Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A..., épouse C..., a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler pour excès de pouvoir la décision, révélée par un courrier du 18 mai 2019 de la directrice du lycée Albert Pourrière au Petit-Quevilly, par laquelle la rectrice de la région académique Normandie a supprimé son service au sein de ce lycée.
Par un jugement n° 1902629 du 30 mars 2021, le tribunal administratif de Rouen a annulé la décision précitée.
Par un arrêt n° 21DA01218 du 7 juillet 2022, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé par le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse contre ce jugement.
Par une décision n° 467503 du 27 février 2024, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Douai.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 1er juin 2021 et le 17 mars 2022, et un mémoire enregistré le 19 septembre 2024 après le renvoi de l'affaire à la cour, la ministre de l'éducation nationale demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rouen du 30 mars 2021 ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Rouen.
Elle soutient que :
- la durée des services accomplis, prévue par l'article R. 914-75 du code de l'éducation pour déterminer ceux des maîtres contractuels dont le service doit être réduit au supprimé, constitue un critère qui n'est pas exclusif d'autres éléments d'appréciation ;
- la rectrice de la région académique Normandie pouvait donc se fonder sur un motif tiré des besoins et de l'intérêt du service et supprimer le service de Mme A... en dépit de son ancienneté ;
- l'intéressée ne dispose pas de qualification dans la spécialité " perruquier posticheur ", contrairement aux autres enseignants de l'établissement ;
- les autres moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 février 2022, et un mémoire, enregistré le 29 mai 2024 après le renvoi de l'affaire à la cour, Mme A..., représentée par Me Garraud, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 500 euros soit mise à la charge de l'Etat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'article R. 914-75 du code de l'éducation ne prévoit que le seul critère relatif à la durée des services accomplis pour déterminer ceux des maîtres contractuels dont le service doit être réduit ou supprimé ;
- à supposer que ce critère ne soit pas exclusif, l'administration a omis de prendre en compte son ancienneté de service ;
- elle justifie d'une ancienneté de neuf ans, supérieure à celle de ses collègues ;
- les autres moyens soutenus devant le tribunal administratif sont de nature à entraîner l'annulation de la décision contestée.
Par une ordonnance du 28 août 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 24 septembre 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'éducation ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- et les conclusions de M. Carpentier-Daubresse, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... a été recrutée le 1er septembre 2010 en qualité de maître contractuel de l'enseignement privé, pour enseigner la coiffure au lycée Albert Pourrière, au Petit-Quevilly. Par un courrier du 18 mai 2019, la directrice de l'établissement a informé Mme A... qu'une nouvelle ventilation de la dotation horaire globale de l'établissement avait été décidée par l'autorité rectorale, entraînant la suppression d'un poste de coiffure et qu'au regard des formations dispensées et des impératifs attendus en termes de compétences spécifiques de perruquier-posticheur, dont ne justifiait pas l'intéressée, son service était supprimé. Par un jugement du 30 mars 2021, le tribunal administratif de Rouen a, sur la demande Mme A..., annulé la décision révélée par le courrier du 18 mai 2019. Par un arrêt du 7 juillet 2022, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé contre ce jugement par le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Par une décision du 27 février 2024, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Douai.
Sur le moyen retenu par le tribunal administratif :
2. Aux termes de l'article R. 914-75 du code de l'éducation dans sa version applicable au litige : " Aux dates fixées chaque année par un arrêté du recteur, les chefs d'établissement transmettent au recteur, s'il s'agit d'un établissement du second degré, ou au directeur académique des services de l'éducation nationale agissant sur délégation du recteur d'académie, s'il s'agit d'un établissement du premier degré : (...) / 2° La liste par discipline des maîtres pour lesquels il est proposé de réduire ou supprimer le service. Pour établir la liste, le chef d'établissement prend en compte la durée des services d'enseignement, de direction ou de formation accomplis par chacun d'eux dans les établissements d'enseignement publics ou privés sous contrat (...) ". Si ces dispositions prévoient que le chef d'un établissement privé sous contrat d'association prend en compte la durée des services d'enseignement, de direction ou de formation des maîtres de son établissement pour établir la liste par discipline des maîtres dont il propose de réduire ou de supprimer le service, elles ne font pas obstacle à ce qu'il prenne en compte pour établir cette proposition d'autres critères, tels que celui de la détention de qualifications professionnelles particulières adaptées aux besoins de l'enseignement. Il en va de même du recteur d'académie lorsqu'il se prononce sur cette liste.
