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29/08/2011 | FRANCE | N°10LY01496

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème chambre - formation à 3, 29 août 2011, 10LY01496


Vu, enregistré au greffe de la Cour le 28 juin 2010, sous le n° 10LY01496, l'arrêt n° 318752, en date du 2 juin 2010, par lequel le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi en cassation présenté par le ministre de l'agriculture et de la pêche, a :

1°) annulé l'arrêt n° 05LY00988 de la Cour administrative d'appel de Lyon, en date du 6 mai 2008, portant de 10 046,69 euros à 36 884,12 euros la somme que l'Etat a été condamné à verser à M. Jean-Louis A par l'article 1er du jugement n° 0202489 du Tribunal administratif de Grenoble, en indiquant que la som

me de 26 837,43 euros porterait intérêt à compter du 16 avril 2002, les...

Vu, enregistré au greffe de la Cour le 28 juin 2010, sous le n° 10LY01496, l'arrêt n° 318752, en date du 2 juin 2010, par lequel le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi en cassation présenté par le ministre de l'agriculture et de la pêche, a :

1°) annulé l'arrêt n° 05LY00988 de la Cour administrative d'appel de Lyon, en date du 6 mai 2008, portant de 10 046,69 euros à 36 884,12 euros la somme que l'Etat a été condamné à verser à M. Jean-Louis A par l'article 1er du jugement n° 0202489 du Tribunal administratif de Grenoble, en indiquant que la somme de 26 837,43 euros porterait intérêt à compter du 16 avril 2002, les intérêts échus le 29 juillet 2005 étant capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts à compter de cette date, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

2°) renvoyé l'affaire à la Cour administrative d'appel de Lyon ;

3°) mis une somme globale de 1 500 euros à la charge de l'Etat, à payer aux consorts A sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 20 juin 2005 et 29 juillet 2005, présentés pour M. Jean-Louis A, domicilié ... ;

M. A demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement n° 0202489 du Tribunal administratif de Grenoble, en date du 31 mars 2005, en tant qu'il n'a pas intégralement fait droit à sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 58 318,07 euros en complément de l'indemnité qui lui a été allouée suite à l'abattage de son cheptel au titre de la police sanitaire pour cause d'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser l'intégralité de cette somme, outre intérêts et capitalisation des intérêts ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros, à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient que :

- le jugement attaqué ne comporte pas l'ensemble des mentions obligatoires prescrites par les articles R. 741-2 et suivants du code de justice administrative ;

- c'est à tort que le Tribunal a rejeté ses conclusions tendant à voir l'Etat condamné à lui verser une indemnité complémentaire en réparation du préjudice subi du fait de l'abattage de son cheptel ; en jugeant que les indemnités qui lui avaient été allouées étaient raisonnablement en rapport avec la valeur des bêtes abattues et que l'atteinte à son droit de propriété n'était pas excessif, le Tribunal a commis une erreur de droit ; c'est à tort que le Tribunal a ainsi jugé qu'il ne pouvait prétendre à la réparation intégrale de son préjudice ;

- le jugement est entaché d'une violation, par fausse interprétation et application, des dispositions combinées de l'article L. 221-2 du code rural et de l'article 6 de l'arrêté du 4 décembre 1990 ;

- c'est à tort que le Tribunal a considéré qu'au regard de l'objet de sa demande les vices propres dont serait entachée la décision ayant attribué l'indemnité dont le montant est contesté sont sans incidence sur la solution du litige ; ces motifs sont entachés d'une erreur de droit, lesdits vices étant directement à l'origine de l'insuffisance de l'indemnisation du préjudice qu'il a réellement subi ; l'issue du litige indemnitaire dépend bien en grande partie de la légalité de l'arrêté du 30 mars 2001 ;

- les motifs du cinquième considérant du jugement se heurtent aux stipulations du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales garantissant le droit au respect des biens, de la propriété privée et des droits patrimoniaux ; le juge est en principe tenu d'écarter toute disposition législative contraire à ce droit ; il a donc bien droit à l'indemnisation de l'intégralité du préjudice effectivement subi, incluant les pertes d'exploitation, le déficit de production laitière, le préjudice moral et la charge de travail supplémentaire ;

- en tout état de cause, la base d'indemnisation est erronée en ce que ce sont en réalité cinquante-cinq animaux et un veau dont la perte n'a pas été indemnisée ;

