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05/02/2009 | FRANCE | N°05LY01318

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 2ème chambre - formation à 5, 05 février 2009, 05LY01318


Vu la requête, enregistrée le 8 août 2005, présentée pour M. et Mme Alain X, dont le domicile est ... ;

M. et Mme X demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0400856 du 17 mai 2005 par lequel le Tribunal administratif de Dijon a rejeté leur demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires, en droits et pénalités, d'impôt sur le revenu et des contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 1999 ;

2°) de prononcer la décharge des impositions supplémentaires mises à leur charge au titre de l'année 1999,

soit 213 753 euros ;

3°) de condamner l'Etat à leur verser une somme de 4 000 euros en...

Vu la requête, enregistrée le 8 août 2005, présentée pour M. et Mme Alain X, dont le domicile est ... ;

M. et Mme X demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0400856 du 17 mai 2005 par lequel le Tribunal administratif de Dijon a rejeté leur demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires, en droits et pénalités, d'impôt sur le revenu et des contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 1999 ;

2°) de prononcer la décharge des impositions supplémentaires mises à leur charge au titre de l'année 1999, soit 213 753 euros ;

3°) de condamner l'Etat à leur verser une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 15 janvier 2009 :

- le rapport de M. Segado, premier conseiller ;

- et les conclusions de M. Gimenez, commissaire du gouvernement ;

Considérant que, par un protocole d'accord en date du 8 octobre 1999, M. et Mme X se sont engagés à céder, au plus tard le 31 décembre 1999, 2 994 actions sur les 3 000 du capital de la SA Sauvyna qu'ils dirigent et qui exploite un supermarché à Challuy (Nièvre) sous l'enseigne « Intermarché », à Mme Noël ou toute personne substituée, pour un prix de 6 000 000 francs réajustable ; que, le 23 décembre 1999, les époux X ont créé la SA Bukonasa ayant pour objet la prise de participation dans toutes sociétés ; que le même jour, ils ont apporté à la SA Bukonasa 1 497 actions de la SA Sauvyna, soit la moitié des actions qu'ils détenaient au sein de cette société, d'une valeur de 2 994 000 francs en échange de 29 940 des 30 000 parts de la SA Bukonasa qu'ils dirigeaient par ailleurs ; que le 31 décembre 1999, dans le même acte, a été réalisée la cession à la SA Parchemin, créée le 29 novembre 1999 et dirigée par Mme Noel, des 1 497 actions de la SA Sauvyna encore détenues par les époux X et celle des 1497 actions de cette même société apportées le 23 décembre 1999 à la SA Bukonasa pour un prix non ventilé entre les deux parties cédantes ; que l'apport des 1 497 actions de la SA Sauvyna à la SA Bukonasa a généré une plus-value de 2 774 417 francs laquelle a fait l'objet, par les époux X, d'un report d'imposition en application des dispositions de l'article 160 du code général des impôts ; que ce report d'imposition a été considéré par l'administration comme constitutif d'un abus de droit et le comité consultatif pour la répression des abus de droits a rendu un avis favorable au redressement ; que, par jugement du 17 mai 2005, le Tribunal administratif de Dijon a rejeté la demande de M. et Mme X qui tendait à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de la contribution sociale généralisée, de la contribution au remboursement de la dette sociale et du prélèvement social de 2 %, ainsi que des pénalités y afférentes, auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 1999 à raison de ce redressement ;

Sur les conclusions à fin de décharge :

En ce qui concerne le bien fondé des impositions :

Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 160 du code général des impôts alors en vigueur : « (...) I ter. (...) 4. L'imposition de la plus-value réalisée à compter du 1er janvier 1991 en cas d'échange de droits sociaux résultant d'une opération de fusion, scission ou d'apport de titres à une société soumise à l'impôt sur les sociétés peut être reportée dans les conditions prévues au II de l'article 92 B (...) » ; qu'aux termes de l'article 92 B du même code alors en vigueur : « (...) II. 1. A compter du 1er janvier 1992 ou du 1er janvier 1991 pour les apports de titres à une société passible de l'impôt sur les sociétés, l'imposition de la plus- value réalisée en cas d'échange de titres résultant d'une opération d'offre publique, de fusion, de scission, d'absorption d'un fonds commun de placement par une société d'investissement à capital variable réalisée conformément à la réglementation en vigueur ou d'un apport de titres d'une société soumise à l'impôt sur les sociétés, peut être reportée au moment où s'opérera la cession, le rachat, le remboursement ou l'annulation des titres reçus lors de l'échange (...) » ;

Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction alors applicable : « Ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses : ... b)... qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus... L'administration est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse...» ;

