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22/02/2011 | FRANCE | N°09LY02267

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 3ème chambre - formation à 3, 22 février 2011, 09LY02267


Vu I, sous le n° 09LY02267, la requête, enregistrée le 24 septembre 2009, présentée pour la société FRANCE TELECOM, dont le siège est 6 place d'Alleray à Paris (75505) Cedex 15 ;

FRANCE TELECOM demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0708151 du 9 juillet 2009 par lequel le Tribunal administratif de Lyon a, à la demande de Mme Françoise A, mis à la charge solidaire de FRANCE TELECOM et de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence ;

2°) de rejeter la demande de Mme A ;

3°) de

mettre à la charge de Mme A le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'articl...

Vu I, sous le n° 09LY02267, la requête, enregistrée le 24 septembre 2009, présentée pour la société FRANCE TELECOM, dont le siège est 6 place d'Alleray à Paris (75505) Cedex 15 ;

FRANCE TELECOM demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0708151 du 9 juillet 2009 par lequel le Tribunal administratif de Lyon a, à la demande de Mme Françoise A, mis à la charge solidaire de FRANCE TELECOM et de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence ;

2°) de rejeter la demande de Mme A ;

3°) de mettre à la charge de Mme A le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- dès lors qu'elle ne procède plus depuis 1993 au recrutement de fonctionnaires par voie de concours, il résulte des statuts particuliers de ces corps que FRANCE TELECOM ne pouvait mettre en place de liste d'aptitude pour l'accès aux corps des contrôleurs ; en tout état de cause, l'inscription sur une liste d'aptitude n'a aucun caractère automatique et l'administration n'est pas tenue de faire figurer sur le projet de liste tous les agents ayant vocation à être promus ;

- contrairement à ce que soutenait l'agent, les fonctionnaires ayant choisi de conserver leur grade de reclassement ne sont pas exclus des processus d'avancement consentis à l'ensemble des personnels de FRANCE TELECOM et ils bénéficient des mêmes droits que leurs collègues ayant choisi la classification ; en l'espèce, il n'existait aucun emploi vacant de grade supérieur susceptible d'être occupé par l'agent et par les agents du même grade ; elle n'a commis aucune faute en n'organisant pas de promotion dans les grades de reclassement ni aucune illégalité susceptible d'engager sa responsabilité ;

- la prétendue discrimination entre agents reclassés et reclassifiés n'est pas établie dès lors que le principe de l'égalité de traitement ne s'applique qu'entre agents appartenant à un même corps ;

- il n'appartenait pas à FRANCE TELECOM de procéder à une modification des décrets statutaires des corps de reclassement, qui ne prévoyaient pas de voie de promotion interne autres que celles liées aux titularisations consécutives aux recrutements externes ;

- aucun préjudice ne saurait être invoqué avant l'entrée en vigueur du décret du 30 novembre 2004 ;

- le préjudice invoqué n'est nullement certain ni concrètement démontré, aucun agent n'ayant un droit acquis à une promotion ;

- si une faute de sa part devait être retenue, il y aurait lieu d'établir une répartition équitable de la charge indemnitaire, en imputant la majeure partie de cette charge à l'Etat ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire, enregistré le 4 février 2011, présenté pour Mme Françoise A, qui conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de FRANCE TELECOM au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu que les agissements fautifs de FRANCE TELECOM tendant à ne plus organiser de voies de promotion interne dans les grades de reclassement étaient de nature à engager sa responsabilité, dès lors, en premier lieu, que, contrairement à ce qu'elle soutient, elle avait l'obligation d'organiser des listes d'aptitude et des tableaux d'avancement au profit des agents appartenant à des corps de reclassement, les grades de reclassement n'ayant pas fait l'objet d'une suppression et ces agents bénéficiant du droit à bénéficier d'une promotion au sein même de ces corps, en deuxième lieu qu'elle ne peut se prévaloir de l'absence d'emplois vacants dans les grades de reclassement et, en troisième lieu, qu'elle a eu un comportement fautif en n'organisant pas de voie de promotion interne au profit des agents reclassés ;

