Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour le 24 juillet 1992, présentée pour la SA ENTREPRISE JEAN LEFEBVRE dont le siège social est ... représentée par son président-directeur-général, par la SCP d'avocats CH. X... et PH. BORRA ; l'entreprise demande que la cour :
1°) à titre principal annule, à titre subsidiaire réforme, le jugement du tribunal administratif de Nice du 19 mai 1992, en tant qu'il l'a déclarée responsable à l'égard de la commune de GRASSE de 90 % des désordres qui ont affecté le mur de soutènement du stade Perdigon et condamnée, solidairement avec l'architecte M. Y... et le bureau d'études OTH-MEDITERRANEE, à lui verser la somme de 568 250,72 francs assortie des intérêts au taux légal à compter du 26 juin 1987 ;
2°) à titre principal, rejette la demande présentée à son encontre devant le tribunal administratif de Nice par la commune de GRASSE, à titre subsidiaire, procède à une répartition des responsabilités qui tiennent compte des manquements aux obligations respectives des parties : la commune de GRASSE, le bureau d'études OTH-MEDITERRANEE et le maître d'oeuvre l'architecte M. Y... ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 24 mai 1994 :
- le rapport de M. VESLIN, conseiller ;
- les observations de Me COHEN, avocat de la SA Entreprise J. LEFEBVRE ;
- et les conclusions de M. CHANEL, commissaire du gouvernement ;
Sur l'appel de l'entreprise Jean LEFEBVRE :
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert commis en référé, que les désordres affectant le mur de soutènement du stade PERDIGON ont eu notamment pour origine une insuffisance du ferraillage, la mauvaise qualité du béton utilisé, le nombre insuffisant des barbacanes et la qualité du remblai réalisé à l'amont dudit mur ; que ces malfaçons sont au moins pour partie imputables à l'entreprise Jean LEFEBVRE qui était attributaire du lot V.R.D. dans lequel la ville de GRASSE a inclu la construction de ce mur ; que, par suite, alors même qu'elle aurait réalisé les travaux conformément au devis descriptif, l'entreprise requérante n'est pas fondée à soutenir, à titre principal, que le jugement attaqué doit être annulé en ce qu'il ne la met pas hors de cause ;
Considérant que l'entreprise J. LEFEBVRE soutient, à titre subsidiaire, que le jugement doit être réformé en ce qu'il laisse une part de responsabilité insuffisante à la charge de la ville de GRASSE, maître de l'ouvrage, à raison des fautes qu'elle a commises ; que s'il résulte de l'instruction que l'arrivée d'une quantité importante d'eau, en provenance des buses installées sous le stade pour le drainage des eaux pluviales, aurait altéré le matériau de remblai situé à l'amont du mur et contribué ainsi aux désordres litigieux, la requérante n'établit pas que ce phénomène serait imputable à un fait de la commune maître d'ouvrage ; que, par suite, l'entreprise Jean LEFEBVRE n'est pas fondée à soutenir qu'en ne retenant à la charge de la ville de GRASSE qu'une seule faute ayant contribué à la survenance des désordres, tenant à l'obstruction des quelques barbacanes situées à la base du mur lors de la réalisation ultérieure d'un remblai à l'aval dudit mur pour l'implantation d'un chemin de desserte d'un gymnase, les premiers juges, qui n'ont pas en l'espèce procédé à une appréciation erronée des conséquences dommageables de cette faute, auraient à tort limité à 10 % la part de responsabilité incombant à la ville de GRASSE ;
Considérant, enfin, que si l'entreprise Jean LEFEBVRE soutient, comme il a été dit ci-dessus, qu'elle a respecté intégralement les stipulations du devis descriptif lors de l'établissement des plans d'exécution de l'ouvrage dont elle était chargée et qu'il appartenait aux concepteurs de rechercher toutes les contraintes susceptibles de s'exercer sur le mur et de vérifier ses plans, il n'en demeure pas moins, notamment, qu'eu égard à sa compétence technique elle se devait d'émettre des réserves sur l'insuffisance des prescriptions prévues au marché ; que, dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que le tribunal aurait apprécié de façon erronée les conséquences des fautes respectives commises par l'entreprise, lors de la mise au point des plans de détail et de l'exécution des travaux, et par l'architecte, lors de la conception et de la surveillance de ces mêmes travaux, en condamnant la société entreprise Jean LEFEBVRE à garantir M. Y... à concurrence de 50 % des condamnations prononcées contre lui ; que, par ailleurs, en tant que la requérante demande à être garantie par l'autre constructeur, la société OTH-MEDITERRANEE, ses conclusions constituent une demande nouvelle en appel et sont par suite irrecevables ;