Considérant que le fait, pour un contribuable, de placer et de maintenir sous le régime du report d'imposition prévu par les dispositions précitées de l'article 160 I. ter 4 du code général des impôts une plus-value réalisée à l'occasion d'un apport de droits sociaux ne déguise, par lui-même, ni une réalisation, ni un transfert de bénéfices ou de revenus, au sens du b) de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ; que, par suite, M. et Mme X sont fondés à soutenir que le service n'était pas en droit de procéder aux redressements en litige, exclusivement fondés sur la remise en cause du bénéfice du régime de sursis d'imposition, sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ;

Mais, considérant que l'administration est en droit d'invoquer à tout moment de la procédure, même pour la première fois en appel, tous moyens nouveaux à la condition que la substitution de base légale demandée au juge ne prive le contribuable d'aucune garantie de procédure ; que, par son mémoire en défense présenté le 17 juin 2008, le ministre demande, à titre subsidiaire, le maintien du redressement sur le fondement de la fraude à la loi ;

Considérant que si un acte de droit privé opposable aux tiers est, en principe, opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé ; que ce principe peut conduire l'administration à ne pas tenir compte d'actes de droit privé opposables aux tiers ; que ce principe s'applique également en matière fiscale, dès lors que le litige n'entre pas dans le champ d'application des dispositions particulières de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, qui, lorsqu'elles sont applicables, font obligation à l'administration fiscale de suivre la procédure qu'elles prévoient ; qu'ainsi, hors du champ de ces dispositions, le service, qui peut toujours écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors qu'il établit que ces actes ont un caractère fictif, peut également se fonder sur le principe susrappelé pour écarter les actes qui, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, n'ont pu être inspirés par aucun motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles ;

Considérant que l'administration soutient que l'apport par M. et Mme X, le 23 décembre 1999, des 1497 actions de la SA Sauvyna à la SA Bukonasa créée le même jour par les requérants, a été réalisé dans un but exclusivement fiscal aux fins de permettre à ces derniers de vendre ces actions de la SA Sauvyna en évitant de supporter immédiatement l'imposition des plus-values qui aurait été due s'ils les avaient vendues directement ; qu'à l'appui de ses allégations, l'administration établit que la vente de l'ensemble des actions de la SA Sauvyna était envisagée avant même la création de la SA Bukonasa et l'apport par les époux X à cette société de la moitié de leurs actions de la SA Sauvyna, en produisant copie du protocole d'accord en date du 8 octobre 1999 signé avec Mme Noël concernant la cession, avant le 31 décembre 1999, à son profit ou à toute personne substituée de l'ensemble des 2994 titres de la SA Sauvyna alors détenus par les requérants ; que l'administration fait aussi valoir que les actions de la SA Sauvyna détenues par les époux X et par la SA Bukonasa, dont les intéressés détenaient la quasi totalité du capital et étaient aussi dirigeants, ont été cédées le 31 décembre 1999 pour un montant de 5 989 996 francs, conformément à ce protocole d'accord, à la SA Parchemin dont Mme Noel était la principale actionnaire et la présidente du conseil d'administration ; que l'administration se prévaut de cette chronologie et du court délai écoulé entre la création de la SA Bukonasa et la vente des actions de la SA Sauvyna qu'elle avait reçues en apport, de la circonstance que cette société avait opté pour l'impôt sur les sociétés dès sa création sans justification particulière, pour soutenir que l'apport de ces actions de la SA Sauvyna à la SA Bukonasa avait pour seul motif de permettre aux contribuables de se placer abusivement dans le champ d'application des articles 160 I ter. 4. et 92 B II du code général des impôts ;

Considérant que les requérants soutiennent que la création de la SA Bukonasa le 23 décembre 1999 et l'apport et la revente des actions de la SA Sauvyna n'étaient motivées que pour servir de structure à un investissement professionnel, en l'occurrence l'acquisition d'un supermarché dans le Sud-Est de la France et permettre ainsi son financement ; que toutefois, ni les difficultés que les époux X déclarent avoir rencontrées pour trouver un commerce à acquérir au cours de ces années, ni les éléments produits ne permettent d'établir que l'apport de la moitié des actions de la SA Sauvyna à la SA Bukonasa lors de sa création était justifié par le financement d'un tel projet alors que, comme l'expose l'administration, les époux X avaient décidé de vendre leurs actions de la société Sauvyna deux mois et demi avant la création de la SA Bukonasa, que huit jours après avoir reçu en apport ces titres la SA Bukonasa a vendu les titres de la SA Sauvyna à la SA Parchemin, que la SA Bukonasa n'a pas eu d'activité réelle pendant près de deux années et demi à compter de sa création, qu'elle n'est intervenue pour le financement d'un projet de rachat d'un point de vente qu'à compter du milieu de l'année 2002 et postérieurement à la notification de redressements et que l'opération d'acquisition d'un commerce ne s'est concrétisée qu'au début du mois de janvier 2003 ;