- c'est à tort que FRANCE TELECOM soutient qu'elle n'aurait subi aucun préjudice en raison du blocage de sa carrière ;

Vu II, sous le n° 09LY02299, le recours, enregistré le 1er octobre 2009, par lequel le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DE L'INDUSTRIE ET DE L'EMPLOI demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0708151 du 9 juillet 2009 par lequel le Tribunal administratif de Lyon a, à la demande de Mme Françoise A, mis à la charge solidaire de France Télécom et de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence ;

2°) de rejeter la demande de Mme A ;

Il soutient que :

- si les premiers juges ont considéré à juste titre que le décret du 24 novembre 2004 avait rendu possibles au sein de France Télécom les promotions internes non liées aux recrutements externes, ils ont omis de préciser que les statuts n'étaient devenus illégaux que depuis le 1er janvier 2002, date à compter de laquelle, par l'effet de la loi n° 96-660 du 26 juillet 1996, a été interdit le recrutement de fonctionnaires par l'entreprise, les dispositions des décrets statutaires relatifs aux corps de reclassement de France Télécom qui conditionnaient l'accès à ces corps par promotion interne à l'existence de titularisations consécutives à des recrutements externes étant ainsi devenues irrégulières à compter de ladite date ;

- c'est à tort que les premiers juges, après avoir admis à juste titre que l'agent n'établissait pas une perte de chance sérieuse de promotion et donc un blocage de sa carrière, ont néanmoins considéré que l'Etat devait indemniser les préjudices de cet agent ;

- il n'est pas établi que l'Etat serait responsable à l'égard de l'agent d'un dommage résultant de son absence de promotion ;

- l'agent n'ayant subi aucun préjudice de carrière, rien ne justifie l'indemnisation par l'Etat du préjudice moral allégué, dont l'effectivité n'est pas établie, et alors que le jugement ne donne aucune précision ni sur la période d'indemnisation retenue et sa justification, ni sur le montant de la somme allouée ;

Vu le mémoire, enregistré le 16 septembre 2010, présenté pour la société France Télécom, qui demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0708151 du 9 juillet 2009 par lequel le Tribunal administratif de Lyon a, à la demande de Mme Françoise A, mis à la charge solidaire de France Télécom et de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence ;

2°) de rejeter la demande de Mme A ;

3°) de mettre à la charge de Mme A le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- dès lors qu'elle ne procède plus depuis 1993 au recrutement de fonctionnaires par voie de concours, il résulte des statuts particuliers de ces corps que France Télécom ne pouvait mettre en place de liste d'aptitude pour l'accès aux corps des contrôleurs ; en tout état de cause, l'inscription sur une liste d'aptitude n'a aucun caractère automatique et l'administration n'est pas tenue de faire figurer sur le projet de liste tous les agents ayant vocation à être promus ;

- contrairement à ce que soutenait l'agent, les fonctionnaires ayant choisi de conserver leur grade de reclassement ne sont pas exclus des processus d'avancement consentis à l'ensemble des personnels de France Télécom et ils bénéficient des mêmes droits que leurs collègues ayant choisi la classification ; en l'espèce, il n'existait aucun emploi vacant de grade supérieur susceptible d'être occupé par l'agent et par les agents du même grade ; elle n'a commis aucune faute en n'organisant pas de promotion dans les grades de reclassement ni aucune illégalité susceptible d'engager sa responsabilité ;

- la prétendue discrimination entre agents reclassés et reclassifiés n'est pas établie dès lors que le principe de l'égalité de traitement ne s'applique qu'entre agents appartenant à un même corps ;

- il n'appartenait pas à France Télécom de procéder à une modification des décrets statutaires des corps de reclassement, qui ne prévoyaient pas de voie de promotion interne autres que celles liées aux titularisations consécutives aux recrutements externes ;

