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26/10/2010 | FRANCE | N°08LY01860

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 1ère chambre - formation à 3, 26 octobre 2010, 08LY01860


Vu la requête, enregistrée le 7 août 2008, présentée pour la SAS GRANDS MAGASINS LABRUYERE, dont le siège est 70 avenue Edouard Herriot à Macon (71000) ;

La SAS GRANDS MAGASINS LABRUYERE demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0702212, n° 0702379, n° 0702501 et n° 0702513 du 12 juin 2008 par lequel le Tribunal administratif de Dijon a annulé la décision du 7 septembre 2007 de la commission départementale d'équipement commercial de Saône-et-Loire l'autorisant à créer un ensemble commercial d'une surface totale de vente de 19 280 m² sur le territoire

de la commune de Digoin ;

2°) de rejeter la demande devant le Tribunal administ...

Vu la requête, enregistrée le 7 août 2008, présentée pour la SAS GRANDS MAGASINS LABRUYERE, dont le siège est 70 avenue Edouard Herriot à Macon (71000) ;

La SAS GRANDS MAGASINS LABRUYERE demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0702212, n° 0702379, n° 0702501 et n° 0702513 du 12 juin 2008 par lequel le Tribunal administratif de Dijon a annulé la décision du 7 septembre 2007 de la commission départementale d'équipement commercial de Saône-et-Loire l'autorisant à créer un ensemble commercial d'une surface totale de vente de 19 280 m² sur le territoire de la commune de Digoin ;

2°) de rejeter la demande devant le Tribunal administratif ;

3°) de condamner la société Etablissements G. Brunel à lui verser une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

La société requérante soutient que :

- contrairement à ce qu'impose l'article R. 741-2 du code de justice administrative, seuls deux mémoires présentés dans ses intérêts sont visés par le jugement attaqué, alors qu'elle a présenté au moins un mémoire dans chacune des quatre instances ; qu'en outre, ce jugement ne contient pas l'indication des textes appliqués, s'agissant notamment des articles du code de commerce, de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 et du décret n° 93-306 du 9 mars 1993 ;

- l'autorisation litigieuse a été annulée en raison de l'absence de désignation nominative par le préfet des membres ayant effectivement siégé au sein de la commission départementale d'équipement commercial ; que toutefois, le IV de l'article 102 de la loi du 4 août 2008 a validé les décisions non encore frappées d'une décision judiciaire ayant l'autorité de la chose jugée ;

- les effets positifs du projet sont de nature à justifier l'autorisation, de sorte que les moyens de légalité interne soulevés seront écartés ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire, enregistré le 10 octobre 2008, présenté pour la société Etablissements G. Brunel, qui demande à la Cour :

- de rejeter la requête ;

- de condamner la SAS GRANDS MAGASINS LABRUYERE à lui verser une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

La société Etablissements G. Brunel soutient que :

- le jugement attaqué mentionne l'ensemble des mémoires qui ont été échangés entre les parties, ainsi que leur analyse ; qu'en tout état de cause, l'appelante ne précise pas les conséquences des irrégularités invoquées ; que, par ailleurs, le jugement précise les dispositions législatives et réglementaires dont le Tribunal a fait application ;

- la validation législative invoquée par la requérante ne répond pas à un motif impérieux d'intérêt général, ayant en effet pour objet de régulariser des autorisations affectées d'un vice de procédure ayant son origine dans des pratiques contestables des services préfectoraux ; que cette validation repose sur des motifs d'opportunité politique ; qu'elle est, dès lors, inopérante ;

- la commission départementale d'équipement commercial a statué sans prendre en considération les principes et critères législatifs ; que le projet, qui entraînera le dépassement de toutes les densités commerciales de référence dans la zone de chalandise, aura incontestablement un impact négatif sur le tissu commercial existant ; que la population de la zone de chalandise a connu une nette régression entre les deux derniers recensements ; que cette régression se poursuit ; que la concurrence entre les enseignes est d'ores et déjà réelle dans la zone de chalandise ; que la commission n'a pas apprécié le risque de destruction d'emplois dans les commerces concurrents ; que le nombre d'emplois menacés a été minoré ; que la diversification de la concurrence et la modernisation des équipements commerciaux ne sauraient justifier, à eux seuls, le projet ; que, par suite, c'est à tort que la commission départementale d'équipement commercial a accordé l'autorisation, en considération des prétendus effets positifs du projet ; que ce dernier est contraire aux principes et critères fixés à l'article 1er de la loi du 27 décembre 1973 et à l'article L. 752-6 du code de commerce ;

