Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme F... E..., veuve D..., M. C... D... et Mme B... D..., épouse G..., ont demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler la décision du 13 avril 2021 par laquelle le président de l'université de Rouen Normandie a rejeté leur demande de reconnaissance de l'imputabilité au service de la pathologie dont est décédé leur époux et père, M. A... D..., d'enjoindre au président de l'université de Rouen Normandie de reconnaître l'imputabilité au service de cette pathologie et de les renvoyer devant l'organisme compétent pour la liquidation de leurs droits.
Par un jugement n° 2200505 du 28 novembre 2023, le tribunal administratif de Rouen a annulé la décision du 13 avril 2021 et a rejeté le surplus de leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 24 janvier 2024, Mme E..., veuve D..., et ses enfants, représentés par Me Bouvet, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 28 novembre 2023 en ce qu'il a rejeté le surplus de leurs conclusions ;
2°) d'annuler la décision du 16 juin 2023 par laquelle le président de l'université de Rouen Normandie a rejeté leur demande de reconnaissance de l'imputabilité au service de la pathologie dont est décédé leur époux et père, M. A... D... ;
3°) d'enjoindre à l'université de Rouen Normandie de reconnaître l'imputabilité au service de la pathologie dont est décédé M. D... ;
4°) de les renvoyer devant l'organisme compétent pour la liquidation de leurs droits ;
5°) de mettre à la charge de l'université de Rouen Normandie une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la pathologie cancéreuse dont leur époux et père est décédé est présumée imputable au service en application de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires dès lors qu'elle figure dans le tableau des maladies professionnelles, qu'elle a fait l'objet d'une constatation médicale dans le délai de prise en charge et que la victime a été exposée à l'action d'agents nocifs mentionnés par ce tableau en exécutant des travaux susceptibles de provoquer la maladie ;
- la pathologie dont M. D... est décédé présente à tout le moins un lien de causalité direct avec ses conditions de travail dès lors qu'il a travaillé dans des locaux amiantés, quand bien même ce lien ne serait pas exclusif ;
- son exposition à l'amiante avant son entrée dans la fonction publique ne fait pas obstacle à la reconnaissance d'un lien direct de causalité entre ses fonctions à l'université et sa maladie et à la prise en charge par son dernier employeur ;
- aucune autre étiologie ne peut expliquer le cancer broncho-pulmonaire dont est décédé M. D... ;
- aucune circonstance particulière n'est susceptible de détacher la pathologie du service.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 mai 2024, l'université de Rouen Normandie, représentée par Me Pichon, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 000 euros soit mise à la charge des requérants au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- le code de la sécurité sociale ;
- l'ordonnance n° 2017-53 du 19 janvier 2017 ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;
- le décret n° 2019-122 du 21 février 2019 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- et les conclusions de M. Malfoy, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... D..., né le 15 avril 1964, a été recruté par l'université de Rouen Normandie comme technicien de recherche et de formation à compter du 1er avril 1994. L'intéressé étant décédé le 30 mai 2018 d'un cancer broncho-pulmonaire, son épouse a présenté le 30 janvier 2020 une déclaration de maladie professionnelle au titre de la pathologie à l'origine du décès. Par une décision du 13 avril 2021, le président de l'université Rouen Normandie a rejeté la demande visant à obtenir la reconnaissance de l'imputabilité au service de la maladie de M. D.... Le président de l'université a confirmé son refus par une décision du 16 juin 2023. Mme D... et ses deux enfants ont contesté ce refus d'imputabilité devant le tribunal administratif de Rouen qui, par un jugement du 28 novembre 2023, a considéré que leur recours était dirigé contre les deux décisions des 13 avril 2021 et 16 juin 2023, a annulé la première décision pour un vice de procédure et a rejeté le surplus de leurs conclusions. Mme D... et ses enfants relèvent appel de ce jugement en tant qu'il rejette le surplus de leur demande.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En premier lieu, l'article 10 de l'ordonnance du 19 janvier 2017 portant diverses dispositions relatives au compte personnel d'activité, à la formation et à la santé et la sécurité au travail dans la fonction publique a institué un " congé pour invalidité temporaire imputable au service " en insérant dans la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires un article 21 bis qui prévoit notamment, aux termes de dispositions désormais codifiées à l'article L. 822-20 du code général de la fonction publique que : " (...) II. - Est présumé imputable au service tout accident survenu à un fonctionnaire, quelle qu'en soit la cause, dans le temps et le lieu du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par le fonctionnaire de ses fonctions ou d'une activité qui en constitue le prolongement normal, en l'absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant l'accident du service. / (...) IV. - Est présumée imputable au service toute maladie désignée par les tableaux de maladies professionnelles mentionnés aux articles L. 461-1 et suivants du code de la sécurité sociale et contractée dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par le fonctionnaire de ses fonctions (...) ".
