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24/09/2013 | FRANCE | N°12LY02370

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 3ème chambre - formation à 3, 24 septembre 2013, 12LY02370


Vu le recours, enregistré le 4 septembre 2012, présenté par le ministre de l'économie et des finances ;

Le ministre de l'économie et des finances demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1007283 du 5 juillet 2012 du Tribunal administratif de Lyon condamnant l'Etat à verser à la société Pasquier Desvignes une somme de 611 541,77 euros ;

2°) à titre principal, de rejeter la demande indemnitaire de la société Pasquier Desvignes et à titre subsidiaire, de réduire cette indemnité à 45 000 euros ;

Il soutient que :

- nonobstant l'erreu

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Vu le recours, enregistré le 4 septembre 2012, présenté par le ministre de l'économie et des finances ;

Le ministre de l'économie et des finances demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1007283 du 5 juillet 2012 du Tribunal administratif de Lyon condamnant l'Etat à verser à la société Pasquier Desvignes une somme de 611 541,77 euros ;

2°) à titre principal, de rejeter la demande indemnitaire de la société Pasquier Desvignes et à titre subsidiaire, de réduire cette indemnité à 45 000 euros ;

Il soutient que :

- nonobstant l'erreur de procédure sanctionnée par la Cour, une décision identique aurait été prise par l'administration et que par suite, il ne peut y avoir d'indemnisation d'un préjudice ;

- le jugement est irrégulier dès lors que le magistrat ayant statué sur le référé suspension relatif au déclassement par l'ordonnance du 24 novembre 2006 a présidé la formation de jugement ; il avait pris position dans l'ordonnance de référé sur le litige en évoquant la crise viticole et la surproduction ; ces éléments de fait jouent un rôle dans la solution du litige puisque la vente en absence de déclassement aurait eu lieu à la même période ;

- la qualité du vin était très moyenne comme l'attestent les contrôles réalisés ; 21 des 22 cuves déclassées concernent des vins AOC Beaujolais et Beaujolais villages des millésimes 2002 et 2004 ; le négociant lui-même précise que ces vins ont été vinifiés en primeur et qu'ils sont peu tanniques et fragiles ; ainsi, ils ne pouvaient supporter une durée de conservation de quatre années ; les analyses du laboratoire Cofrac réalisées à la demande du négociant confirment les conclusions de déclassement ; ce laboratoire indique que sur 9 des 21 cuves testées, les vins ne sont pas conformes à l'appellation et au millésime ;

- l'indemnité devait prendre en compte les conditions de vente ; que le prix d'achat est supérieur au cours moyen ; ce prix d'achat correspond à des vins primeurs vendus en cours de campagne ; la société a racheté ces vins postérieurement à la campagne ; selon les chiffres de l'interprofession, le prix de vente n'était plus que de 40 euros par hectolitre en 2006-2007 pour un vin de bonne qualité ; le prix de 29 euros par hectolitre doit être considéré comme étant le prix du marché ;

- le négociant vise à mettre à la charge de l'Etat son erreur de stratégie commerciale ; il ne pouvait trouver preneur pour ces vins ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire, enregistré le 17 janvier 2013, présenté pour la société Pasquier Desvignes qui conclut au rejet du recours et à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 611 541,77 euros en réparation de la perte subie augmentée des intérêts au taux légal avec capitalisation annuelle et une somme 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- l'ordonnance du 8 novembre 2006 rejetait sa requête et portait sur un litige différent ; par suite, le magistrat délégué n'a pas pris position sur le litige indemnitaire ; par ailleurs, le ministre n'a pas en première instance critiqué le montant du préjudice, que la question de la crise viticole de 2006-2007 n'était donc pas en débat ;

- l'avis de la commission, si elle avait été constituée régulièrement, n'était pas acquis ; par ailleurs, les critères sur l'appellation faisaient l'objet d'un débat ; que le stockage des vins était réalisé dans de bonnes conditions ; l'absence de qualités organoleptiques conformes à l'appellation des vins déclassés n'est pas établie ; la procédure de déclassement a été abrogée par le règlement n° 479/2008 ; l'avis émis le 21 août 2006 par la Commission nationale d'experts ne présentait pas de garanties d'objectivité ; l'avis de la commission régionale doit être également écarté du fait de l'absence de garantie des droits de la défense ;

- les analyses réalisées par la société confirmaient que les vins étaient conformes à leur appellation ; à supposer que la qualité des vins soit moyenne, le règlement n° 1493/1999 ne permet le déclassement qu'au terme du processus de production ;

