Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Les sociétés ADL, CIEC Engineering, Gris Souris et Acoustique Bureau Conseil (ABC) Décibel, membres du groupement conjoint chargé de la maîtrise d'œuvre de l'opération de restructuration et d'extension du lycée situé sur le territoire de la commune de Barentin, ont demandé au tribunal administratif de Rouen, d'une part, de condamner la région Normandie à verser, au titre du solde du marché de maîtrise d'œuvre et en réparation de leurs préjudices, la somme totale de 850 063,54 euros à la société ADL, la somme de 66 366,70 à la société Gris Souris, la somme totale de 889 107,91 euros à la société CIEC Engineering et la somme de 4 545 euros à la société ABC Décibel, et, d'autre part, de condamner la région Normandie à verser, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, une provision sur le montant des sommes dues au titre de leurs honoraires d'un montant de 85 655,99 euros pour la société ADL, de 66 366,70 euros pour la société Gris Souris, de 174 559,69 euros pour la société CIEC Engineering et de 4 545 euros pour la société ABC Décibel.
Par un jugement n° 2003456, 2100384, 2101234 du 22 décembre 2023, le tribunal administratif de Rouen a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions des sociétés tendant à obtenir le versement d'une provision, a condamné la région Normandie à verser la somme de 263 624,10 euros toutes taxes comprises à la société ADL, la somme de 51 544,13 euros toutes taxes comprises à la société Gris Souris et la somme de 3 373,05 euros toutes taxes comprises à la société ABC Décibel au titre du solde du marché de maîtrise d'œuvre, ces sommes étant assorties des intérêts moratoires et de la capitalisation de ces intérêts, et a rejeté le surplus des conclusions indemnitaires des sociétés.
Procédure devant la cour :
I. Sous le n° 24DA00355, par une requête enregistrée le 21 février 2024, et un mémoire enregistré le 14 février 2025, la région Normandie, représentée par Me Gey, demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement du 22 décembre 2023 en ce qu'il l'a condamnée à verser une somme supérieure à 194 234,22 euros à la société ADL, la somme de 51 544,13 euros à la société Gris Souris et la somme de 3 373,05 euros à la société ABC Décibel ;
2°) de mettre à la charge de chacune des sociétés ADL, Gris Souris et ABC Décibel une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la demande présentée devant le tribunal administratif en vue du règlement des notes d'honoraires était irrecevable dès lors que le maître de l'ouvrage a établi le décompte général ;
- le solde dû à chacun des titulaires du marché de maîtrise d'œuvre s'établit, après correction du montant de taxe sur la valeur ajoutée, aux sommes de 56 103,52 euros pour la société ADL, 66 661,74 euros pour la société Gris Souris et de 6 049,24 euros pour la société ABC Décibel, ce solde étant négatif en ce qui concerne la société CIEC Engineering à laquelle sont appliquées des pénalités ;
- elle pouvait, avant de mandater le montant du solde du marché, corriger le montant de taxe sur la valeur ajoutée mentionné dans le décompte général notifié au groupement de maîtrise d'œuvre dès lors que ce décompte, contesté par les sociétés, n'était pas définitif ;
- aucune révision n'est due aux sociétés sur le solde du marché dès lors qu'elles ont reçu le règlement de ce solde en avril 2021 et que cette révision, portant sur des sommes déjà comprises dans le décompte général qui leur a été notifié, y est nécessairement incluse ;
- cette révision ne peut concerner que des prestations achevées qui, en l'espèce, sont nécessairement antérieures à 2020 ;
- les sociétés défenderesses n'établissent pas que le montant de révision calculé par le maître de l'ouvrage serait erroné ;
- elle a contesté la révision devant le tribunal administratif ;
- les pénalités retenues à l'encontre de la société CIEC Engineering résultent de l'application des clauses du contrat et doivent figurer dans le décompte général, sans qu'une procédure contradictoire préalable soit nécessaire ; la prise en compte de ces pénalités implique un solde négatif de 394 078,84 euros en ce qui concerne la société précitée.
Par des mémoires enregistrés les 13 janvier 2025 et 12 février 2025, la société Gris Souris et la société Acoustique Bureau Conseil (ABC) Décibel, représentées par Me Lemiegre, concluent au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la région Normandie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- leur demande de règlement de notes d'honoraires doit être prise en compte dans le cadre de l'établissement du décompte général ;
- le règlement partiel auquel a procédé la région sans échange contradictoire avec les prestataires ne suffit pas à régler le solde du marché ;
- il convient de tenir compte du montant de taxe sur la valeur ajoutée figurant dans le décompte général, corroboré par les certificats de paiement établis par le maître de l'ouvrage, dès lors que les montants corrigés par la région n'ont pas fait l'objet d'avenants, ni d'une discussion contradictoire ;
- les montants indiqués toutes taxes comprises dans le décompte général correspondent aux prestations réellement exécutées ;
- aucune pénalité ne peut être retenue à l'encontre de la société CIEC Engineering en l'absence de procédure contradictoire, de sorte que la région n'est pas fondée à retenir un solde négatif en ce qui concerne cette société ;
- la révision figurant dans le décompte général se rapporte à des prestations rémunérées avant 2020 et non au solde litigieux, n'a pas été validée contradictoirement, a été établie sans respect des stipulations contractuelles et présente des incohérences dans l'application de l'indice " ingénierie ".
Par des mémoires enregistrés les 13 janvier 2025 et 26 février 2025, la société CIEC Engineering, représentée par Me Mel, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 70 000 euros soit mise à la charge de la région Normandie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la demande des membres du groupement de maîtrise d'œuvre visant au paiement de leurs honoraires est incluse dans leur contestation du décompte général notifié par le maître de l'ouvrage ;
- les sommes demandées en paiement des notes d'honoraires n'ont pas été prises en compte par le maître de l'ouvrage dans ce décompte général ;
- seule la taxe sur la valeur ajoutée au taux de 20 % s'applique aux prestations de maîtrise d'œuvre ;
- les montants de taxe rectifiés par la région n'ont pas fait l'objet d'un avenant, ni d'un décompte général rectificatif dans les conditions prévues par le contrat ;
- les honoraires réclamés devant les premiers juges ne sont pas inclus dans le décompte général, de sorte que la révision se rapportant à ces honoraires ne peut y figurer non plus ;
- la région n'est pas recevable à contester l'application de la clause de révision des prix en appel ;
- aucune pénalité n'est due en l'absence de respect d'une procédure contradictoire.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 26 février 2025 et 24 mars 2025, la SCP Brouard Daude, liquidateur de la société ADL, représentée par Me Jaafar, conclut, dans le dernier état de ses écritures, au rejet de la requête et des conclusions présentées à son encontre par la société CIEC Engineering, à la condamnation de la région Normandie à lui verser la somme totale de 616 379,46 euros au titre du règlement de ses honoraires et du solde du marché et en réparation de ses préjudices, cette somme étant assortie des intérêts moratoires, et à ce qu'une somme de 10 000 euros soit mise à la charge de la région Normandie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la région ne saurait se prévaloir d'une erreur dans le calcul de la taxe sur la valeur ajoutée, dont elle est à l'origine, et ne peut la rectifier sans respecter la procédure contradictoire prévue par le contrat ;
- la région ne démontre pas que le montant retenu par les premiers juges au titre de la révision des prix serait erroné ;
- le protocole d'accord signé entre les membres du groupement de maîtrise d'œuvre en vue de répartir les sommes dues au titre du marché a été signé par l'ancien dirigeant de la société ADL et non par son liquidateur, lequel a seul qualité pour représenter la société, de sorte que ce protocole est nul et ne lui est pas opposable.
Par une ordonnance du 26 mars 2025, la clôture d'instruction a été fixée au 9 avril 2025, à 12 heures.
II. Sous le n° 24DA00357, par une requête enregistrée le 22 février 2024 et un mémoire enregistré le 14 février 2025, la région Normandie, représentée par Me Gey, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) de surseoir à l'exécution du jugement du 22 décembre 2023, en application de l'article R. 811-16 du code de justice administrative, en ce que ce jugement l'a condamnée à verser la somme de 69 389,88 euros à la société ADL au titre du solde du marché de maîtrise d'œuvre conclu pour la restructuration du lycée de la commune de Barentin ;
2°) de mettre à la charge de chacune des sociétés ADL, Gris Souris et ABC Décibel une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa demande de suspension ne concerne pas la société CIEC Engineering ;
- l'exécution du jugement attaqué risque de l'exposer à la perte définitive d'une somme qui ne devrait pas rester à sa charge dans le cas où ses conclusions d'appel seraient accueillies dès lors que la société ADL est en liquidation judiciaire et que la société Gris Souris rencontre des difficultés financières ;
- elle justifie de moyens sérieux de nature à infirmer le jugement attaqué ;
- il n'y a pas lieu de tenir compte du protocole d'accord signé entre les membres du groupement de maîtrise d'œuvre en vue de répartir les sommes dues au titre du marché.
Par un mémoire enregistré le 22 octobre 2024, la société Acoustique Bureau Conseil (ABC) Décibel et la société Gris Souris, représentées par Me Lemiegre, concluent au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros, à verser à la société Gris Souris, soit mise à la charge de la région Normandie.
Elles soutiennent que les moyens soulevés par la région ne sont pas fondés.
