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27/02/1990 | FRANCE | N°89LY00377;89LY00378;89LY00409

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 3e chambre, 27 février 1990, 89LY00377, 89LY00378 et 89LY00409


Vu les ordonnances en date du 2 janvier 1989 par lesquelles le président de la 1ère sous-section de la section du contentieux du Conseil d'Etat a transmis les dossiers des requêtes ci-après visées à la cour administrative d'appel de Lyon ;
Vu 1°) la requête sommaire enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 8 juillet 1987 et le mémoire complémentaire enregistré le 9 novembre 1987, présentés pour la société anonyme SOCOTEC, dont le siège est situé ..., par Me Alain-François ROGER, avocat au Conseil d'Etat et à la cour de cassation, et tendant :

1°) à l'annulation du jugement du 7 mai 1987 par lequel le tribunal admini...

Vu les ordonnances en date du 2 janvier 1989 par lesquelles le président de la 1ère sous-section de la section du contentieux du Conseil d'Etat a transmis les dossiers des requêtes ci-après visées à la cour administrative d'appel de Lyon ;
Vu 1°) la requête sommaire enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 8 juillet 1987 et le mémoire complémentaire enregistré le 9 novembre 1987, présentés pour la société anonyme SOCOTEC, dont le siège est situé ..., par Me Alain-François ROGER, avocat au Conseil d'Etat et à la cour de cassation, et tendant :
1°) à l'annulation du jugement du 7 mai 1987 par lequel le tribunal administratif de MARSEILLE l'a condamnée solidairement avec la société SOBEA et les architectes Y... et X... à payer à la compagnie d'assurances WINTERTHUR, assureur et subrogée dans les droits de la commune de Peyrolles-en-Provence, la somme de 14 000 000 francs majorée des intérêts, en réparation du préjudice subi par ladite commune à la suite de la destruction par explosion le 20 septembre 1981 d'un collège dont les travaux de construction avaient été réceptionnés le 4 mai précédent, d'autre part, à garantir la société SOBEA et les architectes Y... et X... à concurrence de 30 % de la condamnation totale,
2°) au rejet de la demande présentée par la compagnie d'assurances Winterthur devant le tribunal administratif de MARSEILLE,
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience du 6 février 1990 :
- le rapport de M. JANNIN, président-rapporteur ;
- les observations de Me ROGER, avocat de SOCOTEC, de Me GOUTET, avocat de la compagnie d'assurances la Winterthur, de la S.C.P. GUIGUET, BACHELLIER, de LA VARDE, avocat de la société Air Liquide, de la S.C.P. MASSE-DESSEN, GEORGES, THOUVENIN, avocat de la société SOGEA.
- et les conclusions de M. RICHER, commissaire du gouvernement ;

Considérant que les requêtes de la société anonyme SOCOTEC, de la société anonyme SOGEA et de MM. Y... et X... sont dirigées contre un même jugement du tribunal administratif de MARSEILLE en date du 7 mai 1987 ; qu'il y a lieu de les joindre pour y être statué par une seule décision ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant, d'une part, que le moyen tiré par la société SOGEA de ce que le jugement attaqué n'aurait pas répondu à certains des moyens qu'elle avait invoqués en première instance et n'aurait pas statué sur certaines de ses conclusions, qui n'est d'ailleurs assorti d'aucune précision, manque en fait ;
Considérant, d'autre part, que si la SOCOTEC soutient qu'elle n'aurait pas reçu communication de certains dires et de diverses pièces produits par les parties, ainsi que de procès-verbaux d'auditions auxquelles les experts désignés en première instance auraient procédé hors de sa présence, il n'est pas établi que ces documents auraient comporté des informations dont les experts auraient tenu compte pour former leur conviction et qui n'auraient pas figuré dans d'autres pièces ayant fait l'objet d'une discussion contradictoire ; que la SOCOTEC n'est, dès lors, pas fondée à soutenir que le jugement attaqué aurait été rendu au vu d'une expertise irrégulière ;
Sur la recevabilité de la demande de première instance :

