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16/10/2003 | FRANCE | N°98LY01552

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 4eme chambre - formation a 3, 16 octobre 2003, 98LY01552


Vu, la requête enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Lyon le 20 août 1998, présentée pour la SOCIETE DES AUTOROUTES PARIS RHIN-RHONE (SAPRR), par Me X..., avocat ;

La SAPRR demande à la Cour :

1') de réformer le jugement n° 97713 en date du 26 mai 1998 par lequel le Tribunal administratif de Dijon a condamné l'Etat à lui verser une indemnité, qu'elle estime insuffisante, d'un montant de 15 108,94 francs assortie des intérêts au taux légal, en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de l'occupation le 13 septembre 1996 des postes de péa

ge de Gannat, Montmarault et Montluçon, sur l'autoroute A71, par des groupes...

Vu, la requête enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Lyon le 20 août 1998, présentée pour la SOCIETE DES AUTOROUTES PARIS RHIN-RHONE (SAPRR), par Me X..., avocat ;

La SAPRR demande à la Cour :

1') de réformer le jugement n° 97713 en date du 26 mai 1998 par lequel le Tribunal administratif de Dijon a condamné l'Etat à lui verser une indemnité, qu'elle estime insuffisante, d'un montant de 15 108,94 francs assortie des intérêts au taux légal, en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de l'occupation le 13 septembre 1996 des postes de péage de Gannat, Montmarault et Montluçon, sur l'autoroute A71, par des groupes d'agriculteurs ;

2') de condamner l'Etat à lui payer la somme de 40 888,35 francs assortie des intérêts à compter du 13 janvier 1996 et de leur capitalisation, ainsi qu'une somme de 5 000 francs au titre de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le code pénal ;

Vu le code de la route ;

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Classement CNIJ : 17-03-01-01-02

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Vu la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 ;

Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 18 septembre 2003 :

- le rapport de M. MOUTTE, président ;

- et les conclusions de Mme RICHER, commissaire du gouvernement ;

Sur la fin de non recevoir opposée par le MINISTRE DE L'INTERIEUR :

Considérant qu'aux termes de l'article R. 412-1 du code de justice administrative : La requête doit, à peine d'irrecevabilité, être accompagnée de la décision attaquée... ; que le jugement en date du 26 mai 1998 du Tribunal administratif de Dijon, dont la SAPRR fait appel, était joint à sa requête ; que, par suite, la fin de non recevoir tiré du défaut de production de la décision attaquée opposée par le ministre ne peut qu'être rejetée ;

Sur le fond :

Considérant que la SOCIETE DES AUTOROUTES PARIS RHIN RHONE (SAPRR) demande la condamnation de l'Etat à réparer le préjudice qu'elle a subi du fait de l'occupation, le 13 septembre 1996, du poste de péage de Gannat, Montmarault et Montluçon sur l'autoroute A71, par des groupes d'agriculteurs ;

En ce qui concerne le péage de Gannat :

Considérant qu'aux termes de l'article 92 de la loi susvisée du 7 janvier 1983, ultérieurement codifié à l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales : 'L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens.' ;

Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 7 du code de la route : 'Quiconque aura, en vue d'entraver ou de gêner la circulation, placé ou tenté de placer, sur une voie ouverte à la circulation publique, un objet faisant obstacle au passage des véhicules ou qui aura employé ou tenté d'employer un moyen quelconque pour y mettre obstacle, sera puni d'un emprisonnement de trois mois à deux ans et d'une amende de 30 000 francs, ou de l'une de ces deux peines seulement'. ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'un groupe d'agriculteurs a occupé le péage de Gannat pour intercepter des camions frigorifiques dont ils entendaient contrôler le chargement et que le délit d'entrave ou de gêne à la circulation au sens des dispositions de l'article L. 7 du code de la route a été commis au poste de péage de Gannat où la route et les voies d'accès ont été totalement bloquées dans les deux sens par des véhicules ; qu'il s'en suit que les dommages en rapport direct avec cette manifestation sont susceptibles d'engager la responsabilité de l'Etat sur le fondement de l'article 92 de la loi du 7 janvier 1983 ; que la société requérante justifie du passage en gare de Gannat de 147 véhicules en franchise de péage ; que le montant de la perte de recettes de péage estimé par la société requérante à 4 751 francs sur la base des résultats de la journée du 13 septembre 1996 n'est pas contesté par le ministre ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 322-1 du code pénal : La destruction, la dégradation ou la détérioration d'un bien appartenant à autrui est punie de deux ans d'emprisonnement et de 200 000 francs d'amende, sauf s'il n'en est résulté qu'un dommage léger... ; et qu'aux termes de l'article 322-2 du même code : L'infraction définie au premier alinéa de l'article 322-1 est punie de trois ans d'emprisonnement et de 300 000 francs d'amende... lorsque le bien détruit, dégradé ou détérioré est : 1° Destiné à l'utilité ou à la décoration publique et appartient à une personne publique ou chargée d'une mission de service public ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment du procès-verbal de gendarmerie, que les manifestants ont causé des dommages aux installations de la société requérante au cours de la manifestation qui s'est déroulée à Gannat ; que des barrières, des appareils détecteurs de passage ou de hauteur de véhicules et des feux anti-brouillard ont été détruits ; que ces dommages engagent la responsabilité de l'Etat sur le fondement de l'article 92 de la loi du 7 janvier 1983 ; que pour la remise en état de ses installations, la SAPRR produit en appel les factures des travaux qui s'élèvent à 14 064,44 francs auxquels il convient d'ajouter le remboursement de frais de personnel électrotechnicien évalué à 605,50 francs et correspondant à la remise en état des postes de péage de Gannat, qui, seuls, ont subi des dégradations ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SAPRR est seulement fondée à demander que compte tenu d'un autre chef de préjudice non contesté, l'indemnité mise à la charge de l'Etat soit portée à 23 847,77 francs, soit 3 635,57 euros ;

