Vu la requête, enregistrée le 22 mars 2010, présentée pour la COMMUNE DE MOIRANS (Isère) ;
La COMMUNE DE MOIRANS demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0601633 du Tribunal administratif de Grenoble du 28 janvier 2010 qui, à la demande de Mme A et de Mme B, a annulé la décision du 7 février 2006 par laquelle son maire a exercé le droit de préemption institué par le code de l'urbanisme sur les parcelles cadastrées AT 292, AT 293 et AT 355 ;
2°) à titre principal, de constater le désistement intervenu en première instance et en donner acte ;
3°) à titre subsidiaire, de dire qu'il n'y a plus lieu à statuer sur la demande d'annulation de cette décision présentée devant le Tribunal par Mme A et Mme B ;
4°) à titre encore plus subsidiaire, de rejeter cette demande ;
5°) en toutes hypothèses, de condamner Mme A et Mme B à lui verser une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
La commune soutient que :
- à la suite de l'arrêt rendu par la chambre des expropriations de la Cour d'appel de Grenoble, Mmes A et B ont décidé de renoncer à la mutation, en application des dispositions du second alinéa de l'article L 213-7 du code de l'urbanisme, dès lors que cette juridiction n'a pas évalué leur bien à la hauteur de leurs prétentions ; que les intéressées ont ainsi implicitement, mais nécessairement retiré leur déclaration d'intention d'aliéner ; que, par suite, aucune décision de préemption ne peut plus être prise, ni même mise en oeuvre ; que c'est donc la seule volonté des propriétaires qui fait échec à la vente, et non la décision de préemption ; que ce renoncement de Mme A et B doit les faire regarder comme s'étant désistées de leur demande d'annulation ; que c'est donc à tort que le Tribunal a estimé qu'aucun désistement n'était intervenu ;
- ce n'est pas la décision de préemption litigieuse qui fait échec à la vente, mais la décision des propriétaires elles-mêmes de renoncer à la mutation ; que ce retrait de l'offre de vente est la conséquence de l'arrêt rendu par la chambre des expropriations de la Cour d'appel de Grenoble ; que, par suite, la décision attaquée ne peut plus être mise en oeuvre ; qu'ainsi, la demande d'annulation est devenue sans objet ; que, dès lors, c'est à tort que le Tribunal a considéré que les conclusions aux fins de non-lieu à statuer devaient être rejetées ;
- il importe seulement de faire apparaître la nature du projet dans la décision de préemption ; qu'il ressort des éléments de motivation de la décision attaquée que la préemption est exercée, en tout premier lieu, pour permettre la création d'équipements scolaires, conformément à l'emplacement réservé n° 8, qui intègre la totalité du tènement visé dans la déclaration d'intention d'aliéner, le tout dans le cadre d'un projet d'aménagement du centre bourg, qui a d'ailleurs fait l'objet d'une délibération en vue de l'institution d'un périmètre d'étude ; que cette indication, à elle-seule, n'est ni générale ni vague, mais indique clairement la nature du projet poursuivi ; que les autres indications qui, le cas échéant, pourraient constituer des éléments de motivation superfétatoires, ne sont pas de nature à remettre en cause l'élément principal de motivation ; qu'il ne peut lui est reproché d'avoir voulu donner aux propriétaires un maximum d'informations sur les conditions dans lesquelles elle intègre l'exercice du droit de préemption, dans un projet d'aménagement global ; qu'ainsi, contrairement à ce que le Tribunal a jugé, la décision litigieuse répond bien à l'exigence de motivation prescrite par l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme ;
- la décision de préemption mentionne bien l'objet pour lequel le droit est exercé et indique sans ambiguïté l'opération d'aménagement envisagée, comme indiqué précédemment ; qu'elle n'a donc pas méconnu les dispositions de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme, cet objet se rapportant bien à une action d'aménagement au sens de l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme ;
- si Mmes A et B soutiennent que le projet ne serait pas conforme à l'objectif de l'emplacement réservé, elles reconnaissent toutefois que deux des objectifs de la décision attaquée sont bien mentionnés dans le plan d'occupation des sols, à savoir l'extension du groupe scolaire et le cheminement piétonnier ; que, dès lors que le droit de préemption est exercé en vue de l'opération pour laquelle l'emplacement réservé a été institué, la circonstance que la décision litigieuse viserait d'autres actions d'aménagement parallèles sur le terrain n'est pas de nature à entraîner son annulation ; qu'en tout état de cause, le droit de préemption n'a pas à être exercé seulement pour les opérations compatibles avec le document local d'urbanisme ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire, enregistré le 11 mai 2010, présenté pour Mme A et Mme B, qui demandent à la Cour :
- de rejeter la requête ;
- de condamner la COMMUNE DE MOIRANS à leur verser une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Mmes A et B soutiennent que :
