Vu la décision en date du 15 novembre 1994, par laquelle la cour a, sur la requête du CENTRE HOSPITALIER D'AVIGNON, enregistrée sous le n° 92LY01073 et tendant notamment à l'annulation du jugement en date du 2 juillet 1992 par lequel le tribunal administratif de MARSEILLE l'a condamné à verser à Mme Nadine X... une indemnité de 180.000 francs pour elle-même et une rente viagère de 250.000 francs par an au nom de son fils mineur Boris Y..., sur laquelle doivent s'imputer, à concurrence des neuf dixièmes, les droits de la caisse primaire d'assurance maladie des professions libérales - provinces à raison des prestations servies, ordonné une expertise complémentaire en vue de déterminer si, lors de l'accouchement de l'intéressée, le 30 novembre 1983, tout a été mis en oeuvre pour éviter une asphyxie périnatale de l'enfant et lui donner le maximum de chances ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le rapport d'expertise enregistré le 4 janvier 1996 ;
Vu le mémoire enregistré le 13 février 1996, présenté suite au dépôt du rapport d'expertise pour Mme Nadine X..., par la SCP Louis et Dominique LABADIE, avocats ;
Mme Nadine X... demande à la cour :
1) de rejeter la requête du Centre hospitalier d'AVIGNON ;
2) d'ordonner la capitalisation des intérêts sur les sommes que le Centre hospitalier d'AVIGNON devra lui verser ;
3) de condamner le Centre hospitalier d'AVIGNON à lui verser une somme de 20.000 francs au titre des dispositions de l'article L 8-1 du Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le Code civil ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 6 mars 1997 :
- le rapport de M. MONTSEC, conseiller ;
- et les conclusions de Mme ERSTEIN, commissaire du gouvernement ;
Sur la responsabilité :
Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que Mme Nadine X..., alors enceinte de sept mois et demi, a été hospitalisée le 22 novembre 1983 au Centre hospitalier d'AVIGNON, à la suite d'une rupture spontanée des membranes ; que son médecin obstétricien ayant alors décidé de retarder l'accouchement afin de limiter les risques liés à la prématurité, Mme X... a poursuivi sa grossesse à l'hôpital, sous surveillance régulière, avec notamment des enregistrements pluriquotidiens du rythme cardiaque foetal ; que, le 29 novembre 1983, elle a signalé une diminution des mouvements actifs foetaux ; que les enregistrements alors effectués, à 8 H 30, pendant une durée de 37 minutes, et surtout à 21 H 20 pendant une durée de 55 minutes étaient à la limite du pathologique et ne pouvaient pas exclure une souffrance foetale plusieurs jours après la rupture des membranes ; que toutefois, le médecin traitant, qui aurait pu décider dès ce moment l'extraction de l'enfant, n'a pas été alors prévenu, ce qui constitue une première faute dans l'organisation du service ; que deux nouveaux enregistrements effectués le lendemain 30 novembre dès 2 H 30, pendant une durée de 40 minutes, et enfin entre 6 H 20 et 7 H 50, mettaient encore en évidence des anomalies intermittentes ; que, face à cette situation, le médecin obstétricien traitant, enfin prévenu, a immédiatement décidé de pratiquer une césarienne dès son arrivée ; que Mme X... a été préparée à cet effet et conduite au bloc opératoire vers 8 H 15 ; qu'à ce moment, la survenance d'une urgence a nécessité de différer l'intervention prévue sur Mme X..., qui a été ressortie de la salle d'opération et a attendu jusqu'à 11 H à coté du bloc opératoire, sans qu'aucune surveillance obstétricale ait été désormais effectuée ; que l'enfant de Mme X..., extrait à 11 H 15, a subi une souffrance ante-natale, qui a été à l'origine de graves séquelles motrices et neurologiques ; que dans les circonstances de l'espèce, s'agissant d'une grossesse à haut risque, sept jours après la rupture des membranes, et alors que, depuis la veille, des signes cliniques impliquaient les plus grandes précautions, cette absence de toute surveillance, sous forme d'enregistrement par monitoring ou d'examen clinique, pendant les trois heures ayant précédé l'intervention ainsi différée, constitue encore une faute, alors qu'il est désormais établi que l'opération aurait pu au besoin être pratiquée dans une des salles du bloc central de l'hôpital, avec un délai de mise en place de l'ordre d'une demi-heure ; que les fautes successives ainsi commises et le retard qui en est résulté pour l'intervention nécessaire, doivent être regardées comme étant à l'origine des dommages subis par l'enfant et engagent de ce fait la responsabilité pleine et entière du centre hospitalier d'AVIGNON ; que ce dernier n'est dès lors pas fondé à se plaindre de ce que le tribunal administratif de MARSEILLE l'a condamné à en réparer les conséquences dommageables ;
Sur la réparation du préjudice :