Par des mémoires enregistrés les 9 janvier 2025 et 26 février 2025, la société CIEC Engineering, représentée par Me Mel, conclut, à titre principal, au rejet de la requête, à titre subsidiaire et dans l'hypothèse où la cour prononcerait la suspension du jugement attaqué, à ce que les sommes mises à la charge de la région Normandie par ce jugement soient placées sous séquestre sur le sous-compte de Me Mel à la caisse autonome des règlements pécuniaires des avocats, et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la région au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué n'expose la région à aucun risque financier ;
- elle ne justifie pas de moyens sérieux susceptibles d'infirmer ce jugement ;
- le protocole d'accord signé entre les membres du groupement de maîtrise d'œuvre en vue de répartir les sommes dues au titre du marché est opposable à la région.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 26 février 2025 et le 24 mars 2025, la SCP Brouard Daude, liquidateur de la société ADL, représentée par Me Jaafar, conclut, dans le dernier état de ses écritures, au rejet de la requête et des conclusions présentées à son encontre par la société CIEC Engineering, à la condamnation de la région Normandie à lui verser la somme totale de 616 379,46 euros au titre du règlement de ses honoraires et du solde du marché et en réparation de ses préjudices, cette somme étant assortie des intérêts moratoires, et à ce qu'une somme de 10 000 euros soit mise à la charge de la région Normandie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué n'expose la région à aucun risque financier ;
- la région ne justifie pas de moyens sérieux susceptibles d'infirmer ce jugement ;
- le protocole d'accord signé entre les membres du groupement de maîtrise d'œuvre en vue de répartir les sommes dues au titre du marché a été signé par l'ancien dirigeant de la société ADL et non par son liquidateur, ayant seul qualité pour représenter la société, de sorte que ce protocole est nul et non opposable à la société ADL.
Par une ordonnance du 26 mars 2025, la clôture d'instruction a été fixée au 9 avril 2025, à 12 heures.
III. Sous le n° 24DA00359, par une requête enregistrée le 22 février 2024 et des mémoires, enregistrés le 28 mars 2024, le 13 janvier 2025, le 28 janvier 2025, le 26 février 2025 et le 25 mars 2025, la société CIEC Engineering, représentée par Me Mel, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) de réformer le jugement du 22 décembre 2023 ;
2°) à titre principal, de condamner la région Normandie à verser en règlement du marché de maîtrise d'œuvre, conclu pour la restructuration du lycée situé sur le territoire de la commune de Barentin, la somme totale de 516 379,46 euros à la société ADL, la somme totale de 536 734,99 euros à la société CIEC Engineering, la somme de 108 205,87 euros à la société Gris Souris et la somme de 9 422,29 euros à la société ABC Décibel ;
3°) à titre subsidiaire, de condamner la région Normandie à verser la somme totale de 498 592,55 euros à la société ADL et la somme totale de 489 776,47 euros à la société CIEC Engineering, la somme de 108 205,87 euros à la société Gris Souris et la somme de 9 422,29 euros à la société ABC Décibel ;
4°) de condamner la région Normandie à verser la somme de 100 000 euros à la société ADL et à la société CIEC Engineering en réparation des préjudices résultant des manquements de la région dans l'exécution du contrat ;
5°) d'assortir ces sommes des intérêts moratoires et de la capitalisation de ces intérêts ;
6°) à titre principal d'exclure du décompte général les pénalités appliquées par le maître de l'ouvrage en raison du dépassement du seuil de tolérance et du dépassement du délai de remise des dossiers des ouvrages exécutés, à titre subsidiaire, de ramener le montant des pénalités à de plus justes proportions, de plafonner le montant des pénalités à 10 % de la mission d'assistance aux opérations de réception et de mettre ces pénalités à la charge de la société ADL, à titre infiniment subsidiaire, d'appliquer ces pénalités dans une proportion de 25,24 % pour la société ADL, de 32,06 % pour la société Gris Souris, de 40 % pour la société CIEC Engineering et de 2,70 % pour la société ABC Décibel ;
7°) de mettre à la charge de la région Normandie une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761 1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la modification substantielle du programme de travaux, concernant notamment le bâtiment G, l'allongement du délai des travaux, le travail nécessaire à l'élaboration de nouveaux documents techniques, la faible réactivité et les retards du maître de l'ouvrage concernant l'aménagement EMAT, les relations avec les riverains de l'opération, les modifications successives du programme de travaux et l'adaptation des marchés de travaux, ainsi que l'absence d'étude de diagnostic, ont entrainé une augmentation de la masse des travaux, des réunions supplémentaires, la correction de situations de travaux et le suivi de contrôle et de visa des documents d'exécution qui doivent être indemnisés, au titre de la mission DET et compte tenu du montant des travaux supplémentaires et du coût représenté par les prestations de maîtrise d'œuvre non prévues au marché, à hauteur de 276 461 euros hors taxes ;
- le marché de maîtrise d'œuvre a été conclu sur la base d'un prix provisoire fixé par le maître de l'ouvrage, et non sur la base d'un prix forfaitaire, de sorte que le maître d'œuvre a droit au règlement des prestations réellement exécutées en conséquence de la redéfinition du programme de travaux, et qui ne peuvent être assimilées à des prestations supplémentaires réalisées dans le cadre d'un marché forfaitaire ;
- à titre subsidiaire, ces prestations supplémentaires caractérisent un bouleversement de l'économie du contrat dès lors qu'elles représentent 65 % de la mission DET ;
- à titre encore subsidiaire, il convient d'appliquer le mode de calcul que les premiers juges ont retenu pour indemniser les prestations supplémentaires relatives à la phase de conception, en fixant l'indemnisation des prestations supplémentaires de la mission DET à 83 526,15 euros hors taxes ;
- le montant de l'indemnisation doit être partagé entre les sociétés ADL et CIEC Engineering au vu du taux de rémunération prévu pour les missions DET et AOR ;
- le prix correspondant aux prestations supplémentaires de maîtrise d'œuvre doit faire l'objet d'une révision dès lors que ce prix est adossé au montant des travaux supplémentaires
eux-mêmes évalués à la date d'établissement des marchés de travaux en 2007 et 2008 ;
- les sommes dues au titre de cette révision s'établissent pour les sociétés ADL et CIEC Engineering, respectivement, à titre principal à la somme totale de 40 877,54 euros hors taxes et de 40 079,90 euros hors taxes, et, à titre subsidiaire à la somme totale de 28 559,78 euros hors taxes et de 24 711,47 euros hors taxes ;
- les intérêts moratoires commencent à courir à compter du terme du délai de paiement de quarante-cinq jours soit, pour la société ADL, à compter du 15 mai 2017 pour la somme totale de 46 533,34 euros toutes taxes comprises, à compter du 15 août 2018 pour la somme de 7 025,86 euros toutes taxes comprises, à compter du 30 septembre 2019 pour la somme de 125 493,60 euros toutes taxes comprises, et à compter du 26 octobre 2018 pour la somme correspondant aux prestations supplémentaires de maîtrise d'œuvre, et, pour la société CIEC Engineering, à compter du 15 avril 2017 pour la somme totale de 62 739,35 euros toutes taxes comprises, à compter du 15 septembre 2018 pour la somme de 11 637,01 euros toutes taxes comprises, à compter du 30 septembre 2019 pour la somme de 153 476,23 euros toutes taxes comprises, et à compter du 26 octobre 2018 pour la somme correspondant aux prestations supplémentaires de maîtrise d'œuvre,
- ces intérêts moratoires commencent à courir, pour la société Gris Souris, à compter du 15 avril 2017 pour la somme totale de 54 867,46 euros toutes taxes comprises, à compter du 15 septembre 2018 pour la somme de 9 980,29 euros toutes taxes comprises et à compter du 30 septembre 2019 pour la somme de 118 205,87 euros ;
- ils commencent à courir, pour la société ABC Décibel, à compter du 15 avril 2017 pour la somme totale de 5 041,69 euros toutes taxes comprises, à compter du 15 septembre 2018 pour la somme de 841,10 euros toutes taxes comprises et à compter du 30 septembre 2019 pour la somme de 9 422,29 euros toutes taxes comprises ;
- les pénalités retenues par la région pour un montant fixé en dernier lieu à la somme de 474 152,12 euros sont imprécises, en l'absence de ventilation entre les différents motifs susceptibles de les justifier, ne permettent pas au maître d'œuvre de les contester utilement, et ne sauraient donc être retenues ;
- les premiers juges ne pouvaient pas, sans statuer ultra petita, retenir un montant de pénalités de 579 071,29 euros alors que la région en a fixé le montant à 474 152,12 euros ;
- ces pénalités sont irrégulières en l'absence de mise en demeure préalable ;
- il ressort des avenants n° 1 et 2 au marché que le maître d'œuvre s'est engagé sur un coût de réalisation de 15 501 499 euros hors taxes, alors que le montant total des travaux réalisés s'établit à 17 044 019 euros hors taxes, de sorte que la pénalité pour non-respect du seuil de tolérance n'est pas justifiée ; les coûts induits par le changement de programme doivent être exclus de l'assiette de calcul du seuil de tolérance ;
- cette pénalité est illégitime eu égard au bouleversement de l'opération de construction ;
- la pénalité pour non-respect du délai de remise des dossiers des ouvrages exécutés est irrégulière dès lors que les décisions de réception des travaux n'ont pas été signées par une autorité compétente, que les délégations de signature ne leur donnent pas compétence eu égard au montant des travaux, que ces délégations n'ont pas été régulièrement publiées, que ces décisions de réception ne permettent pas de déterminer la date de réception des travaux eu égard aux dates d'établissement des procès-verbaux, que ces procès-verbaux n'ont pas été portés à la connaissance du maître d'œuvre, que les entreprises n'ont pas remis leurs dossiers des ouvrages exécutés en temps utile, et que le maître de l'ouvrage a admis une exonération de la pénalité sous réserve de vérifier le décalage entre la date de réception des travaux et la transmission des dossiers par les entreprises au maître d'œuvre ;
- l'assiette servant au calcul de la pénalité de retard dans la remise des dossiers des ouvrages exécutés correspond au montant des prestations en retard, soit 40 % de la mission d'assistance aux opérations de réception, et non au montant du marché ;