- les formalités de convocation prévues à l'article 23 du décret du 9 mars 1993, devenu l'article R. 752-24 du code de commerce, n'ont pas été respectées ; que si, devant le Tribunal, le préfet a produit les justificatifs de l'envoi et de la réception des courriers de convocation adressés aux membres titulaires, il n'apparaît pas que ces convocations auraient également été adressées aux membres suppléants de la commission ;

Vu le mémoire, enregistré le 15 décembre 2008, présenté pour la SAS Digoin distribution et la SAS Sofipar, qui demandent à la Cour :

- de rejeter la requête ;

- de condamner l'Etat et la SAS GRANDS MAGASINS LABRUYERE à leur verser une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

La SAS Digoin distribution et la SAS Sofipar soutiennent que :

- la validation législative invoquée par la requérante ne saurait conduire à la réformation du jugement attaqué, dès lors que cette validation, en l'absence d'un motif impérieux d'intérêt général, n'est pas conforme à l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- il n'est pas établi que les représentants du maire de Paray-le-Monial, du président de la chambre de commerce et d'industrie et du président de la Communauté de communes du Val-de-Loire ont été valablement habilités pour siéger à la commission départementale d'équipement commercial ;

- l'enquête publique est irrégulière ; qu'en effet, il ne ressort pas du rapport du commissaire enquêteur que le dossier comportait l'indication de la façon dont l'enquête s'insère dans la procédure administrative, ainsi que l'exige l'article L. 752-16 du code de commerce et l'article R. 123-6 du code de l'environnement ; que, d'autre part, le projet de station-service n'a pas été intégré aux pièces composant le dossier qui a été soumis à enquête, alors que cette station, qui est annexée au centre commercial, n'est pourtant pas dissociable de celui-ci ;

- l'enquête publique ne s'est pas déroulée régulièrement ; que les dispositions de l'article R. 123-8 du code de l'environnement ont été méconnues, le suppléant du commissaire enquêteur paraissant avoir assumé les fonctions de commissaire enquêteur au début de l'enquête, sans toutefois aller jusqu'au terme de cette dernière ; que la réunion publique, qui n'a pas été initiée par le commissaire enquêteur a, dès lors, été organisée en méconnaissance de l'article R. 123-20 du code de l'environnement ; que, contrairement à ce qu'impose l'article R. 123-22 du même code, le rapport et les conclusions du commissaire enquêteur ne figurent pas dans des documents séparés ; que ce dernier n'a pas répondu aux observations qui ont été formulées au cours de l'enquête publique, s'étant borné à renvoyer aux réponses du pétitionnaire ; qu'il n'a pas exprimé un avis personnel et motivé sur le projet et que le rapport est entaché de contradictions ;

- l'analyse des impacts du chiffre d'affaires est totalement faussée ; qu'en effet, en premier lieu, le marché résiduel, qui est en réalité l'autre nom de l'évasion commerciale, constitue un doublon avec cette dernière, déjà mentionnée ; que le chiffre d'affaires étant estimé sans tenir compte du hors zone, le dossier ne peut indiquer, sans contradiction avec la méthode d'estimation du chiffre d'affaires, que 30 % de ce chiffre est pris sur la clientèle de passage ; qu'en outre, un hors zone de 30 % est tout à fait irréaliste ; que la croissance des dépenses par ménage est surestimée, étant de 0,6 % en euros constants, et non de 1,5 % ; que, compte tenu de l'augmentation du nombre de ménages depuis 1999, de 0,5 %, la croissance annuelle du marché théorique de la zone de chalandise peut être estimée à 1,1 % par an, et non 1,9 % comme indiqué ; que le pétitionnaire, qui ne donne aucun chiffre sur l'évasion commerciale, affirme pourtant que 30 % du chiffre d'affaires sera pris sur cette dernière, ce qui est là encore surévalué ; que, dans ces conditions, on peut estimer qu'environ 46 millions d'euros, et non 9,3 comme indiqué, seront prélevés sur les magasins existants de la zone ; que ce prélèvement déstabilisera complètement de nombreux commerces ; qu'ainsi, alors que le pétitionnaire évalue à 33 le nombre d'emplois supprimés, l'impact négatif sera en réalité cinq fois plus importants, de l'ordre de 165 ; qu'en conséquence, le dossier, qui contient des données contestables, minimise de façon manifeste les impacts du projet et n'a pas été rectifié, n'a pas mis la commission départementale d'équipement commercial en mesure de se prononcer en toute connaissance de cause ;

