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17/02/2011 | FRANCE | N°09LY01392

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 4ème chambre - formation à 3, 17 février 2011, 09LY01392


Vu I°), sous le n° 0901392, la requête, enregistrée le 23 juin 2009, présentée pour M. Joaquim A, dont le domicile est ..., par la SCP Borie et associés, avocats au barreau de Clermont-Ferrand ;

M. A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0801135 du 21 avril 2009 par lequel le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande tendant à ce que l'Etat (ministre de la justice et des libertés) soit condamné à lui verser la somme de 50 000 euros en réparation des conséquences dommageables du décès de son fils M. Vitor Ribero B, survenu le 18

mai 2007, dans les suites de sa pendaison le 30 avril 2007 alors qu'il était d...

Vu I°), sous le n° 0901392, la requête, enregistrée le 23 juin 2009, présentée pour M. Joaquim A, dont le domicile est ..., par la SCP Borie et associés, avocats au barreau de Clermont-Ferrand ;

M. A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0801135 du 21 avril 2009 par lequel le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande tendant à ce que l'Etat (ministre de la justice et des libertés) soit condamné à lui verser la somme de 50 000 euros en réparation des conséquences dommageables du décès de son fils M. Vitor Ribero B, survenu le 18 mai 2007, dans les suites de sa pendaison le 30 avril 2007 alors qu'il était détenu à la maison d'arrêt de Clermont-Ferrand ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 50 000 euros ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991;

Il soutient que la prise en charge de la fragilité psychologique du détenu a été insuffisante, son très jeune âge et la barrière de la langue n'ayant pas été prise en compte ; que les observations faites par un psychologue le 10 février 2007 ne sauraient avoir dispensé l'administration pénitentiaire d'une vigilance accrue compte tenu de la nature évolutive de l'état psychologique d'un détenu ; que des co-détenus avaient averti les surveillants de son mal-être et son caractère dépressif ; que son père a subi un préjudice économique et moral, aggravé par sa précarité financière qui l'a empêché de rendre visite à son fils ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 20 octobre 2010, présenté par le ministre de la justice et des libertés qui conclut au rejet de la requête par les moyens que l'administration pénitentiaire ne pouvait avoir connaissance de la fragilité psychologique de la victime et qu'au surplus les expertises ne révélaient pas la nécessité d'une prise en charge psychologique ; que rien ne pouvait laisser prévoir qu'il allait passer à l'acte même s'il semblait perturbé ces derniers temps ; qu'un seul co-détenu a déclaré très postérieurement avoir eu connaissance d'une tendance dépressive, dont il n'avait pas parlé à l'époque, tandis qu'aucun autre n'évoque d'état suicidaire ; qu'il avait eu la veille un entretien avec le surveillant principal et l'avant-veille avec le surveillant d'étage qui avaient effectué un signalement à l'infirmière auprès de laquelle l'intéressé, qui ne pouvait y être contraint, a refusé de se rendre ; que les seuls critères de l'âge et de la langue parlée ne suffisent pas à témoigner d'un état psychologique fragile et à imposer une mise sous surveillance renforcée dans la mesure où le jeune âge n'est pas un facteur de risque et que la langue n'a pas été un obstacle pour qu'il soit satisfait à ses demandes de changement de cellule, ni pour qu'un signalement soit effectué ; qu'il a bénéficié de consultations médicales régulières ; que ses perspectives de ressources étaient très réduites compte tenu de la peine qu'il encourait et que les liens avec son père étaient particulièrement distendus ;

Vu le mémoire, enregistré le 26 novembre 2010, présenté pour M. A qui conclut aux mêmes fins que précédemment par les mêmes moyens et par les motifs, en outre, que la qualité et l'efficience des consultations médicales ont été obérées par le fait qu'aucun interprète n'a été sollicité par l'administration ; que cette dernière n'a pas déployé les efforts pour connaître précisément l'état psychologique du détenu ni pour assurer un suivi rationalisé et cohérent, ni susciter et favoriser les contacts avec l'extérieur, conformément aux préconisations de la circulaire DGS/SD 6C n° 2002-258 du 6 avril 2002 ;

Vu II°), sous le n° 0901793, la requête, enregistrée le 23 juin 2009, présentée pour M. Joaquim A ;