Considérant que, compte tenu des conditions sus-décrites dans lesquelles ont été réalisées les opérations litigieuses d'apport par les époux X des actions de la SA Sauvyna à la SA Bukonasa et de revente de ces titres, notamment de la chronologie de ces opérations et du fait que les contribuables contrôlaient cette société dont ils détenaient près de 99,8 % du capital et dont M. X était président directeur général, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve de ce que l'ensemble de l'opération visait exclusivement à éluder ou à atténuer les charges fiscales que les intéressés, s'il n'avaient pas passé les actes susmentionnés, auraient normalement supportées au titre de l'année 1999, eu égard à leur situation et à leurs activités réelles ; qu'elle revêt, dès lors, le caractère d'une fraude à la loi ; qu'ainsi, il y a lieu de faire droit à la demande de substitution de base légale présentée par l'administration dès lors qu'elle ne prive M. et Mme X d'aucune garantie ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme X ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Dijon a rejeté leur demande en décharge des droits litigieux ;

En ce qui concerne les pénalités :

Considérant que, dès lors que comme il a été dit ci-dessus, l'administration ne pouvait se fonder sur les dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, elle ne pouvait mettre à la charge du contribuable la pénalité au taux de 80 % prévue par le 2ème alinéa de l'article 1729 du code général des impôts « en cas d'abus de droit au sens de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales » ;

Considérant toutefois que l'administration est en droit, à tout moment de la procédure contentieuse, de justifier d'une pénalité en modifiant le fondement juridique, à la double condition que la substitution de base légale ainsi opérée ne prive le contribuable d'aucune des garanties de procédure prévues par la loi et que l'administration invoque, au soutien de la demande de substitution de base légale, des faits qu'elle avait retenus pour motiver la pénalité initialement appliquée ;

Considérant que le ministre demande que soit substituée à la pénalité d'abus de droit celle prévue au même taux par le même alinéa de l'article 1729 du code visant les contribuables qui se sont rendus coupables de manoeuvres frauduleuses ; qu'en se bornant à se référer aux considérations de fait caractérisant une fraude à la loi et résultant d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs et au fait que les intéressés étaient président du conseil d'administration et directeur général de la SA Bukonasa et détenaient 99,99 % du capital de cette société avec leurs deux enfants, le ministre n'établit pas que les époux X aient créé des apparences de nature à égarer l'administration dans l'exercice de son pouvoir de contrôle ; qu'il suit de là que cette demande du ministre doit être rejetée ;

Considérant que le ministre demande, à défaut, la substitution des pénalités de mauvaise foi prévues au 1er alinéa de l'article 1729 à celles initialement assignées pour abus de droit ;

Considérant que, devant la Cour, l'administration invoque les mêmes faits que ceux qu'elle avait retenus pour motiver les pénalités initialement appliquées en cas d'abus de droit ; qu'eu égard aux opérations sus-relatées qui ont permis, ainsi qu'il vient d'être dit, aux requérants de bénéficier abusivement d'un report d'imposition et eu égard à la circonstance que les intéressés étaient les principaux actionnaires et dirigeants de la société Bukonasa concernée par les opérations litigieuses d'apport des titres de la SA Sauvyna ayant servi de justification au report d'imposition litigieux et de revente de ces titres, l'administration établit l'absence de bonne foi des requérants ; que, par ailleurs cette substitution de base légale ne prive M. et Mme X d'aucune garantie de procédure prévue par la loi ;

Considérant qu'il s'ensuit que le ministre est seulement fondé à demander la substitution des pénalités de 40 % pour mauvaise foi, aux pénalités de 80 % pour abus de droit initialement appliquées ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme X sont seulement fondés à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Grenoble n'a pas substitué les pénalités de 40 % pour mauvaise foi, dans la limite de leur montant, aux pénalités d'abus de droit qui ont été appliquées au supplément d'impôt sur le revenu, de la contribution sociale généralisée, de la contribution au remboursement de la dette sociale et du prélèvement social de 2 % de l'année 1999 auxquelles ils ont été assujettis ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions susmentionnées de M. et Mme X ;

DECIDE :

Article 1er : Les pénalités de 40 % pour mauvaise foi sont substituées aux pénalités pour abus de droit appliquées aux suppléments d'impôt sur le revenu, de la contribution sociale généralisée, de la contribution au remboursement de la dette sociale et du prélèvement social de 2 % de l'année 1999 auxquels M. et Mme X ont été assujettis.

Article 2 : M. et Mme X sont déchargés de la différence entre le montant des majorations qui leur ont été appliquées et le montant qui résulte de ce qui est dit à l'article 1er ci-dessus.

Article 3 : Le jugement n° 0400856 du Tribunal administratif de Dijon en date du 17 mai 2005 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme X est rejeté.

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N° 05LY01318


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 2ème chambre - formation à 5
Numéro d'arrêt : 05LY01318
Date de la décision : 05/02/2009
Type d'affaire : Administrative

Composition du Tribunal
Président : Mme SERRE
Rapporteur ?: M. JUAN SEGADO
Rapporteur public ?: M. GIMENEZ
Avocat(s) : FIDAL AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2009-02-05;05ly01318 ?
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