La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/06/2010 | FRANCE | N°10LY00168

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, Juge unique - 3ème chambre, 18 juin 2010, 10LY00168


Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Lyon le 28 janvier 2010, présentée pour le PREFET DU RHONE ;

Le PREFET DU RHONE demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0907874 en date du 31 décembre 2009, par lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Lyon a annulé l'arrêté du 29 décembre 2009 par lequel il a ordonné la reconduite à la frontière de Mme Vitore A, les décisions du même jour fixant le pays dont elle a la nationalité comme destination de la reconduite, et ordonnant son maintien en

rétention administrative ;

2°) de rejeter la demande de Mme A tendant à l'annul...

Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Lyon le 28 janvier 2010, présentée pour le PREFET DU RHONE ;

Le PREFET DU RHONE demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0907874 en date du 31 décembre 2009, par lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Lyon a annulé l'arrêté du 29 décembre 2009 par lequel il a ordonné la reconduite à la frontière de Mme Vitore A, les décisions du même jour fixant le pays dont elle a la nationalité comme destination de la reconduite, et ordonnant son maintien en rétention administrative ;

2°) de rejeter la demande de Mme A tendant à l'annulation des décisions susmentionnées ;

3°) de mettre à la charge de Mme A la somme de mille euros, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient que le premier juge a commis des erreurs de fait tenant notamment aux dates de départ de l'intéressée de son pays d'origine, l'Albanie, et de séjour en Grèce, qui ne sont pas établies, et au défaut de mention des décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et de la Cour nationale du droit d'asile ; que l'arrêté de reconduite à la frontière est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de ses conséquences sur la situation personnelle de Mme A et ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l'intéressée, en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que la décision fixant le pays de destination ne méconnaît pas les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'il n'est pas établi que Mme A encoure un risque personnel et direct en cas de retour dans son pays d'origine ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire, enregistré au greffe de la Cour administrative d'appel de Lyon le 12 mars 2010, présenté pour Mme Vitore A, domiciliée ... qui conclut au rejet de la requête ;

Elle soutient que l'arrêté de reconduite à la frontière est entaché d'un détournement de pouvoir eu égard aux conditions dans lesquelles elle a été invitée à se présenter au commissariat de police avec sa famille ; que le PREFET DU RHONE a fait une appréciation manifestement erronée des conséquences de sa décision sur sa situation personnelle et a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, eu égard à son intégration en France ; que la décision fixant le pays de destination qui méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation eu égard aux risques encourus en cas de retour en Albanie ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 1er juin 2010 :

- le rapport de M. Fontanelle, président ;

- les observations de Mlle A Lavdie pour Mme A Vitore ;

- et les conclusions de Mme Schmerber, rapporteur public ;

- la parole ayant été donnée à nouveau à la partie présente ;

Considérant qu'aux termes du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : L'autorité administrative compétente peut, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : / 3° Si l'étranger fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français exécutoire prise depuis au moins un an ; (...) ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mme A, de nationalité albanaise, a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français par décision du préfet de la Loire du 22 mars 2007, devenue définitive, régulièrement notifiée à l'intéressée à l'adresse qu'elle avait déclarée aux services de la préfecture de la Loire, le 27 mars 2007, date de présentation du pli qui a fait l'objet d'un retour à l'envoyeur ; que Mme A s'est maintenue irrégulièrement sur le territoire français au-delà du délai d'un mois qui lui était imparti ; qu'ainsi, à la date de l'arrêté attaqué, le 29 décembre 2009, elle entrait dans le cas prévu par les dispositions précitées du 3° du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile où le préfet peut décider la reconduite d'un étranger à la frontière ;

Considérant que, pour annuler les décisions du 29 décembre 2009 par lesquelles le PREFET DU RHONE a ordonné la reconduite à la frontière de Mme A et les décisions subséquentes, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Lyon a retenu que la décision de reconduite était entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressée, eu égard, d'une part, à la circonstance qu'elle a poursuivi sa vie familiale avec son époux et ses deux enfants, au cours d'une période significative de treize ans, en Grèce, après avoir fui son pays d'origine, l'Albanie, où elle et son époux étaient menacés et où elle ne dispose plus d'attaches, et d'autre part, à la rapide insertion de sa fille, âgée de 19 ans, qui maîtrise la langue française et poursuit des études en vue de l'obtention d'un baccalauréat professionnel, à la perspective d'intégration tant de l'intéressée que de son époux et de son fils ; que, toutefois, au vu des pièces du dossier, il n'est pas établi que Mme A ait vécu de façon continue et régulière pendant treize ans en Grèce, dès lors qu'il ressort de ses propres écrits qu'elle aurait été agressée en 2005 en Albanie et qu'elle aurait été victime en décembre 2006, d'un engin explosif placé devant le domicile familial en Albanie ; que, selon ses dires, ni elle, ni les membres de sa famille n'ont été blessés par cet attentat à la suite duquel elle s'est réfugiée chez son frère en Albanie, avant de partir pour la France ; que Mme A est arrivée récemment sur le territoire français, au mois de janvier 2007, à l'âge de 52 ans ; que la demande d'asile qu'elle avait alors déposée, a été rejetée par décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, le 27 février 2007, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile, le 23 mars 2008 ; que Mme A qui n'établit pas ne plus disposer d'attache en Albanie, ne justifie pas d'une intégration particulière en France où elle est sans ressource, sans logement, dépourvu d'attache familiale et ne parle pas le français ; que, par suite, compte tenu des circonstances de l'espèce et notamment des conditions d'entrée et de séjour de Mme A sur le territoire français, et nonobstant les efforts et capacités d'insertion sociale et professionnelle de sa fille, le PREFET DU RHONE est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Lyon a annulé l'arrêté de reconduite à la frontière du 29 décembre 2009 pour erreur manifeste d'appréciation ;

