Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner le centre hospitalier universitaire régional (CHRU) de Lille, la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) à lui verser la somme totale de 2 701 187,03 euros en réparation de ses préjudices.
Par un jugement n° 2101879 du 2 novembre 2023, le tribunal administratif de Lille a condamné le CHRU de Lille et la SHAM à lui verser la somme de 6 148,40 euros, ainsi que les sommes de 14 074 euros et 1 162 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Artois.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 29 décembre 2023 et les 23 février 2023 et 16 septembre 2024, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de l'Artois, représentée par Me de Berny, demande à la cour :
1°) de réformer le jugement attaqué ;
2°) de condamner solidairement le CHRU de Lille et la société Relyens mutual insurance, venant aux droits de la SHAM, à lui verser une somme de 340 151,94 euros, assortie des intérêts à compter du 21 juillet 2021, ainsi qu'une somme de 1 191 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;
3°) de mettre à la charge solidaire du CHRU de Lille et de la société Relyens mutual insurance une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a limité la responsabilité du CHRU de Lille aux conséquences dommageables du retrait de la sonde vésicale le 15 novembre 2010 ;
- les fautes commises par le centre hospitalier ont joué un rôle déterminant dans l'atteinte à la fonction rénale de la patiente ;
- le CHRU doit être condamné à lui rembourser ses débours qui s'élèvent à la somme définitive de 636 846,31 euros, réduite éventuellement à proportion de la part de responsabilité du centre hospitalier ;
- le CHRU de Lille sera condamné à lui verser la somme de 1 191 euros au titre de l'indemnité de gestion.
Par un mémoire, enregistré le 8 mars 2024, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, représenté par Me Welsh, demande à la cour de rejeter les conclusions qui seraient dirigés à son encontre.
Il fait valoir que le jugement attaqué doit être confirmé en ce qu'il a jugé que les conditions d'engagement de sa responsabilité au titre de la solidarité nationale ne sont pas réunies et en ce qu'il l'a mis hors de cause pour ce motif.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 janvier 2025, le CHRU de Lille et la société Relyens mutual insurance, représentés par la SARL Le Prado-Gilbert, demandent à la cour de rejeter la requête.
Ils font valoir que :
- seul le retrait précoce de la sonde vésicale de Mme A... effectué le 15 novembre 2010 sans s'assurer d'une complète cicatrisation de l'anastomose et sans surveillance urologique constitue une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier pour les seuls préjudices consécutifs à ce retrait.
- les moyens soulevés par la CPAM de l'Artois ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller,
- et les conclusions de Mme Caroline Regnier, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de l'Artois, qui a exposé des débours s'élevant à la somme totale de 340 151,94 euros à l'occasion de la prise en charge médicale de Mme A..., relève appel du jugement n° 2101879 du 2 novembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Lille a limité la condamnation du centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Lille à lui rembourser la somme 14 074 euros.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute (...) ".
3. Il résulte de l'instruction que Mme A..., née le 10 mai 1980, souffrait d'une endométriose pelvienne, dont la gravité a été révélée à l'occasion d'un bilan endoscopique réalisé le 13 août 2007, marquée par une dysménorrhée intense, des métrorragies et un syndrome douloureux à l'exonération accompagnés d'une dyschésie en période menstruelle. Après plusieurs tentatives de fécondation in vitro entre le mois de novembre 2009 et le mois de mai 2010, une pyélonéphrite a justifié son hospitalisation en urgence du 1er juin 2010 au 7 juin 2010 au cours de laquelle des sondes endo-urétérales bilatérales de type JJ ont été posées afin de faciliter l'écoulement de l'urine jusqu'à la vessie. La gravité de cette endométriose et le contexte d'infertilité de la patiente ont justifié une intervention chirurgicale pluridisciplinaire. Le 22 octobre 2010, Mme A... a ainsi été opérée par trois chirurgiens spécialisés en gynécologie, en chirurgie digestive et en urologie afin de procéder, notamment, à la résection de l'endométriose, à l'ablation d'un kyste et de la trompe droite et de réaliser une iléostomie. Les suites de cette opération ont été marquées par des douleurs, de la fièvre et la présence d'urine dans la cavité périnéale nécessitant la pose d'une sonde vésicale. De retour à son domicile le 4 novembre 2010, la patiente a été convoquée le 15 novembre suivant afin de procéder à l'ablation de la sonde urinaire. Le lendemain de cette intervention, réalisée en ambulatoire, Mme A... a dû se rendre aux urgences du CHRU de Lille en raison de douleurs intenses accompagnées d'un syndrome occlusif. Un scanner a mis en évidence une fistule urétérale associée à un épanchement périnéal diffus ainsi que des foyers de pyélonéphrite, justifiant une nouvelle intervention le jour même par laparotomie et drainage vésical aspiratif. Mme A... a quitté l'établissement hospitalier le 25 novembre 2010. Un mois plus tard, la patiente a été opérée au CHRU de Lille en raison d'une pyélonéphrite à pseudomonas et entérocoques sensibles. Le 29 décembre 2010, elle a présenté une insuffisance rénale obstructive justifiant la mise en place en urgence d'endoprothèses urétérales bilatérales de type JJ ainsi qu'une sonde vésicale. Le 27 janvier 2011 la patiente a bénéficié de l'ablation des sondes et de la fermeture de l'iléostomie. Mme A... a présenté le 29 janvier 2011 une insuffisance rénale aiguë obstructive par sténose bilatérale ayant nécessité la remise en place d'endoprothèses urétérales bilatérales et une sonde vésicale qui a été retirée le 18 février 2011. La patiente a dû se rendre aux urgences du CHRU de Lille le lendemain en raison d'une hyperthermie et de difficultés à uriner, ce qui a nécessité la remise en place de la sonde vésicale. Le 1er mars 2011, Mme A... a souffert d'une pyélonéphrite ayant nécessité une nouvelle hospitalisation et s'est vue prescrire des autosondages. La patiente a ensuite fait de courts séjours hospitaliers afin de procéder au changement régulier des sondes vésicales jusqu'au 23 juin 2014. Deux tentatives de suicides ont eu lieu les 21 novembre 2011 et 28 décembre 2011. Mme A... a été hospitalisée le 3 mars 2012 pour une pyélonéphrite aigüe. Le 26 octobre 2012, elle est tombée dans un coma urémique ayant nécessité son admission aux urgences du centre hospitalier de Béthune. L'insuffisance rénale de la patiente a justifié un traitement par dialyse à compter du 20 novembre 2012. Mme A... est décédée le 23 décembre 2023.
