Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler la décision implicite par laquelle le département de la Somme a rejeté sa demande d'indemnisation des préjudices subis du fait de sa maladie professionnelle et de condamner le département de la Somme à lui rembourser les frais médicaux qu'il a engagés et à lui verser une rente au titre de son incapacité permanente partielle à hauteur de 30 %, ainsi qu'une somme de 40 000 euros en réparation de son préjudice moral.
Par un jugement n° 2202390 du 29 décembre 2023, le tribunal administratif d'Amiens a condamné le département de la Somme à verser une somme de 2 000 euros à M. B... en réparation de son préjudice moral et a rejeté le surplus de sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 27 février 2024, M. B..., représenté par Me Claeys, demande à la cour :
1°) de réformer le jugement du 29 décembre 2023 et de condamner le département de la Somme à lui verser une somme de 40 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
2°) de mettre à la charge du département de la Somme une somme de 2 500 euros au titre des frais exposés devant le tribunal administratif et une somme de même montant au titre des frais exposés en appel, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la responsabilité sans faute de la collectivité est engagée en raison des agissements constitutifs de harcèlement moral dont il a été victime de la part de son supérieur hiérarchique ;
- ces agissements résultent du changement d'affectation décidé à la fin de l'année 2017, des reproches de son supérieur hiérarchique sur la qualité de son travail en mars 2018, des conditions dans lesquelles il a été mis en cause à l'occasion de l'organisation d'une exposition photographique en mai 2018, et de la forte personnalité de son supérieur hiérarchique ;
- ces agissements sont répétés, ont conduit à une dégradation de ses conditions de travail dont il a fait état dans le cadre du dispositif " alerte souffrance travail " et se trouvent à l'origine de ses arrêts de travail et de sa pathologie reconnue imputable au service ;
- la gravité des symptômes liés à sa pathologie et la mise en cause de ses perspectives professionnelles justifient que son préjudice moral soit évalué à la somme de 40 000 euros ;
- son préjudice moral présente un lien direct et certain avec le dénigrement dont il a fait l'objet de la part de son supérieur hiérarchique.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 septembre 2024, le département de la Somme, représenté par Me Leprêtre, conclut au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident, à l'annulation du jugement attaqué et au rejet de la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif d'Amiens, et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de ce dernier au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la requête d'appel est irrecevable en l'absence de moyens propres à contester le jugement attaqué ;
- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;
- le requérant ne justifie pas subir un préjudice moral imputable à sa pathologie professionnelle dès lors que la personnalité de l'intéressé, sa volonté de conserver son autonomie en dépit de la réorganisation du service, et son comportement inapproprié à l'égard de son supérieur hiérarchique en sont à l'origine.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- les conclusions de M. Malfoy, rapporteur public,
- et les observations de Me Claeys, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., né en 1962, a été recruté en 1992 comme agent d'entretien territorial par le département de la Somme où il a poursuivi sa carrière jusqu'à atteindre le grade de technicien principal de 1ère classe. Exerçant les fonctions de photographe au sein de la direction de la culture, avec un rattachement à l'Historial de Péronne, il a été affecté à la direction de la communication à compter du 15 janvier 2018. Placé de façon continue en congé de maladie à partir du 22 mai 2018, M. B... a demandé la reconnaissance de l'imputabilité au service de sa maladie. Au vu d'expertises médicales favorables, le président du conseil départemental de la Somme a, par un arrêté du 30 janvier 2020 auquel s'est substitué un arrêté du 1er avril 2021, placé l'intéressé en congé pour invalidité temporaire imputable au service à compter du 22 mai 2018. Par un courrier du 29 mars 2022, M. B... a saisi le département de la Somme d'une demande d'indemnisation des préjudices résultant selon lui de sa maladie professionnelle, en invoquant le droit à obtenir réparation de ses préjudices patrimoniaux et personnels, même en l'absence de faute de l'administration, ainsi que des faits constitutifs de harcèlement moral dont il estime avoir été victime lors de son affectation à la direction de la communication. En l'absence de réponse de l'administration, il a ensuite saisi le tribunal administratif d'Amiens de ses conclusions tendant au versement d'une rente d'invalidité, au remboursement de ses frais médicaux et à la condamnation du département à réparer son préjudice moral pour un montant de 40 000 euros. Par un jugement du 29 décembre 2023, le tribunal administratif, retenant que la pathologie du requérant présentait un lien avec le service, a condamné le département de la Somme à verser la somme de 2 000 euros à l'intéressé en réparation de son préjudice moral et a rejeté le surplus de sa demande. M. B... relève appel de ce jugement en réitérant devant la cour sa demande d'indemnisation de son préjudice moral pour un montant de 40 000 euros. Par un appel incident, le département de la Somme sollicite l'annulation du jugement du 29 décembre 2023 et le rejet de la demande présentée par le requérant devant le tribunal administratif d'Amiens.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne le harcèlement moral allégué :
2. Aux termes du premier alinéa de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983, repris depuis à l'article L. 133-2 du code général de la fonction publique : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ". Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.