M. A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0801094 du 21 avril 2009 par lequel le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande tendant à ce que le centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand soit condamné à lui verser la somme de 50 000 euros en réparation des conséquences dommageables du décès de son fils M. Vitor Ribero B, survenu le 18 mai 2007, dans les suites de sa pendaison le 30 avril 2007 alors qu'il était détenu à la maison d'arrêt de Clermont-Ferrand ;

2°) de condamner le centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand à lui verser la somme de 50 000 euros ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand la somme de 3 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991;

Il soutient que la circonstance, à la supposer établie, que l'expertise réalisée dans le cadre de l'instruction n'ait pas objectivé un risque suicidaire ne saurait conduire l'équipe de l'unité de consultation et de soins ambulatoires (UCSA) de la maison d'arrêt à moins de vigilance quant à l'évolution de l'état de santé d'un détenu ; que l'expertise psychologique aurait dû attirer l'attention dès lors qu'elle concluait à un état mental pouvant le placer dans des situations à risque ; que la barrière de la langue ne peut être mise en avant pour justifier l'obstacle à la détection du problème psychologique sans que le concours d'un interprète n'ait été sollicité ; qu'un de ses co-détenus avait évoqué ses problèmes psychologiques avec l'infirmière psychiatrique qui s'était bornée à évoquer les difficultés à trouver un traducteur en langue portugaise ; qu'en 7 mois d'incarcération, il n'a été vu que 4 fois en consultation et qu'il s'est passé près de 4 mois entre la dernière consultation et le geste fatal ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 3 novembre 2010, présenté pour le centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand qui conclut au rejet de la requête par les moyens que le rapport d'expertise psychologique établi le 10 février 2007 n'a pas pu être transmis aux médecins de l'unité de consultation compte tenu du secret de l'instruction et qu'au demeurant l'expert n'a pas décelé de tendances suicidaires mais en mentionnant une colère intérieure qui peut l'installer dans des situations à risque a entendu viser son implication dans l'affaire criminelle pour laquelle il était poursuivi et le rôle qu'il a pu y jouer ; qu'aucun des experts n'a eu de raison de soupçonner que son état mental pouvait être inquiétant ; que lors de la consultation avec un médecin de l'UCSA le 2 janvier 2007, il a été constaté une prise de poids de 6 kg en 3 mois ce qui écartait toute anorexie pouvant souvent constituer un signe d'alerte de la dépression et que ses visites aux infirmières n'ont jamais concerné des troubles psychologiques ; qu'en l'absence d'antécédents de dépression, il n'avait pas à faire l'objet d'un vigilance particulière ; que la barrière de la langue n'existait réellement qu'au début de son incarcération, ses progrès ultérieurs lui permettant de se faire comprendre des médecins, des autres détenus et de l'administration pénitentiaire ; qu'il avait d'ailleurs consulté sans difficulté de communication un médecin pour un problème bénin début avril ; que les évènements les plus proches de la date du passage à l'acte ne permettaient pas de déceler qu'il en viendrait à cette extrémité ;

Vu le mémoire, enregistré le 26 novembre 2010, présenté pour M. A qui conclut aux mêmes fins que précédemment par les mêmes moyens et par les motifs que l'état psychologique est susceptible d'évoluer en détention, particulièrement pour les personnes détenues pour des faits d'agressions sexuelles potentiellement victimes de mauvais traitements de la part d'autres détenus ; que les expertises réalisées dans le cadre de l'enquête pénale n'avaient pas pour objet la détection d'un risque suicidaire ; que les éléments du dossier établissent que, vers la fin, le jeune détenu avait eu des troubles du comportement ; qu'il avait mentionné le 19 septembre 2006 une tentative de suicide médicamenteuse vers l'âge de 12 ans ; que sa difficulté à parler le français est établie ;

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 27 janvier 2011:

- le rapport de Mme Verley-Cheynel, président-assesseur,

- et les conclusions de Mme Gondouin, rapporteur public ;

Considérant que les requêtes nos 0901392 et 0901793 de M. A présentent à juger des questions semblables ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt ;