- le projet méconnaît les objectifs poursuivis par la législation sur l'urbanisme commercial, qu'il s'agisse de l'équilibre entre les différentes formes de commerce ou du risque d'écrasement de la petite entreprise ; que l'autorisation attaquée méconnaît donc les articles L. 750-1 et suivants du code de commerce ; que, dans les secteurs alimentaire, bricolage et équipement de la personne, la densité commerciale de l'arrondissement est bien supérieure à la moyenne du département, elle-même supérieure à la moyenne nationale ; que le projet n'est donc pas justifié au regard des besoins qui n'existent pas, et ce d'autant plus que l'évolution démographique est défavorable dans la zone de chalandise ; que l'apport touristique est insignifiant et les résidence secondaires peu nombreuses ; que le projet est donc dangereux pour la viabilité économique des entreprises existantes, qui doivent faire face à une demande en baisse ; qu'en outre, les impacts du projet ont été largement minorés dans le dossier ; qu'en réalité, le chiffre d'affaires sera prélevé sur les commerces existants ; qu'aucun avantage présentant des effets compensatoires sérieux n'existe ; que, contrairement à ce qu'a retenu la commission, aucun rééquilibrage de l'offre commerciale ne résultera du projet ; que, compte tenu de l'équipement commercial important quantitativement et satisfaisant qualitativement d'ores et déjà existant dans la zone, l'évasion commerciale est marginale ; qu'en outre, le projet n'est pas complémentaire de l'offre existante ; qu'il entraînera des flux supplémentaires de circulation ; qu'il ne renforcera pas l'attractivité de Digoin et de la zone de chalandise, mais anéantira au contraire la diversité commerciale ; que la concurrence est déjà réelle ; que les créations d'emplois sont surestimées ; que la commission, qui a minimisé l'importance de l'hypermarché Carrefour, s'est méprise sur la portée du projet ; qu'ainsi, les inconvénients du projet ne sont compensés par aucun effet positif sérieux ;

Vu le mémoire, enregistré le 19 décembre 2008, présenté pour la SA Nicoger, qui demande à la Cour :

- de rejeter la requête ;

- de condamner la SAS GRANDS MAGASINS LABRUYERE à lui verser une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

La SA Nicoger soutient que :

- la requérante ne démontre pas qu'elle aurait produit plus de mémoires que ceux visés par le jugement attaqué ; qu'en tout état de cause, aucune incidence sur le sens de la décision du Tribunal n'est établie ; que, par ailleurs, le visa du code de commerce est suffisant ;

- l'article 102-IV de la loi du 4 août 2008, qui ne répond ni au motif impérieux d'intérêt général, ni au caractère prévisible de l'intervention du législateur, est, dès lors, contraire aux stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que la Cour devra, par suite, écarter l'application de cet article et confirmer le jugement attaqué ;

- la Cour devra, le cas échéant, examiné les autres moyens de première instance, tirés de ce que les membres de la commission départementale d'équipement commercial n'ont pas été mis en mesure d'apprécier l'impact réel du projet sur la zone de chalandise, de l'insuffisante motivation de la décision attaquée, de l'écrasement du petit commerce et du gaspillage des équipements commerciaux ; qu'elle se reporte à ses écritures de première instance, qu'elle reprend en cause d'appel ;

Vu le mémoire, enregistré le 23 décembre 2008, présenté pour la SAS Mirantin et la SA Sobrical, qui demandent à la Cour :

- de rejeter la requête ;

- de condamner la SAS GRANDS MAGASINS LABRUYERE à leur verser une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

La SAS Mirantin et la SA Sobrical soutiennent que :