- le montant des pénalités est plafonné à 10 % du montant des prestations livrées en retard, ainsi qu'il est prévu par l'article 14.1.2 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés de prestations intellectuelles (CCAG-PI) dans sa version adoptée en 2021 ;
- le maître d'œuvre peut invoquer les dispositions de ce cahier en application du principe de la loi pénale plus douce ; les pénalités retenues par la région, qui représentent 49 % du montant du marché et sont supérieures à la rémunération de la société CIEC Engineering, sont manifestement excessives et doivent être réduites ;
- les clauses contractuelles fixant les conditions d'application des pénalités sont nulles faute de pouvoir être appliquées dès lors que les délais d'exécution ont été fixés par le seul maître de l'ouvrage et que leur respect dépendait des seules entreprises de travaux ;
- le protocole d'accord du 7 mai 2019 substituant la société CIEC Engineering comme mandataire à la société ADL n'a pas eu pour effet de donner à la première l'ensemble des obligations incombant à la seconde, notamment la charge de procéder à la répartition des pénalités entre les membres du groupement ; à cet égard, une demande du maître de l'ouvrage visant à obtenir cette répartition auprès de la société ADL serait nouvelle en appel et par suite irrecevable ; une telle demande serait encore irrecevable dès lors que la région n'a pas déclaré sa créance dans le cadre de la procédure de liquidation de la société ADL ;
- le seul débiteur des pénalités est la société ADL, mandataire du groupement de maîtrise d'œuvre et seule solidaire à l'égard des membres de ce groupement conjoint ; elle reste donc seule responsable des actes accomplis pour l'exécution du marché du 18 décembre 2007 au 7 mai 2019, notamment l'application des pénalités ; la société CIEC Engineering s'est substituée à la société ADL pour les seuls besoins de la procédure de reddition des comptes et ne saurait être tenue responsable des actes accomplis par le mandataire précédent ;
- les membres du groupement de maîtrise d'œuvre ont procédé à la répartition des pénalités par un protocole d'accord conclu postérieurement au jugement attaqué, dont il ressort que les pénalités sont à la charge de la seule société ADL ;
- à titre subsidiaire, les pénalités devraient être ventilées en fonction de la répartition de la mission d'assistance aux opérations de travaux prévue au marché ;
- la région a commis une faute en refusant de procéder au règlement des notes d'honoraires, en émettant un titre exécutoire infondé, en émettant un avis à tiers détenteur en dépit de l'annulation de ce titre par une décision de justice, en refusant de prendre en compte le bouleversement du marché, et en refusant de s'expliquer sur les paiements partiels ;
- ces manquements sont à l'origine d'une perte de trésorerie pour la société CIEC Engineering et de la mise en liquidation de la société ADL, justifiant l'allocation d'une somme de 100 000 euros pour chacune d'entre elles.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 10 janvier 2025 et le 14 février 2025, la région Normandie, représentée par Me Gey, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de chacune des sociétés CIEC Engineering, ADL, Gris Souris et ABC Décibel au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les conclusions des sociétés Gris Souris et ABC Décibel tendant au versement d'honoraires complémentaires, à la révision de ces honoraires et à la condamnation de la région à réparer leur préjudice résultant d'une résistance abusive de l'administration sont nouvelles en appel et par suite irrecevables ;
- aucune rémunération supplémentaire n'est due au titre de la mission de direction de l'exécution des travaux dès lors que la seule constatation de l'allongement de la mission de maîtrise d'œuvre n'ouvre pas droit à une rémunération complémentaire, que le maître d'œuvre n'établit pas la réalité des prestations réalisées en conséquence de la modification de l'opération, et que la rémunération du maître d'œuvre a été adaptée dans le cadre d'avenants ;
- à titre subsidiaire, le montant réclamé par le maître d'œuvre devrait être ramené à la somme de 186 229,98 euros après application d'une réfaction de 15 % en raison de ses insuffisances ;
- le montant complémentaire de rémunération fixé par le juge ne peut faire l'objet d'une révision ;
- à défaut, la révision devrait être appliquée dans les conditions retenues par les premiers juges à l'égard de la mission de conception ;
- les intérêts moratoires sont dus à la date du 30 septembre 2019 dès lors qu'elle était fondée à rejeter les demandes de paiement adressées à une date antérieure ;
- les premiers juges n'ont pas commis d'irrégularité en relevant que l'application des stipulations contractuelles conduisaient à en fixer le montant à 599 071,29 euros et qu'il convenait de retenir le montant de 474 152,12 euros fixé par la région après avoir accordé une remise gracieuse ;
- les pénalités doivent être imputés au mandataire du groupement de maîtrise d'œuvre en application de l'article 16.5 du CCAG-PI, dès lors que la société CIEC Engineering avait cette qualité lors de l'établissement du décompte ;
- la région n'a jamais entendu imputer les pénalités à la société ADL ; au demeurant, l'ouverture d'une procédure collective à l'encontre de cette société n'a pas pour effet de rendre irrecevable une éventuelle demande à son égard ;
- la pénalité pour dépassement du seuil de tolérance s'établit à 23 431,61 euros au vu d'un coût de réalisation de 14 973 955 euros qui, multiplié par un taux de 1 %, permet de fixer le seuil de tolérance à 15 123 695 euros, et d'un coût constaté de 15 230 453 euros hors taxes prenant en compte les seuls avenants aux marchés de travaux résultant d'erreurs de conception ou d'oublis de la maîtrise d'œuvre pour un montant de 256 497,77 euros ;
- pour le calcul de la pénalité pour retard dans la remise des dossiers des ouvrages exécutés, il convient de prendre en compte la date de réception des travaux au 7 juin 2013 ; les décisions de réception ont été signées par la personne responsable du marché qui avait régulièrement reçu délégation à cet effet ; les procès-verbaux ont été préparés par le maître d'œuvre et les documents complétés lui ont été transmis ; le maître d'œuvre ne peut s'exonérer de la pénalité en raison du comportement des entreprises qui n'auraient pas remis leurs dossiers ; le délai de quatre semaines entre la date de réception et la remise des dossiers est prévue par le contrat et s'impose aux parties ; les stipulations du contrat s'appliquent de préférence aux dispositions du CCAG-PI invoquées par le maître d'œuvre ; la version du CCAG adoptée en 2021 ne saurait s'appliquer rétroactivement ; il n'y a pas lieu de procéder à une modulation des pénalités eu égard à la remise gracieuse accordée aux sociétés ;
- la société CIEC Engineering s'est substituée à la société ADL en qualité de mandataire du groupement de maîtrise d'œuvre à compter du 7 mai 2019 dans les droits et obligations qui incombent au mandataire en application du CCAG-PI et du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) du marché, sans que cette substitution soit limitée à la reddition des comptes ; en l'absence de réponse à la mise en demeure visant à obtenir de la société CIEC Engineering la répartition des pénalités entre les membres du groupement, la région pouvait lui imputer ces pénalités en sa qualité de mandataire du groupement à la date d'établissement du décompte ; le protocole d'accord conclu postérieurement au jugement attaqué a pour seul objet de fixer les conditions d'exécution de ce jugement entre les membres du groupement, sans remettre en cause l'application de l'ensemble des pénalités à la société CIEC Engineering ; l'application de ce protocole imputant les pénalités à la société ADL est compromise par la liquidation judiciaire de cette société et les conclusions des sociétés Gris Souris et ABC Décibel qui se prononcent en faveur d'une répartition des pénalités entre les membres du groupement ;
- la région n'a commis aucune faute dès lors qu'elle était fondée à rejeter les notes d'honoraires ; le rejet des notes d'honoraires de la société ADL n'est pas à l'origine de ses difficultés financières ; elle a tenu compte de la modification du programme de travaux, quand bien même elle a refusé d'accéder à l'ensemble des demandes du maître d'œuvre ; le titre de perception émis par la région n'a pas été annulé au motif que les pénalités seraient infondées ; l'avis à tiers détenteur a été émis par le comptable qui en a prononcé la main levée une fois informé de l'annulation du titre ; elle n'a pas manqué à son obligation de loyauté du seul fait qu'elle refuse de donner suite à certaines revendications du maître d'œuvre, eu égard en outre au comportement de celui-ci dans l'exécution du marché ; le préjudice invoqué n'est pas établi ;
Par des mémoires enregistrés le 13 janvier 2025 et le 11 février 2025, les sociétés Gris Souris et ABC Décibel, représentées par Me Lemiegre, concluent à ce que la cour :
1°) réforme le jugement attaqué en ce qu'il rejette les demandes de révision des honoraires, retient des pénalités en raison d'une remise tardive des dossiers des ouvrages exécutés, rejette la demande indemnitaire pour résistance abusive et statue sur les intérêts moratoires et leur capitalisation ;
2°) condamne la région Normandie à verser, au titre du règlement des prestations prévues au marché de maîtrise d'œuvre, la somme de 108 205,87 euros toutes taxes comprises à la société Gris Souris et la somme de 9 422,29 euros toutes taxes comprises à la société ABC Décibel, ces sommes étant assorties des intérêts moratoires et de leur capitalisation ;
3°) condamne la région Normandie à verser, au titre de la révision des prix, la somme de 83 525 euros à chacune des deux sociétés ;
4°) à titre principal, exclue du décompte général les pénalités appliquées par le maître de l'ouvrage en raison du dépassement du délai de remise des dossiers des ouvrages exécutés et, à titre subsidiaire, ramène le montant des pénalités à de plus justes proportions en les calculant sur la base de 40 % du montant des prestations d'assistance aux opérations de réception, soit 37 930,83euros hors taxes pour la société Gris Souris et 2 798,42 euros hors taxes pour la société ABC Décibel, et en limitant leur montant à 10 % de la somme ainsi obtenue ;
5°) condamne la région Normandie à verser la somme de 30 000 euros à la société Gris Souris et celle de 25 000 euros à la société ABC Décibel en réparation des préjudices résultant de la résistance abusive de la région ;