- compte tenu du prix fixé par le juge judiciaire, de 320 000 euros, alors que le prix indiqué dans la déclaration d'intention d'aliéner est de 620 000 euros, et du doute sérieux quant à la légalité de la décision de préemption, elles ont usé de la faculté ouverte par les dispositions de l'article L. 213-7 du code de l'urbanisme en renonçant à la mutation ; que ce choix est parfaitement légitime ; qu'en outre, si la décision de préemption est annulée, elles ne pourront aliéner leur bien librement, conformément à l'article L. 213-8 du code de l'urbanisme, que si le transfert de propriété n'a pas eu lieu ; qu'elles n'avaient d'autre choix que d'accepter la mutation, à un prix très inférieur à celui figurant dans la déclaration d'intention d'aliéner, ou renoncer à la mutation, dans un délai de deux mois ; qu'en l'absence de décision du juge administratif sur la légalité de la préemption, la COMMUNE DE MOIRANS pourrait de nouveau décider d'exercer son droit de préemption ; qu'elles disposent donc d'un intérêt réel à ce que la juridiction administrative statue sur la légalité de la préemption litigieuse, quand bien même elles ont renoncé à la mutation ; qu'elles ne se sont donc pas implicitement désistées de leur demande d'annulation ; qu'elles ont au contraire expressément maintenu cette demande ; que c'est donc à juste titre que le Tribunal a estimé qu'il ne pouvait donner acte de leur désistement ;
- le retrait de leur offre de vente est la conséquence de la décision de préemption, cumulée avec la décision de la Cour d'appel de Grenoble statuant sur le prix ; que c'est donc à bon droit que le Tribunal a considéré que la décision attaquée avait produit des effets juridiques à leur égard et qu'il y avait bien lieu à statuer sur leur demande ;
- en application de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme, toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé ; que la motivation doit être précise et caractérisée ; que la motivation de la décision attaquée, qui est extrêmement large, est très imprécise et laisse penser que le maire souhaite en réalité se réserver le terrain, pour décider plus tard et en opportunité de l'opération qui sera finalement réalisée ; qu'à la date de la décision attaquée, le terrain litigieux était inclus dans un périmètre d'études et un emplacement réservé ; qu'aucun projet précis et certain concernant le secteur du bourg, et plus particulièrement ce terrain, n'existait à cette date ; que la commune, qui a mis en place un périmètre d'études, ne sait pas si des aménagements vont effectivement être réalisés ni, en tout état de cause, lesquels ; que, contrairement à ce que soutient la commune, le besoin en équipements scolaires ne constitue que l'un des objectifs énumérés, cité parmi d'autres ; que, par suite, le jugement devra être confirmé ;
- la motivation imprécise de la décision attaquée ne permet pas de contrôler si les conditions légales d'exercice du droit de préemption sont réunies ; que le terrain litigieux est classé en emplacement réservé, pour l'extension du groupe scolaire et un cheminement piétonnier ; que la commune ne peut préempter le terrain que pour réaliser une opération d'aménagement qui correspond à l'objet de cet emplacement réservé ; que la décision litigieuse n'indique pas que le droit de préemption a pour objet la réalisation d'un projet précis, concernant l'extension du groupe scolaire ou le cheminement piétonnier ; que ces deux objectifs ne sont mentionnés que parmi d'autres ; que, par suite, la décision contestée ne respecte pas les dispositions des articles L. 210-1 et L. 300-1 du code de l'urbanisme ;
Vu le mémoire, enregistré le 8 juin 2010, présenté pour la COMMUNE DE MOIRANS, tendant aux mêmes fins que précédemment ;
En application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative, par une ordonnance du 8 décembre 2010, la clôture de l'instruction a été fixée au 27 janvier 2011 ;
Vu le mémoire, enregistré le 20 décembre 2010, présenté pour Mme A et Mme B, tendant aux mêmes fins que précédemment ;
Les intimées soutiennent, en outre, qu'à la date de la délibération attaquée, la commune ne disposait pas d'un projet précis pour l'extension du groupe scolaire, cette extension étant, encore à ce jour, étudiée sur deux terrains possibles, dont aucun ne correspond au terrain litigieux ;
Vu le mémoire, enregistré le 5 janvier 2011, présenté pour la COMMUNE DE MOIRANS, tendant aux mêmes fins que précédemment ;
La commune soutient, en outre, que les intimées ne peuvent tirer aucune conclusion utile des indications portées sur le bulletin municipal, plus de quatre ans après l'intervention de la décision de préemption litigieuse ; qu'en effet, elle a pu parfaitement modifier son projet pour tenir compte du fait que les propriétaires ont renoncé à la vente et ont maintenu leur recours en annulation de cette décision, paralysant ainsi toute initiative sur le tènement litigieux ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l'urbanisme ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 1er mars 2011 :
- le rapport de M. Chenevey, premier conseiller ;
- les observations de Me Couderc de la SCP CDMF Avocats, avocat de la COMMUNE DE MOIRANS et, celles de Me Quenard , avocat de Mmes A et B ;
- les conclusions de M. Besson, rapporteur public ;
- la parole ayant à nouveau été donnée aux parties présentes ;
Considérant que, par un jugement du 28 janvier 2010, à la demande de Mmes A et B, le Tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision du 7 février 2006 par laquelle le maire de la COMMUNE DE MOIRANS a exercé le droit de préemption sur le tènement constitué des parcelles cadastrées AT 292, AT 293 et AT 355 ; que la COMMUNE DE MOIRANS relève appel de ce jugement ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant, en premier lieu, qu'en application de l'article L. 213-7 du code de l'urbanisme, Mmes A et B, en leur qualité de propriétaires indivises du terrain qui a fait l'objet de la décision de préemption litigieuse, ont décidé de retirer leur offre de vente de ce terrain, à défaut d'accord sur le prix ; que, toutefois, devant le Tribunal, Mmes A et B ont expressément maintenu leurs conclusions à fin d'annulation de cette décision ; qu'ainsi, contrairement à ce que soutient la COMMUNE DE MOIRANS, c'est à bon droit que le Tribunal a estimé qu'il n'y avait pas lieu de donner acte du désistement de la demande ;
