Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour le 12 juin 1992, présentée pour M. Y... demeurant Mas Grand Antonelle, quartier de Gageron, 13200, Arles, par Me X..., avocat ;
M. Y... demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement en date du 21 avril 1992 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser la somme de 97 973, 89 francs en réparation du préjudice causé à ses rizières du fait des migrations de flamants roses ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser cette somme, ainsi que celle de 8 000 francs au titre des frais irrépétibles ; Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature ;
Vu le décret n° 77-1295 du 25 novembre 1977 pris pour l'application des articles 3 et 4 de la loi susvisée ;
Vu la liste des mammifères protégés sur l'ensemble du territoire arrêtée le 17 avril 1981 par le ministre de l'environnement et du cadre de vie et le ministre de l'agriculture ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 18 janvier 1994 :
- le rapport de M. GAILLETON, conseiller ;
- et les conclusions de M. RICHER, commissaire du gouvernement ;
Considérant que l'article 3 de la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature interdit notamment, lorsqu'un intérêt scientifique particulier ou que les nécessités de la préservation du patrimoine biologique national justifient la conservation d'espèces animales non domestiques, la destruction, la capture ou l'enlèvement d'animaux de ces espèces ; qu'en vertu du décret n° 77-1295 du 25 novembre 1977 et de l'arrêté interministériel du 17 avril 1981, pris pour leur application, ces dispositions concernent les flamants roses sur l'ensemble du territoire nationale ; qu'alors même que la préservation des espèces animales répond, en vertu de l'article 1er de la loi susmentionnée, à un intérêt général, rien dans le texte même de la loi ou dans ses travaux préparatoires ne permet de penser que le législateur ait entendu exclure la responsabilité de l'Etat à raison des conséquences dommageables que lesdits textes étaient susceptibles de comporter pour les cultures exposées aux dégâts causés par les espèces animales protégées ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que les règles de protection ainsi édictées en faveur des flamants roses ont mis M. Y..., exploitant agricole en Camargue, dans l'impossibilité de procéder à la destruction, capture ou enlèvement des peuplements de cette espèce qui envahissent désormais périodiquement ses rizières en causant des dommages aux semis ; que seules ces mesures auraient été à même d'organiser une lutte efficace contre cet envahissement, les dispositifs d'effarouchement s'avèrant en effet peu efficaces en raison de l'accoutumance des animaux ; que, par suite, les pertes de récolte résultant de cette situation constituent pour l'intéressé une charge qui ne lui incombe pas normalement ; que cette charge, qui est la conséquence directe, mais non voulue, d'une mesure édictée par le législateur dans un intérêt général, doit être supportée par la collectivité ; qu'il n'est toutefois pas suffisamment établi par les pièces du dossier que les dommages occasionnés aux rizières de M. Y... soient la conséquence exclusive de la présence des flamants roses sur ses terres ; qu'il sera fait, par suite, une juste appréciation du préjudice dont M. Y... est fondé à demander réparation à l'Etat en le fixant à la somme de 40 000 francs ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. Y... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions tendant à l'allocation de sommes non comprises dans les dépens :
Considérant qu'aux termes de l'article L 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel : "Dans toutes les instances devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée ..." ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions précitées, de condamner l'Etat à payer à M. Y... la somme de 4 000 francs ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille en date du 21 avril 1992 est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. Y... la somme de 40 000 francs en réparation de son préjudice, ainsi qu'une somme de 4 000 francs au titre de l'article L 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. Y... est rejeté.