- il renvoie par ailleurs à tous les moyens qu'il avait précédemment développés en première instance ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire, enregistré le 27 juin 2007, présenté pour Mme Marie-Madeleine B, domiciliée ..., M. Bernard A, domicilié à cette même adresse, et Mlle Florence A, domiciliée ..., ayants-droit de M. Jean-Louis A décédé et qui déclarent reprendre l'instance engagée par celui-ci ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 2 juillet 2007, présenté pour le ministre de l'agriculture et de la pêche, qui conclut au rejet de la requête ; il fait valoir que c'est à bon droit que le Tribunal a estimé que les dispositions de l'article L. 221-2 du code rural n'ont pas institué un régime d'indemnisation tendant à assurer la réparation de la totalité des préjudices subis par les propriétaires d'animaux abattus sur ordre de l'administration, mais a expressément limité l'étendue de cette indemnisation ; qu'en effet, l'existence d'un régime spécial d'indemnisation s'oppose à ce que d'autres chefs de préjudice qui ne seraient pas couverts par ce régime soient indemnisés ; qu'un préjudice résultant d'une activité légale de l'administration ne peut ouvrir droit à réparation que lorsque la loi le prévoit, ou lorsqu'elle n'exclut pas explicitement ou implicitement cette indemnisation ; que l'article L. 221-2 donne compétence aux ministres de l'agriculture et du budget pour déterminer librement les conditions d'indemnisation des propriétaires ; que, par suite, les dispositions prises pour l'application de cet article peuvent prévoir la mise en oeuvre d'un régime d'indemnisation forfaitaire, ou un régime ne prévoyant qu'une indemnisation partielle ; que le législateur a clairement entendu exclure toute autre forme d'indemnisation que celle prévue en application des dispositions de l'article L. 221-2 du code rural ; que, si le requérant soutient que la somme de 10 046,69 euros correspondant à la valeur marchande de quatre bovins qui avaient été omis par le préfet de l'Isère a été évaluée de manière erronée par le Tribunal, ces allégations ne sont assorties d'aucune précision de nature à en justifier le bien-fondé ; que la méconnaissance alléguée des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'est pas assortie de justifications suffisantes ; qu'en tout état de cause, le Conseil d'Etat a jugé qu'une mesure d'abattage décidée dans le cadre d'un dispositif édicté dans l'intérêt général de la santé publique n'est pas constitutif d'une violation du droit de propriété garanti par cet article ;

Vu le mémoire complémentaire, enregistré le 14 septembre 2007, présenté pour Mme B, M. A et Mlle A, tendant aux mêmes fins que précédemment, l'indemnité demandée étant toutefois ramenée à la somme de 55 591,14 euros, outre les intérêts et la capitalisation des intérêts ; ils reprennent les mêmes moyens et font valoir en outre que c'est à tort que le Tribunal a estimé que les droits à indemnité devaient être appréciés au regard de l'arrêté du 4 décembre 1990 et non au regard de l'arrêté du 30 mars 2001 ; qu'en effet, la légalité d'une décision administrative s'apprécie à la date à laquelle elle a été prise ; que, compte tenu de la date de l'arrêté litigieux, du contenu parfaitement clair de l'arrêté du mars 2001 et du fait que l'administration s'est elle-même toujours réclamée de son application, c'est bien cet arrêté qui doit servir de référence pour la solution du litige ; que le jugement est donc entaché d'une erreur de droit à cet égard ; que les deux experts successifs ont tous deux conclu en faveur de la réparation des pertes liées à l'abattage et aux charges de repeuplement, pour respectivement 36 443,55 euros (239 054 francs) et 19 025,64 euros (124 800 francs) ; que l'avis de la direction générale de l'alimentation, qui a considérablement revu à la baisse ces indemnisations, n'était pas motivé ; que le préfet ne pouvait pas valablement faire prévaloir cet avis sans lui-même justifier sa décision ; que, dans le cadre de l'arrêté du 30 mars 2001, le préfet, qui n'était pas en situation de compétence liée, disposait d'un pouvoir d'appréciation ; que M. A était donc fondé à estimer que la réparation aurait dû s'élever au moins à la somme de 55 469,18 euros (363 854 francs) au titre des deux préjudices précités, outre, pour l'estimation de la valeur du cheptel, la somme de 75 157,36 euros (493 000 francs) s'agissant de la première expertise ou celle de 85 325,71 euros (559 700 francs) s'agissant de la seconde, soit au total 130 626,54 euros (856 854 francs) ou 140 794,90 euros (923 554 francs) ; qu'à aucun moment l'administration n'a développé de contestation sérieuse, motivée et argumentée, portant sur les résultats des expertises ; qu'ainsi, compte tenu de la somme de 10 046,69 euros que le Tribunal a retenue, M. A avait droit au minimum à une indemnité complémentaire de 45 422,49 euros ; que, toutefois, compte tenu du fait qu'il conviendrait en toute rectitude juridique de prendre en compte la seconde expertise, l'indemnité aurait dû s'établir plutôt à la somme de 55 591,14 euros ; qu'il est inadmissible que l'abattage d'un troupeau atteint d'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) ne donne pas lieu à une réparation intégrale du préjudice au regard de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'une atteinte au principe de réparation intégrale serait constitutive d'une ingérence disproportionnée de la puissance publique dans l'exercice du droit de propriété ; qu'au demeurant, l'administration serait bien en peine d'indiquer les motifs d'intérêt général pouvant s'opposer à une réparation complète du préjudice ; que l'arrêté du 30 janvier 2003 modifiant l'arrêté du 30 mars 2001 est venu d'ailleurs organiser un système de réparation largement plus complet que le précédent ; que, dans ces conditions, des considérations d'ordre budgétaire ne pourraient pas être valablement invoquées ; qu'au regard du nombre d'éleveurs concernés, de telles considérations ne seraient quoiqu'il en soit pas admissibles au regard du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que les éleveurs concernés ne peuvent pas, sans qu'il soit porté atteinte au principe d'égalité, être soumis à des régimes d'indemnisation différents selon la date d'abattage du troupeau ;