6°) mette une somme de 10 000 euros à la charge de la région Normandie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- les prestations supplémentaires de maîtrise d'œuvre doivent être rémunérées au titre de la direction des travaux au-delà du prix forfaitairement fixé par le marché dès lors que le programme a fait l'objet d'une modification substantielle ayant conduit à un allongement du chantier, et que les prestations en ont été rendues plus complexes ;
- les intérêts moratoires commencent à courir à compter du terme du délai de paiement de quarante-cinq jours soit, pour la société Gris Souris, à compter du 15 avril 2017 s'agissant des notes d'honoraires transmises en avril 2017 et à compter du 15 octobre 2018 pour les notes d'honoraires transmises en septembre 2018 ;
- la société ABC Décibel a droit aux intérêts moratoires sur l'ensemble des sommes réclamées, pour des montants de 4 885,45 et 156,24 euros toutes taxes comprises selon des factures transmises en avril 2017, et pour un montant de 841,10 euros toutes taxes comprises selon une facture remise en septembre 2019 ;
- la capitalisation des intérêts doit produire ses effets à compter du 31 août 2021 ;
- le prix correspondant aux prestations supplémentaires de maîtrise d'œuvre doit faire l'objet d'une révision dès lors que ce prix est révisable en application du contrat et que la région a procédé à des travaux supplémentaires ; pour la société Gris Souris, le montant de la révision s'établit, pour la phase conception, à 23 227,18 euros hors taxes à titre principal et à 5 332,60 euros à titre subsidiaire, et, pour la phase exécution, à 17 650,36 euros hors taxes ; pour la société ABC Décibel, la révision s'établit, pour la phase conception, à 18 058,24 euros hors taxes et, pour la phase exécution, à 22 021,66 euros hors taxes à titre principal et à 6 653,33 euros à titre subsidiaire ;
- les premiers juges ont à bon droit admis une partie des conclusions se rapportant à la révision des prix dès lors que les coefficients de révision appliqués par la région en dehors de tout contradictoire sont erronés et ont eu pour effet une sous-évaluation de cette révision ;
- ces montants doivent être assortis des intérêts moratoires au taux de 7,87 % à compter de l'expiration d'un délai de quarante-cinq jours suivant la remise du mémoire en réclamation du 11 septembre 2018, et de la capitalisation des intérêts ;
- aucune pénalité n'est due au titre de la remise tardive des dossiers des ouvrages exécutés dès lors qu'elles n'ont pas été mises en demeure, que ces pénalités ont été calculées sur la base de la totalité des honoraires de maîtrise d'œuvre et non sur celle correspondant aux prestations inexécutées, que le montant retenu est disproportionné, et que le retard allégué est imputable aux entreprises ;
- il appartient à la cour d'annuler ces pénalités ou de les moduler ;
- les retards de paiement injustifiés, la mise en œuvre de procédures dilatoires et la prise de mesures vexatoires révèlent une résistance abusive de la région à l'origine de difficultés financières pour les sociétés et d'une perte de crédibilité dans le cadre des appels d'offres, qui doivent être réparées par l'allocation d'une somme de 35 000 euros à la société Gris Souris et d'une somme de 18 000 euros à la société ABC Décibel ;
Par des mémoires enregistrés le 26 février 2025 et le 24 mars 2025, la SCP Brouard Daude, liquidateur de la société ADL, représentée par Me Jaafar, conclut, dans le dernier état de ses écritures, au rejet de la requête et des conclusions présentées à son encontre par la société CIEC Engineering, à la condamnation de la région Normandie à lui verser la somme totale de 616 379,46 euros au titre du règlement de ses honoraires et du solde du marché et en réparation de ses préjudices, cette somme étant assortie des intérêts moratoires, et à ce qu'une somme de 10 000 euros soit mise à la charge de la région Normandie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la modification substantielle du programme de travaux, concernant notamment le bâtiment G, l'allongement du délai des travaux, et le travail nécessaire à l'élaboration de nouveaux documents techniques ont entrainé une augmentation de la masse des travaux, des réunions supplémentaires, la correction de situations de travaux et le suivi de contrôle et de visa des documents d'exécution qui doivent être indemnisés, au titre de la mission DET et compte tenu du montant des travaux supplémentaires et du coût représenté par les prestations de maîtrise d'œuvre non prévues au marché, à hauteur de 276 461 euros hors taxes ;
- le prix correspondant aux prestations supplémentaires de maîtrise d'œuvre doit faire l'objet d'une révision dès lors que ce prix est adossé au montant des travaux supplémentaires
eux-mêmes évalués à la date d'établissement des marchés de travaux en 2007 et 2008 ;
- les sommes dues au titre de cette révision s'établissent, à titre principal à la somme totale de 40 877,54 euros hors taxes, et, à titre subsidiaire à la somme totale de 28 559,78 euros hors taxes ;
- les pénalités retenues par la région sont irrégulières dès lors qu'elles n'ont pas été précédées d'une mise en demeure, et que les retards dans l'exécution des travaux sont imputables à la région ;
- ces pénalités sont imputables à la société CIEC Engineering devenue mandataire du groupement et qui n'a pas répondu à la demande du maître de l'ouvrage visant à leur répartition ; le protocole d'accord du 7 mai 2019 ne limite pas la mission de mandataire de la société CIEC Engineering à la reddition des comptes ;
- le protocole d'accord signé entre les membres du groupement de maîtrise d'œuvre en vue de répartir les sommes dues au titre du marché a été signé par l'ancien dirigeant de la société ADL et non par son liquidateur, ayant seul qualité pour représenter la société, de sorte que ce protocole est nul et non opposable à la société ADL.
Par une ordonnance du 26 mars 2025, la clôture d'instruction a été fixée au 9 avril 2025, à 12 heures.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 ;
- le décret n° 76-87 du 21 janvier 1976 ;
- le décret n° 78-1306 du 26 décembre 1978 ;
- le décret n° 93-1268 du 29 novembre 1993 ;
- le décret n° 2002-232 du 21 février 2002 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- les conclusions de M. Malfoy, rapporteur public,
- et les observations de Me Gey, représentant la région Normandie, et de Me Deborne, représentant la société CIEC Engineering.
Considérant ce qui suit :
1. La région Haute-Normandie, aux droits de laquelle est venue depuis la région Normandie, a engagé en 2007 une opération de restructuration du lycée Edmond Labbé, situé sur le territoire de la commune de Barentin. Par un acte d'engagement du 18 décembre 2007, la région a confié la maîtrise d'œuvre de cette opération à un groupement conjoint constitué de la société d'architecture et d'urbanisme ADL, mandataire solidaire, de la société d'architecture Gris Souris, de la société CIEC Engineering, bureau d'études technique et économiste, et de la société ABC Décibel, bureau d'études acoustique. Le marché de maitrise d'œuvre, conclu pour un montant initial de 1 756 118,98 euros hors taxes, a été modifié par un avenant n° 1 du 18 septembre 2009 portant le montant de la rémunération de l'équipe de maîtrise d'œuvre à 1 857 079,58 euros hors taxes. Les travaux, qui ont débuté le 12 février 2010 avec une durée d'exécution prévisionnelle de vingt-six mois et demi, ont été réceptionnés du 5 avril au 7 juin 2013 en fonction des lots,
trente-huit mois plus tard. Par un courrier du 16 mars 2020, le maître d'œuvre a mis la région Normandie en demeure d'établir le décompte général du marché. Par un courrier du 9 novembre 2020, la région a arrêté le décompte général du marché de maîtrise d'œuvre à la somme de 930 332,28 euros toutes taxes comprises, en déduisant notamment du solde du marché des pénalités de retard pour un montant de 474 152,12 euros. Après avoir présenté un mémoire en réclamation à l'administration, les sociétés membres de l'équipe de maîtrise d'œuvre ont saisi le tribunal administratif de Rouen d'une demande tendant à obtenir la condamnation de la région Normandie à verser à la société ADL la somme de 85 655,85 euros au titre de notes d'honoraires impayées, la somme de 578 751,80 euros en raison du bouleversement de l'économie du contrat et la somme de 100 000 euros en réparation des préjudices résultant de fautes commises par la région dans l'exécution du contrat, à la société CIEC Engineering la somme de 167 999,30 euros au titre de notes d'honoraires impayées, la somme de 446 548,92 euros en raison du bouleversement de l'économie du contrat et la somme de 100 000 euros en réparation de ses préjudices, et aux sociétés Gris Souris et ABC Décibel, respectivement, les sommes de 66 366,70 et de 4 545 euros au titre de notes d'honoraires impayées. Par un jugement du 22 décembre 2023, le tribunal administratif de Rouen a condamné la région Normandie à verser, au titre du solde du marché de maîtrise d'œuvre, la somme de 263 624,10 euros à la société ADL, la somme de 51 544,13 euros à la société Gris Souris et la somme de 3 373,05 euros à la société ABC Décibel, ces montants étant assortis des intérêts moratoires à compter du 30 septembre 2019 et de leur capitalisation à compter du 31 août 2021, et a rejeté le surplus des demandes des sociétés.
2. La région Normandie relève appel de ce jugement en ce qu'il l'a condamnée à verser une somme supérieure à 194 234,22 euros à la société ADL, la somme de 51 544,13 euros à la société Gris Souris et la somme de 3 373,05 euros à la société ABC Décibel, et demande à la cour, dans l'attente qu'elle se prononce au fond, qu'il soit sursis à l'exécution de ce même jugement en ce qu'il l'a condamnée à verser la somme de 69 389,88 euros à la société ADL. La société CIEC Engineering relève appel du même jugement en sollicitant à titre principal la condamnation de la région Normandie à lui verser la somme totale de 536 734,99 euros en règlement du marché de maîtrise d'œuvre et celle de 100 000 euros en réparation de ses préjudices. La société ADL demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures, la condamnation de la région Normandie à lui verser la somme totale de 616 379,46 euros au titre du règlement de ses honoraires, du solde du marché et en réparation de ses préjudices. Les sociétés Gris Souris et ABC Décibel relèvent appel du jugement en sollicitant, à titre principal, la condamnation de la région Normandie à leur verser, respectivement, les sommes de 108 205,87 euros et de 9 422,29 euros au titre du règlement des prestations prévues au marché de maîtrise d'œuvre, ainsi que les sommes de 30 000 euros et de 25 000 euros en réparation de leurs préjudices, et la somme de 83 525 euros à chacune au titre de la révision des prix du marché. Il y a lieu de joindre les trois requêtes présentées par la région Normandie et les sociétés membres du groupement de maîtrise d'œuvre pour qu'elles fassent l'objet d'un seul arrêt.
