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08/04/2010 | FRANCE | N°07LY02750

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre - formation à 5, 08 avril 2010, 07LY02750


Vu, enregistrée le 7 décembre 2007, la requête présentée pour M. Joseph Marie A, domicilié ..., agissant en qualité de représentant légal de sa fille mineure Eugénie ;

Il demande à la Cour :

1°) la réformation du jugement n° 0503824 du 9 octobre 2007 du Tribunal administratif de Lyon qui a condamné le département du Rhône à lui verser, en qualité de représentant légal de sa fille mineure Eugénie, une somme de 30 000 euros et, à titre personnel, une somme de 12 139, 36 euros ;

2°) de faire droit à sa demande en condamnant le département du Rhône

lui verser à titre provisionnel en qualité de représentant légal de sa fille mineure, une s...

Vu, enregistrée le 7 décembre 2007, la requête présentée pour M. Joseph Marie A, domicilié ..., agissant en qualité de représentant légal de sa fille mineure Eugénie ;

Il demande à la Cour :

1°) la réformation du jugement n° 0503824 du 9 octobre 2007 du Tribunal administratif de Lyon qui a condamné le département du Rhône à lui verser, en qualité de représentant légal de sa fille mineure Eugénie, une somme de 30 000 euros et, à titre personnel, une somme de 12 139, 36 euros ;

2°) de faire droit à sa demande en condamnant le département du Rhône à lui verser à titre provisionnel en qualité de représentant légal de sa fille mineure, une somme de 1 500 000 euros à valoir sur l'indemnisation des préjudices subis par cette dernière et à titre personnel, une somme de 50 000 euros pour l'indemnisation de son préjudice matériel ainsi qu'une somme de 5 348, 40 euros pour l'indemnisation des frais de scolarité de sa fille sur une période de 5 années et une somme de 40 000 euros pour l'indemnisation de son préjudice moral ;

3°) d'ordonner subsidiairement une expertise ;

4°) de mettre à la charge du département du Rhône le paiement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient que :

- une méningite à pneumocoque peut être contractée sans laisser de séquelles de telle sorte que la faute du département peut être regardée comme ayant privé sa fille d'une chance d'éviter toute séquelle ;

- les conséquences de l'affection dont a été victime la petite Eugénie, qui souffre d'un retard de langage et d'un retard psychomoteur, sont massives ;

- son état n'est toujours pas consolidé et seule une provision peut être versée ;

- il a dû s'organiser pour la prise en charge de son enfant et abandonner son emploi pour s'en occuper et la scolariser dans une classe spécialisée extrêmement chère ;

- ses préjudices matériels sont importants et seul est justifié pour l'instant le versement d'une provision ;

- il souffre également d'un important préjudice moral ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu, enregistré le 5 juin 2009, le mémoire présenté pour le département du Rhône, représenté par le président du conseil général du Rhône, dont le siège est situé 29/31 cours de la liberté à Lyon (69483), qui conclut au rejet des conclusions excédant celles figurant dans la demande préalable ou qui n'y ont pas été présentées, pour le surplus à l'annulation du jugement attaqué et au rejet de la demande de M. A, subsidiairement à ce que les indemnités soient ramenées à de plus justes proportions et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de M. A au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il expose que :

- sont irrecevables les demandes allant au-delà de celles présentées dans la demande préalable présentée après le rapport d'expertise, à un stade où l'intéressé était à même de connaître l'étendue du préjudice ;

- sont également irrecevables les demandes présentées par M. A en son nom personnel dès lors qu'elles ne figuraient pas dans la demande préalable ;

- il n'y a pas eu d'hospitalisation tardive constitutive d'un manquement fautif ;

- la situation de la petite Eugénie ne s'est aggravée que le lendemain de son hospitalisation alors qu'elle présentait peu de signes d'appel au moment de cette hospitalisation, la fontanelle tendue et les convulsions n'étant intervenues que par la suite ;

- une éventuelle hyperthermie à 40° ou des convulsions dans la nuit du 29 au 30 avril ne sont pas démontrées ;