- la SAS GRANDS MAGASINS LABRUYERE n'a produit aucun mémoire dans l'instance les concernant devant le Tribunal ; que, par ailleurs, le visa du code de commerce est suffisant ; qu'en tout état de cause, les textes appliqués sont cités dans le jugement attaquée ; que ce dernier n'est donc pas irrégulier ;

- aucun motif impérieux d'intérêt général ne vient justifier qu'il soit fait échec à la légitime annulation par le juge du fond d'une décision prise en violation des règles en vigueur à la date de son édiction ; que l'application de l'article 102-IV de la loi du 4 août 2008 devra donc être écartée par la Cour et le jugement attaqué devra être confirmé ;

- contrairement à ce que prévoit l'article L. 751-2 du code de commerce, la commission départementale d'équipement commercial n'a pas été présidée par le préfet ; qu'il n'est pas démontré que le maire de Paray-le-Monial ait été empêché au sens de l'article L. 2122-17 du code général des collectivités territoriales et que le représentant de cette commune était le 1er adjoint ; que, s'agissant du représentant du président de la Communauté de communes du Val-de-Loire, rien ne permet de s'assurer que les dispositions du 2ème alinéa de l'article R. 751-2 du code de commerce ont bien été respectées ;

- les dispositions de l'article R. 752-23 du code de commerce, qui exigent que le formulaire de déclaration d'intérêt soit communiqué dans le délai d'un mois à compter de la date d'enregistrement de la demande, ont été méconnues, dès lors que le formulaire n'a été transmis par le préfet que par un courrier du 20 août 2007, alors que la demande a été déposée le 21 juin 2007 ; que, par ailleurs, il n'apparaît pas que les convocations ont été envoyées aux membres suppléants qui ont effectivement siégé ;

- la décision attaquée n'est pas suffisamment motivée, car entachée de contradiction, dès lors que la commission a estimé que les densités commerciales étaient élevées, mais a néanmoins estimé que le projet évitera l'évasion commerciale et contribuera à la concurrence ;

- comme la chambre de commerce et d'industrie l'a relevé, le dossier de demande d'autorisation oublie de mentionner ou contient des informations erronées sur certaines surfaces de vente de plus de 300 m² situées dans ou hors de la zone de chalandise, mais exerçant un impact sur celle-ci ; que le dossier minimise ainsi la densité commerciale de la zone ; qu'aucune précision n'est fournie sur la voie spécifique jugée nécessaire par la DDE ; que le dossier ne permet pas d'évaluer l'insertion du projet dans l'environnement et ne prend pas en compte la problématique des eaux résiduaires urbaines ;

- en méconnaissance des articles L. 750-1 et L. 752-6 du code de l'environnement, le projet est de nature à compromettre l'équilibre recherché par le législateur entre les différentes formes de commerce et à favoriser l'écrasement de la petite entreprise ; qu'en effet, dans les secteurs alimentaire, bricolage et équipement de la personne, la densité commerciale de l'arrondissement est bien supérieure à la moyenne du département, elle-même supérieure à la moyenne nationale ; que, dans la zone de chalandise, la densité commerciale en alimentaire et bricolage-jardinage est déjà bien supérieure à celle du département ; que le projet ne paraît donc pas justifié au regard de la richesse et de la variété de l'appareil commercial existant et peut, au contraire, conduire à un gaspillage des équipements commerciaux ; que les petites et moyennes surfaces de la galerie marchande, qui ne seront pas prépondérantes, seront sans doute occupées en majorité par des commerçants actuellement installés dans le centre ville de Digoin, au détriment de ce dernier ; que ces inconvénients ne sont pas susceptibles d'être compensés par les effets positifs attendus du projet ; que ce dernier ne correspond pas à un besoin de la population, qui est de plus en diminution ; que l'évasion commerciale est inexistante dans les secteurs alimentaire et bricolage, qui représentent l'essentiel de la surface de vente ; que la zone de chalandise comporte une forte proportion de personnes âgées, lesquelles sont des personnes à mobilité réduite ; que le projet est loin du centre ville et n'est pas desservi par les transports publics ; que des pertes d'emplois découleront nécessairement du projet ; que les estimations d'emplois sont théoriques s'agissant de la galerie marchande et des magasins dont les enseignes ne sont pas connues ; que le délai de réalisation du projet n'est pas déterminé ; que, dans ces conditions, la décision attaquée est entachée d'erreur de fait et d'erreur d'appréciation ;