Sur la recevabilité des conclusions des sociétés Gris Souris et ABC Décibel :
3. La personne qui a demandé en première instance la réparation des conséquences dommageables d'un fait qu'elle impute à une administration est recevable à détailler ces conséquences devant le juge d'appel, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n'avait pas fait état devant les premiers juges, dès lors que ces chefs de préjudice se rattachent au même fait générateur. Cette personne n'est toutefois recevable à majorer ses prétentions en appel que si le dommage s'est aggravé ou s'est révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement qu'elle attaque. Il suit de là qu'il appartient au juge d'appel d'évaluer, à la date à laquelle il se prononce, les préjudices invoqués, qu'ils l'aient été dès la première instance ou pour la première fois en appel, et de les réparer dans la limite du montant total demandé devant les premiers juges. Il ne peut mettre à la charge du responsable une indemnité excédant ce montant que si le dommage s'est aggravé ou révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement attaqué.
4. Il résulte de l'instruction que les sociétés Gris Souris et ABC Décibel ont saisi le tribunal administratif de Rouen de conclusions tendant à la condamnation de la région Normandie à leur verser, respectivement, la somme de 66 366,70 euros et celle de 4 545 euros au titre du solde du marché de maîtrise d'œuvre, en invoquant devant les premiers juges la réalisation de prestations prévues au contrat que le maître de l'ouvrage s'est refusé à rémunérer. La région Normandie soutient que les sociétés Gris Souris et ABC Décibel demandent pour la première fois en appel, respectivement, les sommes de 108 205,87 euros et de 9 422,29 euros au titre du solde du marché, les sommes de 83 525 euros pour chacune au titre de la révision des prix et celles de 30 000 euros et de 25 000 euros en réparation de manquements de la région dans l'exécution du contrat. Les chefs de préjudice ainsi invoqués devant la cour se rapportent à l'exécution du contrat de maîtrise d'œuvre, dont les deux sociétés appelantes sont recevables à détailler les conséquences dommageables en appel. En revanche, en l'absence de toute aggravation des préjudices invoqués postérieurement au jugement attaqué, les prétentions des sociétés Gris Souris et ABC Décibel ne sont recevables que dans la limite du montant total de l'indemnité chiffrée en première instance.
Sur la régularité du jugement attaqué :
5. Les sociétés ADL, Gris Souris, CIEC Engineering et ABC Décibel ont contesté devant le tribunal administratif le montant des pénalités retenues par la région Normandie à leur encontre pour un montant total d'abord fixé à 903 635,15 euros puis ramené, après remise gracieuse consentie par l'administration, à la somme de 474 152,12 euros. Contrairement à ce que soutient la société CIEC Engineering, les premiers juges ne se sont pas trompés sur les conclusions dont ils étaient saisis, et n'ont pas statué au-delà de ces conclusions qui contestaient les pénalités dans leur principe et dans leur montant, en procédant au calcul des pénalités résultant selon eux de l'application du contrat, fixées au montant de 599 071,29 euros, en constatant ensuite que la région avait retenu un montant inférieur, fixé à 474 152,12 euros, et en prenant celui-ci en compte pour le calcul du solde du marché.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne le règlement des prestations prévues par le contrat :
6. En premier lieu, il appartient au juge du contrat, en l'absence de décompte général devenu définitif, de statuer sur les réclamations pécuniaires présentées par chacune des parties en présence pour déterminer le solde de leurs obligations contractuelles respectives. Par suite, les sociétés ADL, Gris Souris, CIEC Engineering et ABC Décibel peuvent solliciter devant le juge du contrat le paiement des notes d'honoraires restées impayées en vue de l'établissement du solde du contrat de maîtrise d'œuvre.
7. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que, pour déterminer les montants d'honoraires dus au groupement de maîtrise d'œuvre en exécution du contrat, les premiers juges se sont référés au décompte général notifié par la région Normandie le 12 novembre 2020, indiquant un montant toute taxes comprises de 94 931,73 euros pour la société ADL, de 104 681,94 euros pour la société Gris Souris, de 125 816,29 euros pour la société CIEC Engineering et de 9 422,29 euros pour la société ABC Décibel. Toutefois, eu égard aux montants hors taxes figurant dans ce document, soit 46 827,78 euros pour la société ADL, 55 711,68 euros pour la société Gris Souris, 66 934,15 euros pour la société CIEC Engineering et 5 055,57 euros pour la société ABC Décibel, l'application de la taxe sur la valeur ajoutée, pour un taux de 10 % ou de 20 % en fonction des missions accomplies par les membres du groupement, ne permet pas de déduire les montants toutes taxes comprises retenus par le tribunal administratif. La région Normandie se prévaut d'un tableau comptable établi pour les besoins du dernier règlement effectué après la notification du décompte général le 12 novembre 2020, mentionnant, pour chacun des prestataires, le montant hors taxes des missions prévues au contrat, le montant hors taxes des acomptes versés et, pour l'application de la taxe sur la valeur ajoutée, une répartition entre les prestations soumises au taux de 20 % et celles soumises au taux de 10 %. A cet égard, il ressort de l'avenant n° 1 du 18 septembre 2009 que les prestations de maîtrise d'œuvre font l'objet, pour l'application de la taxe sur la valeur ajoutée, d'une ventilation selon qu'elles se rapportent aux travaux éligibles au taux plein ou aux travaux, tels ceux concernant les logements de fonctions du lycée, soumis au taux réduit. Le document comptable précité précise que le montant toutes taxes comprises des prestations prévues au contrat et non encore réglées aux membres du groupement s'établit à 56 103,52 euros pour la société ADL, 66 661,74 euros pour la société Gris Souris, 80 073,28 euros pour la société CIEC Engineering et 6 049,24 euros pour la société ABC Décibel. Les sociétés, qui ne sauraient utilement reprocher à l'administration l'absence d'un échange contradictoire pour déterminer la taxe sur la valeur ajoutée ou le refus de conclure un avenant sur ce point, n'apportent à l'instance aucun élément de nature à contester les calculs précis figurant dans ce document comptable ou l'application à leurs prestations d'un taux de taxe différent en fonction des travaux auxquels se rapportent ces prestations. Par suite, la région Normandie est fondée à soutenir que les prestations restant à payer aux sociétés lors de l'établissement du décompte général s'établissent aux montants précisés ci-dessus et figurant dans ce document.
8. En dernier lieu, il ressort du document comptable cité au point précédent que les sommes calculées par l'administration pour rémunérer les prestations prévues au contrat intègrent la révision du prix pour des montants hors taxes de 7 135,23 euros pour la société ADL, 8 390,57 euros pour la société Gris Souris, 10 018,16 euros pour la société CIEC Engineering et de 770,25 euros pour la société ABC Décibel. Ces sociétés, qui ne produisent à l'instance aucun élément de calcul précis permettant de contredire les données chiffrées retenues par la région Normandie, ne démontrent pas que celle-ci aurait appliqué des coefficients de révision erronés conduisant à une sous-évaluation du montant révisé des prestations.
9. Il résulte de ce qui précède que les honoraires dus aux sociétés ADL, Gris Souris, CIEC Engineering et ABC Décibel en exécution des prestations prévues par le marché s'établissent, clause de révision incluse, aux montants respectifs de 56 103,52 euros, 66 661,74 euros, 80 073,28 euros et 6 049,24 euros.
En ce qui concerne le règlement des prestations supplémentaires de maîtrise d'œuvre :
10. Il résulte des dispositions des articles 9 de la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 et 30 du décret n° 93-1268 du 29 décembre 1993 que le titulaire d'un contrat de maîtrise d'œuvre est rémunéré par un prix forfaitaire couvrant l'ensemble de ses charges et missions, ainsi que le bénéfice qu'il en escompte, et que seule une modification de programme ou une modification de prestations décidées par le maître de l'ouvrage peut donner lieu à une adaptation et, le cas échéant, à une augmentation de sa rémunération. Ainsi, la prolongation de sa mission n'est de nature à justifier une rémunération supplémentaire du maître d'œuvre que si elle a donné lieu à des modifications de programme ou de prestations décidées par le maître de l'ouvrage. En outre, le maître d'œuvre ayant effectué des missions ou prestations non prévues au marché de maîtrise d'œuvre et qui n'ont pas été décidées par le maître de l'ouvrage, a droit à être rémunéré de ces missions ou prestations, nonobstant le caractère forfaitaire du prix fixé par le marché si elles ont été indispensables à la réalisation de l'ouvrage selon les règles de l'art, ou si le maître d'œuvre a été confronté, dans l'exécution du marché, à des sujétions imprévues présentant un caractère exceptionnel et imprévisible, dont la cause est extérieure aux parties et qui ont pour effet de bouleverser l'économie du contrat. Dans l'hypothèse où une modification de programme ou de prestations a été décidée par le maître de l'ouvrage, le droit du maître d'œuvre à l'augmentation de sa rémunération est uniquement subordonné à l'existence de prestations supplémentaires de maîtrise d'œuvre utiles à l'exécution des modifications décidées par le maître de l'ouvrage. En revanche, ce droit n'est subordonné, ni à l'intervention de l'avenant qui doit normalement être signé en application des dispositions précitées de l'article 30 du décret du 29 décembre 1993, ni même, à défaut d'avenant, à celle d'une décision par laquelle le maître de l'ouvrage donnerait son accord sur un nouveau montant de rémunération du maître d'œuvre.
11. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la réforme de la voie professionnelle survenue après le démarrage du chantier le 22 février 2010, qui a conduit au changement de la carte de formations, a eu pour conséquence une modification substantielle du programme de travaux de restructuration du lycée s'accompagnant notamment d'une redéfinition de l'affectation de plusieurs locaux. Cette modification a prolongé la durée du chantier de travaux de près d'un an, contraignant l'équipe de maitrise d'œuvre à effectuer des prestations nouvelles utiles à la réalisation du projet amendé afin notamment de modifier les plans de structure des locaux concernés, d'adapter les prescriptions techniques des marchés de travaux, d'élaborer des plans modificatifs, de vérifier les devis d'entreprise et de préparer les avenants aux marchés de travaux et à déposer un nouveau permis de construire. Il s'ensuit que les sociétés ADL et CIEC Engineering, seules des membres du groupement qui présentent une demande à ce titre, ont donc le droit d'être indemnisées des prestations supplémentaires de maîtrise d'œuvre qui ont été utiles à l'exécution de ces modifications. Au demeurant, la région Normandie ne conteste plus en appel, dans son principe, le droit à indemnisation des deux sociétés.