3. Il s'ensuit, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif de Rouen pour annuler la décision du 18 mai 2019, que les dispositions précitées de l'article R. 914-75 du code de l'éducation n'imposaient pas à l'autorité rectorale de prendre en compte le seul critère tiré de la durée des services accomplis, de sorte qu'elle pouvait légalement fonder sa décision sur le critère tiré de l'absence de compétences spécifiques de perruquier-posticheur de Mme A.... Par suite, la ministre de l'éducation nationale est fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont annulé la décision du 18 mai 2019 pour erreur de droit.
4. Toutefois, il appartient à la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme A... devant le tribunal administratif de Rouen et devant la cour.
Sur les autres moyens soulevés par Mme A... :
5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 2131-3 du code du travail : " Les fondateurs de tout syndicat professionnel déposent les statuts et les noms de ceux qui, à un titre quelconque, sont chargés de l'administration ou de la direction. / Ce dépôt est renouvelé en cas de changement de la direction ou des statuts ". Aux termes de l'article R. 2131-1 du même code : " Les statuts du syndicat sont déposés à la mairie de la localité où le syndicat est établi (...) ". La circonstance que la fédération nationale de la coiffure Haute-Normandie, syndicat professionnel auquel est rattaché le lycée privé Albert Pourrière, qui a déposé ses statuts à la mairie de résidence le 16 juillet 1997, a omis de procéder à un nouveau dépôt de ses statuts après leur modification le 10 février 2014, n'est pas de nature à établir qu'elle n'aurait pas disposé de la capacité juridique lorsque la cheffe d'établissement a transmis la liste par discipline des maîtres pour lesquels il était proposé de réduire ou supprimer le service. Par ailleurs, Mme A... ne conteste pas que la cheffe d'établissement a été nommée par un arrêté du 21 février 2018 pris sur avis du conseil académique. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'absence d'existence légale du lycée Albert Pourrière, de sorte que sa cheffe d'établissement aurait été incompétente pour établir la liste précitée, ne peut qu'être écarté.
6. En deuxième lieu, si Mme A... reproche au rectorat d'avoir méconnu les " usages et consignes " de l'éducation nationale, elle se prévaut sur ce point de l'accord national professionnel sur l'organisation de l'emploi des maîtres des établissements catholiques d'enseignement du second degré sous contrat d'association du 12 mars 1987, qui ne trouve pas à s'appliquer au lycée Albert Pourrière dès lors que celui-ci est un établissement non confessionnel. Le moyen précité ne peut donc qu'être écarté comme inopérant.
7. En troisième lieu, en application de l'article L. 442-5 du code de l'éducation, les personnels enseignants d'un établissement d'enseignement privé sous contrat d'association avec l'Etat " sont électeurs et éligibles pour les élections des délégués du personnel et les élections au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail et au comité d'entreprise " et " bénéficient de ces institutions dans les conditions prévues par le code du travail ". Mme A... entend se prévaloir à ce titre des dispositions de l'article L. 2323-1 du code du travail qui prévoient une information et une consultation du comité d'entreprise " sur les questions intéressant l'organisation, la gestion et la marche générale de l'entreprise, notamment sur les mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, la durée du travail ou les conditions d'emploi, de travail et de formation professionnelle, lorsque ces questions ne font pas l'objet des consultations prévues à l'article L. 2323-6 ", et des dispositions de l'article L. 2323-6 du même code en application desquelles l'employeur consulte chaque année le comité d'entreprise sur " la politique sociale de l'entreprise, les conditions de travail et l'emploi ". Toutefois, il ressort des pièces du dossier, notamment de l'attestation établie le 12 juillet 2019 par un collègue de Mme A..., lequel exerce les fonctions de délégué du personnel, que le lycée Albert Pourrière ne comporte pas de comité d'entreprise. Il ne résulte pas des dispositions des articles L. 2313-1 à L. 2313-12 du code du travail, alors applicables, que la cheffe d'établissement aurait dû saisir le délégué du personnel avant de communiquer au rectorat la liste par discipline des maîtres pour lesquels il était proposé de réduire ou supprimer le service. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que le lycée Albert Pourrière comporterait cinquante salariés au moins et se trouverait soumis à ce titre aux articles L. 2313-13 et suivants du code du travail, en application desquels le délégué du personnel peut se trouver investi de certaines missions incombant en principe au comité d'entreprise. Dans ces conditions, le moyen tiré d'un défaut de consultation des institutions représentatives du personnel ne peut qu'être écarté. Par ailleurs, il n'est pas établi que l'autorité rectorale aurait méconnu des dispositions légales ou réglementaires lui imposant une " obligation morale d'informer les enseignants ".
