Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... C... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 3 juin 2024 par lequel le préfet de la Seine-Maritime l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourrait être renvoyé en cas d'exécution d'office de la mesure d'éloignement et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an, ainsi que l'arrêté du 3 juin 2024 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a décidé son assignation à résidence.
Par un jugement n° 2402149 du 8 juin 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 3 juin 2024 en tant que, par cet arrêté, le préfet de la Seine-Maritime a refusé l'octroi d'un délai de départ volontaire à M. A..., lui a interdit le retour sur le territoire français et a fixé le pays de destination, ainsi que l'arrêté du 3 juin 2024 assignant M. A... à résidence.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 8 juillet 2024, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour d'annuler ce jugement du 8 juin 2024 en tant qu'il annule ses décisions du 3 juin 2024 et de rejeter les conclusions présentées par M. A... contre ces mêmes décisions devant le tribunal administratif de Rouen.
Il soutient que :
- la décision refusant un délai de départ volontaire à M. A... ne méconnaît par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que l'intéressé ne justifie pas être dépourvu de toute attache dans son pays d'origine, qu'il est en situation irrégulière, qu'il ne présente aucune insertion sociale, qu'il n'établit pas l'ancienneté et la stabilité des liens qu'il dit entretenir avec sa conjointe et leur enfant et qu'il représente une menace grave pour l'ordre public ;
- la décision fixant le pays de renvoi ne méconnaît pas l'article 3 de la convention précitée en l'absence de tout élément apporté par M. A... sur le risque de subir des traitements inhumains et dégradants.
La requête a été communiquée à M. A... qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Guérin-Lebacq, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant nigérian né le 24 mai 1997, qui indique être entré sur le territoire français le 24 janvier 2005, a fait l'objet d'un contrôle par les services de police le 3 juin 2024. Par deux arrêtés datés du même jour, le préfet de la Seine-Maritime a obligé M. A... à quitter le territoire français sans délai, lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an et a fixé le pays de renvoi de la mesure d'éloignement, et, d'autre part, a décidé de l'assigner à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. Par un jugement du 8 juin 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé le premier arrêté du 3 juin 2024 en tant qu'il refuse d'accorder un délai de départ volontaire à M. A..., lui a interdit le retour sur le territoire français et a fixé le pays de destination, ainsi que le second arrêté du même jour assignant l'intéressé à résidence. Le préfet de la Seine-Maritime relève appel de ce jugement en tant qu'il annule les décisions précitées.
Sur les moyens retenus par le premier juge :
En ce qui concerne les décisions refusant d'accorder un délai de départ volontaire, interdisant le retour sur le territoire français et assignant l'intéressé à résidence :
2. Aux termes de l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de cette décision (...) ". Aux termes de l'article L. 612-2 du même code : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : / 1° Le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ; (...) / 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet ". Aux termes de l'article L. 612-3 de ce code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) / 8° L'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité, qu'il a refusé de communiquer les renseignements permettant d'établir son identité ou sa situation au regard du droit de circulation et de séjour ou a communiqué des renseignements inexacts, qu'il a refusé de se soumettre aux opérations de relevé d'empreintes digitales ou de prise de photographie prévues au 3° de l'article L. 142-1, qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale ou qu'il s'est précédemment soustrait aux obligations prévues aux articles L. 721-6 à L. 721-8, L. 731-1, L. 731-3, L. 733-1 à L. 733-4, L. 733-6, L. 743-13 à L. 743-15 et L. 751-5 ".
3. M. A... soutenait en première instance qu'il était entré en France à l'âge de sept ans, accompagné de ses parents et de sa fratrie, qu'il y séjournait sans discontinuer depuis 2005 sous couvert de la protection subsidiaire accordée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides jusqu'au 21 octobre 2021, qu'il y avait été scolarisé jusqu'à l'obtention d'un certificat d'aptitude professionnelle en travaux publics en 2015, et qu'il avait conclu un contrat d'insertion professionnelle avec la mission locale de l'agglomération rouennaise pour la période du 6 décembre 2016 au 31 octobre 2017. Toutefois, il ressort des pièces du dossier, et notamment des motifs du jugement du 4 avril 2023 rejetant sa demande tendant à l'annulation du refus de séjour pris à son encontre le 13 décembre 2021, que M. A... s'est fait défavorablement connaître des services de police après avoir été mis en cause dans plusieurs délits liés au trafic de stupéfiants, et qu'il a été condamné par le tribunal judiciaire de Rouen, le 12 mai 2020, à une peine de trois ans d'emprisonnement, dont dix-huit mois avec sursis, pour des faits de vol avec violence en récidive ayant entraîné une incapacité temporaire totale supérieure à huit jours, cette condamnation ayant été confirmée par un arrêt de la cour d'appel de Rouen du 9 septembre 2020. Selon les propres déclarations de M. A..., l'Office français de protection des réfugiés et apatrides lui a retiré la protection subsidiaire en raison de ces condamnations pénales. Le préfet de la Seine-Maritime produit en appel la fiche pénale de M. A... dont il ressort qu'il a encore été condamné le 25 février 2022 à une peine de six mois d'emprisonnement pour violence sans incapacité par une personne étant ou ayant été conjoint de la victime, ainsi qu'un extrait du fichier automatisé des empreintes digitales indiquant que l'intéressé a été signalé le 22 mars 2022 par le commissariat de Dieppe pour cession ou offre de stupéfiants. M. A... n'a produit devant le juge aucun élément attestant de la nature et de l'intensité des liens qu'il pourrait entretenir avec les membres de sa famille en France, par ailleurs titulaires du statut de réfugié. Il n'apporte pas non plus à l'instance d'élément justifiant de l'ancienneté et de la stabilité de la relation qu'il dit entretenir avec une ressortissante française, hormis une attestation établie par celle-ci le 5 juin 2024, postérieurement à l'arrêté contesté. Enfin, M. A... n'a versé au dossier aucune pièce de nature à établir sa participation à l'entretien et à l'éducation de son enfant de nationalité française, née le 14 avril 2023. Dans ces conditions, eu égard aux infractions commises par l'intéressé et à l'absence de justification d'une insertion familiale, sociale et professionnelle sur le territoire français, le préfet de la Seine-Maritime n'a pas porté d'atteinte disproportionnée à son droit de mener une vie privée et familiale normale en lui refusant ce délai de départ volontaire. Par ailleurs, M. A..., qui n'a pas produit de mémoire en défense devant la cour, n'a pas contesté devant le premier juge les motifs pris en compte par le préfet pour estimer qu'il existait un risque qu'il se soustraie à la mesure d'éloignement prise à son encontre le 3 juin 2024 et, ainsi, refuser de lui octroyer un délai de départ volontaire.
4. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort que le premier juge a annulé sa décision refusant d'accorder un tel délai et, par voie de conséquence, ses décisions d'interdiction de retour et d'assignation à résidence.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
5. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ".
6. Il ressort des termes de l'arrêté du 3 juin 2024 que le préfet de la Seine-Maritime a fixé le Nigéria comme pays de destination de la mesure d'éloignement après avoir considéré que M. A... n'établit pas être exposé à des peines ou traitements contraires aux stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le préfet soutient, sans être contredit, que l'intéressé n'a pas fait état, lors de son audition par les services de police le 3 juin 2024, du risque de subir des peines et traitements inhumains et dégradants en cas de retour dans son pays d'origine. Dans ces conditions, si M. A... a fait état devant le premier juge de la protection subsidiaire qui lui a été accordée jusqu'en 2021, cette circonstance ne suffit pas à elle seule à démontrer que le préfet aurait omis de procéder à un examen complet de sa situation avant de décider son éloignement à destination du Nigéria. Par suite, le préfet est fondé à soutenir que c'est à tort que le premier juge a annulé sa décision fixant le pays de renvoi de la mesure d'éloignement en raison d'un défaut d'examen.
7. Il appartient à la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, de se prononcer sur les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif de Rouen.
Sur les autres moyens soutenus par M. A... :
8. En premier lieu, il ressort des termes de l'arrêté contesté du 3 juin 2024 que, faisant application du 3° de l'article L. 612-2 et de l'article L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de la Seine-Maritime a, d'une part, refusé d'accorder un délai de départ volontaire à M. A... au motif qu'il existait un risque qu'il se soustraie à la mesure d'éloignement, et, d'autre part, décidé de lui interdire le retour sur le territoire français au motif qu'aucun délai de départ ne lui avait été octroyé. La mesure d'assignation à résidence est fondée sur la circonstance que l'intéressé fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français sans délai, conformément à l'article L. 731-1 du même code. Par suite, M. A... ne peut utilement soutenir que le préfet a commis une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation en retenant qu'il représentait une menace à l'ordre public.
9. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier, eu égard à ce qui a été dit au point 3, que le préfet se serait fondé sur des faits matériellement inexacts en estimant que M. A... ne présentait pas d'insertion sociale particulière.
10. En troisième lieu, il résulte encore de ce qui a été dit au point 3 que M. A... n'est pas fondé à soutenir que les décisions lui refusant un délai de départ volontaire, lui interdisant le retour sur le territoire français pendant un an et l'assignant à résidence méconnaîtraient l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant. Pour les mêmes raisons, M. A... ne justifie pas être éligible de plein droit à la délivrance d'un titre de séjour.
11. En dernier lieu, l'arrêté du 3 juin 2024 assignant M. A... à résidence à l'adresse qu'il a déclaré sur le territoire de la commune du Havre lui impose de se présenter chaque jour de la semaine, du lundi au vendredi, entre 9 heures et 12 heures ou entre 14 heures et 17 heures, dans les locaux de la police des frontières du Havre. L'intéressé, qui indique n'avoir aucune activité professionnelle, ne démontre ni qu'il assurerait la garde de son enfant mineur, ni que cette circonstance, à la supposer avérée, ferait obstacle au respect des mesures précitées, prévues pour le contrôle de l'assignation à résidence.
12. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé les décisions refusant d'accorder un délai de départ volontaire à M. A..., lui interdisant le retour sur le territoire français, fixant le pays de destination et prononçant son assignation à résidence, puis lui a enjoint de procéder au réexamen de la situation de l'intéressé.
DÉCIDE :
Article 1er : Les articles 2, 3 et 4 du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen n° 2402149 du 8 juin 2024 sont annulés.
Article 2 : Les conclusions présentées par M. A... devant le tribunal administratif de Rouen en vue d'obtenir l'annulation des décisions du 3 juin 2024 refusant de lui accorder un délai de départ volontaire, lui interdisant le retour sur le territoire français, fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement et prononçant son assignation à résidence sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. B... C... A....
Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Maritime.
Délibéré après l'audience publique du 17 juin 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- M. Paul Groutsch, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 2 juillet 2025.
Le président-rapporteur,
Signé : J.-M. Guérin-LebacqLa présidente de chambre,
Signé : M.-P. ViardLa greffière,
Signé : C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Par délégation,
La greffière
C. Huls-Carlier
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N° 24DA01302