Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société CLM consulting a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler la décision par laquelle la ministre des armées a implicitement rejeté sa demande du 24 novembre 2020 présentée sur le fondement de l'article R. 2332-5 du code de la défense et tendant à la délivrance d'une autorisation d'intermédiation de matériels de guerre de catégorie A2 relevant des 4°, 5°, 6°, 9° de l'article R. 311-2 du code de la sécurité intérieure, ensemble la décision expresse de rejet de son recours gracieux du 8 novembre 2021.
Par un jugement n° 2201977 du 14 juin 2024, le tribunal administratif de Rouen a fait droit à sa demande et a enjoint à l'Etat de réexaminer sa demande d'autorisation.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 13 août 2024, le ministre des armées demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande de la société CLM consulting.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a retenu le moyen tiré de l'absence de valeur de la note blanche élaborée par les services de renseignement dès lors que la société CLM consulting n'a apporté aucun élément de nature à contester sérieusement les renseignements circonstanciés qui y figurent ;
- le refus litigieux est fondé sur des motifs d'ordre public et de sécurité nationale avérés et dont la réalité est notamment établie par une seconde note blanche, tenant à l'exercice d'une activité d'intermédiation sans disposer de l'autorisation adéquate, du lobbying opéré au profit d'une société étrangère et du risque de fuites d'informations sensibles ;
- il s'en rapporte à ses écritures de première instance en ce qui concerne les autres moyens soulevés dans la demande de première instance.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 mars 2025, la société par action simplifiée à associé unique CLM consulting, représentée par Me Beaulac, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par le ministre des armées ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la défense ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 ;
- le décret n° 2014-1285 du 23 octobre 2014 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C...,
- les conclusions de Mme Regnier, rapporteure publique,
- et les observations de M. A..., représentant le ministre des armées et de Me Beaulac, représentant la société CLM consulting.
Une note en délibéré présentée par le ministre des armées a été enregistrée le 26 juin 2025.
Considérant ce qui suit :
1. Par sa requête, le ministre des armées relève appel du jugement n° 2201977 du 14 juin 2024 par lequel le tribunal administratif de Rouen a annulé sa décision portant rejet de la demande présentée par la société CLM consulting le 24 novembre 2020 sur le fondement des dispositions de l'article R. 2332-5 du code de la défense en vue de la délivrance d'une autorisation d'intermédiation de matériels de guerre de catégorie A2 relevant des 4°, 5°, 6°, 9° de l'article R. 311-2 du code de la sécurité intérieure, ensemble sa décision du 8 novembre 2021 rejetant le recours gracieux de la société.
Sur le moyen retenu par les premiers juges :
2. Aux termes du I de l'article L. 2332-1 du code de la défense : " Les entreprises qui se livrent à la fabrication ou au commerce de matériels de guerre, armes, munitions et de leurs éléments relevant des catégories A et B mentionnées à l'article L. 2331-1 ou qui utilisent ou exploitent, dans le cadre de services qu'elles fournissent, des matériels de guerre et matériels assimilés figurant sur la liste mentionnée au second alinéa de l'article L. 2335-2 ne peuvent fonctionner et l'activité de leurs intermédiaires ou agents de publicité ne peut s'exercer qu'après autorisation de l'Etat et sous son contrôle ". Aux termes de l'article R. 2332-5 de ce code, dans sa version applicable au litige : " Sont soumis à autorisation du ministre de la défense : / 1° La fabrication, le commerce et l'activité d'intermédiation de matériels de guerre de la catégorie A2, comprenant notamment : / (...) / c) Toute activité d'intermédiation, au sens du 1° du III de l'article R. 311-1 du code de la sécurité intérieure, concernant des matériels de guerre de la catégorie A2 (...) ". Aux termes de l'article R. 311-1 du code de la sécurité intérieure : " 1° Activité d'intermédiation : toute opération à caractère commercial ou à but lucratif dont l'objet consiste, en tout ou partie : / a) A rapprocher des personnes souhaitant conclure un contrat d'achat ou de vente, de prêt ou de location-vente de matériels de guerre, d'armes et de munitions, ou à conclure un tel contrat pour le compte d'une des parties ; / (...) Cette opération d'intermédiation faite au profit de toute personne quel que soit le lieu de son établissement prend la forme d'une opération de courtage ou celle d'une opération faisant l'objet d'un mandat particulier ou d'un contrat de commission (...) ". Enfin aux termes de l'article R. 2332-7 du code de la défense : " L'autorisation peut être refusée pour des raisons d'ordre public ou de sécurité nationale. Dans ce cas, le ministre de la défense en informe le ministre de l'intérieur ".