- aucun préjudice ne saurait être invoqué avant l'entrée en vigueur du décret du 30 novembre 2004 ;

- le préjudice invoqué n'est nullement certain ni concrètement démontré, aucun agent n'ayant un droit acquis à une promotion ;

- si une faute de sa part devait être retenue, il y aurait lieu d'établir une répartition équitable de la charge indemnitaire, en imputant la majeure partie de cette charge à l'Etat ;

Vu le mémoire, enregistré le 4 février 2011, présenté pour Mme Françoise A, qui conclut au rejet du recours et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu la responsabilité de l'Etat dans la mesure où il a adopté avec retard les dispositions réglementaires permettant aux agents reclassés de bénéficier de voies de promotion interne indépendamment de tout recrutement externe, la faute ayant consisté pour l'Etat à avoir attendu le 26 novembre 2004 pour adopter un décret permettant l'organisation de voies de promotion interne dans le grade des agents reclassés ;

- c'est à tort que le ministre soutient qu'elle n'aurait subi aucun préjudice en raison du blocage de sa carrière ;

Vu III, enregistrée sous le n° 09LY02300, la requête, enregistrée le 1er octobre 2009, présentée pour Mme Françoise RAGE, domiciliée 300, route de Berthoud à Taluyers (69440) ;

Mme RAGE demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0708151 du 9 juillet 2009 du Tribunal administratif de Lyon en tant qu'il a limité à la somme de 5 000 euros, y compris tous intérêts échus au jour du jugement, le montant de la somme mise à la charge solidaire de France Télécom et de l'Etat en réparation du préjudice qu'elle a subi en raison du blocage de sa carrière dans un corps de reclassement ;

2°) de condamner France Télécom et l'Etat à lui verser solidairement la somme globale de 80 000 euros au titre des différents préjudices subis, avec intérêt au taux légal à compter de sa demande préalable ;

3°) de mettre à la charge solidaire de France Télécom et de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est entaché d'irrégularités, en raison, en premier lieu, d'une méconnaissance des dispositions de l'article R. 222-13 du code de justice administrative, eu égard au montant de la demande indemnitaire présentée devant le tribunal, qui faisait obstacle à ce qu'elle soit examinée dans une formation de juge unique, en deuxième lieu, d'une omission à statuer sur l'ensemble des chefs de la demande, dès lors que le Tribunal n'a pas statué sur les conclusions de sa demande tendant à démontrer la faute lourde commise par l'Etat en qualité d'autorité de tutelle, en troisième lieu, d'un défaut de motivation, dès lors que le Tribunal n'a pas répondu à l'ensemble de l'argumentation développée en première instance, et, en quatrième lieu, d'une violation des stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatives au droit à un procès équitable, dès lors que le Tribunal a mis, de manière inéquitable, à sa charge la preuve malgré l'absence de procédures permettant aux agents reclassés de bénéficier d'une promotion de grade ;

- France Télécom et l'Etat ont commis des fautes, la première pour avoir refusé de mettre en place des voies de promotion en se fondant sur des dispositions illégales et le second pour ne pas avoir pris les dispositions réglementaires permettant aux agents reclassés de bénéficier de voies de promotion internes ;

- l'Etat a également commis une faute lourde dans l'exercice de sa tutelle sur la personne morale France Télécom créée par la loi du 2 juillet 1990, dont les dispositions de l'article 34 n'excluent pas l'intervention du ministre de tutelle dans les questions relatives au personnel de France Télécom, dès lors qu'il est resté inactif nonobstant les nombreuses alertes sur la situation des agents reclassés ;

- les fautes commises par France Télécom et l'Etat ont contribué à lui faire perdre une chance d'obtenir un déroulement de carrière normal, et doivent engager leur responsabilité solidaire ;