3. D'une part, l'application de ces dispositions est manifestement impossible en l'absence d'un texte réglementaire fixant notamment les conditions de procédure applicables à l'octroi du nouveau congé pour invalidité temporaire imputable au service. Elles sont donc devenues applicables, s'agissant de la fonction publique de l'Etat, depuis l'entrée en vigueur, le 24 février 2019, du décret du 21 février 2019 relatif au congé pour invalidité temporaire imputable au service dans la fonction publique de l'Etat. D'autre part, le droit des agents publics à bénéficier d'une prise en charge par l'administration à raison d'un accident ou d'une maladie reconnus imputables au service est constitué à la date à laquelle l'accident est intervenu ou la maladie a été diagnostiquée. Il s'en déduit que, pour un accident survenu avant l'entrée en vigueur de l'article 10 de l'ordonnance du 19 janvier 2017 ou une maladie diagnostiquée avant cette date, il convient d'apprécier leur imputabilité au service dans les conditions prévues par les dispositions applicables avant cette entrée en vigueur.
4. Il ressort des déclarations des requérants et des documents médicaux produits à l'instance que la pathologie présentée par M. D..., dont les requérants demandent l'imputabilité au service, a été diagnostiquée le 24 janvier 2018, avant l'entrée en vigueur des dispositions issues de l'article 10 de l'ordonnance du 19 janvier 2017. Dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à se prévaloir de la présomption d'imputabilité au service prévues par ces dispositions.
5. En second lieu, d'une part, il ne ressort pas des pièces du dossier que la demande d'imputabilité au service aurait été présentée en vue de l'attribution d'une allocation temporaire d'invalidité, en principe versée, en supplément de son traitement, au fonctionnaire atteint d'une maladie professionnelle et maintenu en activité. Par ailleurs, avant que l'ordonnance du 19 janvier 2017 ne rende applicable aux fonctionnaires, en introduisant un article 21 bis dans la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, la présomption d'imputabilité au service des maladies désignées par les tableaux de maladies professionnelles mentionnés aux articles L. 461-1 et suivants du code de la sécurité sociale, aucune disposition de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ou du code des pensions civiles et militaires de retraite, ni aucune autre disposition législative ne rendaient applicable aux fonctionnaires relevant de la fonction publique de l'Etat ce régime de présomption d'imputabilité au service d'une maladie. Dans ces conditions, il appartient aux appelants d'établir que la maladie dont a souffert M. D... présente un lien direct avec les conditions dans lesquelles ce dernier a exercé ses fonctions à l'université de Rouen Normandie, de nature à susciter le développement de sa maladie, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.