3. En l'espèce, la société CLM consulting a, par une demande présentée au titre des dispositions précitées de l'article R. 2332-5 du code de la défense le 24 novembre 2020, sollicité auprès du ministre des armées la délivrance d'une autorisation afin d'exercer une activité d'intermédiation concernant des matériels de guerre A2 relevant des 4°, 5°, 6° et 9° de l'article R. 311-2 du code de la sécurité intérieure. En application des dispositions du décret du 23 octobre 2014 relatif aux exceptions à l'application du principe " silence vaut acceptation ", sur le fondement du 4° du I de l'article 21 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, ainsi qu'aux exceptions au délai de deux mois de naissance des décisions implicites, sur le fondement du II de cet article et notamment celles de l'annexe de ce décret, cette demande a été implicitement rejetée par une décision née du silence gardé par l'administration pendant une période de neuf mois. Le recours gracieux exercé le 20 octobre 2021 par la société CLM consulting a fait l'objet d'une décision expresse de rejet en date du 8 novembre 2021. Ce refus, pris pour l'application des dispositions précitées de l'article R. 2332-7 du code de la défense, est fondé, eu égard aux écritures du ministre des armées produites dans le cadre de l'instance, sur des raisons d'ordre public ou de sécurité nationale qui tiennent à l'exercice par la société CLM consulting pendant plusieurs années d'une activité d'intermédiation sans disposer de l'autorisation adéquate, aux conditions dans lesquelles la société exerce ses activités à travers la personne de son dirigeant en tant qu'il mobilise ses relations au sein de l'armée française et au risque de fuites d'informations sensibles au bénéfice d'une société étrangère.
4. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que la société CLM consulting, créée le 9 juillet 2003 par M. B..., général de brigade retraité de l'armée de l'air depuis 1992 et qui en est le président, réalise notamment la promotion auprès des autorités françaises de matériels de guerre conçus par la société américaine Lockheed Martin, contre rémunération par celle-ci. La société CLM consulting a ainsi conclu avec la division aéronautique de cette société, en 2004, un contrat en vue de faire la promotion de l'avion de transport tactique C-130J puis en 2006, un contrat avec la division Missile et Fire Control de cette même société en vue de promouvoir certains de ses missiles. Dans ce cadre, la société CLM consulting fait valoir qu'elle n'a exercé qu'une simple fonction de consultant auprès des différentes entités de la société Lockheed Martin et qui se distinguerait de l'activité d'intermédiation telle que prévues par les dispositions précitées du code de la sécurité intérieure en tant qu'elle s'est bornée à assurer " une mission uniquement relationnelle d'écoute et de dialogue pour répondre au mieux aux besoins opérationnels des armées " et qu'elle est avant toute chose un " facilitateur ". Toutefois, il ressort des pièces du dossier que les activités que la société CLM consulting a pu mener depuis sa création, qui visent expressément à permettre un rapprochement entre la société Lockheed Martin et les autorités françaises compétentes en matière d'armement militaires afin que celles-ci privilégient l'acquisition du matériel de cette société caractérisent l'existence d'une activité d'intermédiation au sens des dispositions précitées des codes de la défense et de la sécurité intérieure. La société n'a déposé sa première demande d'autorisation d'exercer une telle activité que le 24 novembre 2020. Il ressort toutefois des pièces