- elle a subi un préjudice professionnel, à raison du blocage de sa carrière, dont la progression était normale et continue jusqu'en 1993, comme l'ont subi l'ensemble des agents reclassés jusqu'en 2004 ; en considérant qu'elle n'apportait pas la preuve de ses compétences professionnelles démontrant une perte de chance sérieuse d'obtenir une promotion, le Tribunal a fait peser sur elle l'intégralité de la charge de la preuve sans prendre en considération l'ensemble des circonstances de l'affaire alors qu'il se trouvait en présence de présomptions établies en sa faveur ; elle a toujours fait l'objet de bonnes notations, et a produit des pièces montrant son aptitude à exercer des fonctions supérieures, eu égard à sa compétence, son implication et la maîtrise de ses fonctions ; elle n'a pu obtenir une promotion, alors qu'elle remplissait les conditions pour être promue au grade de contrôleur, à compter de 1996 ;

- le préjudice qu'elle a subi doit être chiffré à la somme de 80 000 euros, en raison de son préjudice matériel et financier, résultant du blocage de sa carrière, qui doit être évalué à 30 000 euros, d'un préjudice professionnel, eu égard à sa marginalisation, devant être évalué à 30 000 euros, des troubles dans ses conditions d'existence, à hauteur de 5 000 euros, et d'un préjudice moral, évalué à 15 000 euros ;

Vu le mémoire, enregistré le 16 septembre 2010, présenté pour la société France Télécom, qui conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 1 500 euros soit mise à la charge de Mme RAGE au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- dès lors qu'elle ne procède plus depuis 1993 au recrutement de fonctionnaires par voie de concours, il résulte des statuts particuliers de ces corps que France Télécom ne pouvait mettre en place de liste d'aptitude pour l'accès aux corps des contrôleurs ; en tout état de cause, l'inscription sur une liste d'aptitude n'a aucun caractère automatique et l'administration n'est pas tenue de faire figurer sur le projet de liste tous les agents ayant vocation à être promus ;

- contrairement à ce que soutenait l'agent, les fonctionnaires ayant choisi de conserver leur grade de reclassement ne sont pas exclus des processus d'avancement consentis à l'ensemble des personnels de France Télécom et ils bénéficient des mêmes droits que leurs collègues ayant choisi la classification ; en l'espèce, il n'existait aucun emploi vacant de grade supérieur susceptible d'être occupé par l'agent et par les agents du même grade ; elle n'a commis aucune faute en n'organisant pas de promotion dans les grades de reclassement ni aucune illégalité susceptible d'engager sa responsabilité ;

- la prétendue discrimination entre agents reclassés et reclassifiés n'est pas établie dès lors que le principe de l'égalité de traitement ne s'applique qu'entre agents appartenant à un même corps ;

- il n'appartenait pas à France Télécom de procéder à une modification des décrets statutaires des corps de reclassement, qui ne prévoyaient pas de voie de promotion interne autres que celles liées aux titularisations consécutives aux recrutements externes ;

- aucun préjudice ne saurait être invoqué avant l'entrée en vigueur du décret du 30 novembre 2004 ;

- le préjudice invoqué n'est nullement certain ni concrètement démontré, aucun agent n'ayant un droit acquis à une promotion ;

- si une faute de sa part devait être retenue, il y aurait lieu d'établir une répartition équitable de la charge indemnitaire, en imputant la majeure partie de cette charge à l'Etat ;

Vu le mémoire, enregistré le 4 février 2011, présenté pour Mme RAGE, qui maintient les conclusions de sa requête par les mêmes moyens, tout en chiffrant à 80 466 euros le montant de l'indemnité réclamée ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 18 février 2011, présentée par Mme RAGE ;

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

Vu la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 ;

Vu le décret n° 72-503 du 23 juin 1972 ;

Vu le décret n° 90-1235du 31 décembre 1990 ;

Vu le décret n° 2004-1300 du 26 novembre 2004 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 8 février 2011 :

- le rapport de M. Seillet, premier conseiller ;

- les observations de Me Menceur, pour Mme RAGE ;

- et les conclusions de Mme Schmerber, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à Me Menceur ;