Considérant que, par convention en date du 31 décembre 1979, la commune de Peyrolles-en-Provence a confié à l'Etat la direction et la responsabilité des travaux de construction d'un collège ; qu'en vertu de l'article 7 de cette convention, il appartenait au directeur départemental de l'équipement des Bouches-du-Rhône, en sa qualité de personne responsable du marché, de prononcer la réception des travaux et d'adresser au représentant de la collectivité locale l'ampliation du procès-verbal correspondant, l'envoi de cette ampliation valant quitus pour l'Etat de son mandat de construire ; que s'il était précisé qu'à compter de la date de cet envoi la collectivité locale avait seule qualité pour mettre en cause, le cas échéant, la responsabilité de l'entreprise et du concepteur dans le cadre de la garantie décennale, cette stipulation n'a eu ni pour objet ni pour effet de subordonner la recevabilité d'une action en garantie décennale exercée par la commune à l'encontre des constructeurs à l'envoi du procès-verbal de réception par le directeur départemental de l'équipement ; qu'à compter de la réception des travaux qui a été prononcée par le directeur départemental de l'équipement le 8 juillet 1981, la mission qui avait été confiée à l'Etat par la convention était achevée et la commune, alors même qu'elle n'aurait pas donné quitus à l'Etat, avait seule qualité pour intenter contre les constructeurs une action en responsabilité décennale ; qu'il s'ensuit que le moyen tiré de ce que, en l'absence d'envoi du procès-verbal de réception par le directeur départemental de l'équipement à la commune, la compagnie d'assurances Winterthur, agissant comme subrogée dans les droits de la commune de Peyrolles, aurait été sans qualité pour rechercher devant le tribunal administratif la responsabilité décennale de la SOCOTEC, de la SOBEA, aux droits et obligations de laquelle vient la SOGEA, et des architectes Y... et X... doit être écarté ;
Sur les responsabilités :
Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport des deux experts désignés en première instance que l'explosion qui a entièrement détruit le collège de Peyrolles le 20 septembre 1981 a pour origine une fuite de gaz propane provenant du défaut d'usinage d'une canalisation enterrée posée par la société Albouy, sous-traitante de la SOBEA, entreprise chargée de l'ensemble de la construction de l'ouvrage ; que le gaz ainsi libéré s'est accumulé dans un vide sanitaire insuffisamment ventilé, qui avait été conçu par les architectes Y... et X... en fonction d'une installation de chauffage fonctionnant au gaz naturel et non au propane ; que ces malfaçons n'avaient pas été décelées par la société SOCOTEC, dont la mission de contrôle technique concernait notamment les canalisations de gaz et le vide sanitaire ; qu'ainsi l'imputabilité commune du sinistre à la SOBEA, aux architectes Y... et X... et à la SOCOTEC justifie que la responsabilité des uns et des autres soit solidairement engagée envers la commune de Peyrolles, maître d'ouvrage, sur le fondement des principes dont s'inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil ;