du dossier que par un courriel de son président du 16 février 2010, elle avait sollicité des renseignements auprès de la direction générale de l'armement afin de déterminer si son activité relevait d'un tel régime d'autorisation. Si elle s'est alors présentée comme un consultant de la société Lockheed Martin, elle a expressément mentionné que l'objet de son activité était de faciliter les contacts entre l'Etat français et différentes entités de cette société Lockeed Martin, et il n'apparaît pas, contrairement à ce que fait valoir le ministre des armées, qu'elle aurait à cette occasion communiqué à l'administration des informations inexactes quant à son activité. Au demeurant, l'administration avait été informée dès le 30 novembre 2004 par la société Lockeed Martin, par le biais de quatre courriers distincts et adressés au délégué général de l'armement, au chef d'état-major de l'armée de l'air, au chef de la division " Plans-Programmes-Evaluation " de l'Etat-Major des armées et au directeur du cabinet militaire du ministre en charge de la défense, qu'elle entendait recourir aux services de la société CLM consulting afin de " faciliter la communication et la compréhension réciproque " entre elle-même et l'administration française. La société a réitéré de telles mentions dans un courrier du 16 octobre 2006 adressé aux mêmes interlocuteurs et visant spécifiquement le recours aux services de la société CLM consulting en ce qui concerne la promotion d'un système d'armement déterminé de type missile. A la suite du courriel du 16 février 2010, l'administration saisie n'a sollicité la communication d'aucune information complémentaire auprès de la société CLM consulting quant à la nature de son activité et en réponse à la demande de renseignements qui lui a été présentée, l'officier en chef de l'armement et chef du bureau " Réglementation des matériels de guerre, double usage et de la sécurité industrielle " de la direction générale de l'armement a indiqué, au vu des éléments fournis, que l'activité exercée par la société ne nécessitait pas la détention d'une autorisation. Le courriel envoyé le 5 juin 2020 par l'administration au président de la société ne constitue par ailleurs pas un rappel à la règlementation mais une demande d'information sur les éventuelles évolutions de la nature de l'activité de la société CLM consulting et qui a abouti à la demande d'autorisation présentée le 24 novembre 2020. Il ne ressort en outre pas des seules pièces du dossier que, postérieurement au dépôt de cette demande et durant l'instruction de celle-ci et alors qu'elle était informée de la nécessité d'en disposer pour poursuivre ses activités d'intermédiation, la société CLM consulting aurait poursuivi de telles activités, les mentions de la seconde note blanche quant à des visites de responsables des programmes de la société Lockheed Martin les 2 et 3 septembre 2021 sur les bases aériennes d'Evreux et d'Orléans à l'occasion des cérémonies de prise de commandement ainsi que sur des renseignements qui auraient été pris dans le courant de l'année 2021 à propos de la révision de la loi de programmation militaire, du futur de la flotte de transport française ainsi que sur l'armement de certains hélicoptères étant insuffisamment précises pour étayer valablement ce point. Dans ces conditions particulières, pour refuser de délivrer l'autorisation demandée, le ministre des armées ne pouvait se fonder sur l'exercice par la société CLM consulting d'une activité d'intermédiation sans disposer au préalable de l'autorisation requise et sur l'absence de démarche de la société avant le 24 novembre 2020 pour la solliciter.
5. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier et notamment des deux notes blanches produite par le ministre des armées, que dans le cadre des prestations réalisées au profit de la société Lockheed Martin et en vue de favoriser les intérêts de celle-ci, la société CLM consulting a pu organiser des déplacements en France de représentants de la société américaine afin de les mettre en relation avec certaines autorités relevant du ministère en charge de la défense. Ainsi, le 5 septembre 2019, lors de la cérémonie de prise de commandement de la base aérienne d'Evreux, son président, M. B..., a pu organiser la rencontre entre deux responsables de la division aéronautique de la société Lockheed Martin et le nouveau commandant de base, le nouveau commandant des forces spéciales ainsi que l'adjoint du chef d'état-major des forces aériennes. Au cours du mois de novembre 2019, il a organisé une visite d'une semaine sur plusieurs sites d'intérêt militaire au profit de représentants de la société américaine. Il apparaît en outre que le président de la société CLM consulting était présent sur le stand de la société Lockheed Martin lors de l'édition 2019 du salon international de l'aéronautique et de l'espace qui s'est tenu au Bourget et qu'il a pu être présent lors d'un déplacement d'autorités militaires françaises aux Etats-Unis en février 2020 à l'occasion de la livraison d'un avion de type C-130J. Toutefois, au vu des seules activités auxquelles se livre la société CLM consulting en faveur de la société Lockheed Martin, la circonstance qu'elle puisse s'appuyer sur la connaissance de M. B... de l'armée française, son expérience au sein de celle-ci, qu'il a au demeurant quittée il y a près de trente ans à la date de la décision implicite de rejet litigieuse, et les contacts qu'il est susceptible d'y entretenir pour les développer ne sauraient par eux-mêmes caractériser l'existence d'un risque pour l'ordre public ou la sécurité nationale au sens de l'article R. 2332-7 du code de la défense, quand bien même la société CLM consulting ne se serait par ailleurs pas déclarée auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique en application des dispositions de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.
6. En dernier lieu, il ressort des pièces du dossier et notamment des notes blanches produites par le ministre des armées, qu'au cours du mois de décembre 2018, la société CLM consulting a pu se procurer auprès de ses interlocuteurs au sein du ministère en charge de la défense le compte-rendu d'une réunion d'un comité interministériel relatif à un programme de modernisation de l'armement d'hélicoptères Tigre. M. B... s'est en outre préoccupé des futurs changements résultant de la révision de la loi de programmation militaire à propos notamment de l'évolution de la flotte de transport française et de l'armement des hélicoptères utilisés par l'armée de l'air. Il n'est toutefois pas établi que les informations ainsi recueillies auraient fait l'objet d'une communication auprès de la société américaine pour le compte de laquelle la société CLM consulting travaille ni qu'auraient été mises à dispositions de celle-là des informations sensibles et dont la diffusion serait de nature à porter atteinte à la sécurité nationale au sens de l'article R. 2332-7 du code de la défense ou à conférer à la société américaine des avantages compétitifs. La rédaction de diverses études ou mémos par M. B... n'a, quant à elle, été réalisée qu'au regard de données librement accessibles ainsi que le fait valoir l'intéressé sans être sérieusement contesté. Ainsi, les seules énonciations des notes blanches produites par le ministre des armées ne sont pas suffisamment circonstanciées pour considérer que l'activité de la société CLM consulting risquerait de compromettre l'ordre public ou la sécurité nationale au sens de l'article R. 2332-7 du code de la défense.
7. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre des armées n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 14 juin 2024, le tribunal administratif de Rouen a annulé sa décision rejetant implicitement la demande présentée par la société CLM consulting le 24 novembre 2020 sur le fondement des dispositions de l'article R. 2332-5 du code de la défense des 25 août 2021 ainsi que sa décision 8 novembre 2021 portant rejet du recours gracieux de la société.
Sur les frais liés au litige :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à la société CLM consulting au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre des armées est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à la société CLM consulting une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre des armées et à la société CLM consulting.
Délibéré après l'audience publique du 24 juin 2025 à laquelle siégeaient :
- M. Benoît Chevaldonnet, président de chambre,
- M. Laurent Delahaye, président-assesseur,
- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 juillet 2025.
Le rapporteur,
Signé : G. C...Le président de chambre,
Signé : B. Chevaldonnet
La greffière,
Signé : A-S. Villette
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
par délégation,
La greffière
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N°24DA01683