Vu le mémoire, enregistré le 30 juillet 2009, présenté pour la SA Nicoger, tendant aux mêmes fins que précédemment ;

En application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative, par une ordonnance du 7 janvier 2010, la clôture de l'instruction a été fixée au 23 février 2010 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de commerce ;

Vu la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 d'orientation du commerce et de l'artisanat ;

Vu la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie ;

Vu le décret n° 93-306 du 9 mars 1993 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 5 octobre 2010 :

- le rapport de M. Chenevey, premier conseiller ;

- les observations de Me Bouyssou, avocat de la SAS Digoin Distribution et de la SAS Sofipar ;

- les conclusions de M. Besson, rapporteur public ;

- la parole ayant à nouveau été donnée aux parties présentes ;

Considérant que, par une décision du 7 septembre 2007, la commission départementale d'équipement commercial de Saône-et-Loire a autorisé la SAS GRANDS MAGASINS LABRUYERE à créer un ensemble commercial d'une surface totale de vente de 19 280 m², sur le territoire de la commune de Digoin ; que, par un jugement du 12 juin 2008, le Tribunal administratif de Dijon a annulé cette autorisation ; que la SAS GRANDS MAGASINS LABRUYERE relève appel de ce jugement ;

Sur la régularité du jugement :

Considérant qu'aux termes de l'article R. 741-2 du code de justice administrative : La décision (...) contient (...) l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives et réglementaires dont elle fait application (...) ;

Considérant, en premier lieu, que, par son jugement attaqué, le Tribunal administratif de Dijon a joint les demandes n° 0702212, n° 0702379, n° 0702501 et n° 0702513 ; qu'il ressort de l'examen du dossier de première instance que la SAS GRANDS MAGASINS LABRUYERE a présenté un mémoire en défense dans les demandes n° 0702501 et n° 0702513 ; que, contrairement à ce que soutient cette société, ces mémoires, qui constituent de simples mémoires de constitution comportant seulement des conclusions, sont bien visés par le jugement attaqué ;

Considérant, en second lieu, que le jugement attaqué, qui vise le code de commerce et cite les articles de ce code que le Tribunal a appliqués pour annuler l'autorisation attaquée, répond aux dispositions précitées de l'article R. 741-2 du code de justice administrative qui imposent de viser les dispositions dont il est fait application ;

Sur la légalité de l'autorisation attaquée :

Considérant que l'autorisation litigieuse a été annulée par le Tribunal au motif que l'arrêté du préfet de Saône-et-Loire du 1er juin 2007 fixant la composition de la commission départementale d'équipement commercial appelée à se prononcer sur la demande d'autorisation présentée par la SAS GRANDS MAGASINS LABRUYERE est entaché d'illégalité, à défaut de procéder à une désignation nominative des membres de la commission, ou de leurs représentants, ne pouvant être identifiés en vertu de la seule indication de la qualité en laquelle ils sont appelés à siéger, et que, par suite, la décision attaquée a été prise par une commission irrégulièrement composée ;

Considérant que le premier paragraphe de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial établi par la loi, qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) ; qu'aux termes du IV de l'article 102 de la loi susvisée du 4 août 2008 : Sont validées, sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, les autorisations d'exploitation d'équipements commerciaux délivrées jusqu'au 1er janvier 2009, en tant qu'elles seraient contestées par le moyen tiré du caractère non nominatif de l'arrêté préfectoral fixant la composition de la commission départementale d'équipement commercial ayant délivré l'autorisation ;