- l'intensité des séquelles est imprévisible au départ ;

- pour 45 % des enfants atteints, les conséquences sont importantes ;

- même un diagnostic sans retard ne garantit nullement l'absence de séquelles neurologiques ;

- le lien entre un éventuel retard et les séquelles dont souffre l'enfant n'est pas établi ;

- il n'y a pas de perte de chance d'éviter des séquelles voire des séquelles moindres ;

- les conclusions de la requête sont injustifiées ;

- tout au plus la perte de chance n'est que de 10% ;

Vu, enregistré le 26 novembre 2009 le mémoire présenté pour la caisse primaire d'assurance maladie de Lyon, représentée par son directeur, dont le siège est 276 cours Emile Zola à Villeurbanne (69100) qui conclut à ce que le département du Rhône soit condamné à lui verser une somme de 43 202,89 euros au titre des débours exposés et qu'une indemnité forfaitaire de 955 euros soit mise à la charge de ce dernier ainsi qu'une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle fait valoir qu'elle a exposé des frais médicaux ;

Vu, enregistré le 9 mars 2010, le mémoire présenté pour le département du Rhône, qui persiste dans ses précédents moyens et conclusions, faisant en outre valoir que la caisse primaire d'assurance maladie ne justifie pas de la réalité et de la nature des soins dont elle demande le remboursement ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 18 mars 2010 :

- le rapport de M. Picard, premier conseiller ;

- les observations de Me Barioz, avocat de M. Joseph Marie A, de Me El Khoury, avocat du département du Rhône et de Me Michaud, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de Lyon ;

- et les conclusions de Mme Marginean-Faure, rapporteur public ;

La parole ayant été de nouveau donnée aux parties présentes ;

Considérant que l'enfant Eugénie A, née le 2 mars 1998, qui avait été confiée le 27 mars 1998 à l'Institut départemental de l'enfance, service relevant du département du Rhône, et qui présentait depuis quelques jours des vésicules de varicelle, a été admise le 30 avril suivant, à la suite d'un épisode d'hyperthermie, à l'hôpital Edouard Herriot de Lyon où a été diagnostiquée une méningite à pneumocoque dont elle a conservé des séquelles, notamment des handicaps de langage et psychomoteurs ; que son père, M. Joseph Marie A agissant tant pour le compte de sa fille qu'en son nom personnel, a recherché la responsabilité du département du Rhône devant le Tribunal administratif de Lyon qui, par un jugement du 9 octobre 2007, a condamné ce dernier à lui verser la somme de 30 000 euros en sa qualité de représentant légal de sa fille et la somme de 12 139,36 euros à titre personnel ;

Sur les fins de non recevoir :

Considérant que les fins de non recevoir opposées par le département, tirées de ce que les indemnités demandées en première instance sont supérieures à l'indemnisation du préjudice sollicitée par M. et Mme A dans leur réclamation préalable du 3 avril 2003 et de ce que ces derniers n'auraient présenté dans cette réclamation préalable qu'une demande pour le compte de leur fille, doivent être écartées par les mêmes motifs que ceux retenus par le Tribunal ;

Sur la responsabilité :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que, dans la nuit du 29 au 30 avril 1998, l'enfant a présenté, selon le dossier d'hospitalisation, un épisode de fièvre s'élevant à 40° ; que le département, qui se borne à produire des témoignages postérieurs de près de quatre années aux faits, n'établit pas que l'intensité de cette fièvre aurait été bien inférieure ; que, compte tenu de la varicelle présentée par la jeune Eugénie et des risques importants de complications bactériennes en découlant pour un nourrisson, l'apparition de cet épisode subfébrile justifiait un examen médical rapide destiné à permettre la réalisation d'un bilan biologique indispensable pour faire la part entre l'infection virale et une éventuelle contamination bactérienne ; qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise qu'en ne faisant procéder à cet examen par un médecin qu'en début d'après midi, le 30 avril 1998, l'Institut départemental de l'enfance n'a permis une hospitalisation de l'enfant que vers 14 h 30 seulement et un diagnostic ainsi qu'un début de traitement qu'en fin d'après midi ; que si le département estime que même dans l'hypothèse d'une hospitalisation et d'un diagnostic de l'infection plus précoces l'enfant n'aurait pas nécessairement échappé aux séquelles de la méningite, il résulte de l'instruction et plus particulièrement des données statistiques produites au dossier qu'un retard de diagnostic augmente les risques de séquelles ; qu'ainsi l'Institut départemental de l'enfance a, en retardant l'hospitalisation d'Eugénie, commis une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service qui, ayant réduit ses chances de guérison sans séquelles ou avec des séquelles moindres, est de nature à engager sa responsabilité à l'égard de M. A ;