Considérant que le fils de Mme X..., le jeune Boris Y..., aujourd'hui décédé, conservait d'importantes séquelles, suite aux conditions dans lesquelles s'est déroulée sa naissance ; que, victime d'une infirmité motrice centrale avec tétraplégie et d'une épilepsie sévère, il ne pouvait être envisagé qu'il suive une scolarité ou ait une activité professionnelle ; qu'il avait besoin en permanence de l'aide d'une tierce personne ; qu'en fixant à 250.000 francs le montant de la rente annuelle à lui allouer, dont le montant est indexé suivant les dispositions de l'article L.434-37 du Code de la sécurité sociale et dont les neuf dixièmes correspondent à la réparation de l'atteinte à l'intégrité physique de la victime, sur laquelle devront s'imputer les droits de la Caisse d'assurance maladie des professions libérales - provinces, intégrant les frais d'hébergement et d'éducation dans un centre spécialisé mais non les sommes correspondant aux frais médicaux, pharmaceutiques et hospitaliers, le tribunal administratif de MARSEILLE a fait, dans les circonstances de l'espèce, une juste appréciation du préjudice exceptionnellement grave ainsi subi ; que, par ailleurs, ledit tribunal a fait une juste appréciation des troubles dans les conditions d'existence de Mme X..., incluant dès ce moment le risque de décès prématuré de l'enfant, en les évaluant à la somme de 180.000 francs, tous intérêts compris ; que le Centre hospitalier n'est donc pas fondé à contester l'évaluation du préjudice faite par les premiers juges ;
Sur les conclusions incidentes de la Caisse d'assurance maladie des professions libérales - provinces:
Considérant que la Caisse d'assurance maladie des professions libérales - provinces justifie de débours pour un montant total de 396.337,04 francs au titre de frais médicaux, pharmaceutiques et hospitaliers autres que ceux correspondant au séjour de l'enfant dans un centre de protection infantile puis une maison d'accueil spécialisée ; qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la rente de 250.000 francs par an allouée par les premiers juges n'intègre pas ces frais ; qu'il y a lieu en conséquence de réformer le jugement attaqué sur ce point et de condamner le centre hospitalier d'AVIGNON à payer à la Caisse d'assurance maladie des professions libérales - provinces cette somme de 396.337,04 francs ; que, par contre, les frais de séjour de l'enfant dans un centre de protection infantile puis une maison d'accueil spécialisée, supportés par la caisse jusqu'à la date du décès de l'enfant, devaient s'imputer au fur et à mesure sur la fraction des 9/10 de la rente qui répare l'atteinte à l'intégrité physique de la victime ; que la Caisse d'assurance maladie des professions libérales - provinces n'est en conséquence pas fondée à demander la condamnation du centre hospitalier à lui verser une somme au titre des prestations correspondantes ;
Sur les conclusions de Mme X... tendant à la capitalisation des intérêts :
Considérant que les premiers juges ont précisé que les sommes allouées à Mme X..., tant en son nom propre qu'au nom de son fils mineur, porteraient intérêt au taux légal à compter du jour de leur jugement, c'est à dire le 2 juillet 1992 ; que la capitalisation des intérêts a été demandée par Mme X... le 13 février 1996 ; qu'il était alors dû au moins une année d'intérêts, tant sur la partie non encore versée à cette date de l'indemnité allouée à Mme X... au titre des troubles dans ses conditions d'existence, que sur la part devant lui revenir sur les fractions trimestrielles de la rente allouée à son fils mineur, M Boris Y..., déjà échues depuis au moins un an et non encore versées à cette même date ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande de capitalisation desdits intérêts ;
Sur les frais d'expertise :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'affaire, de mettre les frais de l'expertise ordonnée par la cour de céans, liquidés par ordonnance en date du 27 novembre 1996 à la somme de 9.112,80 francs, à la charge du Centre hospitalier d'AVIGNON ;
Sur les conclusions de Mme X... tendant à l'allocation des sommes non comprises dans les dépens :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel : "Dans toutes les instances devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation" ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions précitées, de condamner le Centre hospitalier d'AVIGNON à payer à Mme Nadine X... la somme de 5.000 francs ;
Article 1er :La requête du centre hospitalier d'AVIGNON est rejetée.
Article 2 : Le Centre hospitalier d'AVIGNON est condamné à payer la somme de 396.337,04 francs à la Caisse d'assurance maladie des professions libérales - provinces.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de MARSEILLE en date du 2 juillet 1992 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 4 : Le surplus des conclusions incidentes de la Caisse d'assurance maladie des professions libérales - provinces est rejeté.
Article 5 : Les intérêts afférents à la partie non encore versée le 13 février 1996 de l'indemnité de 180.000 francs allouée à Mme X... au titre des troubles dans ses conditions d'existence seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 6 : Les intérêts afférents à la part devant revenir à Mme X..., au nom de son fils mineur Boris Y..., sur les fractions trimestrielles de la rente allouée déjà échues depuis au moins un an et non encore versées à la date du 13 février 1996 seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 7 : Les frais d'expertise exposés devant la cour sont mis à la charge du Centre hospitalier d'AVIGNON.
Article 8 : Le Centre hospitalier d'AVIGNON versera à Mme Nadine X... une somme de 5.000 francs au titre de l 'article L 8-1 du Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.