Considérant que, par une "convention de fourniture de gaz de pétrole liquéfiés en vrac" établie le 23 avril 1980 et signée le 16 juin 1980, la société l'Air Liquide s'est engagée envers la commune de Peyrolles à mettre en dépôt auprès du collège un matériel de stockage de gaz demeurant sa propriété et à livrer périodiquement les quantités de propane nécessaires au chauffage de l'établissement ; que cette convention, qui n'était pas un marché de travaux publics, n'a pas conféré la qualité de constructeur à la société l'Air Liquide ; qu'elle ne comportait aucune clause exorbitante du droit commun et a revêtu le caractère d'un contrat de droit privé ; qu'ainsi les conclusions de la compagnie Winterthur, d'ailleurs présentées pour la première fois en appel, qui tendent à la mise en jeu de la responsabilité de la société l'Air Liquide à raison de diverses fautes de ladite société qui auraient concouru à la réalisation du sinistre ne peuvent qu'être rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître ;
Considérant que le constructeur dont la responsabilité est recherchée en application des principes dont s'inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil n'est fondé à se prévaloir vis-à-vis du maître de l'ouvrage de l'imputabilité à un autre cocontractant dudit maître d'ouvrage de tout ou partie des désordres litigieux, et à demander en conséquence que sa responsabilité soit écartée ou limitée, que dans la mesure où ces désordres ne lui sont pas également imputables ; qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la SOBEA et la SOCOTEC ont concouru à la réalisation du sinistre et ne sauraient, dès lors, se prévaloir de ce que ledit sinistre serait également imputable à la société l'Air Liquide pour demander à être exonérées en tout ou en partie de la responsabilité qui leur incombe envers la commune de Peyrolles ;
Considérant, en revanche, que la responsabilité des constructeurs peut être atténuée par les fautes commises par le maître d'ouvrage ou le maître d'ouvrage délégué ; qu'en l'espèce, en n'imposant pas aux architectes de revoir la conception du vide sanitaire pour tenir compte de la substitution du gaz propane au gaz naturel, les services de l'Etat, maître d'ouvrage délégué, ont commis une faute de nature à exonérer les constructeurs d'une partie de leur responsabilité ; que les premiers juges n'ont pas fait une inexacte appréciation des circonstances de l'espèce en limitant, compte tenu de cette faute dont les conséquences sont opposables au maître d'ouvrage, l'indemnité due à la compagnie Winterthur par la SOBEA, la SOCOTEC et MM. Y... et X... aux 4/5 des 17 500 000 francs dont elle demandait l'octroi ;
Considérant que la compagnie Winterthur, qui agit comme subrogée dans les droits de la commune de Peyrolles, ne peut prétendre être indemnisée par les constructeurs que dans la limite des sommes qu'elle a effectivement payées à ladite commune ; qu'elle n'établit pas et n'allègue d'ailleurs pas avoir versé à la commune une somme supérieure à 17 500 000 francs ; que ses conclusions tendant au remboursement de sommes complémentaires qu'elle pourrait éventuellement être appelée à payer à la commune en vertu de son contrat d'assurance ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées ;
Sur les appels en garantie :

Considérant, d'une part, que la SOBEA, la SOCOTEC et MM. Y... et X... ont demandé à être garantis les uns par les autres ; que la charge définitive de la condamnation solidaire prononcée contre eux devra être répartie en proportion de l'importance respective des fautes retenues à la charge de chacun ; qu'ainsi la SOBEA, dont la sous-traitante, la société Albouy, a posé une canalisation comportant une grave défectuosité d'usinage, devra supporter 60 % de cette condamnation ; que MM. Y... et X..., qui n'ont pas tenu compte, dans la conception du vide sanitaire, des risques particuliers que présentait un chauffage au propane, supporteront 20 % de la condamnation totale ; qu'enfin, si aucune faute n'est établie à la charge de la SOCOTEC dans le contrôle qu'elle a exercé sur la canalisation fuyarde, elle devra cependant supporter comme les architectes 20 % de la condamnation totale, eu égard à l'insuffisance de son contrôle sur la conception du vide sanitaire ; que le jugement attaqué devra être réformé en ce sens ;
Considérant, d'autre part, que le contrat unissant la commune de Peyrolles et la société l'Air Liquide étant, comme il a été dit ci-dessus, un contrat de droit privé, les appels en garantie dirigés par la SOGEA et la SOCOTEC contre la société l'Air Liquide ne peuvent qu'être rejetés comme portés devant une juridiction incompétente pour en connaître ;
Article 1er : La charge définitive de la condamnation solidaire prononcée par le jugement du tribunal administratif de MARSEILLE en date du 7 mai 1987 à l'encontre de la SOBEA, de la SOCOTEC et de MM. Y... et X... incombera à raison de 60 % à la SOBEA, 20 % à la SOCOTEC et 20 % à MM. Y... et X....
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de MARSEILLE du 7 mai 1987 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 3 : Les requêtes de la SOGEA, de la SOCOTEC et de MM. Y... et X... sont rejetées, ainsi que le surplus des appels incidents de la SOCOTEC et les appels incidents et provoqué de la compagnie Winterthur.