12. Pour procéder à l'indemnisation des deux sociétés ADL et CIEC Engineering, le tribunal administratif, relevant que la modification du programme décidée par le maître de l'ouvrage avait conduit celui-ci à conclure des avenants avec les entreprises pour un montant total de 2 233 549,82 euros hors taxes, a appliqué à ce montant, d'une part, le taux de rémunération du maître d'œuvre fixé par l'avenant n° 1 du 18 septembre 2009 à 11,98 %, et, d'autre part, un taux de 95 % évaluant ainsi, par référence au contrat de maîtrise d'œuvre, le périmètre des missions prévues au contrat affectées par la modification du programme, soit les missions APS (12 %), APD (16 %), PRO (15 %), ACT (5 %), EXE (24 %) et DET (23 %). Les premiers juges en ont déduit un montant d'indemnisation de 254 200 euros hors taxes, auquel est venu s'ajouter une somme de 33 503,25 euros hors taxes au titre de la mission OPC, également affectée par la modification du programme. Contrairement à ce que soutiennent les sociétés ADL et CIEC Engineering, le tribunal administratif a retenu dans son évaluation de l'indemnisation, pour un montant total de 287 703,25 euros hors taxes, tant les prestations supplémentaires se rapportant à la phase de conception que les prestations supplémentaires relatives à la phase de direction de l'exécution des travaux.
13. Pour réclamer une indemnisation supplémentaire au titre de la mission DET, les deux sociétés proposent, par une première approche, d'évaluer le coût représenté par l'allongement du chantier pendant plus d'un an par référence au montant prévu initialement pour un délai
de vingt-six mois, et, par une seconde approche, de retenir un chiffrage prenant en compte les réunions, déplacements et prestations réellement assurées pendant la période d'allongement des travaux. Toutefois, et ainsi qu'il a été dit plus haut, l'allongement du chantier ne donne pas lieu en tant que tel à une indemnisation du maître d'œuvre. En outre, les sociétés ADL et CIEC Engineering ne justifient pas du coût réel des prestations qu'elles indiquent avoir réalisées en supplément de leur mission initiale en raison de la modification du programme de travaux. Elles ne démontrent donc pas en quoi l'évaluation approximative qu'elles proposent devrait être retenue de préférence à celle que les premiers juges ont déterminé en se référant aux termes du contrat de maîtrise d'œuvre modifié par son avenant n° 1 qui, contrairement à ce que soutient la société CIEC Engineering, prévoit un prix forfaitaire. La circonstance que l'économie de ce contrat a été bouleversée par la modification du projet de travaux n'est pas de nature à démontrer, en tant que telle, un droit à réparation supplémentaire au regard de l'indemnisation accordée par le tribunal administratif dans les conditions rappelées ci-dessus. Il n'est pas plus établi, au vu de la répartition des missions prévues par le contrat entre les deux sociétés, que les premiers juges auraient procédé à une répartition inéquitable du montant de l'indemnisation en accordant la somme de 161 861,85 euros hors taxes, soit 194 234,22 toutes taxes comprises, à la société ADL et celle de 125 841,40 euros hors taxes, soit 151 009,68 euros toutes taxes comprises, à la société CIEC Engineering. Par suite, alors que la région Normandie ne conteste pas les indemnisations qui leur ont été accordées en première instance, et notamment le taux de taxe sur la valeur ajoutée appliqué pour leur calcul, les deux sociétés ne sont pas fondées à en réclamer une augmentation.
14. En second lieu, la clause de révision des prix a pour objet de prendre en compte les modifications des conditions économiques entre le prix du marché à la date de remise de l'offre de l'entreprise et le prix du marché à la date d'exécution effective des prestations. L'indemnité allouée par le juge étant évaluée, non à la date de remise de l'offre, mais à la date d'exécution effective des travaux ou des prestations, ladite indemnité n'est pas susceptible de se voir appliquer une formule de révision du prix. Les sociétés ADL, Gris Souris, CIEC Engineering et ABC Décibel ne sont donc pas fondées à demander que les sommes citées au point précédent fassent l'objet d'une révision.
En ce qui concerne les pénalités :
15. Aux termes de l'article 16.1 du CCAG applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles, approuvé par le décret n° 78-1306 du 26 décembre 1978 modifié, applicable au marché litigieux : " Dans le silence du marché, lorsque le délai contractuel, éventuellement assorti de prolongation de délai conformément aux stipulations de l'article 15, est dépassé, le titulaire encourt, sans mise en demeure préalable, une pénalité (...) ". Aux termes de l'article 14 du CCAP du marché en litige : " Le coût de réalisation des travaux est le coût qui résulte de contrats de travaux passés par le maître de l'ouvrage pour la réalisation du projet. / Il est égal à la somme des montants initiaux des marchés de travaux. / Un avenant fixe le montant du coût de réalisation des travaux que le maître d'œuvre s'engage à respecter. / Le maître d'œuvre est réputé avoir prévu, dans le document ayant servi de base à la consultation des entreprises, tous les travaux nécessaires à la réalisation du programme et du projet ". Aux termes de l'article 16 du même CCAP : " Le coût de réalisation des travaux est assorti d'un taux de tolérance. Ce taux de tolérance est de 1,00 % ". Aux termes de l'article 17 du même cahier : " Le seuil de tolérance est égal au coût de réalisation des travaux majoré du produit de ce coût par le taux de tolérance indiqué à l'article 16 ". Aux termes de l'article 18 de ce cahier : " Le coût constaté déterminé par le maître de l'ouvrage après achèvement de l'ouvrage est le montant, en prix de base, des travaux réellement exécutés dans le cadre des contrats, marchés, avenants, commandes hors marchés intervenus pour la réalisation de l'ouvrage et hors révisions de prix ". Aux termes de l'article 19 du CCAP : " Si le coût constaté est supérieur au seuil de tolérance tel que défini à l'article 17, le concepteur supporte une pénalité égale à la différence entre le coût constaté et le seuil de tolérance multiplié par le taux défini ci-après. Ce taux est égal au taux de rémunération fixé à l'article 2 de l'acte d'engagement multiplié par 2 ". Aux termes de l'article 7.1.1 de
ce CCAP : " Les délais d'établissement des documents d'étude sont fixés dans l'acte d'engagement. Le point de départ de ces délais est fixé comme suit : (...) Dossier des ouvrages exécutés (DOE) : date de réception des travaux ". Aux termes de l'article 7.1.2 du même cahier : " En cas de retard dans la présentation de ces documents d'étude, le maître d'œuvre subit sur ses créances, des pénalités dont le montant par jour de retard est fixé par rapport au montant du marché à (...) DOE 1/1000 ". L'article 3 de l'acte d'engagement du 18 décembre 2007 indique que les délais d'exécution des documents d'étude et du dossier des ouvrages exécutés, exprimés en nombre de semaines calendaires, est de quatre semaines pour les dossiers des ouvrages exécutés.
16. En premier lieu, les sociétés ADL, Gris Souris, CIEC Engineering et ABC Décibel ne peuvent utilement se prévaloir, pour s'opposer à l'application de pénalités par le maître de l'ouvrage, de ce que ce dernier aurait omis de leur adresser une mise en demeure préalable, laquelle n'est prévue par aucune des stipulations du contrat de maîtrise d'œuvre.
17. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que la région Normandie a calculé les pénalités résultant du non-respect, par le maître d'œuvre, du seuil de tolérance, des délais de vérification des décomptes mensuels des entreprises et du délai de remise des dossiers des ouvrages exécutés, qu'elle a évalué au montant total de 903 635,15 euros. Elle a ensuite ramené ce montant total de pénalités à la somme de 474 152,12 euros afin d'en limiter le caractère excessif. Si les sociétés ADL, Gris Souris, CIEC Engineering et ABC Décibel soutiennent que la somme de 474 152,12 euros n'a pas été ventilée entre les trois motifs susceptibles de justifier l'application de pénalités, cette circonstance ne fait pas obstacle à ce qu'elles puissent contester ces pénalités retenues à leur encontre dans leur principe comme dans leur montant. Le moyen tiré de ce qu'un montant indéterminé de pénalités a été appliqué par le maître de l'ouvrage ne peut qu'être écarté.
18. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que, par un avenant n° 1 conclu le 18 septembre 2009, le montant définitif du forfait de rémunération de la maîtrise d'œuvre a été fixé à la somme de 1 857 079,58 euros hors taxes, par application d'un taux de 11,98 % au coût prévisionnel de travaux alors arrêté à la somme de 15 501 499 euros hors taxes. Si les sociétés ADL, Gris Souris, CIEC Engineering et ABC Décibel soutiennent que, pour l'appréciation du respect du seuil de tolérance, il convient de tenir compte de ce dernier montant prévisionnel de travaux, l'avenant n° 2 du 22 février 2011 a fixé le coût de réalisation des travaux sur lequel s'est engagée l'équipe de maîtrise d'œuvre au montant de 14 973 955,84 hors taxes. En application des articles 16 et 17 précités du CCAP applicable au marché, le seuil de tolérance, égal au coût de réalisation des travaux majoré du produit de ce coût par le taux de tolérance de 1 %, est donc fixé à 15 123 695,40 euros hors taxes. Le montant total des travaux a été arrêté, sur la base de l'ensemble des décomptes généraux des entreprises ayant participé à l'opération, à la somme de 17 464 003,41 euros hors taxes, avant révision et pénalités, que la région Normandie a ramené, pour l'établissement du coût constaté des travaux au sens des articles 18 et 19 du CCAP, à la somme de 15 230 453,59 euros hors taxes après en avoir déduit les avenants conclus avec les entreprises afin de tenir compte de la modification du programme décidée par le maître de l'ouvrage, pour un montant de 2 233 549,82 euros hors taxes, et en ne retenant que les avenants dits " pénalisables " dont elle a estimé qu'ils étaient imputables à l'équipe de maîtrise d'œuvre. Au vu des pièces produites par la région, les premiers juges ont encore réduit le montant des travaux supplémentaires imputés aux sociétés membres de l'équipe de maîtrise d'œuvre en retenant un coût constaté de 15 205 298,19 euros hors taxes, supérieur au seuil de tolérance pour un montant de 81 602,79 euros hors taxes. Eu égard au taux de rémunération du maître d'œuvre, fixé en dernier lieu à 11,98 % et qu'il convient de multiplier par deux, ils ont évalué les pénalités pour dépassement du seuil de tolérance à la somme de 19 552,03 euros. Les sociétés ADL, Gris Souris, CIEC Engineering et ABC Décibel n'apportent à l'instance aucun élément de nature à démontrer que les travaux supplémentaires retenus par le tribunal administratif pour établir le coût constaté servant au calcul des pénalités seraient entièrement imputables à la modification du programme de travaux par le maître de l'ouvrage ou, à tout le moins, devraient être encore réduits afin de tenir compte de cette modification. Par suite, les sociétés membres du groupement de maîtrise d'œuvre ne sont pas fondées à soutenir qu'aucune pénalité ne peut être appliquée au titre du non-respect du seuil de tolérance.