Vu, enregistré le 3 janvier 2011, le mémoire présenté pour Mme B, M. A et Mlle A ;

Ils demandent à la Cour :

1°) de réformer le jugement du 31 mars 2005 en tant qu'il a refusé de leur accorder une indemnité supérieure à 10 046,69 euros :

2°) de condamner l'Etat à leur verser une indemnité complémentaire de 55 591,14 euros ou au moins, à titre subsidiaire, de 45 422,49 euros ;

3°) d'assortir cette somme, ainsi que celle de 10 046,69 euros déjà allouée par le Tribunal administratif de Lyon, des intérêts au taux légal à compter du 29 juillet 2005, lesdits intérêts devant être capitalisés à compter du 29 juillet 2005 ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Ils reprennent les même moyens que précédemment ;

Vu, enregistré le 24 février 2011, le mémoire en défense présenté par le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire, tendant au rejet de la requête, par les mêmes moyens que précédemment ;

Vu l'ordonnance en date du 6 janvier 2011 prononçant la clôture de l'instruction à la date du 25 février 2011 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le premier protocole additionnel à cette convention ;

Vu le code rural ;

Vu l'arrêté du 4 décembre 1990 fixant les mesures financières relatives à la police sanitaire de l'encéphalopathie spongiforme bovine ;

Vu l'arrêté du 30 mars 2001 fixant les modalités de l'estimation des animaux abattus sur ordre de l'administration ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 7 juillet 2011 :

- le rapport de M. Montsec, président-assesseur ;

- et les conclusions de M. Monnier, rapporteur public ;

Considérant que M. Jean-Louis A, exploitant agricole dans le département de l'Isère, était propriétaire d'un troupeau de bovins, composé de 55 bêtes, qui a été infecté en 2001 par l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) ; que, par un arrêté en date du 27 août 2001, portant déclaration d'infection, le préfet de l'Isère a prescrit l'abattage de l'intégralité de ce troupeau, qui a été effectué le 7 janvier 2002 ; que, par arrêté du 21 décembre 2001, le même préfet avait fixé à la somme de 103 789 euros l'indemnité due à M. A suite à cette mesure de prophylaxie ; que, saisi par M. A, qui demandait que cette indemnité soit augmentée de 58 318 euros, le Tribunal administratif de Grenoble a, par un jugement en date du 31 mars 2005, accordé à l'intéressé une indemnité supplémentaire de 10 046,69 euros, correspondant à la valeur marchande de quatre bovins qui avaient été omis dans le calcul de l'indemnité versée à M. A, mais a rejeté le surplus de sa demande ; que, par un arrêt du 6 mai 2008, la Cour administrative d'appel de Lyon, saisie par M. A puis par Mme Marie-Madeleine B, M. Bernard A et Mlle Florence A, ayants-droit de celui-ci, après son décès, avait porté l'indemnité supplémentaire que l'Etat avait été condamné à verser à M. A de la somme de 10 046,69 euros à celle de 36 884,12 euros ; que, par l'arrêt susvisé en date du 2 juin 2010, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt de la Cour administrative d'appel de Lyon en date du 6 mai 2008 et renvoyé l'affaire devant la Cour de céans ;