Sur le préjudice :

Considérant que si, lors de la prise en charge d'une personne, une collectivité publique commet une faute directement à l'origine pour cette personne d'une perte de chance d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'en éviter l'aggravation, le préjudice réparable n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'échapper à ce dommage; que la réparation qui incombe à la collectivité publique doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ; qu'il résulte de l'instruction que comme il l'a été dit ci-dessus, en retardant l'hospitalisation d'Eugénie ainsi que le diagnostic de sa maladie, le département du Rhône a fait perdre à l'enfant une chance d'éviter des séquelles ou d'en limiter la gravité ; qu'il y a lieu de fixer cette perte de chance à 30 % ; qu'ainsi le département du Rhône doit réparer les conséquences de sa faute à cette hauteur ;

En ce qui concerne les préjudices de Mlle d'Eugénie A :

S'agissant des préjudices à caractère patrimonial :

Considérant que la caisse primaire d'assurance maladie de Lyon, qui établit leur lien avec l'affection dont la jeune Eugénie a été victime, justifie que les frais de soins, d'hospitalisation, pharmaceutiques, d'appareillage et de transport qu'elle a exposés doivent être fixés à la somme de 43 202,89 euros ; que compte tenu de la fraction retenue ci-dessus, l'indemnité qui doit être mise à la charge du département à ce titre s'élève à 12 960,90 euros ;

Considérant que M. A justifie de frais liés à la prise en charge de sa fille dans une classe d'intégration scolaire uniquement pour les années 2004-2006 pour une somme de 2 139,96 euros ; que, compte tenu de la fraction de perte de chance ci-dessus, le préjudice de l'enfant s'élève à 642 euros ;

S'agissant des préjudices d'ordre personnel :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que la jeune Eugénie, dont l'état, qui n'est pas consolidé, présente un taux d'incapacité temporaire partielle fixé par l'expert à 70 %, souffre de troubles du langage et psychomoteurs ; qu'il sera fait une juste appréciation des préjudices d'ordre personnel qu'elle subit en raison de son état de santé en lui attribuant à ce titre, depuis le 30 avril 1998 et jusqu'à l'âge de 18 ans, une rente versée par trimestres échus dont le montant annuel, compte tenu de la fraction de perte de chance retenue ci-dessus, doit être fixé à 3 250 euros à la date du jugement attaqué ; que ce montant sera revalorisé par la suite par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale ;

En ce qui concerne les préjudices de M. A :

Considérant que M. A ne justifie d'aucune perte de revenus ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de fixer le préjudice personnel de M. A, et notamment les troubles qu'il subit dans les conditions de son existence du fait de la maladie et du handicap de son enfant, à la somme de 30 000 euros ; que, compte tenu de la fraction de perte de chance ci-dessus, ce préjudice s'élève à 9 000 euros ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. A agissant tant pour son compte personnel que pour sa fille Eugénie, est fondé à demander que les indemnités que lui a accordées le Tribunal administratif de Lyon soient portées aux sommes indiquées ci-dessus ; que la caisse primaire d'assurance maladie de Lyon est fondée à soutenir que c'est à tort que, par ce même jugement, le Tribunal a rejeté sa demande ;

Sur l'indemnité forfaitaire :