Considérant que les appels formés par FRANCE TELECOM, le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DE L'INDUSTRIE ET DE L'EMPLOI et Mme RAGE sont dirigés contre le même jugement ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article R. 222-13 du code de justice administrative : Le président du tribunal administratif ou le magistrat qu'il désigne à cette fin et ayant atteint au moins le grade de premier conseiller statue en audience publique et après audition du commissaire du gouvernement : (...) 2° sur les litiges relatifs à la situation individuelle des fonctionnaires (...) à l'exception de ceux concernant l'entrée au service, la discipline et la sortie du service (...) 7° sur les actions indemnitaires, lorsque le montant des indemnités demandées est inférieur au montant déterminé par les articles R. 222-14 et R. 222-15 ; qu'aux termes de l'article R. 222-14 du même code : Les dispositions du 7° de l'article précédent sont applicables aux demandes dont le montant n'excède pas 10 000 euros ;

Considérant que Mme RAGE, agent d'exploitation du service général de FRANCE TELECOM, a demandé au tribunal administratif de condamner FRANCE TELECOM et l'Etat à lui verser une indemnité d'un montant de 80 000 euros en réparation des préjudices subis du fait du blocage de sa carrière dans un corps de reclassement ; que le tribunal administratif était ainsi saisi d'un litige relatif à la situation individuelle d'un fonctionnaire sur lequel il pouvait être statué par un juge statuant seul, conformément aux dispositions sus-rappelées, alors même que le montant de la somme réclamée était supérieur à celui fixé par l'article R. 222-14 du code de justice administrative ; qu'il suit de là que le moyen tiré de l'irrégularité du jugement précité, au regard des dispositions précitées de l'article R. 222-13 du code de justice administrative, en tant qu'il a été rendu dans une formation de magistrat statuant seul, doit être écarté ;

Considérant, en deuxième lieu, que, par le jugement attaqué, le premier juge a considéré que l'Etat avait commis des fautes de nature à engager sa responsabilité et l'a condamné à indemniser, solidairement avec FRANCE TELECOM, Mme RAGE des préjudices dont il a estimé qu'elle justifiait, tout en rejetant les conclusions tendant à la réparation de préjudices dont le caractère certain ne lui a pas paru établi ; qu'ainsi, contrairement à ce que soutient Mme RAGE, le Tribunal a statué sur l'ensemble des conclusions de sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à réparer les préjudices causés par les fautes de nature à engager sa responsabilité, nonobstant la circonstance que le premier juge n'a pas répondu à son argumentation tendant à faire reconnaître une faute lourde de l'Etat ;

Considérant, en troisième lieu, que le jugement attaqué, par lequel il a été considéré que la responsabilité solidaire de FRANCE TELECOM et de l'Etat devait être engagée, pour les fautes commises, envers Mme RAGE et par lequel FRANCE TELECOM et l'Etat ont été condamnés à l'indemniser des préjudices dont le premier juge a estimé qu'ils étaient justifiés, est suffisamment motivé ;

Considérant, en dernier lieu, qu'en mettant à la charge de Mme RAGE, dont la demande tendait à la réparation de préjudices qu'elle prétendait avoir subis en conséquence d'un blocage de sa carrière résultant des fautes commises tant par FRANCE TELECOM que par l'Etat, la preuve de la réalité des préjudices qu'elle invoquait, le premier juge n'a pas méconnu le principe de l'égalité des armes garanti par les stipulations de l'article 6§1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Sur le fond :

Considérant qu'aux termes de l'article 29 de la loi du 2 juillet 1990, relative à l'organisation du service public des postes et télécommunications : Les personnels de La Poste et de France Télécom sont régis par des statuts particuliers, pris en application de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat (...) ; qu'aux termes de l'article 29-1 de la loi du 2 juillet 1990, dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 1996 : Au 31 décembre 1996, les corps de fonctionnaires de France Télécom sont rattachés à l'entreprise nationale France Télécom et placés sous l'autorité de son président qui dispose des pouvoirs de nomination et de gestion à leur égard. Les personnels fonctionnaires de France Télécom demeurent soumis aux articles 29 et 30 de la présente loi. / L'entreprise nationale France Télécom peut procéder jusqu 'au 1er janvier 2002 à des recrutements externes de fonctionnaires pour servir auprès d'elle en position d'activité (...) ;

