Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... A... née C... et M. B... A... ont demandé au tribunal administratif de Lille de condamner le centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Lille et son assureur, la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), à les indemniser des préjudices qu'ils estiment avoir subis à raison du manquement de l'établissement à son devoir d'information préalablement à l'intervention du 12 juin 2013, à l'origine d'une perte de chance de se soustraire à cette intervention de 70 % et d'un préjudice d'impréparation.
Par un jugement n° 2005417 du 20 juin 2023, le tribunal administratif de Lille a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 14 août 2023, Mme A..., représentée par Me Aidi, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner le CHRU de Lille et la SHAM à lui verser une somme de 829 787,75 euros ;
3°) d'assortir cette somme des intérêts aux taux légal ;
4°) de mettre à la charge du CHRU de Lille et de la SHAM une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.
Elle soutient que :
- le CHRU de Lille a manqué à son devoir d'information ;
- la faute commise par le CHRU de Lille est à l'origine d'une perte de chance de se soustraire à l'intervention et à ses risques qu'il y a lieu d'évaluer à 70 % ainsi qu'à un préjudice d'impréparation ;
- elle est fondée à solliciter, en réparation de ses préjudices, les indemnités suivantes : 700 euros au titre des frais de déplacement qu'elle a engagés, 68 129,60 euros au titre de l'assistance par une tierce personne temporaire, 5 334 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire total, 20 903,40 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire partiel, 35 000 euros au titre des souffrances endurées, 14 000 euros au titre du préjudice esthétique, 148 750 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, 14 000 euros au titre du préjudice sexuel, 85 881,60 euros au titre de l'assistance par une tierce personne permanente échue, 421 489,15 euros au titre de l'assistance par une tierce personne permanente à échoir, 5 600 euros au titre du préjudice d'agrément et 10 000 euros au titre du préjudice d'impréparation.
Par un mémoire, enregistré le 15 décembre 2023, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par Me Roquelle-Meyer, conclut à sa mise hors de cause et au rejet de toutes conclusions qui seraient dirigées à son encontre.
Il fait valoir que :
- le rapport d'expertise ne lui est pas opposable dès lors qu'il n'a pas été rendu à son contradictoire ;
- les conditions d'indemnisation au titre de la solidarité nationale ne sont pas remplies dès lors que l'intervention n'est pas en lien direct et exclusif avec les préjudices subis, que ces préjudices ne présentent pas de caractère anormal et que des fautes ont été commises par l'établissement ;
- Mme A... ne dirige aucune conclusion à son encontre.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 avril 2024, le CHRU de Lille et la société Relyens mutual insurance, nouvelle dénomination de la SHAM, représentés par le cabinet Le Prado - Gilbert, concluent au rejet de la requête d'appel de Mme A....
Ils font valoir que :
- aucun manquement au devoir d'information n'a été commis, Mme A... ayant été effectivement informée des risques liés à l'intervention proposée ;
- ce manquement ne pourrait être à l'origine d'aucune perte de chance dès lors qu'elle n'avait aucune possibilité raisonnable de refuser l'intervention ;
- l'évaluation des préjudices de Mme A... effectuée par le médecin-conseil de celle-ci ne lui est pas opposable, faute d'avoir été rendue à son contradictoire ;
- les montants des indemnités qu'elle sollicite devraient être ramenés à de plus justes proportions.
La requête et l'ensemble des pièces de la procédure ont été communiqués à la caisse primaire d'assurance maladie du Hainaut qui n'a pas produit de mémoire.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 septembre 2023 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Toutias, premier conseiller,
- et les conclusions de Mme Regnier, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... C... épouse A..., née le 11 août 1965, a subi, le 12 juin 2013 au centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Lille, une intervention chirurgicale consistant en l'exérèse d'un méningiome de l'angle ponto-cérébelleux gauche. Les suites opératoires ont été marquées par des troubles de la déglutition, une hémiparésie droite, une paralysie faciale gauche et des troubles ophtalmiques ayant abouti à la cécité quasi-complète de l'œil gauche. Souhaitant faire la lumière sur les conditions de sa prise en charge, elle a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Lille d'une requête tendant à l'organisation d'une expertise médicale contradictoire à laquelle il a été fait droit par une ordonnance n° 1705275 du 14 septembre 2017. Le rapport d'expertise médicale a été établi le 2 août 2018. Au vu des conclusions de celui-ci, Mme A..., conjointement avec son époux, a saisi le CHRU de Lille d'une demande préalable d'indemnisation par un courrier réceptionné le 8 avril 2020, auquel aucune suite n'a été réservée. Mme A... relève appel du jugement du 20 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté la demande à fin indemnitaire dont elle l'avait saisi conjointement avec son époux. Elle demande à la cour d'annuler ce jugement et de condamner le CHRU de Lille à lui verser une somme totale de 829 787,75 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis à raison du manquement de l'établissement à son devoir d'information préalablement à l'intervention du 12 juin 2013.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique, dans sa version applicable à la date des faits litigieux : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (...) / Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. / Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel. / (...) / En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen. / (...) ".
