisation ou le fonctionnement du service hospitalier de nature à engager la responsabilité de ce dernier envers la victime des conséquences dommageables de l'infection ;
3. Considérant que l'introduction accidentelle d'un germe microbien dans l'organisme lors d'une intervention chirurgicale révèle une faute dans l'organisation ou le fonctionnement du service hospitalier ; qu'il n'en va autrement que lorsqu'il est certain que l'infection, ni présente, ni en incubation au début de la prise en charge et qui s'est déclarée à la suite d'une intervention chirurgicale, résulte de germes déjà présents dans l'organisme du patient avant l'hospitalisation ;
4. Considérant qu'en l'espèce M. A... ne présentait pas d'infection au début de sa prise en charge au CHU de Grenoble, les complications qui ont suivi l'opération qu'il a subie le 4 avril 2000 s'étant manifestées dès le mois de juin suivant, et le diagnostic concernant l'identification de l'infection ayant été établi moins d'un mois plus tard ; que s'agissant des quatre germes infectieux qui ont été retrouvés sur le site opératoire, il ressort du rapport d'expertise que trois de ces quatre germes responsables de l'infection proviennent de la propre flore microbienne d'origine bucco-dentaire ou oesophagienne de M.A... ; qu'il existe, en revanche, une incertitude sur l'origine du quatrième germe, soit le staphylocoque doré, dont l'expert n'exclut pas qu'il a pu pénétrer sur le site opératoire à l'occasion du geste invasif qu'impliquait l'opération réalisée le 4 avril 2000 ; que, dans ces conditions, l'absence de certitude quant au caractère endogène de l'infection, révèle une faute dans l'organisation ou le fonctionnement du service hospitalier ; qu'il appartient au CHU de Grenoble de réparer les conséquences dommageables que cette faute a comportées ;
Sur les préjudices :
En ce qui concerne les préjudices à caractère patrimonial :
5. Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expert désigné par le Tribunal administratif de Grenoble qu'à la suite de l'infection nosocomiale qu'il a contractée, M.A..., médecin libéral, a dû réduire son temps de travail et faire appel à un médecin remplaçant de façon intermittente pendant la période d'incapacité temporaire de travail du 6 juin 2000 au 1er août 2001 ; que, par ailleurs, en raison du handicap permanent, évalué à 14 %, dont il demeure atteint en conséquence de l'infection contractée, M. A...est privé de la possibilité d'exercer à temps plein son activité de médecin ; que l'expert évalue à 25 % la diminution des revenus professionnels de l'intéressé ; que, dans ces conditions, eu égard aux comptes de résultat du cabinet médical de l'intéressé, son préjudice au cours de cette période d'incapacité temporaire doit être fixé à 5 300 euros et sa perte future de revenus à 40 000 euros ;
En ce qui concerne les préjudices à caractère personnel :
6. Considérant que, comme il a été dit, M. A...demeure atteint, en conséquence de l'infection qu'il a contractée, d'une incapacité permanente estimé par l'expert à 14 %; qu'il souffre de cervicalgies avec raideur le contraignant à porter des colliers cervicaux, d'une névralgie au niveau de la vertèbre C8 droite persistante perturbant son sommeil et lui occasionnant des vertiges ; que la finesse de ses gestes, notamment de la main droite, ainsi que sa capacité à conduire un véhicule sont limitées ; qu'eu égard par ailleurs aux souffrances endurées et au préjudice esthétique évalué par l'expert à, respectivement, 3,5 et 1 sur une échelle de 1 à 7, et compte tenu également de l'état de santé antérieur de M. A..., il sera fait une juste appréciation des préjudices à caractère personnel qu'il a subis, comprenant les troubles de toute nature dans ses conditions d'existence, en les évaluant à 19 700 euros ;
7. Considérant que si M. A...sollicite une provision complémentaire de 50 000 euros " au titre de l'aggravation du trouble dans les conditions d'existence qu'il subit ", il n'apporte aucun élément de nature à justifier de l'aggravation de son état de santé tel que l'a évalué l'expert ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner une nouvelle expertise, que, d'une part, le CHU de Grenoble est seulement fondé à demander que la somme de 104 000 euros qu'il a été condamné à verser à M. A...par le jugement du Tribunal administratif de Grenoble du 3 mars 2009 soit ramenée à 65 000 euros et que, d'autre part, M. A... n'est pas fondé à demander la majoration de cette indemnité ;
9. Considérant que selon l'article R. 761-1 du code de justice administrative, " sous réserve de dispositions particulières ", les dépens " sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties " ; que les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 1 108,15 euros par ordonnance du 6 novembre 2006 du président du tribunal administratif, doivent, dans les circonstances de l'espèce, être laissés à la charge du CHU de Grenoble ;
10. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. " ; que, dans les circonstances de l'espèce, les conclusions de M. A...tendant à l'application de ces dispositions doivent être rejetées ;
DECIDE :
Article 1er : La somme de 104 000 euros que le CHU de Grenoble a été condamné à verser à M. A... par l'article 1er du jugement du Tribunal administratif de Grenoble du 3 mars 2009 est ramenée à 65 000 euros.
Article 2 : Le jugement du Tribunal administratif de Grenoble du 3 mars 2009 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête du CHU de Grenoble et les conclusions de M. A...sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier universitaire de Grenoble, à M. C... A...et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 3 octobre 2013 à laquelle siégeaient :
M. Clot, président de chambre,
M. Seillet, président-assesseur,
M. Poitreau, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 7 novembre 2013.
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N° 12LY02961 2