3. En premier lieu, si M. B... soutient qu'il a reçu une nouvelle affectation à la fin de l'année 2017 sans en avoir été préalablement informé, il résulte des éléments produits en défense que ce changement d'affectation s'inscrit dans le cadre d'une réorganisation des services impliquant, notamment, le rattachement des photographes du département à la direction de la communication. Le département de la Somme justifie que le requérant a été mis à même de faire valoir ses observations sur le changement d'affectation envisagé, et qu'une suite favorable a été donnée à plusieurs de ses demandes tenant notamment à l'appui de la collectivité en vue de l'obtention d'une certification au pilotage de drones, au maintien de son activité auprès de l'Historial de Péronne à raison de trois jours par semaine et à la participation aux rencontres photographiques d'Arles dans le cadre de son master 2. M. B... n'apporte aucun élément à l'appui de ses allégations selon lesquelles le directeur de la communication aurait tenu des propos blessants à son encontre lors du comité technique paritaire du 30 novembre 2017, ce dont le directeur se défend expressément dans un courriel du 10 janvier 2018. Si le nouveau supérieur hiérarchique de M. B... lui précise, dans ce même courriel, que le maintien dans les fonctions de photographe dépend d'une affectation à la direction de la communication, ces propos, conformes à ce qui a été décidé dans le cadre du projet de réorganisation des services, ne présentent aucun caractère virulent.
4. En deuxième lieu, le refus du département de la Somme d'acquérir un drone pour un montant de 12 003,72 euros est justifié par son coût trop élevé et non par la volonté de brimer M. B..., qui a suivi une formation au pilotage de cet équipement. Il ressort des courriels des 14 et 15 mai 2018 que le directeur de la communication s'est étonné du déplacement du requérant à Paris à cette dernière date alors qu'il avait signé un ordre de mission pour une date ultérieure. Il ne résulte donc pas de ces éléments que des ordres contradictoires auraient été donnés à M. B... dans l'exercice de ses fonctions.
5. En troisième lieu, le requérant soutient que le directeur de la communication lui a reproché sa présence, à titre professionnel, lors d'une cérémonie prévue le 25 mars 2018, alors qu'il avait reçu un courriel lui demandant de réaliser un reportage photographique les 24 et 25 mars 2018. Le directeur de la communication l'aurait encore mis en cause, au cours du mois de mai 2018, pour l'avoir tardivement prévenu de l'organisation d'une exposition, quelques jours avant la date prévue pour cet évènement, alors que le supérieur en avait été informé. Toutefois, il résulte de l'instruction que, si la présence de M. B... à une cérémonie, qui résulte d'un malentendu, a conduit son supérieur à lui adresser des reproches, ceux-ci n'ont pas été exprimés dans des propos excédant l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Les courriels dans lesquels le directeur de la communication indique avec véhémence son mécontentement quant à l'organisation de l'exposition ont été adressés à l'artiste exposant, en réponse aux courriels de ce dernier, eux-mêmes virulents. Dans ces conditions, si les propos tenus par son supérieur hiérarchique en mars et mai 2018 ont été ressentis comme injustifiés par l'intéressé, il ne résulte pas de l'instruction qu'ils seraient constitutifs d'un harcèlement moral.
6. En dernier lieu, M. B..., qui a alerté le médecin du travail dès le mois de mars 2018 et s'est manifesté auprès du dispositif " souffrance au travail " le 6 avril 2018, se prévaut des expertises médicales rendues dans le cadre de l'instruction de sa demande d'imputabilité au service, dont il ressort qu'il présente un trouble dépressif sévère à la suite d'une réorganisation de la structure professionnelle l'ayant conduit notamment à un manque d'autonomie contrastant avec ses fonctions antérieures, au ressenti d'une sous-utilisation de ses compétences et à des rapports dégradés avec sa nouvelle hiérarchie. Si les experts, qui n'ont décelé aucun antécédent psychiatrique chez le requérant, ont conclu que sa souffrance au travail présentait un lien direct avec le service, ce que le département de la Somme a reconnu le 30 janvier 2020, il résulte de l'instruction que M. B..., réfractaire aux nouvelles conditions de travail résultant de la réorganisation de la direction de la communication, ne participait pas aux réunions de service hebdomadaires sans s'en excuser, ne rendait pas compte des commandes de reportages adressées par courriel et ne donnait pas d'informations sur l'organisation d'une partie de son temps de service. Il ressort du courriel du directeur de la communication du 10 avril 2018 que M. B... a feint d'ignorer la présence de son supérieur hiérarchique au cours d'une conférence tenue le 6 avril précédent en adoptant à son égard un comportement inapproprié. Si les courriels émanant du directeur de la communication font état de reproches sur la manière de servir du requérant, ils ne révèlent pas une volonté de le dénigrer et s'inscrivent dans l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.