Considérant, en second lieu, que la décision de préemption attaquée n'a pas été retirée par l'autorité compétente ; que, dès lors, même si, ainsi qu'il a été dit précédemment, Mmes A et B ont renoncé à aliéner le bien qui a fait l'objet de cette décision, c'est à bon droit que le Tribunal a estimé qu'il y avait lieu de statuer sur la demande d'annulation présentée par Mmes A et B ;
Sur la légalité de la décision attaquée :
Considérant que, pour annuler la décision de préemption litigieuse, le Tribunal administratif de Grenoble s'est fondé sur ce que cette décision ne fait pas apparaître clairement la nature du projet en vue duquel le droit de préemption est exercé et, par suite, ne satisfait pas aux exigences de motivation résultant des dispositions de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme : Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. / Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé (...) ; qu'aux termes des dispositions alors applicables de l'article L. 300-1 du même code : Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en oeuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs, de lutter contre l'insalubrité, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels (...) ; qu'il résulte de ces dispositions que les collectivités titulaires du droit de préemption urbain peuvent légalement exercer ce droit, d'une part, si elles justifient, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et, d'autre part, si elles font apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption ;
Considérant que la décision de préemption attaquée est motivée de la façon suivante : Considérant que le bien susvisé représente une opportunité foncière pour l'aménagement du secteur Bourg, dans le cadre du périmètre d'étude institué, / Considérant le besoin renforcé d'équipements scolaires plus grands et plus adaptés, motivant l'emplacement réservé n° 8 sur lesdits terrains, / Considérant la nécessité de renforcer les modalités de structures de centre ville de Moirans en matière de formes urbaines, mais également de logements diversifiés, / Considérant les enjeux du secteur en matière d'aménagement structurant des déplacements, à travers : / . le passage sous voie à créer rue du Vergeron, / . la sécurisation de la rue du Vergeron, / . le traitement du stationnement, / . les trames modes doux (piétons-cycles) à définir ; que cette motivation fait apparaître, de manière suffisamment claire, que la préemption est exercée en vue de l'aménagement du secteur Bourg ; que les différents éléments également mentionnés par la décision ne constituent que des indications sur les différentes modalités possibles de cet aménagement, ou sur les problématiques liées à ce dernier ; qu'ainsi, conformément aux dispositions précitées de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme, la décision attaquée fait apparaître la nature du projet en vue duquel le droit de préemption est exercé ; que, par suite, la COMMUNE DE MOIRANS est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Grenoble a estimé que cette décision ne satisfait pas aux exigences de motivation prescrites par ces dispositions et, en conséquence, a procédé à son annulation ;
Considérant, toutefois, qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés en première instance comme en appel devant le juge administratif ;
Considérant que, par une délibération du 24 novembre 2005, le conseil municipal de la COMMUNE DE MOIRANS a défini un périmètre d'étude, d'une superficie d'environ 8 000 m², pour la requalification du secteur le bourg ; que cette délibération mentionne que ce secteur se trouve au coeur de plusieurs problématiques et fait déjà l'objet d'un emplacement réservé au plan d'occupation des sols, lequel sera maintenu dans le futur plan local d'urbanisme ; qu'ainsi, la COMMUNE DE MOIRANS justifiait, à la date de la décision en litige, de la réalité d'un projet entrant dans les prévisions de l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme ; que la circonstance que ce projet ne correspondrait pas précisément à l'objet dudit emplacement réservé, qui a été institué pour l' extension du groupe scolaire et (un) cheminement piétonnier , est, par elle-même, sans incidence sur la légalité de la décision attaquée ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la COMMUNE DE MOIRANS, qui n'est pas, dans la présente instance, partie perdante, soit condamnée à payer à Mmes A et B la somme qu'elles demandent au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ; que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge des intimées le versement d'une somme quelconque au bénéfice de cette commune sur le fondement de ces mêmes dispositions ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Grenoble du 28 janvier 2010 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mmes A et B devant le Tribunal est rejetée.
Article 3 : Les conclusions des parties tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la COMMUNE DE MOIRANS, à Mme Madeleine Guillot épouse A et à Mme Janine Guillot épouse B.
Délibéré après l'audience du 1er mars 2011 à laquelle siégeaient :
M. Bézard, président de chambre,
M. Fontbonne, président-assesseur,
M. Chenevey, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 7 mars 2011.
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N° 10LY00661
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