4. Il résulte de l'instruction, et notamment des rapports d'expertise des 16 septembre 2013 et 31 mars 2014 réalisés à la demande de la commission régionale de conciliation et d'indemnisation (CRCI) et du rapport du 5 novembre 2015 réalisé à la demande de la présidente du tribunal administratif de Lille, que l'opération initiale du 22 octobre 2010 était indispensable en raison du retentissement rénal de l'endométriose dont souffrait Mme A... et que l'absence d'intervention présentait un risque d'altération des reins de l'ordre de 30 % que le draînage par sondes endo-urétérales bilatérales de type JJ ne permettait pas à lui seul d'éviter. Il résulte encore de l'instruction que cette opération a été réalisée dans les règles de l'art. Si les chirurgiens ayant opéré Mme A... n'ont pas adressé les tissus prélevés en anatomopathologie, cette omission n'a pas eu de rententissement sur la prise en charge de la patiente.
5. Les conséquences de l'opération du 22 octobre 2010 ont été marquées par une dénervation vésicale, entraînant un dysfonctionnement de la vessie du fait d'une lésion de nerfs impliqués dans le contrôle de la miction, qui constitue une complication connue de la chirurgie de l'endométriose profonde en particulier avec résection digestive. Si cette dénervation est à l'origine d'une rétention vésicale chronique obligeant la patiente à vider sa vessie en effectuant des autosondages, il résulte de l'instruction, et notamment des rapports d'expertises précités, que cette dénervation présente le caractère d'un accident médical non fautif qui ne saurait engager la responsabilité du CHRU de Lille, sans que les conditions d'engagement de la solidarité nationale ne soient par ailleurs réunis ainsi que les premiers juges l'ont jugé à bon droit aux points 3 à 10 du jugement attaqué.
6. Néanmoins, il résulte de l'instruction que le CHRU de Lille, en procédant à l'ablation de la sonde vésicale de manière anticipée le 15 novembre 2010, alors qu'elle était initialement prévue le 26 novembre 2010, et en ne procédant pas à une surveillance des conséquences de cette ablation sur la patiente, qui n'est demeurée que quelques minutes à l'hôpital, sans vérifier la reprise des mictions et sans prévenir le risque de rétention urinaire, a commis une faute de nature à engager sa responsabilité. Ce défaut de surveillance a eu pour conséquence le lâchage des sutures vésicales et la péritonite, causée par la surpression vésicale liée à l'impossibilité de vidanger spontanément la vessie. Il en est résulté une nouvelle intervention en urgence et une hospitalisation de la victime du 16 novembre 2010 au 25 novembre 2010. Il n'apparaît cependant pas que le retrait prématuré de la sonde vésicale et le défaut de surveillance de la victime au cours de la journée du 15 novembre 2010 auraient entraîné l'insuffisance rénale chronique de la patiente qui, au regard de l'ensemble des pièces médicales produites, est imputable à l'endométriose initiale ainsi qu'à la dénervation vésicale. Dans ces conditions, la CPAM de l'Artois est seulement fondée à demander que le CHRU de Lille soit condamné à lui rembourser les frais hosptitaliers qu'elle a exposés pour la période du 16 novembre 2010 au 25 novembre 2010, soit une somme de 14 074 euros telle que mentionnée dans le relevé définitif des débours de la caisse.
7. Il résulte de tout ce qui précède que la CPAM de l'Artois n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué n° 2101879 du 2 novembre 2023, le tribunal administratif de Lille a limité son indemnisation à la somme totale de 14 074 euros. Ses conclusions tendant à la majoration de cette somme doivent, dès lors, être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, celles relatives aux intérêts légaux et à la majoration de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Sur les frais liés au litige :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du CHRU de Lille et de son assureur, qui n'ont pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, la somme que la CPAM de l'Artois demande au titre des frais liés au litige.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Artois est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Artois, au centre hospitalier régional universitaire de Lille, à la société Relyens mutual insurance et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
Copie en sera adressée au bureau commun d'assurances collectives.
Délibéré après l'audience publique du 25 février 2025 à laquelle siégeaient :
- M. Benoît Chevaldonnet, président de chambre,
- M. Laurent Delahaye, président-assesseur,
- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 mars 2025.
Le rapporteur,
Signé : G. VandenbergheLe président de chambre,
Signé : B. Chevaldonnet
La greffière,
Signé : A-S. Villette
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et de la famille en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
par délégation,
La greffière,
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N°23DA02399