Considérant qu'aux termes de l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : En vue de favoriser la promotion interne, les statuts particuliers fixent une proportion de postes susceptibles d'être proposés au personnel appartenant déjà à l'administration (...), non seulement par voie de concours (...) mais aussi par la nomination de fonctionnaires (...) suivant l'une des modalités ci-après : / 1° Examen professionnel; / 2° Liste d'aptitude établie après avis de la commission paritaire du corps d'accueil (...) ;

Considérant, d'une part, que la possibilité offerte aux fonctionnaires qui sont demeurés dans les corps dits de reclassement de FRANCE TELECOM de bénéficier, au même titre que les fonctionnaires ayant choisi d'intégrer les nouveaux corps dits de reclassification créés en 1993, de mesures de promotion organisées en vue de pourvoir des emplois vacants proposés dans ces corps de reclassification , ne dispensait pas le président de FRANCE TELECOM, avant le 1er janvier 2002, de faire application des dispositions de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne dans le cadre des corps de reclassement ; qu'il appartenait, en outre, au ministre chargé des postes et télécommunications de veiller de manière générale au respect par FRANCE TELECOM de ce droit à la promotion interne, garanti aux fonctionnaires reclassés comme aux fonctionnaires reclassifiés de l'exploitant public par les dispositions combinées de la loi du 2 juillet 1990 et de la loi du 11 janvier 1984 ;

Considérant, d'autre part, que le législateur, en décidant par les dispositions précitées de l'article 29-1 de la loi du 2 juillet 1990, résultant de la loi du 26 juillet 1996, que les recrutements externes de fonctionnaires par FRANCE TELECOM cesseraient au plus tard le 1er janvier 2002, n'a pas entendu priver d'effet, après cette date, les dispositions de l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne à l'égard des fonctionnaires reclassés ; que, par suite, les décrets régissant les statuts particuliers des corps de reclassement , en ce qu'ils n'organisaient pas de voies de promotion interne autres que celles liées aux titularisations consécutives aux recrutements externes et privaient en conséquence les fonctionnaires reclassés de toute possibilité de promotion interne, sont devenus illégaux à compter de la cessation des recrutements externes le 1er janvier 2002 ; qu'en faisant application de ces décrets illégaux et en refusant de prendre toute mesure de promotion interne au bénéfice des fonctionnaires reclassés après cette date, le président de FRANCE TELECOM a, de même, commis une illégalité ; que des promotions internes pour les fonctionnaires reclassés non liées aux recrutements externes ne sont redevenues possibles, au sein de FRANCE TELECOM, que par l'effet du décret du 24 novembre 2004 relatif aux dispositions statutaires applicables à certains corps de fonctionnaires de FRANCE TELECOM ;

Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de ce qui vient d'être dit, que le président de FRANCE TELECOM a, en refusant de prendre toute mesure de promotion interne en faveur des fonctionnaires reclassés , commis une illégalité engageant la responsabilité de sa société, sans pouvoir utilement se prévaloir, pour s'exonérer de cette responsabilité, ni de la circonstance que les décrets statutaires des corps de reclassement auraient interdit ces promotions, jusqu'au décret du 24 novembre 2004, ni de la circonstance qu'aucun emploi ne serait devenu vacant, au cours de la période, pour permettre de procéder à de telles promotions, et que l'Etat a, de même, commis une faute en attendant le 24 novembre 2004 pour prendre les décrets organisant les possibilités de promotion interne pour les fonctionnaires des corps de reclassement de cette société ;

