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29/03/2011 | FRANCE | N°09LY01374

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 3ème chambre - formation à 3, 29 mars 2011, 09LY01374


Vu le recours, enregistré le 19 juin 2009, présenté par le MINISTRE DE L'EDUCATION NATIONALE, DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET DE LA RECHERCHE ;

Le MINISTRE demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0500338-0504019-0700326 du 3 avril 2009 du Tribunal administratif de Grenoble en tant qu'il a annulé la décision du 14 avril 2005 de l'inspecteur d'académie de l'Isère prononçant l'exclusion temporaire de fonctions sans traitement de M. Alain A pour une durée de dix-huit mois, assortie d'un sursis de douze mois, ainsi que la décision du 28 novembre 2006 par laquelle

le MINISTRE DE L'EDUCATION NATIONALE, saisi d'un recours administratif,...

Vu le recours, enregistré le 19 juin 2009, présenté par le MINISTRE DE L'EDUCATION NATIONALE, DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET DE LA RECHERCHE ;

Le MINISTRE demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0500338-0504019-0700326 du 3 avril 2009 du Tribunal administratif de Grenoble en tant qu'il a annulé la décision du 14 avril 2005 de l'inspecteur d'académie de l'Isère prononçant l'exclusion temporaire de fonctions sans traitement de M. Alain A pour une durée de dix-huit mois, assortie d'un sursis de douze mois, ainsi que la décision du 28 novembre 2006 par laquelle le MINISTRE DE L'EDUCATION NATIONALE, saisi d'un recours administratif, a décidé de maintenir cette exclusion et a condamné l'Etat à verser à l'intéressé la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. A devant le Tribunal ;

Le MINISTRE soutient que compte-tenu de la gravité des fautes commises, la sanction prise par l'inspecteur d'académie de l'Isère et confirmée par lui-même n'était pas manifestement disproportionnée ; que la décision ministérielle a été signée par le chef du service des personnels enseignants de l'enseignement scolaire qui avait à cette fin reçu une délégation de signature par une décision du 8 juin 2006, publiée au journal officiel du 14 juin ; que le nom et la qualité de ce fonctionnaire étaient mentionnés sur la décision conformément aux dispositions de la loi du 12 avril 2000 ; que les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales sont inopérants dès lors que ni le conseil de discipline, ni le conseil supérieur de la fonction publique ne sont des juridictions ; que la seule circonstance que l'inspecteur d'académie a présidé le conseil de discipline n'établit pas qu'il n'aurait pas été impartial ; que l'agent a reçu communication de son dossier ; qu'il a été régulièrement convoqué devant le conseil de discipline ; que le report de la séance du conseil de discipline n'est pas de droit et, en l'espèce, a été demandé tardivement ; que toutes les sanctions ont été mises aux voix ; que la décision est suffisamment motivée ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu la mise en demeure adressée le 1er décembre 2009 au conseil de M. A, en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative, et l'avis de réception de cette mise en demeure ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 21 décembre 2009, présenté pour M. A qui conclut au rejet du recours et à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient que la requête n'est pas recevable dès lors qu'il n'est pas établi qu'elle a été présentée dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement ni que le jugement attaqué était joint, qu'elle est insuffisamment motivée ; que la requête n'est pas fondée dès lors qu'eu égard aux faits reprochés, la sanction était manifestement disproportionnée ; qu'en méconnaissance des droits de la défense et des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la sanction a pris en compte des faits non évoqués devant le conseil de discipline ; que faute de précisions, sa convocation devant le conseil de discipline était irrégulière ; qu'il n'a pas reçu communication de l'ensemble de son dossier individuel et les documents annexes ; que le report de la séance du conseil de discipline lui a été irrégulièrement refusé ; que les débats devant le conseil de discipline n'ont pas été publics et que la procédure devant le conseil de discipline fixée par le décret du 25 octobre 1984 ne présente pas une garantie d'impartialité en méconnaissance des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que le conseil de discipline n'a pas voté sur l'ensemble des sanctions ou l'absence de sanctions ; que la sanction n'a pas été motivée de façon complète et précise ; que la décision ministérielle est signée par une personne ne justifiant pas d'une délégation de signature régulière et publiée, n'est pas signée et ne mentionne pas la qualité de son auteur ; que plusieurs des faits reprochés ne sont pas établis ; que les faits établis ne présentent pas de caractère de gravité ; qu'il n'a pas reçu de mise en garde préalable ;

Vu l'ordonnance, en date du 15 février 2011, par laquelle le magistrat délégué par le président de la Cour a décidé qu'il n'y avait pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionalité présentée le 7 février 2011 par M. A ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

Vu le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'Etat ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 15 mars 2011 :

- le rapport de M. Givord, président ;

- les observations de Me Huard, représentant M. A ;