- le ministre conteste le montant du préjudice seulement en appel, privant ainsi la société d'un degré de juridiction ; les factures d'achat attestent que les vins ont été achetés avant la fin de la campagne ; les prix d'achat comprennent la commission de courtage et les frais de transport ;

- la société a vendu des vins contrôlés dont les appellations ont été maintenues sans subir de pertes par rapport à leur prix d'achat ; le cours de 40 euros par hectolitre représente un cours d'achat en vrac alors que la société vend des vins en bouteille après assemblage ; le document d'Interbeaujolais porte seulement sur 24 contrats pour 2 129 hectolitres et n'est pas représentatif puisqu'il aboutirait à un pris de 0,3 euros par bouteille ; la société ne demande pas l'indemnisation d'un bénéfice mais d'une perte subie à raison de la revente de vins en boisson aromatisée ;

Vu le mémoire, enregistré le 22 janvier 2013, présenté pour la société Pasquier Desvignes qui conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens ;

Elle soutient, en outre, que le prix d'achat retenu par l'administration est erroné puisqu'il ne tient pas compte des quantités achetées comme l'attestent les factures d'achat ; elle a vendu en 2006 plus de production qu'elle n'en a acheté et que l'absence de commercialisation des vins déclassés ne résulte que de ce déclassement ; elle produit des factures de vente de 2006 ;

Vu l'ordonnance en date du 15 janvier 2013 par laquelle la date de la clôture de l'instruction a été fixée au 25 février 2013 ;

Vu le mémoire, enregistré le 25 février 2013, présenté par le ministre de l'économie et des finances qui conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens ;

Vu l'ordonnance en date du 4 mars 2013 par laquelle la date de la clôture de l'instruction a été reportée au 22 mars 2013 ;

Vu le mémoire, enregistré le 22 mars 2013, présenté pour la société Pasquier Desvignes qui conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens ;

Vu le mémoire, enregistré le 26 avril 2013, présenté par le ministre de l'économie et des finances qui conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens ;

Vu l'ordonnance en date du 26 avril 2013 par laquelle la date de la clôture de l'instruction a été reportée au 24 mai 2013 ;

Vu le mémoire, enregistré le 23 mai 2013, présenté pour la société Pasquier Desvignes qui conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens ;

Vu l'ordonnance en date du 27 mai 2013 par laquelle la date de la clôture de l'instruction a été reportée au 14 juin 2013 ;

Vu le mémoire, enregistré le 12 juin 2013, présenté par le ministre de l'économie et des finances qui conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le règlement CE n° 1493/1999 du Conseil du 17 mai 1999 portant organisation commune du marché vitivinicole ;

Vu le règlement CE n° 1607/2000 du 24 juillet 2000 fixant certaines modalités d'application du règlement n° 1493/1999 ;

Vu le code civil ;

Vu le décret n° 2001-510 du 12 juin 2001 portant application du code de la consommation en ce qui concerne les vins, vins mousseux, vins pétillants et vins de liqueurs ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 3 septembre 2013 :

- le rapport de M. Clément, premier conseiller ;

- les conclusions de Mme Schmerber, rapporteur public ;

- et les observations de MeA..., représentant le cabinet Brémond, Vaïsse, Rambert et Associés, pour la société Pasquier Desvignes ;

1. Considérant que le ministre de l'économie et des finances fait appel du jugement du 5 juillet 2012 du Tribunal administratif de Lyon qui a condamné l'Etat à indemniser la société Pasquier Desvignes à hauteur de 611 541,77 euros des préjudices subis du fait de l'illégalité de sa décision du 7 septembre 2006 prononçant le déclassement de 4 176,78 hectolitres de vins d'appellation d'origine contrôlée Beaujolais rouge, Beaujolais villages rouge et Fleurie rouge des millésimes 2002 et 2004 ;

Sur la régularité du jugement :

2. Considérant que si le ministre soutient que le magistrat ayant présidé la formation de jugement avait déjà pris position sur le litige, la seule circonstance que par une ordonnance rendue dans le cadre d'un référé relatif à la suspension de la décision de déclassement, ce magistrat ait évoqué, dans le cadre de l'examen de la condition d'urgence, la crise viticole que traversait le Beaujolais dans les années 2006 et 2007 n'implique pas que le président de la formation de jugement avait préjugé de l'issue du litige indemnitaire ; que par suite, le moyen doit être écarté ;

Sur le bien-fondé :

3. Considérant que le ministre de l'économie et des finance avait la qualité de défendeur devant le tribunal administratif ; que, dès lors, contrairement à ce que soutient la société Pasquier Desvignes, il est recevable à présenter tout moyen au soutien de son appel ;