Considérant que la présente requête, dirigée contre une autorisation d'équipement commercial, est relative à une contestation portant sur des droits et obligations de caractère civil au sens de ces stipulations ; que l'Etat ne peut, sans méconnaître les stipulations précitées de l'article 6 paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, porter atteinte au droit de toute personne à un procès équitable en prenant des mesures législatives à portée rétroactive dont la conséquence est la modification des règles que le juge doit appliquer pour statuer sur des litiges dans lesquels l'Etat est partie, sauf lorsque l'intervention de ces mesures est justifiée par des motifs impérieux d'intérêt général ; que le IV précité de l'article 102 de la loi du 4 août 2008, qui réserve expressément les droits nés des décisions passées en force de chose jugée, a pour objet, dans le contexte de l'évolution de la réglementation sur ce point introduite par le décret du 24 novembre 2008, qui n'exige pas la désignation nominative des élus membres de la commission, non de valider intégralement les autorisations délivrées par les commissions départementales d'équipement commercial, mais seulement de rendre insusceptible d'être invoqué devant le juge de l'excès de pouvoir le moyen tiré du caractère non nominatif de l'arrêté préfectoral fixant la composition de la commission départementale d'équipement commercial ayant pris des décisions d'autorisation contestées jusqu'au 1er janvier 2009 ; que cette validation entend limiter les conséquences, auxquelles l'administration ne peut remédier, d'une décision du Conseil d'Etat statuant au contentieux précisant que les dispositions législatives applicables à la procédure de demande d'autorisation d'équipement commercial imposent au préfet, au stade de l'arrêté fixant la composition de la commission, de désigner nominativement par avance les personnes susceptibles de représenter les personnalités membres de la commission départementale d'équipement commercial ; qu'alors qu'un grand nombre de recours soulevant ce moyen sont pendants devant la juridiction administrative, cette validation est justifiée par le souci de l'Etat de limiter, eu égard à l'importance économique du secteur en cause, l'insécurité juridique découlant, pour les entreprises bénéficiaires des autorisations et pour les personnes ayant conclu des contrats avec ces entreprises, du risque d'annulations contentieuses, pour ce motif d'illégalité, des autorisations délivrées, annulations qui, en contraignant les entreprises bénéficiaires d'une autorisation à interrompre leur activité sous peine de sanctions pénales ou administratives, sont susceptibles d'avoir des conséquences négatives importantes sur le service offert aux consommateurs et sur l'emploi ; que cette validation ne met en cause pour les parties ni la possibilité de contester ces décisions d'autorisation pour d'autres motifs, tirés tant de leur légalité interne qu'externe, ni la possibilité de contester par tous moyens les décisions de refus d'autorisation ; qu'ainsi, les dispositions du IV de l'article 102 de la loi du 4 août 2008 sont justifiées par un motif impérieux d'intérêt général et ne sauraient, dès lors, être regardées, nonobstant leur application aux litiges pendants devant le juge à la date de leur entrée en vigueur, comme portant une atteinte excessive au principe du droit à un procès équitable énoncé par l'article 6 paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'il résulte de ce qui précède que les sociétés demanderesses ne sont pas fondées à soutenir que les dispositions du IV de l'article 102 de la loi du 4 août 2008 porteraient atteinte au droit à un procès équitable garanti par les stipulations de cet article ; que, dès lors, le moyen tiré de l'absence de caractère nominatif de la désignation réalisée par l'arrêté préfectoral du 1er juin 2007 fixant la composition de la commission départementale d'équipement commercial de Saône-et-Loire ne peut être utilement invoqué à l'encontre de l'autorisation attaquée du 7 septembre 2007 de cette commission ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SAS GRANDS MAGASINS LABRUYERE est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Dijon a retenu ledit moyen pour annuler l'autorisation litigieuse ;

Considérant qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés en première instance comme en appel devant le juge administratif ;