-et les conclusions de Mme Schmerber, rapporteur public ;

La parole ayant été, de nouveau, donnée à la partie présente ;

Considérant que M. A, professeur des écoles, a été affecté, le 1er septembre 2002, au collège Le Vergeron de Moirans, pour prendre en charge plusieurs classes de section d'enseignement général et professionnel adapté (SEGPA) ; qu'il a fait l'objet d'une procédure disciplinaire en raison de son comportement à l'égard de ses élèves ; qu'à l'issue de cette procédure, l'inspecteur d'académie de l'Isère a, par une décision du 14 avril 2005, prononcé à son encontre une sanction d'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de dix-huit mois, assortie d'un sursis de douze mois ; qu'après avis de la commission des recours du conseil supérieur de la fonction publique proposant l'application d'un avertissement, le MINISTRE DE L'EDUCATION NATIONALE a confirmé la sanction d'exclusion temporaire ;

Considérant que par le présent recours, le MINISTRE demande à la Cour d'annuler le jugement du 3 avril 2009 par lequel le Tribunal administratif de Grenoble a annulé les décisions susmentionnées ;

Sur les fins de non-recevoir présentées par M. A :

Considérant en premier lieu, que le recours a été enregistré le 19 juin 2009 dans le délai de deux mois, fixé par l'article R. 811-2 du code de justice administrative, à compter de la notification, intervenue le 20 avril 2009, du jugement attaqué ; qu'en deuxième lieu, le jugement attaqué était joint à la requête ; qu'en troisième lieu, le recours, qui n'est pas la seule reprise des écritures de première instance, est suffisamment motivé ; que dès lors, les fins de non-recevoir présentées par M. A et tirées de la tardiveté du recours, de son insuffisante motivation et de l'absence de production du jugement attaqué doivent être écartées ;

Sur le bien-fondé du jugement et la légalité de la sanction en litige :

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. A a apposé, successivement, sur la porte de sa classe des affiches libellées Cirque de Moirans, clowns, gratuit et Cirque de Moirans, élevage de porcs ; qu'il résulte de témoignages concordants que M. A a tenu des propos grossiers et insultants envers les élèves ; que d'ailleurs, si l'intéressé conteste la réalité de certains des termes employés, il reconnaît utiliser des comparaisons imagées sans en préciser les termes ; que contrairement à ce que soutient l'intéressé, ce comportement présentait un caractère habituel et ne s'est pas limité au mois de novembre 2004 ; que s'il n'est pas établi que le comportement de M. A a fait l'objet de mises en garde écrites, il ressort des pièces du dossier et, notamment de la lettre de saisine du conseil supérieur de la fonction publique, que le comportement de l'enseignant avait fait l'objet de remarques verbales du principal du collège ;

Considérant que les termes employés par M. A présentent par eux-mêmes un caractère injurieux et dévalorisant envers les élèves et constituent un manquement grave de l'enseignant à son rôle éducatif ; que dès lors, le comportement reproché à l'agent était de nature à justifier une sanction disciplinaire ; que ce comportement est d'autant plus fautif que les classes de section d'enseignement général et professionnel adapté accueillent des élèves en grandes difficultés scolaires ; que dans ces conditions, le MINISTRE DE L'EDUCATION NATIONALE est fondé à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Grenoble a annulé la sanction d'exclusion de fonctions pour une durée de dix-huit mois dont douze mois avec sursis au motif qu'elle était manifestement disproportionnée à la gravité de la faute commise ;

Considérant, toutefois, qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens exposés par M. A, devant le Tribunal administratif de Lyon comme devant elle ;

Considérant, en premier lieu, que lorsqu'elle siège en conseil de discipline, la commission administrative paritaire du corps des professeurs des écoles ne détient aucun pouvoir de décision et a pour seule attribution d'émettre, à l'intention de l'autorité investie du pouvoir disciplinaire, un avis sur le principe du prononcé d'une sanction et, le cas échéant, sur le quantum de celle-ci ; qu'ainsi, elle ne présente pas le caractère d'une juridiction, ni celui d'un Tribunal au sens des stipulations du 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que dès lors, le requérant ne peut utilement soutenir que les dispositions du décret du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire, l'absence de publicité des débats devant le conseil de discipline et l'absence d'incriminations précises avant la séance du conseil de discipline méconnaîtraient les stipulations de cet article ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'en vertu de l'article 1er du décret susvisé du 25 octobre 1984, lorsqu'une procédure disciplinaire est engagée à l'encontre d'un fonctionnaire, l'administration doit informer l'intéressé qu'il a le droit d'obtenir la communication intégrale de son dossier individuel et de tous les documents annexes ; que les cahiers de synthèse des classes ne sont pas des pièces annexes au dossier d'un fonctionnaire ; que M. A pouvait établir par tous moyens de preuve les difficultés rencontrées par les enseignants dans les classes qu'il avait en charge ; que dès lors, il n'est pas fondé à soutenir que le refus de communiquer les cahiers de synthèse méconnaîtrait les dispositions du décret du 25 octobre 1984 ou le principe des droits de la défense ;