3. Pour l'application des dispositions précitées, doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement à l'accomplissement d'un acte médical, les risques connus de cet acte qui, soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence. En cas de manquement à cette obligation d'information, si l'acte de diagnostic ou de soin entraîne pour le patient, y compris s'il a été réalisé conformément aux règles de l'art, un dommage en lien avec la réalisation du risque qui n'a pas été porté à sa connaissance, la faute commise en ne procédant pas à cette information engage la responsabilité de l'établissement de santé à son égard, pour sa perte de chance de se soustraire à ce risque en renonçant à l'opération. Il n'en va autrement que s'il résulte de l'instruction, compte tenu de ce qu'était l'état de santé du patient et son évolution prévisible en l'absence de réalisation de l'acte, des alternatives thérapeutiques qui pouvaient lui être proposées ainsi que de tous autres éléments de nature à révéler le choix qu'il aurait fait, qu'informé de la nature et de l'importance de ce risque, il aurait consenti à l'acte en question. En outre, indépendamment de la perte d'une chance de refuser l'intervention, le manquement des médecins à leur obligation d'informer le patient des risques courus ouvre pour l'intéressé, lorsque ces risques se réalisent, le droit d'obtenir réparation des troubles qu'il a subis du fait qu'il n'a pas pu se préparer à cette éventualité.
4. Il résulte de l'instruction que, préalablement à l'intervention du 12 juin 2013, Mme A... a été reçue en consultation par le neurochirurgien du CHRU de Lille le 27 mars 2013. Ce praticien a rendu compte de cette consultation au médecin traitant de l'intéressée dans un courrier daté du 4 avril 2013 dans lequel il indique avoir informé Mme A... et son époux des risques de l'intervention, notamment sur l'audition, la fonction faciale gauche, la vision et le tronc cérébral. Il n'est à cet égard pas contesté que les complications rencontrées par Mme A... se rattachent aux risques ainsi mentionnés. Le CHRU de Lille démontre également que l'information lors de cette consultation s'est faite au moyen de schémas qu'il a versés à l'instance et qui mentionnent à nouveau que Mme A... a été informée. Ces éléments concordants et précis permettent d'établir que Mme A... a, contrairement à ce qu'elle soutient, reçu une information orale sur les risques de l'intervention. Dès lors que cette intervention, ainsi que le retient le rapport d'expertise médicale du 2 août 2018 qui n'est sur ce point infirmé par aucun des éléments apportés par Mme A..., était la seule indiquée dans sa situation, aucune information sur les traitements alternatifs n'avait à lui être communiquée. Aucun texte ni aucun principe applicable n'imposait de lui remettre en outre une information écrite, et notamment la fiche d'information établie par la société française de neurochirurgie. Mme A... a également bénéficié d'un délai de réflexion de plus de deux mois et demi entre son entretien avec le neurochirurgien et l'intervention, période pendant laquelle elle a eu des rendez-vous avec d'autres praticiens, notamment avec le médecin anesthésiste et son médecin traitant. Enfin, la fiche d'hospitalisation, citée par l'expert dans son rapport, fait état de ce que l'information sur les risques a été renouvelée au moment de l'entrée de Mme A... à l'hôpital. Au vu de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de considérer, conformément aux conclusions de l'expert, que Mme A... a effectivement bénéficié, préalablement à l'intervention du 12 juin 2013, de l'information prévue par les dispositions précitées de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique. Il s'ensuit qu'elle n'a ni perdu une chance de se soustraire à l'intervention et aux risques y afférents, ni été empêchée de se préparer à cette éventualité.
5. Il résulte de ce qui précède que la responsabilité fautive du CHRU de Lille ne peut être engagée. Il s'ensuit que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté ses conclusions à fin de condamnation du CHRU de Lille et de son assureur ainsi que, par voie de conséquence, celles relatives aux intérêts légaux.
Sur les frais liés au litige :
6. En premier lieu, il n'y a pas lieu, contrairement à ce que demande Mme A..., de mettre à la charge du CHRU de Lille et son assureur, qui ne sont pas les parties perdantes dans le cadre de la présente instance, les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 2 400 euros par ordonnance du 24 août 2018 du président du tribunal administratif de Lille. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, compte tenu en particulier de l'admission de Mme A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, ces frais doivent, à l'instar de ce qu'ont décidé les premiers juges, être mis définitivement à la charge de l'Etat. Il n'y a, dès lors, pas lieu pour la cour de réformer le jugement sur ce point.
7. En second lieu, dès lors que le CHRU de Lille et son assureur ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, les conclusions présentées par Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... A... née C..., au centre hospitalier régional universitaire de Lille, à la société Relyens mutual insurance, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse primaire d'assurance maladie du Hainaut.
Délibéré après l'audience publique du 4 février 2025 à laquelle siégeaient :
- M. Laurent Delahaye, président-assesseur assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller,
- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 mars 2025.
Le rapporteur,
Signé : G. ToutiasLe président de la formation
de jugement,
Signé : L. Delahaye
La greffière,
Signé : A-S. Villette
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
par délégation,
La greffière
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N°23DA01640