Sur la régularité du jugement :

Considérant que le moyen tiré de ce que le jugement attaqué ne comporterait pas l'ensemble des mentions obligatoires prescrites par les articles R. 741-2 et suivants du code de justice administrative est dépourvu des précisions qui permettraient à la Cour d'en apprécier le bien-fondé ; qu'il ne peut en conséquence qu'être écarté ;

Sur les modalités d'évaluation du préjudice :

Considérant que, contrairement à ce qu'ont considéré les premiers juges, le fait générateur du préjudice subi par M. A est constitué par la décision par laquelle le préfet de l'Isère a prescrit l'abattage du troupeau, intervenue le 27 août 2001 ; que les règles applicables pour la fixation de l'indemnité qui lui est due sont donc celles en vigueur à cette date du 27 août 2001 ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 221-2 du code rural : " Des arrêtés conjoints du ministre chargé de l'agriculture et du ministre chargé de l'économie et des finances fixent les conditions d'indemnisation des propriétaires dont les animaux ont été abattus sur l'ordre de l'administration, ainsi que les conditions de la participation financière éventuelle de l'Etat aux autres frais obligatoirement entraînés par l'élimination des animaux (...) " ; qu'aux termes de l'article 6 de l'arrêté du 4 décembre 1990 fixant les mesures financières relatives à la police sanitaire de l'ESB, dans sa rédaction en vigueur à la date du fait générateur de la créance de M. A : " (...) 2. L'Etat prend en charge le coût de l'élimination des animaux marqués d'une exploitation placée sous arrêté portant déclaration d'infection au titre de l'article 9, paragraphe A, de l'arrêté du 3 décembre 1990 susvisé, sur la base d'une estimation réalisée dans les conditions suivantes : / Le propriétaire des animaux de l'exploitation placée sous arrêté portant déclaration d'infection (...), ou celui qui en a la garde, choisit (...) deux experts en vue d'estimer la valeur des animaux détruits sur ordre de l'administration ; / (...) Pour l'estimation de la valeur des animaux, il est fait abstraction de l'existence de l'encéphalopathie spongiforme bovine (...) " ; qu'aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 30 mars 2001 fixant les modalités de l'estimation des animaux abattus sur ordre de l'administration, dans sa rédaction en vigueur à la même date : " Lorsqu'un troupeau fait l'objet d'un abattage total sur ordre de l'administration dans le cadre des dispositions prises pour application des articles L. 221-1 ou L. 223-8 du code rural, les animaux abattus et faisant l'objet d'une indemnisation en application de l'article L. 221-2 du code rural sont estimés aux frais de l'administration par deux experts sur la base de leur valeur de remplacement " ; que l'article 5 du même arrêté dispose : " Lorsque le montant de l'expertise (...) est supérieur au montant de base tel que défini en annexe en moyenne par catégorie d'animaux, le rapport doit détailler les raisons de cette majoration, notamment au regard des caractéristiques et des performances du troupeau./ Lorsque, à titre exceptionnel, ce montant dépasse le montant majoré tel que défini en annexe en moyenne par catégorie d'animaux, et dans l'hypothèse où des examens complémentaires justifient le dépassement du montant majoré, ou s'il l'estime nécessaire, le directeur des services vétérinaires fait procéder à une nouvelle expertise (...) " ; qu'aux termes de l'article 6 de cet arrêté : " Le préfet arrête le montant définitif de l'estimation et le notifie au propriétaire des animaux. Si, à titre très exceptionnel, ce montant dépasse le montant majoré visé à l'article 5, le préfet arrête le montant définitif de l'estimation après avis de la directrice générale de l'alimentation et au vu du rapport de l'expert et des pièces justificatives des examens visés à l'article 5 " ;