6. D'autre part, M. D... a exercé, de 1994 à 1999, les fonctions d'opérateur maintenance sur le site de la faculté de médecine et de l'institut universitaire de technologie Madrillet, le conduisant à réaliser des travaux de maintenance tous corps d'état en maçonnerie, menuiserie, vitrerie, peinture, plomberie et électricité. Les requérants produisent sur ce point l'attestation établie le 2 mars 2021 par un ancien collègue de l'intéressé, indiquant que celui-ci intervenait sur des matériaux amiantés tels des clapets coupe-feu, des trappes de désenfumage, des dalles de revêtement de sols, des tuyaux d'évacuation des eaux usées, et des plafonds et faux-plafonds floqués. Toutefois, ce témoignage est en partie contredit par les dossiers techniques amiante (DTA) des bâtiments et un rapport diagnostic établi en 1996 dont il ressort que l'amiante a été décelée sur ce site au niveau des conduits de fluide, des dalles de sol en vinyle et d'un revêtement de mur en panneaux vissés, à l'exclusion des flocages, faux plafonds et calorifuges qui ne contiennent pas d'amiante. Aussi, et alors que la fréquence des interventions de M. D... n'est pas précisée au cours des cinq années pendant lesquelles il a été affecté sur le site de Madrillet, il n'est pas établi que ses travaux l'auraient conduit à une exposition à l'amiante dans des conditions expliquant sa maladie. M. D... a exercé son activité à l'unité de formation et de recherche (UFR) STAPS, de 1999 à 2018, en qualité d'électricien, chargé de la mise en place des installations électriques, de leur rénovation et du remplacement des boîtiers et de travaux de raccordement, nécessitant le percement et la découpe de parois et de cloisons. Si des matériaux à base d'amiante étaient présents dans les menuiseries et revêtements extérieurs des bâtiments de l'UFR STAPS, dans les conduits de fluides et des gaines de ventilation de ces bâtiments, dans le ragréage de certains sols, dans certains revêtements de sol, dans le plancher haut sous-face de l'escalier et les enduits de cet escalier et dans la sortie de toiture en amiante-ciment, il n'est pas démontré que les travaux liés à la maintenance des installations électriques, dont la fréquence est imprécise, auraient conduit M. D... à intervenir sur des équipements contenant des matériaux à base d'amiante dans des conditions telles que sa pathologie devrait être regardée comme imputable au service. Ni la circonstance que les bâtiments dans lesquels l'intéressé a exercé ses fonctions ont fait l'objet de travaux de désamiantage, ni les documents généraux sur les risques auxquels sont exposés les ouvriers chargés de la maintenance ne sont de nature à établir un tel lien. A cet égard, le certificat médical du 4 février 2020 évoque les activités professionnelles de l'intéressé dans des locaux amiantés tout en précisant que, si le scanner du 21 février 2018 montre un épanchement pleural et une masse hilaire droite, il n'est pas possible de noter des plaques pleurales caractérisées d'une exposition à l'amiante du côté gauche. Le certificat du 21 janvier 2021, qui mentionne que les requérants sont en mesure de " bénéficier de la prise en charge au titre des maladies professionnelles n° 30 bis " en raison de l'exposition à l'amiante de leur époux et père au cours de son parcours professionnel, se réfère au tableau des maladies professionnelles n° 30 bis annexé au code de la sécurité sociale pour l'application d'une présomption d'imputabilité à laquelle, ainsi qu'il a été dit plus haut, ils ne peuvent pas prétendre. Par suite, en l'absence de lien direct entre la pathologie dont M. D... est décédé et les conditions dans lesquelles ce dernier a exercé ses fonctions à l'université de Rouen Normandie, les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation du refus de reconnaitre sa maladie comme imputable au service.
7. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté leurs conclusions d'annulation de ce refus d'imputabilité. Par suite, leurs conclusions présentées à fin d'injonction ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'université de Rouen Normandie, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme dont les requérants demandent le versement au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des requérants la somme dont l'université de Rouen Normandie demande le versement sur le fondement des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme D... et autres est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de l'université de Rouen Normandie présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... E..., veuve D..., première désignée dans la requête, et à l'université de Rouen Normandie.
Délibéré après l'audience publique du 22 avril 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- Mme Dominique Bureau, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 mai 2025.
Le président-rapporteur,
Signé : J-M. Guérin-LebacqLa présidente de chambre,
Signé : M-P. Viard
La greffière,
Signé : A-S. Villette
La République mande et ordonne à la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
Pour la greffière en chef,
par délégation,
La greffière,
Anne-Sophie Villette
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N°24DA00146