Considérant toutefois qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens présentés par Mme A, tant devant le Tribunal administratif que devant la Cour ;

Sur l'arrêté de reconduite à la frontière :

Considérant, en premier lieu, que l'arrêté par lequel le PREFET DU RHONE a décidé la reconduite à la frontière de Mme A, en relevant que l'intéressée s'était maintenue plus d'un mois après la notification du refus de titre de séjour assortie d'une obligation de quitter le territoire français datée du 22 mars 2007, et en visant le 3° du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, comporte l'exposé des faits et des considérations de droit sur lequel il se fonde et qu'il est ainsi suffisamment motivé ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que le PREFET DU RHONE a procédé à un examen particulier de la situation de Mme A avant d'édicter la mesure de reconduite à la frontière ;

Considérant, en troisième lieu, que l'arrêté de reconduite à la frontière pris le 29 décembre 2009 est signé par M. René B, secrétaire général de la préfecture du Rhône, lequel avait reçu délégation de signature du PREFET DU RHONE, par arrêté du 9 juin 2008, régulièrement publié le même jour au recueil des actes administratifs de la préfecture, l'autorisant à signer, notamment, les arrêtés de reconduite à la frontière, les décisions fixant le pays de renvoi et les décisions de placement en rétention administrative ; que, dès lors, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté de reconduite à la frontière en litige doit être écarté ;

Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ;

Considérant qu'en se bornant à se prévaloir de la présence en France de son époux et de ses deux enfants, tous en situation irrégulière et eux-mêmes sous le coup d'une mesure de reconduite à la frontière faisant l'objet d'une contestation pendante devant la Cour administrative d'appel de Lyon, Mme A ne démontre pas que la mesure de reconduite à la frontière ait porté à son droit à mener une vie privée et familiale normale une atteinte disproportionnée eu égard aux buts en vue desquels elle a été prise, en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Considérant, en cinquième lieu, que le moyen tiré de l'irrégularité des conditions d'interpellation d'un étranger est inopérant au soutien d'un recours dirigé contre un arrêté ordonnant sa reconduite à la frontière ; que par suite, Mme A ne saurait utilement se prévaloir d'un détournement de pouvoir pour contester la légalité de la mesure de reconduite à la frontière ;

Considérant, en dernier lieu, que le moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est inopérant à l'encontre d'un arrêté de reconduite à la frontière, qui n'a pas pour objet de déterminer le pays de destination de la reconduite ;

Sur la décision fixant le pays de destination :

Considérant, en premier lieu, que contrairement à ce que soutient la requérante, la décision fixant le pays de destination doit être regardée comme suffisamment motivée en fait par l'indication que l'intéressée est de nationalité albanaise et qu'elle pourra être reconduite d'office à la frontière du pays dont elle a la nationalité ou de tout autre pays où elle établirait être légalement admissible ;

Considérant, en deuxième lieu, que comme il a été précédemment indiqué, la décision fixant le pays de destination n'est pas entachée d'un vice d'incompétence et intervient après un examen particulier de la situation de Mme A par le PREFET DU RHONE ;

Considérant, en dernier lieu, qu'aux termes de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants ;

Considérant que Mme A soutient, qu'en raison de l'engagement de son époux au parti démocrate de Fier en Albanie et de l'implication de ce dernier dans la chute du gouvernement communiste d'Albanie, elle a été victime d'une agression en 2005 et d'un attentat en 2006 ayant détruit le domicile familial ; que, toutefois, Mme A dont la demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et par la Commission des recours des réfugiés, n'apporte aucun justificatif à l'appui de ses allégations ; qu'en outre, elle ne justifie pas de menaces qui lui auraient été personnellement adressées ; que, par suite, et eu égard au caractère contradictoire de ses déclarations, elle ne peut être regardée comme établissant qu'en cas de retour dans son pays d'origine, sa vie ou sa liberté seraient menacées ou qu'elle serait exposée à des traitements ou peines contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention susmentionnée ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que la décision portant renvoi à destination de l'Albanie aurait été prise en méconnaissance des stipulations précitées doit être écarté ; que ladite décision n'est pas davantage entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le PREFET DU RHONE est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Lyon a annulé ses décisions du 29 décembre 2009 ordonnant la reconduite à la frontière de Mme A, fixant le pays à destination duquel cette mesure de police serait exécutée et ordonnant le placement de l'intéressée en rétention administrative ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme A une quelconque somme que ce soit au profit de l'Etat, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 0907874, en date du 31 décembre 2009, du magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Lyon est annulé.

Article 2 : La demande de Mme A tendant à l'annulation des décisions du 30 décembre 2009 du PREFET DU RHONE portant reconduite à la frontière et fixant le pays à destination duquel cette mesure de police serait exécutée et son placement en rétention administrative est rejetée.

Article 3 : Le surplus de la requête du PREFET DU RHONE est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Vitore A et au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire. Copie en sera adressée au PREFET DU RHONE.

Lu en audience publique, le 18 juin 2010.

''

''

''

''

1

2

N° 10LY00168

vv


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : Juge unique - 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 10LY00168
Date de la décision : 18/06/2010
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Guy FONTANELLE
Rapporteur public ?: Mme SCHMERBER
Avocat(s) : TOMASI

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2010-06-18;10ly00168 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award