Considérant qu'en vue de permettre la fixation de l'indemnité due à M. A, une première expertise a été réalisée le 5 septembre 2001, selon les modalités prévues par les dispositions susmentionnées ; que cette expertise avait estimé la valeur de remplacement des animaux à la somme globale de 130 625 euros ; qu'une seconde expertise, en date du 21 novembre 2001, a été diligentée à la demande des services vétérinaires, et a porté cette estimation à la somme de 140 795 euros ; que l'une comme l'autre de ces deux estimations successives dépassant le seuil du montant majoré visé à l'article 5 de l'arrêté du 30 mars 2001, le directeur des services vétérinaires de l'Isère a, conformément à la procédure fixée à l'article 6 du même arrêté, sollicité, par lettre du 30 novembre 2001, l'avis de la directrice générale de l'alimentation, qui a proposé de ramener l'indemnité à la somme globale de seulement 103 789 euros ; que c'est en se conformant à cet avis que le préfet de l'Isère a, par arrêté du 21 décembre 2001, fixé l'indemnité due à M. A à cette somme de 103 789 euros ;

Considérant que la " valeur de remplacement " du troupeau sur la base de laquelle doit être appréciée l'indemnité due, doit intégrer non seulement la valeur marchande du troupeau, mais aussi les frais annexes liés à son renouvellement, comprenant les charges de repeuplement, c'est-à-dire tous les coûts liés à l'installation dans l'exploitation d'un nouveau troupeau, hors le coût des bêtes elles-mêmes, et enfin les pertes liées à l'abattage telles que celles dues à l'arrêt momentané de la production de lait ;

Considérant que l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général (...) " ; qu'il résulte de ces stipulations, qui ont pour objet d'assurer un juste équilibre entre l'intérêt général et les impératifs de sauvegarde du droit de propriété et laissent aux Etats une marge d'appréciation, que, sans le versement d'une somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien, une privation de propriété constitue normalement une atteinte excessive, des objectifs légitimes d'intérêt général pouvant toutefois justifier un remboursement inférieur à la pleine valeur marchande ;

Considérant que le dispositif prévu par l'article L. 221-2 du code rural et les arrêtés des 4 décembre 1990 et 30 mars 2001 cités ci-dessus a pour objet d'indemniser les propriétaires sur la base de la " valeur de remplacement " des animaux, entendue comme incluant la valeur marchande de ceux-ci estimée sans considération de la contamination de l'exploitation ainsi que les frais de toute nature directement liés au renouvellement du cheptel, qui peuvent comprendre notamment une indemnité de compensation du déficit momentané de production de lait ; que le montant de ces frais liés au renouvellement du cheptel, s'ils doivent être réputés forfaitairement inclus dans les montants de base fixés en annexe à l'arrêté du 30 mars 2001, peut faire l'objet d'une majoration au regard des caractéristiques et des performances du troupeau concerné ; que ces dispositions ne font par ailleurs pas obstacle à ce que le propriétaire du troupeau, s'il s'y estime fondé, demande à être indemnisé par l'Etat, selon les règles de droit commun de la responsabilité, en cas de retard anormal de la part de l'administration dans la mise en oeuvre de la mesure d'abattage ; qu'ainsi, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le régime d'indemnisation prévu par les dispositions susmentionnées serait incompatible avec les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Considérant que, pour les mêmes raisons, les requérants ne sont pas davantage fondés à soutenir que ledit régime d'indemnisation méconnaîtrait le principe d'égalité devant les charges publiques ;

Sur l'évaluation de l'indemnité due aux ayants-droit de M. A :

Considérant que les requérants ne peuvent pas utilement faire valoir que la décision du 21 décembre 2001 par laquelle le préfet a fixé l'indemnité due à M. A serait entachée de " vices propres " ;

En ce qui concerne la valeur marchande du troupeau abattu :

Considérant que la directrice générale de l'alimentation et par suite le préfet de l'Isère qui s'est conformé à son avis fixaient la valeur marchande du troupeau abattu à la somme de 493 000 francs (75 157,37 euros) ; que cette somme de 493 000 francs était celle fixée par la première expertise en retenant par erreur un effectif de cinquante et un animaux dans le troupeau ; que la seconde expertise, en date du 21 novembre 2001, qui est la seule à avoir été réalisée à partir du nombre exact d'animaux composant le troupeau abattu, soit cinquante-cinq bêtes, fixe cette valeur à la somme non sérieusement contestée par l'administration de 559 000 francs ; que, si les requérants indiquent qu'un veau aurait été encore oublié dans cette seconde expertise, il n'apportent toutefois aucune précision à l'appui de leurs allégations ; que la valeur marchande du troupeau doit donc être fixée à la somme de 559 700 francs telle qu'indiquée par cette seconde expertise ; que la différence entre cette somme de 559 700 francs et la somme allouée à ce titre par le préfet de l'Isère, soit 493 000 francs, se monte à la somme de 66 700 francs, soit 10 168,35 euros ; qu'il y a donc lieu d'ajouter une somme de 121,66 euros à la somme de 10 046,69 euros que le Tribunal administratif de Grenoble a d'ores et déjà condamné l'Etat à payer à M. A ;