En ce qui concerne les péages de Montmarault et de Montluçon :

Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 7 code de la route : Quiconque aura , en vue d'entraver ou de gêner la circulation, placé ou tenté de placer, sur une voie ouverte à la circulation publique, un objet faisant obstacle au passage des véhicules ou qui aura employé ou tenté d'employer un moyen quelconque pour y mettre obstacle, sera puni d'un emprisonnement de trois mois à deux ans et d'une amende de 30 000 francs, ou de l'une de ces deux peines seulement ; que si des groupes d'agriculteurs ont occupé les péages de Montmarault et Montluçon pour intercepter des camions frigorifiques dont ils entendaient contrôler le chargement et s'ils ont empêché la perception du péage dû par les automobilistes, la circulation n'en a pas été entravée ou gênée, dès lors que le passage des péages entraîne par lui-même un ralentissement, voire un arrêt des véhicules ; que les manifestants ont seulement mis à profit cette circonstance pour exprimer leurs doléances ; que de tels agissements ne peuvent, dès lors, être qualifiés de délits d'entrave ou de gêne à la circulation au sens des dispositions de l'article L. 7 du code de la route ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de l'instruction qu'aucun dégât n'a été commis aux péages de Montmarault et de Montluçon ; qu'ainsi, les délits réprimés par les dispositions susvisées de l'article 322-1 du code pénal ne sont pas constitués à l'occasion des manifestations à ces deux postes de péage ;

Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 431-3 du code pénal : Constitue un attroupement tout rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l'ordre public. Un attroupement peut être dissipé par la force publique après deux sommations de se dissiper demeurées sans effet..., tandis qu'aux termes de l'article 431-4 du même code : Le fait, pour celui qui n'est pas porteur d'une arme, de continuer volontairement à participer à un attroupement après les sommations est puni d'un an d'emprisonnement et de 100 000 francs d'amende ; qu'il résulte de ces dispositions que le délit d'attroupement non armé n'est constitué qu'après sommation ;

Considérant qu'il n'est allégué, ni que les groupes de manifestants susévoqués auraient été armés, ni qu'ils aient fait l'objet de la part des représentants de la force publique d'une sommation de se disperser ; que, par suite, les conditions mises à la constitution du délit d'attroupement sur la voie publique ne sont pas remplies ;

Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes de l'article 431-1 du code pénal : Le fait d'entraver, d'une manière concertée et à l'aide de menaces, l'exercice de la liberté d'expression, du travail, d'association, de réunion ou de manifestation est puni d'un an d'emprisonnement et de 100 000 francs d'amende. Le fait d'entraver, de manière concertée et à l'aide de coups, violences, voies de fait, destructions ou dégradations au sens du présent code, l'exercice d'une des libertés visées à l'alinéa précédent est puni de trois ans d'emprisonnement et de 300 000 francs d'amende ;

Considérant que si aux péages de Montmarault et de Montluçon, les manifestants ont mis matériellement les préposés aux péages dans l'impossibilité de percevoir les redevances auprès des usagers de l'autoroute, il n'est pas établi qu'ils auraient porté atteinte au libre exercice du travail de ces préposés à l'aide de menaces, coups, violences ou voies de fait ; que, par suite, leurs agissements ne peuvent être regardés comme constitutifs du délit prévu à l'article 431-1 précité ;