Considérant, en deuxième lieu, que les fautes relevées, consistant à priver de manière générale les fonctionnaires reclassés de toute possibilité de promotion interne, alors même qu'un agent n'aurait pas eu de chances sérieuses d'obtenir une promotion, sont de nature à ouvrir droit à une indemnité au titre du préjudice moral subi par les agents concernés à raison desdites fautes, outre l'indemnité réparant le préjudice de carrière résultant du blocage de leur carrière ; que ces fautes sont de nature à engager la responsabilité solidaire de FRANCE TELECOM et de l'Etat envers les agents concernés, sans qu'il y ait lieu d'opérer un partage de leurs responsabilités respectives ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que Mme RAGE, fonctionnaire de l'administration des postes et télécommunications ayant accédé au grade d'agent d'exploitation du service général, remplissait les conditions statutaires pour être promue à compter de 1996 ; qu'elle a bénéficié d'appréciations satisfaisantes et que depuis 2001, elle a été affectée sur un poste d'un niveau supérieur à son grade ; que, compte tenu de ces appréciations portées sur sa manière de servir et eu égard à la nature des fonctions susceptibles d'être confiées à un contrôleur, Mme RAGE doit être regardée comme ayant été privée, à partir de 2001, et jusqu'à la date d'entrée en vigueur du décret du 24 novembre 2004, d'une chance sérieuse d'accéder au corps supérieur des contrôleurs de FRANCE TELECOM, si des promotions dans ce corps avaient été organisées au bénéfice des fonctionnaires reclassés après 1993 ;

Considérant que, dans ces conditions, Mme RAGE a droit à l'indemnisation du préjudice de carrière résultant de cette perte de chance ; qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice qu'elle a subi en l'évaluant à la somme de 2 000 euros ; qu'elle est également fondée à demander réparation du préjudice moral qui en est résulté ; qu'il sera fait une juste appréciation, dans les circonstances de l'espèce, du préjudice subi par Mme RAGE au titre de son préjudice moral en l'évaluant à la somme de 1 500 euros ; qu'en revanche, il ne résulte pas de l'instruction que ces fautes auraient causé à Mme RAGE des troubles dans ses conditions d'existence ni un préjudice professionnel distinct du préjudice de carrière indemnisé ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que FRANCE TELECOM et le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DE L'INDUSTRIE ET DE L'EMPLOI sont seulement fondés à soutenir que c'est à tort que, par ledit jugement, le Tribunal administratif de Lyon les a condamnés à verser à Mme RAGE une indemnité d'un montant total supérieur à la somme de 3 500 euros ;

Sur les intérêts :

Considérant que Mme RAGE a droit aux intérêts au taux légal sur cette somme à compter de la réception de ces demandes préalables, le 5 juillet 2007, par le ministre de l'économie et par France Télécom ;

Sur les conclusions des parties tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de FRANCE TELECOM et de l'Etat, qui n'ont pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, la somme que demande Mme RAGE au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme RAGE une somme au titre des frais exposés par FRANCE TELECOM et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : FRANCE TELECOM et l'Etat sont condamnés solidairement à verser à Mme RAGE une somme de 3 500 euros au titre des préjudices subis. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 5 juillet 2007.

Article 2 : Le jugement du Tribunal administratif de Lyon du 9 juillet 2009 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Les conclusions de Mme RAGE et les conclusions de FRANCE TELECOM tendant au bénéfice de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme Françoise RAGE, à FRANCE TELECOM et au MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE.

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N°s 09LY02267,...

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 09LY02267
Date de la décision : 22/02/2011
Type d'affaire : Administrative

Composition du Tribunal
Président : M. FONTANELLE
Rapporteur ?: M. Philippe SEILLET
Rapporteur public ?: Mme SCHMERBER
Avocat(s) : GUILLENCHMIDT et ASSOCIES ; SELARL HORUS AVOCATS ; GUILLENCHMIDT et ASSOCIES ; SELARL HORUS AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2011-02-22;09ly02267 ?
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