Considérant que M. Vitor Ribero B, qui avait été écroué préventivement à la maison d'arrêt de Clermont-Ferrand à compter du 19 septembre 2006, s'est pendu dans le cabinet de toilette de son dortoir le 30 avril 2007, vers 10 heures du matin ; que, bien qu'ayant été secouru dans les minutes suivant son geste, il est décédé le 18 mai suivant ; que M. A, son père, a demandé réparation à l'Etat, d'une part, et au centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand, d'autre part, du préjudice que lui a causé la disparition de son fils âgé de 21 ans ;

Considérant que la responsabilité de l'Etat du fait des services pénitentiaires, en cas de dommage résultant du suicide d'un détenu, peut être recherchée seulement en cas de faute ; qu'il en va de même de la responsabilité des services de santé intervenant en milieu carcéral ;

Sur la responsabilité de l'Etat :

Considérant que le requérant reproche aux services pénitentiaires de ne pas avoir mis en oeuvre une surveillance adaptée à l'état de son fils ; qu'il résulte de l'instruction que le jeune homme, qui avait fait l'objet d'expertises psychologiques et psychiatriques dans le cadre de l'enquête pénale et était suivi par le service de santé de la maison d'arrêt, n'avait à aucun moment fait l'objet d'un signalement spécifique quant à sa fragilité psychologique ; que si certains de ses co-détenus, avec onze desquels il partageait un dortoir collectif, avaient, l'avant-veille de son geste fatal, signalé au personnel surveillant un changement dans son comportement, qui avait conduit successivement le surveillant d'étage et le surveillant principal à s'entretenir avec lui et à organiser pour lui un rendez-vous à l'infirmerie, il est constant que l'intéressé, qui n'a pas souhaité y donner suite, n'avait à aucun moment exprimé d'intentions ou même d'idées suicidaires ; que si le requérant fait valoir que, son fils ne maîtrisant pas la langue française, l'administration, qui n'a pas recouru à un interprète, n'a pu apprécier son état réel, il ne résulte pas de l'instruction que des difficultés linguistiques puissent être regardées comme ayant empêché en l'espèce la prise en compte de cet état, alors qu'il ressort des témoignages figurant au dossier que la victime parvenait à exprimer ses besoins et à échanger avec son entourage ; que, par suite, aucun défaut de surveillance ne peut être retenu à l'encontre de l'administration pénitentiaire ;

Sur la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand :

Considérant que M. A a recherché la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand chargé d'assurer les missions de diagnostic et de soins aux détenus dans le cadre de l'unité de consultations et de soins ambulatoires en milieu pénitentiaire (UCSA) ; que, contrairement à ce que soutient le requérant, il ne ressort pas du rapport d'expertise psychologique établi le 10 février 2007 que le spécialiste, informé de ses troubles du comportement depuis l'enfance et qui avait mis en évidence une révolte et une colère intérieure, ait conclu à l'existence d'un risque suicidaire ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que le détenu présentait des signes de dépression lors des visites qu'il a effectuées au sein de l'UCSA, en dernier lieu début avril 2007, ni que ses difficultés de compréhension de la langue française aient pu en l'espèce être un obstacle à la mise en évidence de ces signes ; qu'en l'absence de risque suicidaire connu, la circonstance que l'intéressé n'ait pas accepté d'être reçu par l'infirmière de l'UCSA la veille de son geste fatal ne pouvait, dans ces circonstances, constituer à elle seule un indice laissant présager une intention suicidaire ; qu'aucune faute du service de santé n'est ainsi susceptible d'engager la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté ses demandes indemnitaires ; que ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées ;

DECIDE :

Article 1er : Les requêtes n° 09LY01392 et n° 09LY01793 de M. A sont rejetées.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. Joaquim A, au directeur de la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme et au garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.

Délibéré après l'audience du 27 janvier 2011, où siégeaient :

M. du Besset, président de chambre,

Mme Verley-Cheynel, président-assesseur,

Mme Vinet, conseiller.

Lu en audience publique, le 17 février 2011.

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 4ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 09LY01392
Date de la décision : 17/02/2011
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. du BESSET
Rapporteur ?: Mme Geneviève VERLEY-CHEYNEL
Rapporteur public ?: Mme GONDOUIN
Avocat(s) : SCP BORIE et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2011-02-17;09ly01392 ?
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