Considérant, en troisième lieu, que contrairement à ce que soutient l'intéressé, il a été informé, par la lettre le convoquant devant le conseil de discipline, des faits reprochés et n'a pas été sanctionné pour des faits autres que ceux portés à la connaissance du conseil de discipline ; que dans les circonstances de l'espèce, le refus de faire droit à la demande de report de la séance du conseil de discipline, d'ailleurs présentée tardivement, n'a pas porté atteinte aux droits de la défense et n'est, dès lors, pas de nature à avoir vicié la procédure ;

Considérant, en quatrième lieu, que la seule circonstance que le conseil de discipline a été saisi par un rapport de l'inspecteur d'académie qui a ensuite présidé la séance n'est pas de nature à entacher d'irrégularité la procédure dès lors qu'il n'est pas établi, ni même allégué, que celui-ci aurait fait preuve d'une animosité particulière envers l'agent lors des débats ;

Considérant, en cinquième lieu, qu'il résulte du procès verbal de la séance du conseil de discipline que le président a mis aux voix la proposition de sanction la plus sévère, puis les autres sanctions figurant dans l'échelle des sanctions disciplinaires et enfin la proposition de ne pas prononcer de sanction ; que dès lors, M. A n'est pas fondé à soutenir que les dispositions de l'article 8 du décret susvisé du 25 octobre 1984 auraient été méconnues ;

Considérant, en sixième lieu, que la circonstance que l'autorité investie du pouvoir disciplinaire ne suive pas l'avis du conseil de discipline est sans influence sur la portée de l'obligation de motiver la décision infligeant une sanction à un fonctionnaire ; qu'en l'espèce, la décision de l'inspecteur d'académie vise les dispositions applicables, relève les faits reprochés à l'agent, caractérise l'existence d'une faute et justifie la sanction par la gravité de la faute retenue ; que dès lors, elle est suffisamment motivée ;

Considérant, en septième lieu, que la décision en date du 28 novembre 2006 a été signée par M. C, chef du service des personnels enseignants de l'enseignement scolaire, qui avait reçu délégation à cet effet par une décision du 8 juin 2006 du directeur général des ressources humaines, publiée au journal officiel du 14 juin 2006 ; que dès lors, M. A n'est pas fondé à soutenir que cette décision aurait été prise par une autorité incompétente ;

Considérant, en huitième lieu, que contrairement à ce que soutient le requérant, cette décision mentionne, conformément aux dispositions de l'article 4 de la loi du 12 avril 2000, le nom et la qualité du signataire ; que la circonstance que l'ampliatif adressé au requérant ne porte pas de signature est sans influence sur la légalité de l'acte ;

Considérant, en dernier lieu, que comme il a été dit ci-dessus, les faits reprochés sont établis et constituent une faute disciplinaire ; qu'eu égard à la gravité de celle-ci, la sanction d'exclusion de fonction pour une durée de dix-huit mois, dont douze mois avec sursis, n'est pas manifestement disproportionnée ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le MINISTRE DE L'EDUCATION NATIONALE, DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET DE LA RECHERCHE est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Grenoble a annulé les décisions des 14 avril 2005 et 28 novembre 2006 infligeant à M. A la sanction de dix-huit mois d'exclusion de fonctions, dont douze mois avec sursis, et à demander le rejet des conclusions présentées au tribunal par l'intéressé ;

Sur les conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse à M. A une somme que celui-ci réclame au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Grenoble du 3 avril 2009 est annulé en tant qu'il a annulé les décisions des 14 avril 2005 et 28 novembre 2006 infligeant une sanction à M. A.

La demande susvisée présentée par M. A au Tribunal administratif de Grenoble est rejetée.

Article 2 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au MINISTRE DE L'EDUCATION NATIONALE, DE LA JEUNESSE ET DE LA VIE ASSOCIATIVE et à M. Alain A.

Délibéré après l'audience du 15 mars 2011, à laquelle siégeaient :

M. Givord, président de formation de jugement,

M. Reynoird et M. Seillet, premiers conseillers.

Lu en audience publique, le 29 mars 2011.

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N° 09LY01374


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 09LY01374
Date de la décision : 29/03/2011
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-09-04-01 Fonctionnaires et agents publics. Discipline. Sanctions. Erreur manifeste d'appréciation.


Composition du Tribunal
Président : M. GIVORD
Rapporteur ?: M. Pierre Yves GIVORD
Rapporteur public ?: Mme SCHMERBER
Avocat(s) : BALESTAS et DETROYAT

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2011-03-29;09ly01374 ?
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