19. En quatrième lieu, il résulte de l'instruction que la région Normandie, qui a procédé à la réception des travaux de restructuration et d'extension du lycée Edmond Labbé, en fonction des lots, les 5 avril, 24 avril, 25 avril et 7 juin 2013, a pris en compte cette dernière date pour faire courir le délai de quatre semaines pour la remise par le maître d'œuvre des dossiers des ouvrages exécutés des entreprises, ce délai expirant donc le 5 juillet 2013. Ces dossiers ne lui ayant été remis que le 2 juin 2014 avec trois cent-trente jours de retard, la région a évalué les pénalités au montant de 579 519,26 euros, en retenant, pour chaque jour de retard, 1/1000ème de la rémunération initiale de la maîtrise d'œuvre, soit 1 756 118,98 euros hors taxes selon le montant mentionné dans les pièces du marché. Contrairement à ce que soutient la société CIEC Engineering, il résulte des stipulations précitées de l'article 7.1.2 du CCAP que le taux de pénalité s'applique au montant du marché de maîtrise d'œuvre et non pas à celui des prestations concernées par le retard. Si la société ADL impute à la région Normandie la responsabilité de nombreuses défaillances dans la conduite du chantier en raison d'importantes modifications du programme de travaux, il n'est pas établi que les manquements ainsi reprochés au maître de l'ouvrage seraient à l'origine des retards du maître d'œuvre dans la remise des dossiers des ouvrages exécutés dès lors que ces retards ont été constatés à compter de la réception des travaux.
20. En cinquième lieu, si les sociétés membres du groupement de maîtrise d'œuvre critiquent la rédaction des procès-verbaux de réception versés au dossier par la région Normandie, elles ne démontrent aucunement que ces documents mentionneraient, pour les opérations préalables à la réception des travaux, une date postérieure de quatre mois à celle de la réception des travaux. Elles n'établissent pas plus que les dates retenues par le maître de l'ouvrage pour la réception des travaux seraient incohérentes et donc indéterminées.
21. En sixième lieu, le groupement de maîtrise d'œuvre, qui a établi les procès-verbaux des opérations préalables à la réception, a été informé des dates retenues par le maître de l'ouvrage pour l'achèvement des travaux, ainsi qu'il ressort des courriels produits devant la cour par la région Normandie. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que les sociétés membres du groupement n'ont pas été destinataires des procès-verbaux ne peut qu'être écarté.
22. En septième lieu, les décisions de réception des travaux ont été signées entre le 22 octobre 2013 et le 28 janvier 2014 par M. F... E..., chef de service construction et travaux, M. C... B..., directeur de la direction du patrimoine régional et M. D... A..., responsable du service aménagements, qui disposaient d'une délégation de signature donnée à cet effet par le président du conseil régional de Haute-Normandie le 14 octobre 2013, régulièrement publiée au recueil des actes administratifs de la région. Contrairement à ce que soutient la société CIEC Engineering, cette délégation permettant de signer toute décision de réception des travaux leur a été consentie quel que soit le montant de ces travaux. Par suite, le moyen tiré de ce que ces décisions de réception n'ont pas été signées par une autorité compétente manque en fait et doit être écarté.
23. En huitième lieu, les sociétés ADL, Gris Souris, CIEC Engineering et ABC Décibel ne sauraient utilement se prévaloir des dispositions du CCAG des marchés publics de prestations intellectuelles dans leur rédaction issue de l'arrêté du 30 mars 2021, qui ne trouvent à s'appliquer qu'aux marchés pour lesquels une consultation a été engagée ou un avis d'appel à la concurrence envoyé à la publication à compter du 1er avril 2021. Elles ne sauraient pas plus invoquer le principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce pour revendiquer l'application du plafonnement des pénalités à 10 % du montant des prestations livrées en retard, ainsi qu'il est prévu par l'article 14.1.2 de ce document, dès lors que les pénalités litigieuses ont été prises en application des seules stipulations du contrat auxquelles les parties ont entendu se référer pour régir leurs relations.
24. En neuvième lieu, il n'est pas établi que le maître d'œuvre se serait trouvé dans l'impossibilité d'obtenir des entreprises de travaux les éléments nécessaires à l'établissement des dossiers des ouvrages exécutés. Il n'est pas plus démontré, au vu du courriel du 17 mai 2017, que le maître de l'ouvrage aurait admis l'existence d'une telle impossibilité. Par suite, le moyen tiré de ce que les stipulations imposant au maître d'œuvre de remettre ces dossiers dans un délai contraint ne peuvent être appliquées et sont, pour ce motif, entachées de nullité, doit être écarté.
25. En dixième lieu, aux termes de l'article 16.5 du CCAG applicable aux marchés de prestations intellectuelles : " Dans le cas de cotraitants pour lesquels le paiement est effectué à des comptes séparés, les pénalités sont réparties entre les cotraitants conformément aux indications données par le mandataire, sauf stipulation différente du marché. Dans l'attente de ces indications, les pénalités sont retenues en totalité au mandataire, sans que cette opération engage la responsabilité de la personne publique à l'égard des autres cotraitants ". Il résulte de ces stipulations que s'il incombe au maître de l'ouvrage de liquider le montant global des pénalités de retard dues par l'ensemble des entreprises, il appartient au seul mandataire commun de répartir entre les entreprises les pénalités dont il fait l'avance jusqu'à ce qu'il ait fourni les indications nécessaires à leur répartition. En cas d'inaction du mandataire commun, le maître de l'ouvrage est tenu de lui imputer la totalité des pénalités. Dans cette hypothèse, sauf s'il est dans l'impossibilité de recouvrer effectivement le montant de ces pénalités sur le mandataire, le maître de l'ouvrage ne peut les imputer à une autre entreprise.
26. D'une part, ainsi qu'il est prévu à l'article 1er de l'acte d'engagement du 18 décembre 2007, les sociétés ADL, Gris Souris, CIEC Engineering et ABC Décibel ont constitué un groupement conjoint, avec la société ADL comme mandataire solidaire, en vue d'assurer la maîtrise d'œuvre de l'opération de restructuration et d'extension du lycée situé à Barentin. Il est constant que la société ADL, placée en redressement judiciaire le 3 octobre 2018, a fait l'objet d'une liquidation judiciaire par une décision du tribunal de commerce de Paris du 27 mars 2019. Par un protocole d'accord du 7 mai 2019, les sociétés ADL, Gris Souris, CIEC Engineering et ABC Décibel ont alors désigné la société CIEC Engineering comme mandataire du groupement, en lieu et place de la société ADL. Contrairement à ce que soutient la société CIEC Engineering, il ressort des termes de ce protocole d'accord que les parties l'ont substituée à la société ADL comme mandataire du groupement conjoint sans limiter son mandat aux seuls actes accomplis, postérieurement au 7 mai 2019, pour les besoins de la reddition des comptes. Dans ces conditions, et alors même que les faits invoqués par le maître de l'ouvrage pour justifier l'application de pénalités au maître d'œuvre sont antérieurs à la date à laquelle la société CIEC Engineering est devenue mandataire du groupement, la région Normandie pouvait, par un courrier du 9 février 2021, mettre en demeure la société CIEC Engineering en tant que mandataire commun afin qu'elle procède à la répartition des pénalités entre les différents membres du groupement et, en l'absence de réponse du mandataire, la région ne pouvait que lui imputer la totalité des pénalités.
27. D'autre part, si les sociétés membres d'un groupement conjoint entendent contester la répartition ressortant du décompte général du groupement, que le maître d'ouvrage a opérée entre elles au vu des indications fournies ou non par le mandataire commun en application de l'article 16.5 du CCAG applicable aux marchés de prestations intellectuelles, il leur appartient, à défaut de trouver entre elles une résolution amiable, de présenter des conclusions dirigées contre les autres sociétés membres du groupement tendant au règlement, par le juge administratif, de la répartition finale de ces pénalités entre elles. Si le juge fait droit à leur demande, en totalité ou en partie, il en tient compte dans l'établissement du solde propre à chaque société membre. Faisant état d'un protocole d'accord établi postérieurement au jugement attaqué, la société CIEC Engineering soutient que l'intégralité des pénalités doit être mise à la charge de la société ADL ou, à défaut, qu'elles doivent être réparties entre les sociétés en fonction de leur contribution respective à la mission d'assistance aux opérations de travaux (AOR). Toutefois, la société ADL conteste la validité du protocole précité, signé par son ancien dirigeant, de sorte que ce document ne permet pas de considérer que les sociétés membres du groupement de maîtrise d'œuvre ont déterminé entre elles, de façon amiable, la répartition des pénalités. En outre, la société CIEC Engineering n'expose aucun argumentaire précis sur les retards commis par les autres membres du groupement dans l'exécution du contrat de maîtrise d'œuvre et permettant de se prononcer sur une action engagée à leur encontre sur le fondement de leur responsabilité quasi-délictuelle. Au demeurant, une telle action serait nouvelle en appel dès lors que seule la responsabilité contractuelle a été invoquée devant le tribunal administratif.