Considérant que la caisse primaire d'assurance maladie de Lyon a droit à l'indemnité forfaitaire régie par les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, pour un montant de 966 euros auquel elle est fixée, à la date de la présente décision, par l'arrêté interministériel du 1er décembre 2009 ;

Sur les frais irrépétibles :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du département du Rhône le paiement à M. A et à la caisse primaire d'assurance maladie de Lyon de sommes s'élevant respectivement à 1 500 euros et 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que les conclusions présentées par le département du Rhône à ce même titre ne peuvent qu'être rejetées ;

DECIDE :

Article 1er : Le département du Rhône est condamné à verser à M. A en sa qualité de représentant légal de sa fille, en lieu et place de l'indemnité de 30 000 euros mise à sa charge par le jugement du Tribunal administratif de Lyon du 9 octobre 2007, une rente annuelle d'un montant de 3 250 euros. Cette rente est versée par trimestres échus depuis le 30 avril 1998 et jusqu'aux 18 ans d'Eugénie et son montant, fixé au 9 octobre 2007, date du jugement attaqué, est revalorisé par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale.

Article 2 : L'indemnité de 12 139 euros que le département du Rhône a été condamné à payer par le jugement du Tribunal administratif de Lyon du 9 octobre 2007 à M. A, agissant pour son compte personnel, est ramenée à 9 000 euros.

Article 3: Le département du Rhône est condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Lyon une somme de 12 960,90 euros assortie d'une somme de 966 euros au titre de l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.

Article 4 : Le jugement du Tribunal administratif de Lyon du 9 octobre 2007 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 5 : Le département du Rhône versera à M. A et à la caisse primaire d'assurance maladie de Lyon respectivement des sommes de 1 500 euros et 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à M. Joseph Marie A, au département du Rhône et à la caisse primaire d'assurance maladie de Lyon.

Délibéré après l'audience du 18 mars 2010 à laquelle siégeaient :

Mme Serre, présidente de chambre,

Mme Verley-Cheynel et M. Fontbonne, présidents-assesseurs,

M. Picard et M. Stillmunkes, premiers conseillers.

Lu en audience publique, le 8 avril 2010.

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N° 07LY02750


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre - formation à 5
Numéro d'arrêt : 07LY02750
Date de la décision : 08/04/2010
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02 RESPONSABILITÉ DE LA PUISSANCE PUBLIQUE. RESPONSABILITÉ EN RAISON DES DIFFÉRENTES ACTIVITÉS DES SERVICES PUBLICS. - FAUTE AYANT COMPROMIS LES CHANCES D'OBTENIR UNE AMÉLIORATION DE L'ÉTAT DE SANTÉ D'UNE PERSONNE OU D'ÉCHAPPER À SON AGGRAVATION - CONSÉQUENCE - RÉPARATION INTÉGRALE DU PRÉJUDICE RÉSULTANT DIRECTEMENT DE LA FAUTE COMMISE PAR LA COLLECTIVITÉ PUBLIQUE- NOTION DE PRÉJUDICE - PERTE DE CHANCE D'ÉVITER LE DOMMAGE - EVALUATION - FRACTION DU DOMMAGE CORPOREL DÉTERMINÉE EN FONCTION DE L'AMPLEUR DE LA CHANCE PERDUE (1).

60-02 Si, lors de la prise en charge d'une personne, une collectivité publique commet une faute directement à l'origine pour cette personne d'une perte de chance d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'en éviter l'aggravation, le préjudice réparable n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'échapper à ce dommage. La réparation qui incombe à la collectivité publique doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.


Références :

[RJ1]

Conseil d'Etat 21 décembre 2007 Centre hospitalier de Vienne requête n° 289328.


Composition du Tribunal
Président : Mme SERRE
Rapporteur ?: M. Vincent-Marie PICARD
Rapporteur public ?: Mme MARGINEAN-FAURE
Avocat(s) : MARCEL GIUDICELLI

Origine de la décision
Date de l'import : 22/01/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2010-04-08;07ly02750 ?
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