Sur l'appel incident de la ville de GRASSE et l'appel provoqué de l'architecte M. Y... :
Considérant qu'en l'espèce les appels susvisés doivent être requalifiés en appels principaux dont l'irrecevabilité n'est pas établie par les pièces du dossier, ni même alléguée ;
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de ce qui vient d'être dit que, d'une part, la ville de GRASSE n'est pas fondée à soutenir que le colmatage des barbacanes par le remblai qu'elle a réalisé à l'aval du mur de soutènement, n'aurait aucun lien de causalité avec les désordres et qu'ainsi le tribunal aurait limité à tort la responsabilité des trois constructeurs à 90 % des conséquences dommageables des désordres ; que, d'autre part, l'architecte M. Y..., qui se borne à s'approprier l'argumentation développée sur ce point par l'entreprise requérante, n'est pas davantage fondé à soutenir que la part de responsabilité laissée à la charge de la ville à raison de cette dernière faute devrait être réévaluée ; qu'enfin, en vertu de l'article 256 B du code général des impôts les personnes morales de droit public ne sont pas en principe assujetties à la taxe à la valeur ajoutée pour l'activité de leurs services sportifs ; qu'il n'est pas allégué que la commune de GRASSE aurait opté pour l'assujettissement de ce type d'activité à la taxe sur la valeur ajoutée ; que, par suite, M. Y... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a accordé les indemnités mises à sa charge toutes taxes comprises ;
Considérant, en deuxième lieu, que la ville de GRASSE ne justifie pas davantage en appel des préjudices à la fois financier et moral qu'elle aurait subis en raison des dépenses auxquelles elle a dû faire face pour remédier rapidement aux désordres, notamment par suite de la nécessité d'assurer la sécurité du public ;
Sur l'appel provoqué de la société OTH-MEDITERRANEE :
Considérant qu'il y a lieu également, en l'espèce, de requalifier les conclusions présentées par la société OTH-MEDITERRANEE en appel principal dont l'irrecevabilité ne ressort pas davantage des pièces du dossier et n'est pas alléguée ;
Considérant que le jugement attaqué ne précise pas les motifs pour lesquels les désordres affectant l'ouvrage, et de nature à le rendre impropre à sa destination, engagent la responsabilité de constructeur de la société OTH-MEDITERRANEE à l'égard de la ville maître de l'ouvrage ; que, par suite, cette société est fondée à soutenir que ledit jugement est insuffisamment motivé en ce qui la concerne ; qu'il y a lieu en conséquence d'annuler ce jugement en tant qu'il condamne la société OTH-MEDITERRANEE et d'évoquer immédiatement les conclusions présentées par la ville de GRASSE devant le tribunal et dirigées contre cette société ;
Considérant, d'une part, que les stipulations de la convention passée avec la ville de GRASSE le 11 juillet 1972, et relatives à l'obligation de demander l'avis du directeur de l'équipement avant d'engager toute action judiciaire, ont trait aux litiges contractuels susceptibles de survenir entre les parties signataires et ne sont pas applicables à l'action introduite par le maître de l'ouvrage sur le fondement des principes dont s'inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil ; que, par suite, la société OTH-MEDITERRANEE n'est pas fondée à soutenir que la demande présentée devant le tribunal par la commune de GRASSE serait irrecevable faute d'avoir été précédée de l'avis du directeur de l'équipement ;