28. En dernier lieu, lorsque le titulaire du marché saisit le juge de conclusions tendant à ce qu'il modère les pénalités mises à sa charge, il ne saurait utilement soutenir que le pouvoir adjudicateur n'a subi aucun préjudice ou que le préjudice qu'il a subi est inférieur au montant des pénalités mises à sa charge. Il lui appartient de fournir aux juges tous éléments, relatifs notamment aux pratiques observées pour des marchés comparables ou aux caractéristiques particulières du marché en litige, de nature à établir dans quelle mesure ces pénalités présentent selon lui un caractère manifestement excessif. Au vu de l'argumentation des parties, il incombe au juge soit de rejeter les conclusions dont il est saisi en faisant application des clauses du contrat relatives aux pénalités, soit de rectifier le montant des pénalités mises à la charge du titulaire du marché dans la seule mesure qu'impose la correction de leur caractère manifestement excessif.
29. Il résulte de ce qui a été dit plus haut que la région Normandie, qui était en droit d'appliquer aux sociétés ADL, Gris Souris, CIEC Engineering et ABC Décibel des pénalités pour un montant total de 599 071,29 euros, en a réduit le montant global à la somme de 474 152,12 euros. Alors que ce montant correspond à 25,53 % du montant final hors taxe du marché, soit 1 857 079 euros, les sociétés membres du groupement de maîtrise d'œuvre n'apportent à l'instance aucun élément sur les pratiques observées pour des marchés comparables ou sur les caractéristiques particulières de leur contrat, de nature à établir le caractère manifestement excessif des pénalités litigieuses. Si la société CIEC Engineering fait valoir que les pénalités représentent une part importante du montant des prestations qui lui ont été confiées dans le cadre du contrat de maîtrise d'œuvre, ces pénalités n'ont pas pour objet de sanctionner les seuls retards dans l'exécution de la part des prestations lui incombant et ont été mises entièrement à sa charge au seul motif qu'elle n'a pas indiqué au maître de l'ouvrage, en sa qualité de mandataire, les informations nécessaires à leur répartition entre les membres du groupement. Par suite, le moyen tiré de ce que les pénalités présentent un caractère excessif et doivent être modérées ne peut qu'être écarté.
30. Il résulte de ce qui précède, et notamment des points 9 et 13, que le solde du décompte général du marché de maîtrise d'œuvre s'établit aux montants toutes taxes comprises de 250 337,74 euros pour la société ADL, de 66 661,74 euros pour la société Gris Souris, de 231 082,96 euros pour la société CIEC Engineering et de 6 049,24 euros pour la société ABC Décibel. Eu égard, d'une part, aux versements auxquels la région Normandie a procédé pour des montants de 56 103,52 euros pour la société ADL, de 66 661,74 euros pour la société Gris Souris et de 6 049,24 euros pour la société ABC Décibel, et, d'autre part, aux pénalités retenues à l'encontre de la société CIEC Engineering pour un montant de 474 152,12 euros, la région Normandie est fondée à soutenir en appel qu'elle est seulement redevable d'une somme de 194 234,22 euros à la société ADL.
En ce qui concerne les autres conclusions indemnitaires présentées par le maître d'œuvre :
31. Les sociétés ADL et CIEC Engineering réitèrent en appel leurs conclusions tendant à la condamnation de la région Normandie à leur verser la somme de 100 000 euros chacune en raison de la résistance abusive du maître de l'ouvrage, caractérisée notamment par son refus injustifié de régler leurs notes d'honoraires, et, plus généralement, en raison de fautes que l'administration aurait commises dans la conception du projet et la conduite des travaux, à l'origine d'un allongement de la durée du chantier. Les sociétés Gris Souris et ABC Décibel demandent en appel les sommes, respectivement, de 30 000 euros et de 25 000 euros, en alléguant les mêmes reproches à l'égard de la région Normandie. Toutefois, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, il n'est pas démontré que les préjudices invoqués, résultant de pertes de trésorerie ou de surcoûts de fonctionnement en lien avec la prolongation des travaux au-delà du terme initialement prévu, ne seraient pas réparés par la rémunération additionnelle accordée dans le cadre de l'établissement du décompte général du marché ou par l'allocation d'intérêts moratoires.
En ce qui concerne les intérêts moratoires :
32. Aux termes de l'article 98 du code des marchés publics, dans sa version applicable au litige : " Le délai global de paiement d'un marché public ne peut excéder 45 jours (...) Le dépassement du délai de paiement ouvre de plein droit et sans autre formalité, pour le titulaire du marché ou le sous-traitant, le bénéfice d'intérêts moratoires, à compter du jour suivant l'expiration du délai. Un décret précise les modalités d'application du présent article ". L'article 6.4 du CCAP applicable au marché prévoit un délai global de paiement
de quarante-cinq jours à compter de la date de réception des factures ou des demandes de paiement équivalentes. Aux termes de l'article 1er du décret n° 2002-232 du 21 février 2002 relatif à la mise en œuvre du délai maximum de paiement dans les marchés publics, applicable au litige s'agissant d'un marché signé en 2007 : " Le point de départ du délai global de paiement (...) est la date de réception de la demande de paiement par les services de la personne publique contractante (...). Toutefois : - le point de départ du délai global de paiement est la date d'exécution des prestations lorsqu'elle est postérieure à la date de réception de la demande de paiement (...) ".
33. En premier lieu, les sociétés ADL, Gris Souris, CIEC Engineering et ABC Décibel demandent à nouveau en appel que, pour les notes d'honoraires n° 12 et 12 bis de mars 2017 et n° 13 d'août 2018 réclamant le règlement de prestations prévues au marché de maîtrise d'œuvre, les intérêts moratoires aient pour point de départ le terme du délai global de paiement de ces factures. Toutefois, il résulte des dispositions précitées de l'article 1er du décret du 21 février 2002 que le point de départ du délai global de paiement est la date d'exécution des prestations lorsqu'elle est postérieure à la date de réception de la demande de paiement. A cet égard, il ressort des éléments produits à l'instance par la région Normandie, qui ne sont pas utilement contestés par les sociétés, que le maître de l'ouvrage a refusé de régler les notes d'honoraires précitées au motif que l'ensemble des prestations facturées n'avaient pas été exécutées, en l'absence de production des documents nécessaires à la notification du décompte général à deux entreprises de travaux. Ces éléments ont été communiqués à l'administration par un courrier de la société CIEC Engineering du 30 septembre 2019, date qui doit donc être retenue comme le point de départ du délai global de paiement. Dans ces conditions, les sociétés membres du groupement de maîtrise d'œuvre ne sont pas fondées à soutenir que les intérêts moratoires devraient, s'agissant de leurs notes d'honoraires, commencer à une date antérieure à celle du 30 septembre 2019, à laquelle les premiers juges ont fixé le point de départ des intérêts moratoires sans que la région le conteste devant la cour.
34. En second lieu, les sociétés ADL, CIEC Engineering, Gris Souris et ABC Décibel demandent également que le point de départ des intérêts moratoires soit fixé, s'agissant du montant de la condamnation se rapportant aux prestations supplémentaires, au terme du délai global de paiement courant à compter de la notification de leur réclamation, dont l'administration a reçu notification le 12 septembre 2018. Il résulte toutefois de l'instruction que seul le décompte final des sociétés a alors été adressé à la région Normandie, accompagné d'un document qui ne saurait être regardé comme le mémoire de réclamation contestant le décompte général établi par l'administration, ce mémoire ayant été transmis ultérieurement par un courrier daté du 16 décembre 2020. Dans ces conditions, les sociétés ne sont pas fondées à demander que les intérêts moratoires courant sur le montant des prestations supplémentaires aient pour point de départ une date antérieure à celle du 30 septembre 2019, retenue par les premiers juges et non contestée par la région Normandie.
35. Il résulte de tout ce qui précède que la région Normandie est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen l'a condamnée à verser les sommes toutes taxes comprises de 263 624,10 euros à la société ADL, de 51 544,13 euros à la société Gris Souris et de 3 373,05 euros à la société ABC Décibel, qu'il y a lieu de ramener à la somme de 194 234,22 euros toutes taxes comprises pour la société ADL, aucune somme n'étant due aux deux autres sociétés. En revanche, les sociétés ADL, Gris Souris, CIEC Engineering et ABC Décibel ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le même jugement, le tribunal administratif de Rouen a limité le montant des condamnations aux montant précités.
36. Dès lors que le présent arrêt se prononce sur la requête de la région Normandie tendant à la réformation du jugement du tribunal administratif de Rouen du 22 décembre 2023, les conclusions de la requête n° 24DA00357 tendant au sursis à l'exécution de ce jugement sont privées d'objet.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
37. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de la région Normandie n° 24DA00357.
Article 2 : La somme toutes taxes comprises de 263 624,10 euros que la région Normandie a été condamnée à verser à la société ADL par le jugement du tribunal administratif de Rouen n° 2003456, 2100384, 2101234 du 22 décembre 2023 est ramenée à 194 234,22 euros. Aucune somme n'est due par la région Normandie aux sociétés Gris Souris et ABC Décibel.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Rouen du 22 décembre 2023 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la région Normandie n° 24DA00355 et les conclusions présentées sous cette requête par les sociétés ADL, Gris Souris, CIEC Engineering et ABC Décibel au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 5 : La requête n° 24DA00359 et les conclusions présentées sous cette requête par la région Normandie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la région Normandie, à la SCP Brouard Daude, liquidateur de la société ADL, à la société Gris Souris, à la société CIEC Engineering et à la société ABC Décibel.
Délibéré après l'audience publique du 17 juin 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- M. Paul Groutsch, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 2 juillet 2025.
Le président-rapporteur,
Signé : J.-M. Guérin-LebacqLa présidente de chambre,
Signé : M.-P. ViardLa greffière,
Signé : C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne au préfet de la région Normandie en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Par délégation,
La greffière
C. Huls-Carlier
2
N° 24DA00355, 24DA00357, 24DA00359