Considérant, en cinquième lieu, qu'aux termes de l'article 433-3 du code pénal : Est puni de dix ans d'emprisonnement et de 1 000 000 francs d'amende le fait d'user de menaces ou de violences ou de commettre tout autre acte d'intimidation pour obtenir d'une personne dépositaire de l'autorité publique, chargée d'une mission de service public ou investie d'un mandat électif public, soit qu'elle accomplisse ou s'abstienne d'accomplir un acte de sa fonction, de sa mission ou de son mandat, ou facilité par sa fonction, sa mission ou son mandat, soit qu'elle abuse de son autorité vraie ou supposée en vue de faire obtenir d'une autorité ou d'une administration publique des distinctions, des emplois, des marchés ou tout autre décision favorable ; que, si des agriculteurs se sont attroupés autour des postes de péage pour empêcher la perception des redevances à Montluçon et à Montmarault, ces manifestations dont la durée a été très brève, se sont déroulées dans un climat très calme d'après le rapport de gendarmerie ; que, par suite, dans les circonstances de l'espèce, les agissements des manifestants ne sont pas constitutifs du délit prévu à l'article 433-3 précité ;

Considérant, en sixième lieu, qu'aux termes de l'article 431-9 du code pénal : Est puni de six mois d'emprisonnement et de 50 000 francs d'amende le fait : 1° D'avoir organisé une manifestation sur la voie publique n'ayant pas fait l'objet d'une déclaration préalable dans les conditions fixées par la loi... ; qu'aux termes de l'article 1er du décret-loi du 23 octobre 1935 portant réglementation des mesures relatives au renforcement du maintien de l'ordre public : les réunions sur la voie publique sont et demeurent interdites dans les conditions prévues par la loi du 30 juin 1881, article 6. Sont soumis à l'obligation d'une déclaration préalable tous cortèges, défilés et rassemblements de personnes , et, d'une façon générale, toutes manifestations sur la voie publique...

Considérant que, d'une part, le délit réprimé par ces dispositions ne peut être retenu qu'à l'encontre des seules personnes ayant participé à l'organisation de la manifestation non déclarée ou interdite, et non à l'encontre de l'ensemble de celles qui se sont seulement présentées au rassemblement ou qui forment l'attroupement ; que, d'autre part, l'organisation d'une manifestation irrégulière ne peut, en elle-même, être regardée comme constitutive d'un délit commis à force ouverte ou par violence contre des personnes ou des biens au sens de l'article 92 de la loi du 7 janvier 1983 ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SAPRR est seulement fondée à demander que l'indemnité mise à la charge de l'Etat soit portée à 23 847,77 francs, soit 3 635,57 euros ;

Sur la capitalisation des intérêts :

Considérant que la SAPRR a demandé la capitalisation des intérêts dans la requête introductive d'appel enregistrée le 20 août 1998 ; qu'à cette date, les intérêts étaient dus pour au moins une année entière ; qu'il y a lieu dès lors de faire droit à cette demande tant à cette date qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'aucun des délits invoqués par la SAPRR n'étant susceptible en l'espèce d'être imputé aux manifestants concernés, l'Etat ne peut être tenu civilement responsable, sur le fondement de l'article 92 de la loi du 7 janvier 1983 précité, du préjudice commercial subi par la société à raison de pertes de péages et d'un préjudice matériel à Montmarault et à Montluçon ; qu'elle n°est, dès lors, pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande en tant qu'elle portait sur ces deux péages ; que des délits ayant été perpétrés à force ouverte ou par violence par un rassemblement à Gannat, le MINISTRE DE L'INTERIEUR n'est pas fondé à demander par la voie de l'appel incident l'annulation de ce jugement en tant qu'il a condamné l'Etat à indemniser la SAPRR pour les dommages subis à Gannat ;

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'Etat à payer la somme de 762,25 euros que la SAPRR réclame sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative reprenant celles de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;

DECIDE :

ARTICLE 1er : La somme que l'Etat a été condamné à verser à la SAPRR par le jugement du tribunal administratif de Dijon du 26 mai 1998 est portée de 15 108,94 francs à 23 847,77 francs soit 3 635, 57 euros. Les intérêts échus à la date du 20 août 1998 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts .

ARTICLE 2 : Le jugement du Tribunal administratif de Dijon du 26 mai 1998 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.

ARTICLE 3 : L'Etat est condamné à payer à la SAPRR la somme de 762,25 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

ARTICLE 4 : Le surplus des conclusions de la SAPRR et l'appel incident de l'Etat sont rejetés.

N° 98LY01552 - 6 -


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 4eme chambre - formation a 3
Numéro d'arrêt : 98LY01552
Date de la décision : 16/10/2003
Sens de l'arrêt : Satisfaction partielle
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. FONTBONNE
Rapporteur ?: M. BESLE
Rapporteur public ?: Mme RICHER M
Avocat(s) : CARBONNIER

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2003-10-16;98ly01552 ?
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