Considérant que, pour l'application des dispositions combinées de l'article 1er de la loi du 27 décembre 1973 et des articles L. 752-1 et L. 752-3 du code de commerce, dans leur rédaction applicable en l'espèce, il appartient aux commissions d'équipement commercial, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, d'apprécier si un projet soumis à autorisation est de nature à compromettre, dans la zone de chalandise intéressée, l'équilibre recherché par le législateur entre les diverses formes de commerce et, dans l'affirmative, de rechercher si cet inconvénient est compensé par les effets positifs du projet appréciés, d'une part, en tenant compte de sa contribution à l'emploi, à l'aménagement du territoire, à la concurrence, à la modernisation des équipements commerciaux et, plus généralement, à la satisfaction des besoins des consommateurs et, d'autre part, en évaluant son impact sur les conditions de circulation et de stationnement aux abords du site envisagé ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, dans la zone de chalandise, la réalisation du projet aurait pour effet de porter la densité commerciale, dans le secteur des commerces généralistes à dominante alimentaire, à 572 m² / 1 000 habitants, soit environ 35 % de plus que la densité du département, déjà supérieure de plus de 30 % à la densité nationale ; que, dans ce secteur, la densité commerciale dans ladite zone serait ainsi supérieure d'environ 80 % à la densité nationale ; que, dans le secteur du bricolage-jardinage, la densité commerciale de la zone de chalandise serait portée à 592 m² / 1 000 habitants, soit presque 40 % de plus que la densité du département, déjà supérieure de plus de 50 % à la densité nationale ; que, dans ce second secteur, la densité commerciale dans cette zone serait ainsi supérieure au double de la densité nationale ; que lesdits secteurs des commerces généralistes à dominante alimentaire et du bricolage-jardinage représentent, à eux seuls, presque les deux tiers de la surface de vente totale autorisée ; que, par ailleurs, dans la zone de chalandise, les densités commerciales départementale et nationale seraient également dépassées dans le secteur habillement et chaussure, d'environ plus 30 et 80 %, dans le secteur meubles, d'environ plus 20 et 60 %, et enfin dans le secteur équipement du foyer, d'environ 300 % dans les deux cas ; que les densités commerciales ne seraient pas dépassées dans les seuls secteurs centre-automobile et électroménager, qui sont toutefois marginaux par rapport à l'ensemble du projet ; qu'en outre, la zone de chalandise a connu une baisse sensible de sa population entre 1990 et 1999 ; que cette baisse est très probablement appelée à se poursuivre ; que, compte tenu de ces importants dépassements dans la plus grande partie des domaines d'activité projetés, les avantages du projet retenus par la commission, tenant au rééquilibrage de l'offre commerciale, à la limitation de l'évasion commerciale, au renforcement de l'attractivité de l'agglomération de Digoin, à la réduction des déplacements de véhicules, au renforcement de la concurrence, à la création de petites et moyennes surfaces de vente réservées prioritairement aux candidatures locales et à la création d'emplois ne sont pas tels qu'ils permettraient de compenser les déséquilibres engendrés par le projet litigieux entre les différentes formes de commerce ; que, par suite, en autorisant ce projet, la commission départementale d'équipement commercial a méconnu les principes fixés par le législateur ; que, dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des demandes, la SAS Etablissements G. Brunel, la SAS Mirantin, la SA Sobrical, la SAS Digoin distribution, la SAS Sofipar, la SA Nicoger, la SAS Savlec, la SA Bombour et la SA Changon sont fondées à soutenir que la décision attaquée est entachée d'illégalité et doit être annulée ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la SAS GRANDS MAGASINS LABRUYERE n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Dijon a annulé l'autorisation litigieuse ;

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la société Etablissements G. Brunel, qui n'est, dans la présente instance, partie perdante, soit condamnée à payer à la SAS GRANDS MAGASINS LABRUYERE la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de la SAS GRANDS MAGASINS LABRUYERE le versement d'une somme quelconque au bénéfice de la société Etablissements G. Brunel, de la SAS Digoin distribution, de la SAS Sofipar, de la SA Nicoger, de la SAS Mirantin et de la SA Sobrical sur le fondement de ces mêmes dispositions ;

DECIDE :

Article 1er : La requête de la SAS GRANDS MAGASINS LABRUYERE est rejetée.

Article 2 : Les conclusions des sociétés intimées tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS GRANDS MAGASINS LABRUYERE, à la société Etablissements G. Brunel, à la SAS Mirantin, à la SA Sobrical, à la SAS Digoin distribution, à la SAS Sofipar, à la SA Nicoger, à la SAS Savlec, à la SA Bombour, à la SA Changon et au ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi.

Délibéré après l'audience du 5 octobre 2010 à laquelle siégeaient :

M. Bézard, président,

M. Chenevey et Mme Chevalier-Aubert, premiers conseillers.

Lu en audience publique, le 26 octobre 2010.

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N° 08LY01860

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 08LY01860
Date de la décision : 26/10/2010
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. BEZARD
Rapporteur ?: M. Jean-Pascal CHENEVEY
Rapporteur public ?: M. BESSON
Avocat(s) : LETANG PIERRE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2010-10-26;08ly01860 ?
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