8. En quatrième lieu, si Mme A... reproche à l'administration le non-respect des diverses échéances prévues par le calendrier prévisionnel du mouvement des maîtres du second degré, cette circonstance est sans influence sur la légalité de la décision contestée. Elle ne saurait non plus utilement se prévaloir de l'absence de mention des voies et délais de recours sur le courrier lui notifiant cette décision. Si Mme A... invoque une méconnaissance de la procédure d'attribution des postes spécifiques, elle renvoie sur ce point aux conditions dans lesquelles le poste d'une de ses collègues aurait dû, selon elle, être déclaré vacant pour être proposé au mouvement. Une telle circonstance ne relève pas de la procédure d'élaboration de la décision contestée, qui a pour objet la suppression de son service, de sorte que le moyen tiré d'un vice de procédure sur ce point ne peut qu'être écarté.
9. En cinquième lieu, le courrier du 18 mai 2019 mentionne que les exigences attendues de l'établissement scolaire en matière de formation ont conduit à privilégier la spécialité de perruquier-posticheur au regard du critère de l'ancienneté prévu par les dispositions citées plus haut de l'article R. 914-75 du code de l'éducation. Par suite, il n'est pas établi que l'autorité rectorale aurait omis de tenir compte de ce critère de l'ancienneté, dans les conditions rappelées au point 2, et commis une erreur de droit.
10. En sixième lieu, il ressort des pièces du dossier qu'à la suite d'échanges entre l'administration et le lycée Albert Pourrière, il a été décidé de réduire le nombre hebdomadaire d'heures d'enseignement de coiffure de 117 à 90 heures pour l'année scolaire 2019-2020. L'établissement proposant une formation au baccalauréat de perruquier-posticheur, il a également été décidé d'arrêter la liste des maîtres pour lesquels la modification horaire a pour effet de réduire ou de supprimer le service en tenant compte des qualifications des enseignants dans cette spécialité. La ventilation horaire retenue a ainsi conduit à supprimer le poste d'enseignement en coiffure de Mme A..., qui ne dispose pas de la qualification de perruquier-posticheur. Si Mme A... fait état de sa plus grande ancienneté, notamment à l'égard de la directrice adjointe de l'établissement scolaire maintenue dans un poste d'enseignement en coiffure, il résulte de ce qui a été dit plus haut que la cheffe d'établissement et, à sa suite, la rectrice de la région académique Normandie pouvaient exiger une qualification particulière pour déroger au critère d'ancienneté prévu par l'article R. 914-75 du code de l'éducation. Mme A... ne conteste pas sérieusement que ses collègues maintenus en poste ont la qualification de perruquier-posticheur ou, pour ceux d'entre eux qui n'en disposent pas, ont une ancienneté supérieure à la sienne. A cet égard, il ressort du tableau de répartition horaire de l'année 2019-2020 que la directrice adjointe de l'établissement dispose de la qualification précitée. Dans ces conditions, il n'est pas établi qu'en retenant Mme A... sur la liste des maîtres pour lesquels le service est supprimé, l'autorité rectorale aurait commis une erreur manifeste d'appréciation, en dépit de l'ancienneté de service de l'intéressée. Mme A... ne saurait utilement soutenir sur ce point que la directrice adjointe du lycée Albert Pourrière se trouverait dans une situation irrégulière de cumul d'emploi, en méconnaissance de l'article 25 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.
11. En dernier lieu, pour contester la décision prise à son encontre, Mme A... fait état de liens de proximité familiale, professionnelle ou personnelle entre la cheffe d'établissement, son adjointe, l'inspecteur de l'éducation nationale référent de la discipline coiffure, et divers autres protagonistes. Toutefois, l'argumentaire développé sur ce point ne suffit pas à démontrer que l'autorité rectorale aurait commis un détournement de pouvoir.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la ministre de l'éducation nationale est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a annulé la décision, révélée par un courrier du 18 mai 2019 de la directrice du lycée Albert Pourrière au Petit-Quevilly, par laquelle la rectrice de la région académique Normandie a supprimé le service de Mme A... au sein de ce lycée.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme dont Mme A... demande le versement au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rouen n° 1902629 du 30 mars 2021 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Rouen et ses conclusions d'appel tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche et à Mme B... A... épouse C....
Délibéré après l'audience publique du 17 décembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 janvier 2025.
Le président-rapporteur,
Signé : J.-M. Guérin-LebacqLa présidente de chambre,
Signé : M.-P. Viard
La greffière,
Signé : C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne à la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Par délégation,
La greffière
C. Huls-Carlier
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N° 24DA00435