4. Considérant que si l'intervention d'une décision illégale peut constituer une faute susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat, elle ne saurait donner lieu à réparation si, dans le cas d'une procédure régulière, la même décision aurait pu légalement être prise ;

5. Considérant que la décision de déclassement en date du 7 septembre 2006, annulée par arrêt de la Cour administrative d'appel de Lyon du 16 décembre 2010 en raison d'un vice de procédure tiré de l'absence de quorum lors de la réunion du 21 août 2006 de la commission nationale d'experts, était motivée par l'altération des qualités organoleptiques des vins ; que cependant, il est constant que l'évaluation de ces qualités pouvant donner lieu à une décision de déclassement résulte notamment de l'appréciation fournie par la commission nationale d'experts dont l'avis était requis par l'article 5 du décret du 12 juin 2011 alors applicable ; que le ministre n'établit, ni même ne soutient, que l'avis de la commission d'experts aurait été nécessairement le même si le quorum avait été atteint lors de la réunion du 21 août 2006 ; qu'il résulte de ce qui précède que si la procédure avait été régulière, il n'est pas établi que la même décision de déclassement aurait pu être légalement prise ; que, par suite, la société est fondée à demander réparation du préjudice subi du fait du déclassement illégal ;

6. Considérant qu'il n'est pas contesté que la société Pasquier Desvisgnes, du fait du déclassement, a dû vendre les 4 176,78 hectolitres de vin comme " boisson aromatisée à base de vin rouge " pour un montant total de 121 882,43 euros ; que si la société évalue son préjudice comme la différence entre ce prix de vente et le prix d'achat du vin soit 733 424,20 euros, une telle évaluation ne peut être retenue dès lors que la société n'établit pas que le prix du marché des millésimes 2002 et 2004 des Beaujolais pour les années 2006 et 2007 s'élèverait au prix auquel elle a acheté ces vins ; que si la société produit des factures justifiant des prix de vente en 2006 à hauteur de 1,3 à 3,8 euros par bouteille pour des millésimes 2004, ces factures portent sur des quantités faibles et ce prix de vente tient nécessairement compte notamment des opérations d'assemblage et d'embouteillage assurées par l'entreprise sans qu'il soit possible d'établir la part de ces opérations dans le prix de vente ; que l'administration produit une attestation de l'organisation interprofessionnelle des vins du beaujolais qui évalue à 40 euros par hectolitre le prix d'achat des millésimes 2002 et 2004 en 2006 ; que par suite, il sera fait une juste appréciation du préjudice subi en évaluant celui-ci à la somme de 45 000 euros ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Pasquier Desvignes est seulement fondée à demander la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 45 000 euros, laquelle doit être assortie, en application de l'article 1153-1 du code civil, des intérêts au taux légal à compter du 27 juillet 2010, date de réception de sa réclamation préalable ; que la capitalisation des intérêts a été demandée le 26 novembre 2010, date à laquelle une année d'intérêt au moins n'était pas due ; qu'il y a lieu, en application de l'article 1154 du code civil, de faire droit à cette demande au 27 juillet 2011, date à laquelle une année d'intérêt était due ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Lyon a évalué l'indemnité mise à sa charge en réparation du préjudice subi par la société Pasquier Desvignes à une somme de 611 541,77 euros ;

9. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamnée à payer à la société Pasquier Desvignes une quelconque somme à ce titre ;

DECIDE :

Article 1er : L'Etat est condamné à verser à la société Pasquier Desvignes une somme de 45 000 euros. Cette somme portera intérêt au taux légal à compter du 27 juillet 2010. Les intérêts échus au 27 juillet 2011, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés pour porter eux même intérêts.

Article 2 : Le jugement n° 1007283 du 5 juillet 2012 du Tribunal administratif de Lyon est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du présent arrêt.

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Article 3 : Le surplus des conclusions du ministre de l'économie et des finances et de la société Pasquier Desvignes est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie et des finances et à la société Pasquier Desvignes.

Délibéré après l'audience du 3 septembre 2013 à laquelle siégeaient :

M. Martin, président de chambre,

Mme Courret, président-assesseur,

M. Clément, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 24 septembre 2013.

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N° 12LY02370

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 12LY02370
Date de la décision : 24/09/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-04-01-01 Responsabilité de la puissance publique. Réparation. Préjudice. Absence ou existence du préjudice.


Composition du Tribunal
Président : M. MARTIN
Rapporteur ?: M. Marc CLEMENT
Rapporteur public ?: Mme SCHMERBER
Avocat(s) : BRÉMOND, VAÏSSE, RAMBERT et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2013-09-24;12ly02370 ?
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