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 3e chambre
Numéro d'arrêt : 89LY00377;89LY00378;89LY00409
Date de la décision : 27/02/1990
Sens de l'arrêt : Réformation
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

MARCHES ET CONTRATS ADMINISTRATIFS - NOTION DE CONTRAT ADMINISTRATIF - NATURE DU CONTRAT - CONTRATS N'AYANT PAS UN CARACTERE ADMINISTRATIF - CONTRATS NE CONCERNANT PAS DIRECTEMENT L'EXECUTION D'UN SERVICE PUBLIC ET NE CONTENANT PAS DE CLAUSES EXORBITANTES DU DROIT COMMUN - CONTRATS NE CONTENANT PAS DE CLAUSES EXORBITANTES - Contrat de fourniture de gaz.

39-01-02-02-02-01 A le caractère d'un contrat de droit privé la "convention de fourniture de gaz de pétrole liquéfié en vrac" par laquelle la société l'Air liquide s'est engagée envers une commune à mettre en dépt auprès d'un collège un matériel de stockage de gaz demeurant sa propriété et à livrer périodiquement les quantités de propane nécessaires au chauffage de l'établissement dès lors que la convention, qui n'est pas un marché de travaux publics, ne comporte aucune clause exorbitante du droit commun.

- RJ1 MARCHES ET CONTRATS ADMINISTRATIFS - RAPPORTS ENTRE L'ARCHITECTE - L'ENTREPRENEUR ET LE MAITRE DE L'OUVRAGE - RESPONSABILITE DES CONSTRUCTEURS A L'EGARD DU MAITRE DE L'OUVRAGE - RESPONSABILITE DECENNALE - QUALITE POUR LA METTRE EN JEU - Existence - Mise en jeu de la responsabilité décennale par le maître de l'ouvrage - Ouvrage réalisé par l'Etat pour le compte d'une commune et ayant fait l'objet d'une réception définitive - Commune ayant qualité pour exercer l'octroi en garantie décennale - nonobstant l'absence de quitus donné à l'Etat (1).

39-06-01-04-01 Par convention du 31 décembre 1979, la commune de Peyrolles-en-Provence a confié à l'Etat la direction et la responsabilité des travaux de construction d'un collège. En vertu de l'article 7 de cette convention, il appartenait au directeur départemental de l'équipement des Bouches-du-Rhne, en sa qualité de personne responsable du marché, de prononcer la réception des travaux et d'adresser au représentant de la collectivité locale l'ampliation du procès-verbal correspondant, l'envoi de cette ampliation valant quitus pour l'Etat de son mandat de construire. S'il était précisé qu'à compter de la date de cet envoi la collectivité locale avait seule qualité pour mettre en cause, le cas échéant, la responsabilité de l'entreprise et du concepteur dans le cadre de la garantie décennale, cette stipulation n'a eu ni pour objet ni pour effet de subordonner la recevabilité d'une action en garantie décennale exercée par la commune à l'encontre des constructeurs à l'envoi du procès-verbal de réception par le directeur départemental de l'équipement. A compter de la réception des travaux qui a été prononcée par le directeur départemental de l'équipement le 8 juillet 1981, la mission qui avait été confiée à l'Etat par la convention était achevée et la commune, alors même qu'elle n'aurait pas donné quitus à l'Etat, avait seule qualité pour intenter contre les constructeurs une action en responsabilité décennale.

MARCHES ET CONTRATS ADMINISTRATIFS - RAPPORTS ENTRE L'ARCHITECTE - L'ENTREPRENEUR ET LE MAITRE DE L'OUVRAGE - RESPONSABILITE DES CONSTRUCTEURS A L'EGARD DU MAITRE DE L'OUVRAGE - ACTIONS EN GARANTIE - Compétence du juge administratif - Absence - Action en garantie d'un constructeur contre un cocontractant lié au maître de l'ouvrage par un contrat de droit privé.

39-06-01-06 Rejet comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître de l'action en garantie exercée par un constructeur à l'encontre d'un autre co-contractant (en l'espèce fournisseur) du maître de l'ouvrage lié à ce dernier par un contrat de droit privé.


Références :

Code civil 1792, 2270

1.

Cf. CE, 1982-03-05, Ministre de l'éducation c/ Ringuez, p. 103


Composition du Tribunal
Président : M. Gentot
Rapporteur ?: M. Jannin
Rapporteur public ?: M. Richer

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;1990-02-27;89ly00377 ?
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