Vu la requête, enregistrée le 2 mars 2009, présentée pour la SOCIETE MUTUELLE D'ASSURANCE DU BATIMENT ET DES TRAVAUX PUBLICS (SMABTP) dont le siège est 114 avenue Emile Zola à Paris (75739 cedex 15) ;
La SMABTP demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0701274 du 30 décembre 2008 par lequel le Tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande de condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 522 306,13 euros outre intérêts au taux légal à compter du 25 janvier 2007, en indemnisation des dégâts ayant affecté un bâtiment que possède la société Nièvre Habitat, son assurée, rue Emile Zola à Nevers, à la suite d'un incendie dans la nuit du 1er au 2 mai 2006 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 522 306,13 euros outre intérêts au taux légal à compter du 25 janvier 2007 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
La SMABTP soutient qu'elle établit par la quittance délivrée le 15 janvier 2007 avoir indemnisé son assurée et être subrogée dans ses droits de victime à hauteur des sommes versées ; que le Tribunal a omis de statuer sur les moyens présentés subsidiairement à l'appui de la rupture d'égalité devant les charges publiques et tendant à démontrer un lien de causalité entre le dommage et l'action de l'Etat ; que le sinistre est survenu dans le cadre d'une nuit de violence à Nevers et résulte d'actes entrant dans la catégorie des crimes et délits commis à force ouverte, qui engagent la responsabilité sans faute de l'Etat en vertu de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales ; que ces faits n'ont pas été prémédités ; que, subsidiairement, l'absence de garantie effective du droit au respect des biens, qui constitue l'une des missions de l'Etat, justifie l'application du régime de responsabilité sans faute pour rupture d'égalité devant les charges publiques ; que le dommage présente un caractère anormal en raison des sujétions qu'il fait peser sur les victimes ; qu'enfin, la responsabilité de l'Etat peut être engagée du fait de sa carence fautive dans sa mission de rétablissement de l'ordre public, les troubles s'étant prolongés jusqu'au 2 mai 2006 ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire enregistré le 2 juillet 2009 par lequel le préfet de la Nièvre conclut au rejet de la requête ;
Il soutient que les dégâts échappent au champ d'application de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales dès lors qu'ils ont été commis, non en attroupements, mais avec préméditation par des commandos, dans le seul but de détruire le bâtiment incendié ; qu'en raison du nombre de victimes, le dommage ne peut être considéré comme spécial, ce qui fait obstacle à l'engagement de la responsabilité de l'Etat pour rupture d'égalité devant les charges publiques ; qu'en raison de la multiplicité des commandos, la carence des forces de maintien de l'ordre n'est pas établie ;
Vu le mémoire enregistré le 20 mai 2010 par lequel le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales conclut au rejet de la requête ;
Il soutient que le jugement n'est pas entaché d'omission à statuer sur la demande d'engagement de la responsabilité sans faute de l'Etat pour rupture d'égalité devant les charges publiques ; que les conditions d'application de ce régime ne sont pas réunies ; que le préjudice indemnisable n'est pas spécial en raison du grand nombre de victimes et ne résulte pas de l'inaction volontaire et non fautive de l'Etat dans sa mission de rétablissement de l'ordre public ; que les forces de l'ordre n'ont pas fait preuve de passivité caractérisant une faute lourde imputable à l'Etat ;
Vu le mémoire enregistré le 26 mai 2010 par lequel la SMABTP conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des assurances ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code pénal ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 3 juin 2010 :
- le rapport de M. Arbarétaz, premier conseiller,
- les observations de Me Chauchard, représentant la SMABTP,
- les conclusions de Mme Gondouin, rapporteur public,
la parole ayant été de nouveau donnée à Me Chauchard ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant qu'en première instance, comme d'ailleurs en appel, la SMABTP se borne à soutenir que son droit à être indemnisée du fait d'une rupture d'égalité devant les charges publiques résulterait du choix fait par l'autorité publique de laisser s'exprimer la colère des manifestants dans un souci d'apaisement ; qu'en relevant que cette circonstance n'était pas établie et qu'en conséquence, le dommage ne pouvait être regardé comme découlant d'une action de l'Etat qui aurait été caractérisée par la volonté de ne pas répliquer à des faits de violence, le Tribunal a statué sur le moyen invoqué à l'appui de la cause juridique présentée à titre subsidiaire dans la demande ;
Sur le fond du litige :
En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat sur le fondement de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales : L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements, armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens (...) ;
Considérant qu'à supposer que l'incendie qui a endommagé le siège social de la société Nièvre Habitat dans la nuit du 1er au 2 mai 2006 ait été allumé par des individus qui agissant, isolément ou en petits groupes, auraient profité de l'exaspération provoquée par la fusillade qui s'est produite dans la nuit du 29 au 30 avril aux abords d'une discothèque de l'agglomération nivernaise, il n'a pas été perpétré par un attroupement ou un rassemblement au sens des dispositions précitées ; que, par suite, la responsabilité de l'Etat ne saurait être engagée sur ce fondement ;
En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat pour rupture d'égalité devant les charges publiques :
Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet aurait, dans un but d'apaisement et afin d'éviter que les troubles à l'ordre public ne s'aggravent, laissé se perpétrer des actes isolés de dégradations dans l'agglomération nivernaise ; que, par suite, la SMABTP n'est pas fondée à soutenir que les préjudices dont elle demande l'indemnisation seraient imputables à ce choix et représenteraient une charge anormale et spéciale supportée dans l'intérêt général ;
En ce qui concerne la faute imputée à l'Etat :
Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction que l'autorité publique aurait été avertie en temps utile de la préparation de l'acte illicite projeté contre le siège social de la société Nièvre Habitat ; que, par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que les préjudices dont elle demande réparation trouveraient leur origine dans les manquements fautifs de l'Etat en matière de police ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SMABTP n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la Cour fasse bénéficier la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais exposés à l'occasion du litige soumis au juge et non compris dans les dépens ; que, dès lors, les conclusions de la SMABTP doivent être rejetées ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SOCIETE MUTUELLE D'ASSURANCE DU BATIMENT ET DES TRAVAUX PUBLICS (SMABTP) est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SOCIETE MUTUELLE D'ASSURANCE DU BATIMENT ET DES TRAVAUX PUBLICS (SMABTP), au préfet de la Nièvre et au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales.
Délibéré après l'audience du 3 juin 2010 à laquelle siégeaient :
M. du Besset, président de chambre,
M. Arbarétaz, premier conseiller,
Mme Vinet, conseiller.
Lu en audience publique, le 24 juin 2010.
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N° 09LY00459