En ce qui concerne les frais annexes de renouvellement :

Considérant que la décision précitée du 21 décembre 2001 arrête le montant de l'indemnité due au titre des " frais liés au renouvellement du cheptel " à la somme de 28 631,75 euros (187 812 francs), conformément à l'avis de la directrice générale de l'alimentation ; que les deux expertises successivement réalisées ont évalué ces frais à la même somme de 55 469,18 euros (363 854 francs), en considération de la qualité de l'élevage concerné et des conditions particulières de son exploitation ; que, ni la directrice générale de l'alimentation, ni ultérieurement le préfet de l'Isère n'ont indiqué les raisons pour lesquelles l'évaluation de ces frais était ainsi sensiblement réduite ; que, dans ces conditions, il y a lieu de fixer l'indemnité due à ce titre à la somme de 55 469,18 euros et de condamner donc l'Etat à verser aux requérants la somme supplémentaire de 26 837,43 euros (176 042 francs), correspondant à la différence entre l'estimation qui a été réalisée par la seconde expertise et la somme qui a été attribuée à ce titre, par le préfet de l'Isère, à M. A ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les requérants sont seulement fondés à demander la condamnation de l'Etat à leur verser une somme supplémentaire de 26 959,09 euros ;

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

Considérant que les requérants ont droit aux intérêts de la somme de 26 959,09 euros à compter du 16 avril 2002, date de la réponse de l'administration à la demande préalable d'indemnisation présentée par M. A, à laquelle, en l'absence d'accusé de réception, l'administration doit être regardée comme ayant, au plus tard, eu connaissance de cette demande ; que la capitalisation des intérêts a été demandée le 29 juillet 2005 ; qu'à cette date, il était dû au moins une année d'intérêts ; qu'il y a donc lieu de faire droit à cette demande à cette date, ainsi qu'à chaque échéance annuelle ultérieure ;

Considérant qu'en revanche, les requérants ne sont pas recevables à demander le versement d'intérêts et la capitalisation de ces intérêts sur la somme de 10 046,69 euros qui leur a été accordée par le jugement susvisé du Tribunal administratif de Grenoble, dès lors que lesdits intérêts et capitalisation n'avaient pas été demandés en première instance et que l'article 1er de ce jugement, qui a condamné l'Etat à verser cette somme de 10 046,69 euros à M. A, n'est pas en lui-même contesté en appel par les requérants qui demandent seulement la réformation dudit jugement " en tant qu'il a refusé de leur accorder une indemnité supérieure à 10 046,69 euros " ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme globale de 1 500 euros au bénéfice de Mme B, M. A et Mlle A, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

DECIDE :

Article 1er : L'Etat est condamné à verser aux consorts A la somme supplémentaire de 26 959,09 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 16 avril 2002. Ces intérêts seront capitalisés pour porter eux-mêmes intérêts, à la date du 29 juillet 2005, puis à chaque date anniversaire.

Article 2 : Le jugement n° 0202489 du Tribunal administratif de Grenoble, en date du 31 mars 2005, est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera une somme globale de 1 500 euros aux consorts A, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête des consorts A est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Marie-Madeleine B, à M. Bernard A, à Mlle Florence A et au ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire.

Délibéré après l'audience du 7 juillet 2011, à laquelle siégeaient :

M. Duchon-Doris, président de chambre,

M. Montsec, président-assesseur,

M. Raisson, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 29 août 2011.

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N° 10LY01496

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 5ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 10LY01496
Date de la décision : 29/08/2011
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

03-05-03-01 Agriculture, chasse et pêche. Produits agricoles. Élevage et produits de l'élevage. Élevage.


Composition du Tribunal
Président : M. DUCHON-DORIS
Rapporteur ?: M. Pierre MONTSEC
Rapporteur public ?: M. MONNIER
Avocat(s) : SCP BORE ET SALVE DE BRUNETON

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2011-08-29;10ly01496 ?
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