7. Il résulte de tout ce qui précède, eu égard notamment au comportement de M. B... dans le cadre professionnel, que les éléments dont il fait état, pris isolément ou dans leur ensemble, ne permettent pas de faire présumer l'existence d'agissements répétés constitutifs d'un harcèlement moral ou, compte tenu des éléments produits en défense, de regarder le harcèlement allégué comme établi.
En ce qui concerne la maladie professionnelle :
8. En premier lieu, une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.
9. Il ressort des expertises médicales citées plus haut que M. B... a présenté un trouble dépressif sévère à compter de l'année 2018 à la suite d'une réorganisation des services. Si le département de la Somme soutient que le comportement adopté par le requérant, réticent à l'égard de cette réorganisation, ne permet pas de regarder sa pathologie comme imputable au service, les experts médicaux ont relevé que l'intéressé ne présentait pas d'antécédents psychiatriques avant son changement d'affectation au début de l'année 2018. Cette nouvelle affectation, caractérisée par une moindre autonomie par rapport à ses fonctions antérieures, est à l'origine pour M. B... d'une importante souffrance au travail nécessitant des soins hospitaliers et des soins psychothérapiques institutionnels associés à des soins psychiatriques. En outre, si certains comportements inadaptés peuvent être reprochés à M. B... dans le cadre de ses fonctions, ils ne sont pas de nature à révéler un fait personnel ou une circonstance particulière conduisant à détacher la survenance de la maladie du service. Au demeurant, l'administration a reconnu l'imputabilité au service de la pathologie du requérant. Par suite, le département de la Somme n'est pas fondé à soutenir qu'en l'absence d'une telle imputabilité, M. B... n'a pas droit à l'indemnisation des préjudices en lien avec sa maladie.
10. En second lieu, les dispositions qui instituent, en faveur des fonctionnaires victimes d'accidents de service ou atteints de maladies professionnelles, une rente d'invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les intéressés peuvent prétendre, au titre des conséquences patrimoniales de l'atteinte à l'intégrité physique, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Elles ne font obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui a enduré, du fait de l'accident ou de la maladie, des dommages ne revêtant pas un caractère patrimonial, tels que des souffrances physiques ou morales, un préjudice esthétique ou d'agrément ou des troubles dans les conditions d'existence, obtienne de la collectivité qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien lui incomberait.
11. M. B... fait état de la détérioration de son état de santé depuis 2018, des hospitalisations et des soins psychiatriques dont il fait l'objet, lesquels compromettent son évolution de carrière, du harcèlement moral reproché à son supérieur hiérarchique et de la circonstance que l'administration a reconnu l'imputabilité au service de sa maladie. Toutefois, eu égard notamment à la circonstance que le harcèlement moral allégué n'est pas établi, il ne résulte pas de l'instruction que les premiers juges auraient fait une appréciation insuffisante du préjudice moral subi par M. B... en lui allouant la somme de 2 000 euros.
12. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le département de la Somme, que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a limité le montant des réparations à la somme de 2 000 euros. Il résulte également de ce qui précède que l'appel incident du département de la Somme doit être rejeté.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Si M. B... demande une somme de 2 500 euros en raison des frais exposés devant le tribunal administratif, il n'expose aucun argumentaire contestant l'appréciation des premiers juges qui ont estimé que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y avait pas lieu de faire application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans ces conditions, la demande du requérant ne peut qu'être rejetée.
14. En outre, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du département de la Somme, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme dont M. B... demande le versement au titre des frais exposés par lui en appel et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... la somme dont le département de la Somme demande le versement sur le fondement des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : L'appel incident et les conclusions du département de la Somme présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au département de la Somme.
Délibéré après l'audience publique du 3 juin 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Geneviève Verley-Cheynel, présidente de la cour,
- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 juin 2025.
Le président-rapporteur,
Signé : J.-M. Guérin-LebacqLa présidente de la cour,
Signé : G. Verley-CheynelLa greffière,
Signé : C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne au préfet de la Somme en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Par délégation,
La greffière
C. Huls-Carlier
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N° 24DA00408