Considérant, d'autre part, que par la convention susrappelée la société OTH-MEDITERRANEE avait été chargée par la ville de GRASSE d'une mission d'assistance technique auprès de l'architecte M. Y... ; qu'elle devait à ce titre contrôler la qualité des travaux exécutés, notamment en s'assurant qu'ils avaient été réalisés suivant les règles de l'art, indiquer à l'architecte les modifications susceptibles de s'avérer nécessaires et lui proposer d'éventuels essais ou épreuves à faire exécuter ; qu'il résulte de l'instruction que les désordres litigieux, lesquels rendaient l'ouvrage impropre à sa destination, avaient pour origine non seulement la conception de l'ouvrage confiée à l'architecte et l'exécution des travaux par l'entreprise J. LEFEBVRE mais également la surveillance insuffisante de ces derniers laquelle, comme il vient d'être dit, était au moins en partie imputable à la société OTH-MEDITERRANEE ; qu'ainsi, nonobstant la circonstance que l'entreprise Jean LEFEBVRE ait été elle-même chargée de l'établissement des plans d'exécution, il y a lieu, compte tenu de la part de responsabilité ci-dessus laissée à la charge de la ville, de déclarer la société OTH-MEDITERRANEE responsable à concurrence de 90 % des conséquences dommageables desdits désordres et de la condamner, solidairement avec l'entreprise Jean LEFEBVRE et M. Y..., à verser la somme de 568 250,72 francs au titre des frais de sauvegarde et de réfection de l'ouvrage exposés par la ville, majorée des intérêts au taux légal à compter du 26 juin 1987, date d'enregistrement de la demande de la ville de GRASSE devant le tribunal ; qu'il y a lieu également de mettre à sa charge, à concurrence de 90 % et solidairement avec les deux autres constructeurs, les frais d'expertise liquidés par le président du tribunal ;
Considérant, enfin, qu'eu égard aux conséquences dommageables des fautes respectives commises par l'architecte M. Y... et par la société OTH-MEDITERRANEE dans la conception et la surveillance des travaux, telles qu'elles ont été rappelées ci-dessus, il y a lieu de condamner cette dernière société à garantir l'architecte à concurrence de 30 % des condamnations prononcées contre lui par le jugement du tribunal ; que les conclusions présentées par la société OTH-MEDITERRANEE tendant à ce qu'il soit procédé à une répartition de la responsabilité qu'elle encourt, eu égard aux fautes commises par l'entreprise Jean LEFEBVRE, doivent être regardées comme un appel en garantie dirigé contre cette dernière société, irrecevable comme présenté pour la première fois en appel ;
Sur les frais irrépétibles :
Considérant que les conclusions présentées par la ville de GRASSE au titre de l'ancien article R. 222 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel doivent être examinées au regard des dispositions de l'article L. 8-1 du même code, seules applicables à la date du présent arrêt ; que ces dispositions font obstacle à ce que M. Y... et la société OTH-MEDITERRANEE, qui ne constituent pas la partie perdante en appel, soient condamnés à verser à la ville la somme qu'elle réclame à ce titre ; qu'il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'affaire, de condamner la société entreprise Jean LEFEBVRE à verser la somme de 4 000 francs à la ville de GRASSE au titre de l'article L. 8-1 et de rejeter, par contre, les conclusions présentées à ce titre par la société OTH-MEDITERRANEE et dirigées solidairement contre l'entreprise Jean LEFEBVRE et M. Y... ;
Article 1er : La requête présentée par la S.A. entreprise Jean LEFEBVRE, ensemble les conclusions d'appel présentées par la ville de GRASSE et M. Y... sont rejetées.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Nice du 19 mai 1992 est annulé en tant qu'il porte condamnation de la société OTH-MEDITERRANEE à indemniser la ville de GRASSE et à garantir M. Y... des condamnations prononcées contre lui.
Article 3 : La S.A. OTH-MEDITERRANEE est condamnée, solidairement avec la société entreprise Jean LEFEBVRE et M. Y..., à verser à la commune de GRASSE la somme de 568 250,72 francs, majorée des intérêts au taux légal à compter du 26 juin 1987.
Article 4 : Les frais de l'expertise diligentée en référé, et liquidés par l'ordonnance du président du tribunal administratif de Nice en date du 10 décembre 1984, sont mis, à concurrence de 90 %, à la charge de la société OTH-MEDITERRANEE solidairement avec la société entreprise Jean LEFEBVRE et M. Y....
Article 5 : La société OTH-MEDITERRANEE garantira l'architecte M. Y... à concurrence de 30 % des condamnations prononcées à son encontre par le jugement du tribunal administratif de Nice.
Article 6 : Le surplus de la demande dirigée contre la société OTH-MEDITERRANEE présentée devant le tribunal administratif de Nice par la ville de GRASSE, ensemble le surplus des conclusions d'appel de la société OTH-MEDITERRANEE sont rejetés.
Article 7 : La société entreprise Jean LEFEBVRE est condamnée à verser à la ville de GRASSE la somme de 4 000 francs au titre de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.